04-08-2010, 01:18 AM
(This post was last modified: 06-08-2010, 02:49 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 18ème Episode</span><!--/sizec-->
Boeuf 402
LE BOUT DU CHEMIN<!--/sizec-->
<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 18ème Episode</span><!--/sizec-->
Boeuf 402
LE BOUT DU CHEMIN<!--/sizec-->

La matinée commenca par l'ascension d'une pente dure, dans la neige épaisse. Alors qu'elle était à mi-pente, le soleil apparut derrière les maigres arbres, silencieuse boule d'or prisonnière du froid -sa lumière frappa les étendues blanches sans les réchauffer.
Yatsume soufflait dans ses mains, engourdies dans de gros gants. Son naginata cliquetait au rythme de ses pas. Un corbeau s'ébrouait dans un arbre, poussait son cri agressif De petits oiseaux sautillaient a la recherche de graines. Il y en eut un qui glissa sur une plaque de givre.
Yatsume allait passer à l'ouest de la vallée de la honte, puis descendre vers les terres de son ancien clan. Elle passerait obligatoirement par Shutai.
Shutai. Le plus beau trou à rats de l'Empire, dans la région la plus détrempée des terres de Scorpion. Elle y arriva au crepuscule, alors qu'une vilaine pluie, pas tout à fait de la neige, tombait reéulierement et eut tôt fait de percer à travers ses trois épaisseurs de vêtements. Le ciel était alourdi de nuages noirs. Depuis la fin d'après-midi, il avait fait une lumière grise triste à mourir.
Shutai était la cité de la punition. On y envoyait les samurai indisciplinés faire des patrouilles de nuit pour surveiller les plaines glauques alentours, des désolations habitées par quelques bandits et des bêtes sauvages. C'était aussi en ces riantes contrées que poussait la forêt dite "de la mort honorable". On y comptait en permanence une dizaine de corps qui s'y balançaient au bout de branches grinçantes. Les samurai punis étaient envoyés de temps en temps décrocher ceux qui avaient préféré en finir de la manière la plus dégradante.
Comme l'avait dit un jour un samurai condamné soit à devenir ronin soit à prendre la direction de cette forêt : "mourir oui, mais pas sous la pluie !"
Et ce samurai déchu était mort deux mois après, au service des Lions, lors d'une bataille sous un soleil de plomb.
Yatsume dut passer une nuit à Shutai, trop fatiguée pour ressentir l'ennui lancinant de ces lieux.
Autre anecdote : un jour que le daimyo était de passage dans la region, sa femme avait eu la curiosité de voir cette Cité. A son retour, elle s'était exclamée : "C'est tout de meme vrai que les gens sont tous laids ici !"
Notre héroïne repartit de bon matin. Chaque pas la rapprochait de sa fille, et de ceux qui l'empêcheraient de la reprendre.

Maya avait trouvé une maison inhabitée au bout de la rue des tapissiers. Elle y passait le temps, perdue dans des songes inacessibles au reste du monde. Elle continuait son entraînement.
Mise au ban de son clan depuis qu'elle l'avait couvert de honte en ratant sa révérence à l'Empereur, elle n'existait plus pour personne. On ne faisait pas attention à elle. Les voisins savaient-ils qu'elle était dégradée ? Ils préféraient, dans le doute, ne pas s'approcher. Certains avaient aperçu ses tatouages, raison de plus pour la laisser en paix.
C'était la fin de journee. Le quartier ne s'était pour ainsi dire pas réveillé. Les gens somnolaient. Le peu qui était resté là, les infirmes, les vieux, ne sortaient pas... Parce que les tapissiers en état de travailler passaient leurs journees dans les palais, à prendre des commandes, à raccomoder et à fabriquer sur place. Les enfants étaient emmenés dès que leurs petites mains étaient assez agiles pour tisser. De même en fait pour les autres corps de métiers, occupés comme jamais par la cour d'hiver. Des tapis, tapisseries, nattes, on en voulait partout, pour ne pas marcher sur le sol froid, pour cacher les murs de pierre, pour masquer des lézardes et des taches d'humidité ! Les Grues et les Phenix surtout, se rongeaient d'humiliation. Ils priaient les Ancêtres de leur dire quelles fautes ils avaient commises pour que l'Empereur leur inflige une telle cour ! Les Dragons ne se plaignaient pas. Les Lions, plus habitués a la vie dure en campagne, prenaient sur eux. Les Scorpions prenaient le parti de ricaner des samurai privés de leur confort.
C'était donc dans un silence presque mystique que Maya passait ses journées. Sauf aujourd'hui, où deux chiens avaient commencé à s'aboyer dessus, et où tous les autres du quartier s'y étaient mis ! Des aboiements en chaîne. Quand l'un arrêtait, un autre le relançait...
