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Dossier #14 : Le sortilège du paon
#19
DOSSIER #14<!--sizec--><!--/sizec-->

Faivre consacra deux heures à refaire un interrogatoire complet de Mélian. Il y avait des appels de la Brigade Criminelle, qui demandait comment l'enquête avançait. C'était Maréchal qui les prenait. Il envoyait poliment ses collègues sur les roses.
Après le déjeuner chez Gronski, les deux inspecteurs remontèrent aux Célestes. Ils prirent un verre dans une brasserie animée.
- Il y a une chose que je ne pige pas, dit Faivre. Je pense que j'ai le droit à quelques éclaircissements. Quel est le but de notre brigade au juste ? Sommes-nous oui ou non une dépendance de la Crim' ?
- Non. Ce sont ceux de la Crim' qui aiment le croire. Je vais vous expliquer.
Ils étaient dans un coin d'une salle bruyante. Personne ne pouvait discerner leur conversation dans le brouhaha.
- Il se passe, inspecteur Faivre, que dans notre Cité, si rationnelle, si bien organisée, il subsiste certains phénomènes inexplicables, tant par la science que par l'état de nos techniques. Il reste des criminels incurables, mais aussi des choses étranges, qui semblent un défi à la santé mentale, et au bon sens en général. Nous sommes chargés d'élucider les crimes qui semblent donner raison aux gens comme madame Mélian. Les spirites, les théosophes, les mystiques...
- Mais il s'agit tout de même, dit Faivre (c'était le médecin qui parlait), d'expliquer ces phénomènes rationnellement ?
- J'ai déjà vu certaines choses, inspecteur, que la science, à mon humble avis, n'expliquera pas avant longtemps... C'est à ce genre de choses qui défient l'imagination aussi bien que l'entendement que nous devons être préparés.
- Mais vous croyez quoi alors ? Je veux dire, rien que sur l'affaire Mélian... C'est sa femme qui l'a poussé au meurtre ?
- Je ne sais pas. Pourquoi pas ? Le problème des toqués dans son genre, c'est que, s'ils tuent, ils peuvent très bien le faire pour des motifs inexplicables pour nous. Aurait-elle était capable de persuader son mari de tuer, avant de le convaincre de se rendre à la police ? Pourquoi faire ? Pour se venger du mépris qu'il témoigne à son groupe de mystiques ?... Je spécule, vous voyez...
- Donc nous sommes des chasseurs de fantômes, si je comprends bien, dit Faivre.
- Non. Nous n'affrontons pas des esprits, croyez-moi. En revanche, il vaut mieux, oui, que les criminels auxquels nous sommes confrontés restent, pour le grand public, des esprits frappeurs.
- On nous refile le sale boulot.
- Un certain genre de sale boulot, qui sort de l'ordinaire, oui.
Faivre prit le temps d'accepter ce qu'il venait d'entendre. Maréchal comprenait son trouble. Il commanda un autre verre.
- Vous avez interrogé Mélian à nouveau ?
- Oui, dit Faivre, content d'en revenir à des choses concrètes. Il ne sait plus s'il est fou ou pas. Il voudrait croire qu'il a été manipulé. Il a admis être allé au théâtre les deux soirs des meurtres.
- Il avait "sincèrement" oublié ?
- Il était sous le choc. Il a avoué. Je peux reconstituer précisément son emploi du temps : les deux soirs, il sort du travail, un peu plus tôt que d'habitude. Il retrouve Olga. Ils vont à l'hôtel Naundorff pour une heure. Puis dans un restaurant à côté, Le cellier garni. Puis au théâtre du Petit minois. Ensuite, Mélian quitte Olga. Il va devant le théâtre des Trois nymphes, prendre sa voiture et de là, il rentre chez lui.
- Ah, c'est beaucoup plus clair. Nous savons heure par heure ce qu'il a fait. Quand a-t-il tué alors ?
- Si c'est bien lui, dit Faivre, il a assassiné Siméon puis La Vigière à la même heure les deux jours, sur le chemin entre les deux théâtres : après avoir quitté Olga, avant de retrouver le cocher.
Ils sortirent de la brasserie.
- Vous le connaissez ce cocher ?
- J'ai son nom.
- Allons le voir.
Ils le trouvèrent devant Les trois nymphes. Il était âgé, bedonnant, avec une grosse barbe bouclée, emmêlée comme une pelote.
- Nous découvrons le quartier, lança Maréchal. Vous nous faites visiter ?
- Montez, bourgeois !
Il était habillé comme il y a un siècle, et on sentait que ce n'était pas pour la galerie.

