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19e Episode : Les seconds rôles
#14
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE




8 – Le moine

Ils discutèrent de choses et d’autres, sans arrière-pensées stratégiques, comme c’est souvent le cas dans les rencontres à la cour d’hiver.
- Vous n’attendiez pas quelqu’un, j’espère ? demanda Tadao.
- Si, dit Masaakira en applaudissant doucement aux geishas qui se retiraient. Et il doit arriver d’un moment à l’autre. Restez, je vous en prie…

Un groupe de moines entrait. Cinq jeunes hommes qui entouraient un aîné. Les courtisans s’inclinèrent devant ce dignitaire d’âge respectable. Il était chauve, à l’exception d’une mèche très longue, attaché en boucle dans son dos – dont la légende disait qu’elle n’avait pas été coupée depuis son gempukku, et ne le serait qu’à sa mort (pour devenir une relique). Il portait une petite barbiche. Il était mince, sa stature révélait un corps qui n’avait pas perdu sa vigueur. Il portait des habits aussi simples que possible, ceux d’un ascète. Ce qui ne laissait pas deviner, à qui ne le connaissait pas, qu’il était l’un des plus hauts prêtres de l’Eglise de l’Illumination par la Pureté, la principale secte religieuse de l’Empire.
Il toisa l’assemblée, aperçut la table de Masaakira et vint s’asseoir avec ses disciples.
- Inquisiteur Kuni Tadao, dit le tensaï, vous connaissez certainement Shingon. Shingon, l’Inquisiteur Kuni Tadao.

Il se faisait appeler Shingon, sans plus, par ascétisme, alors qu’il était en fait abbé, issu d'une famille noble.

- Bonsoir, Inquisiteur. Je suis heureux de vous rencontrer, j’ai souvent entendu parler de vous. Sachez que quand on pense à un chasseur de démons par chez nous, on pense à vous…
Enfin un qui reconnaissait ses mérites ! Tout n’est donc pas perdu pour mon kharma, se dit Tadao, si un moine venu de loin (des contreforts des montagnes du Dragon) sait ce que je vaux !
- J’ai entendu souvent parler de votre philosophie, dit l’inquisiteur Tadao. Elle fait de plus en plus d’adeptes par chez nous.
Alors qu’au contraire, elle faisait bien rire (dans le meilleur des cas) chez les Phénix.
- Nous avons du mal à comprendre certains de vos enseignements, dit alors Mizu.

Elle jeta un froid. Masaakira la réprimanda du regard. Mizu baissa les yeux –trop tard, l’attaque était portée. Nobuyoshi tourna la tête pour masquer son sourire. Il savait que Mizu avait étudié avec acharnement les écrits de Shingon, que c’était pour elle une question vitale d’arriver à en montrer le peu de valeur. Elle était restée la plus scolaire du groupe, la plus « absolutiste ». Elle ne suivait pas cette voie du shinseïsme prônée par Shingon; qui apprenait à relativiser, à voir le bien en toutes choses, le Tao dans toutes les voies prises pour le trouver. On essayait bien de lui expliquer, mais non ! Elle ne croyait pas qu’il y eût milles voies différentes pour trouver l’Illumination !

C’était néanmoins vrai, à sa décharge, que l’enseignement de Shingon était nouveau. Comme on murmurait qu’il deviendrait bientôt le maître du plus grand ordre religieux du pays, cela ne manquait pas d’inquiéter. Nouvelle philosophie impliquait nouvelle vision de l’Ordre Céleste, donc changements politiques, bouleversement de certaines valeurs bien établies, et ainsi de suite.
- Ma philosophie, dit le vieil homme, n’est pas ma philosophie, mais l’expression la plus simple et la plus dépouillée de l’enseignement de Shinseï. Ce n’est jamais qu’un retour à ce qu’il y a d’essentiel dans la sagesse.