Avec la tombée de la nuit, le retour de leurs maîtres -ceux qui ne passeraient pas la nuit à travailler dans les châteaux- le calme revint, et un peu de chaleur dans les maisons.
Maya refit du feu, approcha ses couvertures de l'âtre, prépara du riz. Les flammes luttaient pour survivre. Le vent mauvais appuyait sur le toit, sur les murs, et les lattes "travaillaient", harcelées par ces bourrasques venues de terres sauvages.
Maya entendit quelqu'un ricaner dehors. Elle s'enroula dans ses couvertures. Les ricanements continuaient. Elle maugréa, se colla l'oreiller sur la tête et souffla sur les braises pour les empêcher de mourir.
Et ces ricanements... "Hein hein hein..."
Elle se tourna, roula, alors que le rire agacant continuait. C'était peut-être un singe... Elle se mit sur le dos, respira fort... Rien n'y faisait !
- Bon !...
"Hein hein hein..."
Elle se leva d'un coup, fit craquer ses poings et ouvrit en grand sa porte. C'était un homme encapuchonné, qui se tenait accroupi au bout de la rue. Il tenait un sac ouvert devant lui :
- Hein hein hein... Allez, mes petits... Allez et revenez...
Maya s'approcha. Elle sursauta : trois rats lui passèrent entre les jambes. Ils s'enfuirent en poussant de petits cris. D'autres venaient de derrière elle. Ils coururent se réfugier dans le sac du personnage.
Ce dernier se releva. Il resta immobile. Maya se tint sur ses gardes. Elle fit deux pas, il s'enfuit. Elle soupira et lui courut après. Plusieurs rats sortirent du sac et se dispersèrent dans une ruelle. Elle le coinça après trois rues, lorsqu'il fit l'erreur de s'engager dans une impasse.
- Les rats... les rats, gémissait-il, repandront la vérité sur cette ville ! Regarde, toi, au fond de leurs yeux, et tu verras la Vérité !
Elle l'attrapa par les épaules, lui fit une clef de bras :
- Suis-moi !
Elle soupira de cette corvée. Elle emmena au premier poste de garde, à la sortie du quartier marchand. Elle ne se présenta pas. Elle dit aussitôt :
- Ce type est suspect... Il prétend que les rats vont répandre la vérité sur la ville.
Une explication limpide ! Les quatre soldats, éberlués, virent cet homme maigre et cette fille sortis de nulle part. Ils se levèrent, la main sur leurs armes :
- Qui êtes-vous ?
Un soldat approcha une torche :
- Ah, je la reconnais !
Il pouffa de rire.
- Elle n'est pas méchante... C'est la fille, là... vous savez...
Les autres examinerent une Maya de mauvaise humeur.
- Ah mais oui !
Ils se regardèrent en éclatant de rire.
- Et lui, c'est qui ? Viens par là !
On l'examina attentivement.
- Regardez !
Ils venaient de decouvrir une tache verte gluante sous son bras. On lui tendit le bras, pendant que deux autres le tenaient aux épaules :
Le soldat qui examinait la tache frissonna de dégoût. Il n'eut pas besoin d'ajouter un mot. Les autres ligotèrent l'homme.
- Que faisait-il ?
- Il répandait des rats près de chez moi, dit Maya... Dans le quartier des tapissiers.
Deux soldats poussèrent l'homme dehors. Ce n'ètait qu'un tas d'os faciles à briser. Le sergent du poste dégaîna son sabre et lui trancha la tête. Le corps craqua en touchant la neige.
Le sergent cracha par terre :
- Toi, prends un sac et fais-le emmener tout de suite... Qu'on le brûle cette nuit ! Vous deux, suivez-moi !... Toi la fille, indique-nous le chemin...
Les Crabes suivirent Maya. Ils étaient d'une humeur détestable.
Ils entrèrent dans les ruelles où Maya avait vu les rats.
- Bon, toi, tu vas réveiller le quartier. Tous les hommes valident sortent avec des torches ! Pressons !
Les soldats cognèrent aux maisons.
En quelques minutes, dix hommes grelottants étaient réunis dans la rue et on leur expliquait leur tâche. Ils se mirent en chasse, avec des piques, des fourches et des flambeaux. La traque aux rats dura le reste de la nuit. Maya retourna chez elle et ne put fermer l'oeil. Elle entendait les hommes haleter, crier en découvrant les bêtes maudites et les transpercer.
- Nous en avons encore eu trois...
- Continuez !
- Là, j'en ai vu un autre !
- Il est pour moi !... Tiens !
Couinement de rat. Des etas accouraient avec des sacs. Ils avaient rallumé le crematorium -l'homme squelettique était en train d'y partir en fumée.