Les deux policiers firent un tour des Célestes. Ils écoutèrent le cocher raconter toutes les anecdotes sur la vie des Célestes, les ragots, les faits extraordinaires. Il avait beaucoup de verve, son numéro était parfaitement rôdé. Après avoir joué les touristes pendant une heure, les deux policiers se firent déposer devant le grand restaurant Le cellier garni.
- Dites-moi mon brave, dit Maréchal en donnant un pourboire, vous avez pour client un certain Mélian. Vous le raccompagnez tous les soirs chez lui...
- C'est bien vrai, mon bon monsieur.
Maréchal, qui s'en voulait de "casser" cette ambiance bon enfant, montra sa plaque :
- Vous n'avez jamais rien remarqué de particulier avec lui ? Surtout ces derniers jours ?
L'homme était refroidi.
- Ah ma foi, non ! C'est un bon client, c'est tout ce que je peux vous dire !
- Nous allons au théâtre ce soir. J'aurai encore besoin de vos services. Je vous trouverai là ?
- Bien sûr.
On ne le sentait pas pressé de revoir le policier.
- Alors à tout à l'heure.

Les deux policiers poussèrent la porte pleine de lumière du Cellier garni, à temps pour éviter une lourde averse. Ils écartèrent poliment les clients qui attendaient debout. Leur entrée fut aussitôt remarquée. Les conversations baissèrent d'un ton, les serveurs détournèrent le regard, soudain absorbés uniquement par leur travail. Le second maître d'hôtel laissait un couple au beau milieu de la salle pour aller chercher le patron.
- Allons, rassurez-vous, dit Maréchal à mi-voix, assez pour être entendu, nous ne sommes pas la brigade mondaine !
Deux hommes en imperméables enlevèrent leur serviette à carreaux et se levèrent. Les deux policiers reconnurent Vico et Poletta, des Moeurs, deux inséparables, à peu près analphabètes, condamnés pour le restant de leur carrière à fréquenter les maisons de plaisir et les maquereaux.
Ils arrivaient, incapables d'avoir l'air aimables. C'était les pires comédiens qu'on ait vu dans le quartier, qui avait vu défiler un nombre pourtant ahurissant de cabotins.
- On peut, vous aider ?
Les quatre hommes s'assirent. Vico fit signe au patron, qui arrivait, interloqué, que tout allait bien.
- On mange quoi de bon ici ? demanda Faivre. Pas de viande pour moi ce soir, c'est mauvais pour mes graisses. Un peu de poisson, ça rend intelligent...
- On va faire la nuit, dit Poletta. Alors on s'offre un gueuleton avant d'aller battre le pavé. Et vous ? Vous êtes de quelle brigade ?
- On bosse avec la Crim', dit Maréchal.
Au sens strict il ne mentait pas. Vico et Poletta avait cette intelligence des imbéciles, qui devinent quand on se fiche d'eux. Ils ne firent pas de remarque, intimidés par ces deux inconnus. Ils les prenaient peut-être pour les services d'OBSIDIENNE.
- On venait vérifier qu'un certain Mélian a dîné ici ces derniers soirs.
- C'est rapport aux deux macchabées ? demanda Vico.
- Ça se pourrait bien. La présomption d'innocence, vous savez...
- Oui il a mangé ici. Vos collègues nous ont montré sa tête. Et il venait ici avec une sacrée poule. Victoria.
- Lui l'appelait Olga, dit Faivre.
- Si on parle de la même, c'était la plus sacrément roulée du quartier, je peux vous le dire, affirma Vico.
- Tu exagères, dit Poletta. Lana est bien mieux. Elle a des nibards en poire, tu verrais...
Les deux policiers ne s'apercevaient pas qu'ils parlaient tout haut. Le serveur, rouge d'indignation, vint prendre leurs commandes. Les autres clients avaient le nez sur leurs plats.
- Elle a l'air très bien cette carte, dit Maréchal. On va se régaler !

Lui et Faivre choisirent lentement. Tout le monde était pressé de les voir partir. Maréchal consulta sa montre : le spectacle commençait dans moins d'une heure au Petit minois. Il prit une grosse salade, Faivre de même.
Elle fut vite avalée. Les deux policiers remercièrent leurs collègues des Moeurs et partirent en saluant l'assistance :
- Bonne fin de soirée.
Ce fut un soulagement partagé pour les clients et le personnel.


