13-09-2010, 08:18 PM
(This post was last modified: 13-09-2010, 08:56 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
- Il n'y a d'autre solution, avait conclu le vieux Norio, que de lui annoncer avec tact la nouvelle.
Tokan avait baissé la tête en cachant une grimace. C'était pour lui la corvée.
- Mitsurugi est un vrai fidèle de l'Empereur, un des trop rares, il nous faut donc l'aider au mieux de nos moyens.
C'était un de ces jours où le Vieux montait sur ses grands chevaux, invoquait le passé, la grandeur perdue. C'était Tokan qui allait donc mettre les mains, une fois encore, dans les bassesses contemporaines...
Il choisit d'inviter Mitsurugi à un thé dans la maison favorite des ingénieurs de la Muraille. Pas le genre d'endroit habituel pour les intrigues mondaines, au milieu des discussions sur les consolidations de terrain et la grogne sur la paresse des travailleurs eta.
Mitsurugi arriva le premier, comme le voulait l'étiquette. Tokan ne fut pas trop en retard. Signe qu'il venait pour un sujet important. Il était visiblement empressé. Il se donna une contenance en commandant deux thés différents et des accompagnements bien précis. Ensuite, il en vint sans trop attendre à son sujet.
- Des difficultés se présentent pour le printemps... Le Gozoku ne demande que l'apaisement. L'Empereur est d'accord... Donc certainement pas de guerre permise entre les Grues et les Lions. Certaines escarmouches, tout au plus, pourraient être autorisées. Rien d'ampleur.
Mitsurugi n'avait encore jamais connu la vie des Lions au printemps, habitués à faire la guerre à leurs voisins à ce moment. Tokan vit que l'ambassadeur ne tiquait pas, il continua.
- En particulier, pour apaiser les relations, on évitera les sujets de discordes qui peuvent être évités... Il faut comprendre, dit-il pour se laisser un détour, que le Gozoku a d'abord à coeur de promouvoir les arts, la culture, le raffinement de la vie. Les périodes de guerres sont derrière nous. Les clans Phénix, Grue et Scorpion ont eu leur part de souffrances ces dernières années. Il est juste, selon eux, de les laisser se reconstruire solidement.
Tokan, qui serpentait doucement autour du pot, prit une petite gorgée de thé, et dit, comme si c'était accessoire :
- En particulier, des difficultés pourraient se présenter pour le mariage avec Ikue...
Il vit Mitsurugi garder contenance. Il connaissait les hommes résolus et fermes comme lui. Ils ne changent pas facilement d'idée. C'est leur force, mais aussi leur faiblesse. Car il lui faudrait du temps pour réaliser...
- Le clan de la Grue veut voir refleurir la culture rokugani... C'est pourquoi ils désirent construire une grande cité, la cité officielle du Gozoku. Cela s'appellerait Bakufu.
- Voilà qui ressemble encore à une hérésie, dit Mitsurugi. Une nouvelle capitale à présent !
- Oh, non, pas une vraie capitale...
- Que vont-ils encore inventer pour rogner sur le pouvoir impérial, hein ?
Bakufu faisait un peu oublier Ikue.
- Certains vous apprécient en haut lieu, Mitsurugi, vous le savez... D'autres non. Il est inévitable de se faire des ennemis à la cour...
Surtout quand on ne manque jamais une occasion pour forfanter, pour briller, pour provoquer, pour défier ouvertement !
C'était la gloire de Mitsurugi !
- Certains apprécient votre courage dans une période où la modération est de bon aloi.
Mitsurugi ne dit rien, mais ce que Tokan appelait de la modération, il appelait cela de la lâcheté.
- D'autres au contraire vous trouvent trop expansif, trop sûr de vous.
- J'ai fait en sorte de provoquer ces appréciations contraires, oui.
- Quant à Ikue, dit Tokan, je crois que vraiment, vous devez voir avec votre clan si, réellement, vous pensez rejoindre un jour la famille Doji.
- Je vais en parler, oui.
La corvée était finie. Tokan ne désirait pas laisser à Mitsurugi l'occasion de lui poser des questions. Il se leva et affirma être impatient de le revoir.

