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Dossier #14 : Le sortilège du paon
#8
DOSSIER #14<!--sizec--><!--/sizec-->

Lanvin avait rejoint Faivre dans la brasserie à côté du quai.
- Tu commences demain alors ?
- Bah oui, jamais je n'aurais pensé vous quitter si vite.
- Au moment où on a tout une bande de trafiquants sur les bras...
- J'ai appelé les services administratifs tant que j'ai pu, rien à faire, dit Faivre, rageur.
- Je le sais bien, va...
- C'est ce Maréchal qui va en faire une tête en me voyant arriver.
- Ouais, tu peux le dire...
Lanvin commanda de la bière et à manger sur le pouce.
- Drôle de bonhomme ce Maréchal, d'ailleurs, dit Lanvin entre deux bouchées. J'imagine que c'est sa brigade qui veut ça...
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Il vient d'un obscur commissariat. Quartier de Mägott-Plaz. Tu connais ?
- C'est loin d'ici ?
- Oui, un quartier de prolos crasseux. Mais il s'y est passé des choses. L'affaire Jaransand, tu te souviens ? C'est parti de là-bas.
- J'ignorais.
- Maréchal est arrivé au Quai en même temps qu'un collègue à lui, Portzamparc.
- Ah oui, il a fait un stage chez nous lui.
- Exact. Maréchal, lui, était à la Financière. Mais ils ont vite été recruté par la Brigade Spéciale. Et Portzamparc a infiltré la bande au Somnambule.
- Non ?...
- Ce sont des timbrés ! A mon avis, ils ne recrutent que ça là-bas ! Bon, ça a payé, puisque c'est largement grâce à Portzamparc qu'on a démantelé la bande de braqueurs. On a eu le Somnambule, mais il s'est évadé après son procès... Quelle blague d'ailleurs ce procès !... Il a échappé à la corde, non mais sans blague... Bref, le Somnambule dans la nature. Et il a été abattu... C'est l'affaire du navire Autrellien.

Il était inutile d'en dire plus, puisque l'intrusion de ce navire Autrellien était déjà entré dans l'histoire, comme le déclencheur de la guerre. C'était la seconde goutte d'eau, après l'assassinat du maréchal de Villers-Leclos.
- Depuis Portzamparc a disparu, ajouta Lanvin.
Là, c'est Faivre qui ne dit rien et qui eut froid dans le dos. Car lui savait ce qu'était devenu l'ancien stagiaire. Il était devenu officier d'Autrelles, chef de camp de prisonniers !
- Pour te dire un peu dans quoi tu vas mettre les pieds.
Lanvin avait commandé une autre bière. Il avait serré la main de son collègue sans rancune.
- Je te laisse, Winclaz m'attend.


¤


Faivre se réveilla très tôt.
Il se couvrit tant qu'il put ; le froid était insupportable. Il quitta l'immeuble des logements de fonction en face du Quai, prit le boulevard et trouva le discret petit funiculaire qui descendait à Névise.

Les premiers passagers entraient la cabine, mornes et transis. Le conducteur sortait du pré-fabriqué, mettait en vitesse sa veste d'uniforme et sa casquette, entrait dans la rame. Tout le monde grelottait. Faivre se demandait dans quel cloaque il descendait. La rame tremblait. L'inspecteur n'aurait pas été étonné que tout se disloque, rame, rails, bâtiments.