¤


Dehors, la pluie avait cessé.
D'immenses nuages se déchiraient lentement. Quelques craquelures lumineuses apparaissaient, s'en allaient loin sur l'océan.
Le théâtre était à deux pas. Nelly attendait à une terrasse.
- C'est quoi cet endroit où tu m'emmènes, Antonin ? Entre amis chez la baronne, pièce grivoise en trois actes...
- Mais non, c'est la pièce en deuxième partie de soirée. Nous, nous y allons maintenant, voir la magie.
Nelly écrasa sa cigarette :
- C'est monsieur le baron qui fait sortir son petit oiseau ?
Elle rit de cet air canaille qu'elle prenait exprès pour faire enrager Maréchal.
Le petit théâtre était déjà bondé. Maréchal retira les billets. Le caissier fit un signe à l'ouvreuse, qui mit les deux policiers et Nelly au premier rang.
La salle comptait une quarantaine de sièges.
- Vous êtes venu hier ? demanda Faivre.
- Oui, j'ai bien étudié le numéro du magicien, Antiphon.
Ils avaient le programme en main. "Le cirque de l'invisible, un spectacle qui vous fait pénétrer dans une réalité autre : mystérieuse, charmante, éblouissante et inquiétante... Un voyage pour les yeux, pour l'esprit. Vos certitudes seront chavirées, votre imagination marquée à jamais."
- Ça promet, dit Nelly. Au fait, messieurs c'est peinard votre boulot je vois. On va boire des coups, on va au resto et au théâtre... Et ensuite, aux putes ?
- Baisse d'un ton, souffla Maréchal.
Plusieurs personnes avaient entendu, qui pouffaient de rire. L'inspecteur n'aimait pas cette tournure canaille prolo que prenait Nelly. Elle avait passé la guerre dans une usine d'armement. Elles étaient plus de trois cents femmes, alignées à des tables, à visser des têtes d'obus toute la journée. Les bourgeoises, les ouvrières, les serveuses, les femmes au foyer, les épicières, c'était le vaste brassage social ! Toute à travailler en cadence.

Le spectacle commençait dans le noir complet. Une lumière lunaire éclairait le visage mince d'un homme jeune, aux yeux fortement cernés de noir, aux longs cheveux bouclés :
- Tout, dans la vie, est illusion ! Ce théâtre, vous, moi, cette scène et la lumière... Tout ! Mais nous faisons comme si ces choses existaient !
Il déclamait, théâtral au possible.
- Je vais vous prouver ce soir que vous vivez dans l'illusion. Car ce que vous allez voir est normalement impossible. Et pourtant, ce sera tout d'un coup, possible...
Il transformait une baguette en bouquet de fleurs, puis enflammait son chapeau. Applaudissements.

Venaient quelques numéros classiques, avec des boules, des cerceaux, des cordes. Il y avait ensuite l'évasion d'une caisse, et la femme coupée en deux, puis en quatre. Quelques numéros d'acrobates, sur un vélo à une roue, en jonglant avec trois balles... Des changements de costumes éclair.

Puis il faisait enlever tout son matériel, et annonçait le clou de son spectacle.
- Tout ce que vous avez vu était étonnant, mais déjà vu ! D'autres magiciens savent le faire. Le morceau suivant, par contre, est véritablement fait sans truquage. Plus de tromperie maintenant, c'est vraiment un autre pan de la réalité qui va vous apparaître...

C'était un numéro de lecture mentale. Il faisait venir un spectateur sur scène, devinait son âge, le numéro de sa rue, son code de citoyenneté. Comme convenu, Antiphon choisit Maréchal. Le magicien ne fit pas d'erreur.

Troublé, l'inspecteur se rassit. C'était bien la preuve que le volontaire n'était pas un complice. La dame qui fut ensuite choisie n'en crut pas ses oreilles. Le magicien se retira sous les applaudissements :
- Oubliez ce que vous avez vu... Car nul ne vous croira si vous allez le raconter...

Les deux policiers allèrent voir l'artiste dans sa loge. Il était dos à eux, en train de se démaquiller devant son miroir :
- Avez-vous été convaincu par l'art d'Antiphon ?
Faivre n'aimait pas ces amuseurs publics et leurs grands airs.
- Nous sommes venus vous demander si vous connaissez un certain Mélian ? C'est un habitué de votre spectacle.
- Ils sont nombreux, déclama-t-il, ceux qui viennent voir Antiphon encore et encore. Aucun néanmoins ne sait expliquer rationnellement mon pouvoir. Car il n'y a aucun truc dans mes lectures mentales.
- Vous ne répondez pas à la question.
- Je ne connais pas mes admirateurs, monsieur le policier.
- Nous sommes sur une enquête criminelle. Vous nous aideriez beaucoup en mettant vos talents au service de la sécurité de vos concitoyens.
- La police recrute-t-elle à présent des mages, des voyants ?... Alors les criminels n'ont qu'à bien se tenir.
- Nous ne vous faisons pas une offre d'embauche, monsieur Antiphon, ou quel que soit votre nom. Nous avons posé une question.
Le grand artiste, agacé se retourna, le visage encore à moitié maquillé:
- Je ne connais pas cet homme.
Il avait retrouvé un ton normal. Les policiers aimaient mieux.