Mitsurugi dîna en compagnie du général Kokatsu et de sa femme.
- Ces Grues se croient tout permis, dit l'ambassadeur.
Le général cassait de sa poigne des pinces de homard.
- S'ils sont trop fatigués et peureux pour nous attaquer au printemps, dit-il la bouche pleine, nous consoliderons les murs de notre ville, et même nous l'agrandirons ! De mon vivant, la Cité des Apparences ne sera pas rendue aux Grues.
- Vous pensez qu'ils n'attaqueront pas du tout ?
- Ils seraient bien capables de passer le printemps à faire de la broderie ! Cela fera enrager la famille Daidoji qui, seule, n'attaquera pas. Quant aux Kakita, ils se serviront de leurs sabres pour cueillir des cerises !
Le général engloutit un gros bol de soupe aux légumes et prit une belle langoustine. Sa femme, une dame âgée, digne et mince, aspirait du bout des lèvres des nouilles épaisses.
- Je pense que vous avez également entendu parler de leur projet de ville ?
- Oh oui, dit Kokatsu entre deux bouchées de champignons. Si on pouvait tous les regrouper entre les quatre murs de cette cité de "Bakufu" et les enfermer là, comme dans un asile de fous !
- L'honorable Tokan a également évoqué des difficultés quant à mon mariage...
Kokatsu, qui avait vu venir le sujet, posa son bol et remplit les verres de vin. Plus posément, il dit :
- La question est de savoir s'il est envisageable qu'au printemps, tu deviennes "Doji Mitsurugi".
- Puisque c'est la tradition des Matsu que de rejoindre la famille de leur épouse, je rejoindrai les Doji. Je suis honoré de vous servir aujourd'hui, général mais si je le dois, je servirai aussi fidèlement le clan de la Grue. Bien sûr, je ne serai pour autant pas d'accord avec le Gozoku et je tenterai de fédérer autour de moi ceux qui n'ont pas oublié que l'Empereur est assis sur le trône d’Émeraude.
Kokatsu avait approuvé opiné plusieurs fois.
- Oui, nul ne doute de ta droiture, Mitsurugi, et surtout pas moi.
Kokatsu souriait déjà en imaginant son vassal monter un contre-Gozoku chez les Grues !
- J'ai pensé une fois au pire. Toi servant les Doji venant attaquer la Cité des Apparences... Mais nous n'en sommes pas là. Je crois que Hanteï Tokan venait t'apporter un conseil de la part de Hanteï Norio. Je dirais qu'ils ont voulu te prévenir avant qu'une décision ne tombe pour de bon...
Kokatsu aussi était gêné. Mitsurugi n'y pouvait rien. Cette fois, cela dépassait le cadre de la haine que pouvait lui porter la famille de Kakita Yagyu. Bien sûr, ceux-ci avaient intrigué pour empêcher le mariage. Bien sûr, d'autres courtisans du Gozoku avaient aussi, depuis le Parfum Céleste, réuni leurs énergies et leurs rancoeurs contre Mitsurugi. Il y avait plus. Il y avait ce qu'il avait pu apprendre par ses relations avec les Yasuki, qui ne manquaient pas une occasion de baver sur leur ancien clan. Il y avait cette volonté du triumvirat dirigeant de domestiquer les ardeurs guerrières des clans. Il y avait surtout l'attitude de l'ambassadeur Mitsurugi contre le Gozoku.
- J'ignore si le clan de la Grue, dit Kokatsu, laissera ce mariage avoir lieu. Or, comme c'est pour le moment le conseiller Bayushi Tangen qui arbitre, le mieux serait de connaître sa position. A mon avis, tu devrais envoyer ton propre conseiller Sasuke lui demander.
Mitsurugi jugea l'idée pertinente. Sasuke irait un peu se frotter à la politique, au lieu de faire semblant de méditer en apprenant des sorts magiques !
- Je vous remercie de vos conseils, général.
Mitsurugi se dit que les dieux avaient vraiment choisi pour lui le meilleur des daimyo. Il faisait sans cesse de son mieux pour le soutenir. Il appréciait visiblement la fougue de l'ambassadeur.