Il descendit au terminus. Il était sur un quai désert recouvert d'un fin givre. Le vent chuintait entre des bâtiments sombres. L'inspecteur aperçut dans les halos de réverbères de la moisissure et des plantes grimpantes sur les façades antiques. Ces plantes avaient leur racine dans l'eau trouble du canal. Il marcha, tremblant. Il entra dans un bistrot, surpris d'en trouver un là, au milieu de nulle part. Il n'y avait que dix minutes de funiculaire depuis le quartier du Quai, mais c'était une autre ville. Pas d'acier ni de béton. De la vieille pierre. Des constructions peut-être humaines, peut-être pas. Des plantes phosphorescentes dans l'eau.
- Bienvenue à Névise, dit le patron en servant un grand café. Et il devança la question :
- Je les repère facilement les nouveaux, vous savez. Ce sont ceux qui s'étonnent du décor. Ces vieux palais ne sont plus habités depuis longtemps. En fait, depuis que le canal a été percé, plusieurs palais ont été engloutis. Vous pourrez les voir quand il fera plus clair.
Faivre avala le café bouillant.
- Un autre...
- Aujourd'hui, il fait vraiment froid. Les autres jours, c'est un peu mieux. Ici, faut pas compter sur les fumées d'usines pour se réchauffer.
La pureté de l'air était cassante. On aurait que tout était de la glace sur le point d'éclater.
- Vous allez travailler dans le quartier ?
- Oui, dit Faivre, accablé par le sommeil et le froid. Brigade Spéciale !
- Vous trouverez leurs bureaux à l'autre bout du quai. C'est dans le palais tout au bout. Il y a une petite plaque devant une porte.
- Les bureaux occupent tout le palais ?
- Je ne crois pas non... Ce sont des bureaux... L'inspecteur Maréchal est un bon client.
Faivre jeta des pièces sur la table et partit dans l'air brumeux. Il baissa la tête, comme s'il avançait contre la tempête, trouva le palais puis dut faire quelques aller-retour pour trouver la plaque. Il n'avait pas eu aussi froid depuis certaines nuits au Stalag !
Il ouvrit la petite porte en bois rouge. Derrière, un vestibule minuscule, un escalier en fer forgé. Par des meurtrières, on apercevait une vieille cour de pierres bleues, avec portes et fenêtres condamnées. Elles semblaient si lointaines, peut-être parce qu'on devinait que personne n'y avait pénétré depuis bien longtemps.
L'inspecteur s'arrêta au second palier, où se trouvait une plaque identique à celle d'en bas : Brigade des Investigations Spéciales.
Il entendit de l'eau bouillir, une frappe régulière à la machine. Il appela. Il fut accueilli par une secrétaire, très collet-monté :
- C'est à quel sujet ?
- C'est au sujet que je suis affecté ici et que j'ai froid.
- Vous êtes l'inspecteur Faivre ? Nous avons reçu votre dossier. Entrez, je vais vous montrer votre bureau.
- Vous avez du café ?
- Je vous en apporte.
Le couloir était étroit. Le bureau qu'on lui réservait était par contre spacieux. Des rayonnages vides, un bureau propre, une belle chaise ouvragée.
- Vous serez bien je pense. Je vous laisse vous installer.
- Merci.
Le premier geste de Lanvin fut d'enfourner des bûches dans le poêle et de l'ouvrir en grand. Il posa ses mains dessus, sentir le métal tiédir et s'y adossa ; la secrétaire lui posa son café.
- Je ne me suis pas présentée, mademoiselle Clarine.
- Enchanté. Gustave Faivre, inspecteur. Je viens de la brigade des rues.
- Vous passerez signer votre papier d'installation. Prenez votre temps.
- Le commissaire n'est pas encore là ?
La secrétaire hésita.
- L'inspecteur Maréchal doit arriver dans une petite heure. Il vous expliquera.
- Merci.
Drôle d'endroit. Ce Maréchal ne devait pas être à cheval sur les horaires ! Pas de commissaire pour le moment. En somme, ils n'étaient que deux dans le bâtiment !
La secrétaire continuait son travail.
- Qui sont les autres membres ?
- Pour le moment, vous êtes le seul, inspecteur. Nous sommes en plein recrutement.
- Ah oui, je comprends...