Entre aristocrates Phénix, on appelait ça : de la sagesse pour cordonniers ! Des textes clairs, faciles d’accès. Rien de compliqué à déchiffrer, pas de mystères ni de profondeur comme aimaient tant les virtuoses Phénix.
- Vous vous intéressez peu aux mystères de la roue du destin…
On sentait que Mizu avait affûté ses arguments.
- Nous portons l’accent sur le combat contre la souffrance et pour l’harmonie des forces, au quotidien.
- N’est-ce-pas délaisser les interrogations sur les vies futures et les cycles nombreux de réincarnation ?
- Selon Shinsei, la sagesse s’atteint dans cette vie, sinon elle ne s’atteint jamais.
- Mais Shinsei, répliqua Mizu, ne prétend pas qu’on puisse trouver l’Illumination si facilement, si rapidement.
- D’abord, dit patiemment Shingon, nous ne confondons pas la sagesse avec l’Illumination. Nous disons seulement que la délivrance spirituelle est plus proche de nous qu’on ne le croit généralement…

Isawa Mizu avait toujours vécu selon une hygiène stricte, en modérant ses passions et en évitant tout excès, car elle était fort angoissée par l’idée de n’être qu’une brève apparition dans le cours de réincarnations interminables. Elle ne voulait pas causer de la souffrance à d’innombrables autres êtres en qui elle reviendrait, en se comportant mal dans cette vie.
- Les dieux sont-ils si cruels, ajoutait Shingon, qu’ils auraient voulu nous voir souffrir pendant des siècles ?
- Bien, dit Masaakira, je crois que tout cela mérite d’être longuement réfléchi et discuté. Mizu nous a montré qu’elle était exigeante sur la sagesse, ce que personne ne lui reprochera.
- Certainement pas, répondit Shingon –qui était habitué aux critiques contre sa philosophie.

Tadao ne savait pas quoi en penser. Il savait que le shingonisme rencontrait du succès chez les Crabes car ils voulaient croire à une délivrance plus rapide. Ils souffraient sur la Muraille, pour que leur prochaine vie soit bien meilleure. Le shingonisme trouvait surtout de l'écho chez nombre de jeunes gens du Gozoku, chez les mondains, les hommes de cour, guère prêts à se priver comme leurs parents, à mener une vie rude –l’époque était à la culture, aux fêtes, à la célébration des arts et des jeux !... A la décadence donc, selon les adversaires du Gozoku.
Le fait est que le shingonisme rencontrait des partisans dans tous les clans –sauf peut-être chez les Dragons, à qui on n’osait pas demander, de peur de subir une réponse trop longue et trop compliquée !
Tadao, qui était de la vieille école, ne croyait pas tellement à une délivrance rapide.
Il fallait souffrir et voilà ! L’homme connaissait la peur, le désir, le regret, on ne pouvait surmonter cela en une seule vie !


Samurai


9 – Le scribe


Shingon dit qu’après cette conversation – dont il était ravi, il devait partir.
- Le Scribe souhaite me rencontrer.
C’était par ce titre qu’était désigné couramment le maître du clan du Phénix, Shiba Gaijushiko –un des trois membres dirigeant du Gozoku. C’était le plus discret, le moins influent des trois.

Le plus puissant pour certains était Doji Raigu, daimyo des Grues et Champion d’Emeraude, donc chef des armées. Pour d’autres, c’était Bayushi Atsuki, daimyo des Scorpions, Maître des Secrets, donc le personnage le mieux informé de l’Empire.
On était en revanche d’accord pour dire que Shiba Gaijushiko était moins important. Pour commencer, il n’avait pas le titre de daimyo du Phénix. Il en assumait la fonction depuis la mort du dernier. Des querelles interminables retardaient le choix du successeur. Gaijushiko avait seulement le titre de Scribe Impérial, fonction assez floue. Il était responsable d’archives historiques. Il était aussi mécène des arts, conseiller de l’Empereur. Rien de bien défini. Comme c’était un homme âgé, assez terne en société, les Phénix attendaient leur prochain daimyo, pour voir arriver un troisième homme fort à la tête du Gozoku.
Les Scorpions aimaient cette plaisanterie : c’est Atsuki qui dicte les lois, c’est Gaijushiko qui les écrit, c’est Raigu qui les proclame !