Les chiens avaient repris leurs aboiements interminables. Un Crabe éternua très fort :
- Misère de sort !... Quand je pense que d'autres sont en train de s'en mettre plein la panse !
Un sifflement fusa dans les cieux. Un feu d'artifice démarrait dans la cour principale du château. Cris joyeux des invités qui saluaient ces explosions de couleur !

La bouteille de saké passait entre les convives. Certains se servaient encore dans leur coupe, d’autres prenaient directement à la bouteille.
- Allez, Noyuki, à la santé des Yasuki !
Mitsurugi choqua la bouteille contre la coupe de son ami diplomate et prit une bonne gorgée avant de passer distraitement à son voisin.
Les deux ambassadeurs venaient de passer une journée longue et pénible. Ils avaient écouté les complaintes de dignitaires Yasuki, qui voulaient ouvrir une route commerciale vers les terres des Lions. Il fallait supporter la présence de ces samurai-marchands, heureux dans leurs vulgarités, qui n’en avaient que pour leurs kokus qu’ils vénéraient plus que leurs Ancêtres ! Il avait fait gris tout le temps, un gris lumineux qui fait mal aux yeux, qui vous assomme. Le soir, après avoir enfin réussi à les mettre dehors, ils avaient filé à la réception de la famille Hida, donnée en l’honneur de Mamoru : le rônin était rétabli dans son honneur de samuraï. Il redevenait Hida Yasashiro. Une belle cérémonie, sans fioriture, qui avait rapidement viré aux verres en l’honneur des Ancêtres, de la Muraille indestructible et de la bravoure de ceux tombés au combat… avant de se poursuivre, pour les deux ambassadeurs, dans cette réception de la famille Seppun.
Une jeune femme souriante passait parmi les invités qui riaient fort et buvaient :
- Pardon, seigneurs… Je vous rappelle que nous ouvrons les inscriptions pour notre grand concours de tir à l’arc.
- Merveilleux !
Mitsurugi reprit la bouteille qui circulait :
- Allons-y, Noyuki !
- Ah moi, je vous regarde faire !
- D’accord, d’accord…
Mitsurugi approcha de la table et se mit dans la queue. Quand ce fut son tour, il dit quelques mots à voix plus basse. Le Seppun derrière la table sourit d’un air entendu et griffonna sur son papier.
- Vous pratiquez souvent l’arc ? demanda Noyuki.
- Pas souvent, non. Et vous ?
- Oh non, c’est bien pour cela que…
Le dignitaire Seppun s’avança :
- Seigneurs, notre compétition va commencer. Pour la première flèche, honneur au doyen de notre soirée, le vénérable Hanteï Norio…
Tout le monde leva son verre respectueusement.
- … puis ce sera le tour de l’honorable Ikoma Noyuki.
L’ambassadeur avala de travers :
- Pardon ?
- Allons, allons… On vous réclame mon cher…
- C’est vous qui ?...
- Ecoutez, dit Mitsurugi, je me suis bien inscrit au concours de poésie, alors hein…
Le silence se fit pour Hanteï Norio. De tous, c’était celui qui avait le moins bu. Il prit un arc traditionnel apporté par Hanteï Tokan, le soupesa, jaugea le bois, la corde, et dit qu’il l’acceptait. Il dit quelques mots sur l’histoire de cet arc. Que l’Empereur Hanteï III s’en était servi, qu’il avait été exposé dans la palais des ancêtres de la Cité Interdite et qu’il était ressorti pour la première fois cet hiver.
Tout le monde s’inclina bien bas devant cet objet admirable.
- Levons notre verre, dit un Crabe. A l’arc, et à son porteur !
Hanteï Norio sourit, pour cacher sa répugnance devant tout cet alcool. Les verres vidés, le vieil homme se mit dignement face à la cible. Il se mit en position avec lenteur, tira doucement sur la corde. Peu à peu, l’arc se courba, insensiblement. La belle flèche, encochée parfaitement au milieu de la corde, partit d’un coup. Elle alla se planter à deux doigts du centre.
On s’inclina encore. Norio resta impassible. Hanteï Tokan, qui le connaissait bien, sentait qu’il était très fier de lui !
Ce fut au tour de Ikoma Noyuki… Il se mit en position... Il voyait la cible bouger, monter et descendre… Il s’inclina très bas devant Norio et dit à l’assistance qu’après un tel coup, il paraitrait bien ridicule. Les Scorpions ricanèrent en cœur, et leurs ricanements furent contagieux. Noyuki prit un des arcs mis à la disposition de tous, banda la corde d’un coup sec et envoya une flèche qui se planta dans le cercle extérieur.