Que faisaient-ils à l'Urbaine pendant ce temps ? Winclaz devait avoir fini de vider son sac. Lanvin devait entamer son rapport, les détectives rentrer chez eux.
Faivre trouva dans le placard un lit de camp. Il le déplia et s'y allongea. Il était dur, sans couverture. Il faisait encore froid, malgré la bonne grosse chaleur du poêle. Il se releva, préférant s'agiter pour se réchauffer.
- Je peux faire un petit tour ?
- Oui, allez-y, dit la secrétaire.
Faivre visita la petite cuisine, la salle d'eau. Trois cellules. Il parcourut le couloir. Il ouvrit comme un voleur la porte du bureau de Maréchal : c'était plus spacieux, un bureau plus grand, un hamac dans un coin. Trois dossiers dormaient dans les étagères. Une autre pièce, qui pourrait servir pour des détectives. Le bureau du commissaire, au fond du couloir, fermé à clef.
- Tout est neuf, dit la secrétaire qui faisait un peu de vaisselle. Parce qu'il y a eu un incendie avant-guerre.
- Ah d'accord...
On entendit la porte d'entrée ripper contre le sol. Sifflotements. Maréchal accrochait son chapeau.
Faivre redressa sa cravate. Il gonfla la poitrine pour donner le change.
- Bonjour. Inspecteur Faivre.
Maréchal sourit. Il feuilletait négligemment le courrier.
- Passons dans mon bureau. J'ai appris hier que vous étiez affecté chez nous.
- Ce qui est sûrement un malentendu. Mais passons...
Ils entrèrent dans le bureau, encore frais -la secrétaire avait allumé le poêle juste avant l'arrivée de Maréchal. Celui-ci mit ses lunettes.
- Le soleil de Forge ne me valait rien...
- Pas plus que la boue du Stalag, dit Faivre. Surtout quand on rampe dedans pour s'en échapper.
- Je me demande bien où vous seriez allés... Vous comptiez rentrer à la nage ?
- Nous pensions rejoindre la côte.
- Peuh, les marins, très peu pour moi...

Maréchal se roulait une cigarette.
- Bienvenue chez nous, à propos. Vous avez fait le tour du propriétaire ?
- Oui, je vois que tout est neuf... Je me demandais quand je pourrais rencontrer le commissaire ?
- Ah... La secrétaire ne vous a pas dit.
Maréchal sourit.
- Le commissaire, c'est moi.
- Pardon ?
- Je fais office de.
- Où est-il ce commissaire ?
- Rue des Claviers.
C'est à cette adresse que se trouvait un célèbre centre d'accueil pour alcooliques. Weid avait pris soin de nommer son successeur, en la personne de Ballin, l'ancien commissaire de Mägott-Platz, impotent depuis des années.
Encore une anomalie de plus de cette Brigade.
- Bon, je vois. Donc nous ne sommes que deux ?
- C'est bien cela. Mais nous attendons au moins une personne de plus. Nous avons envoyé une demande il y a quelques jours.
Faivre désigna les rayonnages presque vides de Maréchal :
- Et les... affaires en cours ?
- Pour le moment, disons que c'est calme.
- Je vois...
Pour meubler, Maréchal demanda des nouvelles du coup de filet. Faivre dit que Winclaz devait être à bout. Cela paraissait d'un coup si loin, d'un autre monde. Etait-on encore en Exil dans ce quartier ?
La secrétaire apporta le café de Maréchal :
- Je viens de recevoir une réponse. Un détective arrive cet après-midi.
- Ah, tant mieux !... Quelle heure est-il ? Neuf heures et demie ? Allez, venez Faivre, je vous paye le verre de bienvenue.
Ils allèrent au bistrot du bout du quai.
- Gronski, je vous présente l'inspecteur Faivre.
- Nous nous sommes vus ce matin.
Ils burent l'apéritif. Un second pour se réchauffer. Puis une bonne assiette de poisson aux légumes, copieuse et brûlante. Un digestif offert par le patron.

Ils parlèrent avec le patron, Gronski, ancien lutteur forain et boxeur, qui leur montra avec fierté les chromatos de sa jeunesse. Gronski brandissant sa ceinture de champion poids lourd, entouré de vedettes du théâtre et de princes des mondanités.
Il était plus de onze heures quand les deux inspecteurs repartirent. Ils se demandaient qui était ce nouveau détective.

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Dossier #14 : Le sortilège du paon - by sdm - 25-09-2010, 04:16 PM
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