Shingon se rendit dans Kyuden Hida, au troisième étage, dans les quartiers privés des membres du Gozoku. Le vrai lieu du pouvoir. Les moines passèrent dans deux antichambres successives. Il faisait presque nuit quand ils purent entrer dans la salle de réception. On sentait tomber la fatigue après une longue journée de mondanités. Shingon patientait, impassible. Ses disciples se frottaient les yeux, réprimaient des bâillements.
Ils étaient séparés de leur hôte par un grand panneau laqué.

De l’autre côté, le Scribe s’entretenait avec le juge Kempô, qui ne maitrisait pas ses tremblements :
- Vous comprenez que cette affaire est en train de me revenir dessus !
On sentait que Shiba Gaijushiko n’était pas fait pour rester longtemps à la tête du Gozoku. Il était typiquement plus à l’aise à diriger des recherches en bibliothèques ou à rédiger ses interminables traités de droits, que les pauvres élèves avocats devaient apprendre par cœur pour espérer plaider un jour.
- Je ne comprends pas bien vos inquiétudes, répondit-il à Otomo Kempô. D’abord, il y a chose jugée. La dégradation de ces samuraï est irréversible. Bien. Ensuite, leur bravoure au combat les a menés dans un autre clan.
- Je suis sûr qu’ils veulent se venger de moi ! Ils seraient bien capables de contester ce jugement.
- Ce n’est pas moi qui les soutiendrait contre un juge impérial, dit le Scribe. J’ignore les raisons précises de leur dégradation –je ne vous les demande pas – mais votre pouvoir en la matière est souverain. De plus, ils ne doivent pas être si mal chez les Matsu. Quoi qu’ils aient fait, leur déchéance a dû leur remettre les idées en place. Et je doute que les Lions tolèrent la désobéissance, n’est-ce-pas ? Je crois donc que ces samuraï vont se tenir tranquilles.
Le Scribe ne pouvait pas savoir… Savoir ce qui s’était passé… L’île… Le chantage sur Kempô…
- Nous entrons dans la période du repos de la Lune, dit le Scribe. Ces célébrations vont marquer une pause dans les festivités. Et une fois cette période de recueillement terminée, ce sera le grand carnaval, puis la fin de la cour. Je pense que nous aurons tous plus urgent que de nous occuper d’une vieille affaire…
- Bien évidemment, seigneur, bien évidemment…
- J’en suis certain. Allons, nous nous reverrons très bientôt, votre Excellence.
Le Scribe se leva, avec son éternel air de vague ennui face au monde. Il fit quelques pas pour raccompagner son invité. :
- Venez-vous ce soir à la réception de l’Empereur ?
- Je ne sais pas, j’ai à faire…
- Vous passerez au moins voir le concours de poésie ?
- Oh, je ne crois pas… Je m’y connais si peu…
- Moi non plus, mais c’est un divertissement intéressant… Les plus grands seront là.
- En plus, je me suis laissé dire que… (le juge baissa d’un ton) que Mitsurugi s’y est inscrit.
- Tiens donc…

Le Scribe eut un début de sourire :
- Alors je verrai enfin le personnage.
- Que les dieux vous protègent !
Le juge partit. Gaijushiko ordonna de faire entrer Shingon et ses disciples et de l’excuser un instant. Il avait besoin de respirer. Il recevait des gens depuis le matin, dans la même pièce, dans une atmosphère confinée.
Le grand air du soir lui rafraichirait les idées. Il monta au quatrième étage, sur la terrasse d’où la vue sur la Cité s’étendait jusqu’à la Muraille. Il fuma une longue pipe en écoutant la rumeur de la ville.
Il observa, dans les dernières lueurs dorés et rouges qui s’éteignaient, le pont de la falaise qui touche la lune. Il tombait là-bas une fine pluie. Cinq hommes en chapeaux coniques passaient la rivière et arrivaient près du chemin de ronde reliant la Cité à la Muraille.
Gaijushiko vida la cendre de sa longue pipe. La pluie arrivait.
Il se retourna. Un homme tatoué du clan du Dragon le regardait.
Il était torse nu. Il luisait d’une aura verdâtre, et par ses orbites vides lui sortaient des flammes émeraude.
- Tiens, mon visiteur nocturne, dit le Scribe, en tapant sa pipe contre la rambarde.


A suivre...Samurai
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