Il se hâta de laisser la place au suivant !
- C’est déjà bien beau, murmura-t-il à Mitsurugi, que j’ai atteint la cible !
D’autres archers se succédèrent. De puissants Matsu, qui venaient affronter les hautains Asahina ; des Bayushi qui étaient inscrits pour en découdre avec leurs rivaux de la famille Shiba. Le tir de Mitsurugi ne retint pas l’attention. Il entendit juste un Dragon dire bas :
- C’est juste médiocre…
Notre héros se retourna et le Dragon rougit jusqu’aux oreilles.
- Nous verrons vos talents de poètes !
Noyuki tiendrait sa revanche sur les haïkus !
- C'est dans combien de temps ?
- Quatre jours. Vus aurez le temps de faire un beau poème...
Noyuki se moquait. Mitsurugi, lui, avait une idée derrière la tête. Il resta pour voir la fin du concours de poésie. Le sake lui avait chauffé le sang. Il allait montrer, à tous ces Scorpions, ces intrigants, conspirateurs, demi-marchands... Ces lâches !... Ce que c'est qu'être un samurai !
Un membre de la famille Kitsuki venait de tirer sa flèche. Mitsurugi s'approcha respectueusement de Seppun Tokugawa, maître de cérémonies impériales -soutien notoire du Gozoku, au mieux avec son triumvirat dirigeant - qui allait conclure la compétition. Aux yeux de tous, Mitsurugi était ivre. Les convenances voulaient que dans ce cas, on ignore poliment les propos de l'ivrogne. Seulement, le Lion fit entendre à haute et claire voix sa demande :
- Un magnifique arc... Béni par les dieux... comme son actuel possesseur...
Noyuki tremblait. Son ami ne savait plus ce qu'il disait, il allait se mettre dans une situation impossible, c'était certain ! En plus, l'arc du Seppun était assez ordinaire.
Hanteï Norio, qui supportait avec peine l'abus de boisson chez les autres, prit sur lui de rester calme. A titre personnel, il réprouvait le soutien de Seppun Tokugawa au Gozoku, mais il était prêt à intervenir envers un membre d'une autre famille impériale. Il avait généralement de l'estime pour Mitsurugi, pour son panache qui rappelait les valeurs d'antan, mais là, il allait loin dans la provocation ! Celui-ci continuait sur son idée, comme un paysan creuse son sillon :
- Me permettriez-vous, honorable Tokugawa-sama de l'utiliser ?
Il parlait un ton trop fort. Tout le monde avait entendu. Noyuki ne savait plus quoi faire -car Mitsurugi avait en plus l'air d'avoir la boisson mauvaise. Il aurait pu devenir violent si on le contrariait.
Seppun Tokugawa, très raide, regarda Mitsurugi droit dans les yeux, qui soutint son regard, puis s'inclina comme l'exigeait la règle.
- Je ne sais pas si... intervint Hanteï Tokan.
- Tenez, examinez-le, dit le seigneur Seppun, qui ne voulait pas d'intervention de soutien -même de Norio-sama (par Tokan interposé !

L'assistance retenait son souffle. Quelques Grues et Scorpions durent prier leurs Ancêtres très forts : si le Lion abimait un tant soit peu l'arc, ou le tenait mal, c'était le déshonneur ! Oh oui, si seulement il pouvait le laisser tomber !... Marcher un peu dessus par maladresse !
Noyuki ferma les yeux quand il vit Mitsurugi prendre une flèche dans le carquois. Pas ça... La fanfaronnade avait des limites... Certains voulurent dire à Mitsurugi d'arrêter ; des Scorpions intervinrent discrètement pour leur dire de ne pas bouger.
Le Lion, qui titubait, sourit bêtement, croisa le regard de quelques personnes, qui détournèrent le regard par pudeur. Puis il encocha la flèche et entreprit le bander l'arc. Il regardait à peine la cible ! Comme il partait, il allait se tirer dans le pied !
Noyuki ouvrit un oeil timide. Personne ne bougeait. Mitsurugi hoqueta, faillit lâcher l'arc ; puis, d'un coup, il se raidit, tira la corde très fort, à la faire craquer et envoya une flèche qui siffla dans l'air froid et, avec un bruit sec, se planta raide dans le coeur de la cible.
Frisson général.
Mitsurugi n'ajouta rien. Il rendit l'arc au Seppun en disant à quel point il était remarquable. Et il alla boire un verre !
Pas un regard pour personne !
Les partisans des Lions et de l'ambassadeur en particulier, cachaient leur joie, pour ne pas provoquer les membres du Gozoku, qui cachaient leur haine.
- Et pour le concours de poésie, songea Mitsurugi, ce sera pareil !