Ils retrouvèrent Nelly dans le hall.
- On reste pas pour la pièce suivante ? dit-elle.
- Je rentre me coucher, dit Faivre. Demain, on va se renseigner sur le groupe de madame Mélian. Il ont pas fini de nous faire courir, ce couple.
- Bonne soirée, Faivre.

Nelly prit Maréchal par le bras :
- Où tu m'emmènes ?
- Boire un verre, pour commencer.
- "Pour commencer", ho ho ... Tu me sors le grand jeu ?
- Attends un peu de voir la suite...

Ils allèrent au Pandémonium, burent quelques verres. Ils se dirigèrent grisés vers le départ des voitures. Le cocher de tout à l'heure attendait :
- Fouette ! cria Maréchal. A cette adresse !
Il lui tendit une petite carte.
- Tu m'emmènes où ?
Maréchal ne répondit pas. Il la prit dans ses bras et ils s'embrassèrent longuement. Ils ne s'aperçurent pas qu'ils étaient arrivés. Le cocher tapait à la porte :
- Alors, vous descendez ou bien je vous loue ma voiture pour la nuit ?
Maréchal, étourdi, mit une grosse somme dans la main du cocher.
- Oh, merci monseigneur !

Ils étaient devant un hôtel en retrait des boulevards : une bâtisse très ancienne, tout en hauteur, dont l'entrée était gardée par deux statues monumentales d'être ailés armés de foudres.
L'Ange de Cuivre était un des plus vieux hôtels de la Cité. Ils entrèrent dans un hall sombre, au plafond très haut, avec des statuts d'anges menaçants. Maréchal approcha du comptoir, non sans trébucher. Il dut s'appuyer :
- Bonsoir...
- Bonsoir monsieur.
Le réceptionniste avait un sourire solide, aimable mais gravé dans le marbre.
- Vous avez réservé une chambre ?
- Ah oui ! Maréchal !
- Je consulte mon registre. Je vois. Très bien. Vous avez la chambre 6032. Voici la clef. Bonne nuit, monsieur.
Maréchal nota qu'il ne clignait pas des yeux.
- Oh pour ça, dit Nelly, elle va être bonne !
Ils ne tenaient plus bien debout. Le réceptionniste ne cessa pas de sourire. Était-ce bien son sourire ou les traits de son visage ?

- 6032, dit Maréchal en regardant la clef cuivrée. Ça doit être haut...
Le garçon refermait déjà la grille dorée de la cabine. Le mur était recouvert de boutons. Ils essayèrent de bien se tenir pendant la montée. La cabine monta longtemps. Elle monta bien au-dessus des plus hautes statues d'anges.
Le garçon les accompagna le long d'un couloir interminable. La moquette très épaisse, moelleuse, rendait les pas silencieux. Ils entrèrent dans leur chambre. Maréchal glissa un pourboire au garçon et referma la porte. Nelly avait déjà couru dans le salon.
- C'est tout une suite ! Tu es fou !
Elle lui sauta au cou, et fit le tour des pièces, excitée comme une fille à qui on offre une énorme maison de poupée. La salle de bains regorgeait de parfums, de poudres pour le bain. Nelly mit l'eau à couler dans la baignoire. Elle n'enleva que ses chaussures et s'y mit toute habillée.
Maréchal avait trouvé du vin dans un seau à glaçons, avec des friandises alcoolisées.
- Antonin, tu viens me frotter le dos ?...
Ils burent du vin dans la baignoire, et finirent la soirée sur le grand canapé, à lui seul plus grand que l'appartement de Maréchal, avec une vue imprenable sur la Cité lumineuse, fumante et trempée.


¤


Maréchal se réveilla. Il faisait encore nuit. Une pluie dense s'abattait, verticale, certainement glacée. Il ne se sentait pas bien. Il regarda les deux bouteilles vides, qui gisaient sur la moquette, à côté des verres et de la boîte de chocolats. Nelly respirait lentement.
C'était malin. Il ne tenait plus l'alcool. Si ça se savait, il serait la risée de SÛRETÉ !
Il alla dans la salle de bains. Il entendit qu'on faisait la fête dans la suite voisine. Nelly dormait toujours. Il prit une gorgée de lotion miracle contre le mal de coeur. Il resta au-dessus du lavabo. Son malaise passa. Il fuma une cigarette à la fenêtre. Dans la pluie, la Cité était réduite à des tours noires tranchantes qui s'élevaient au-dessus d'une masse informe.

Il avait des fourmis dans les jambes. Il eut l'envie soudaine, d'aller marcher. Il sortit sans bruit. La lumière était tamisée dans le couloir. Il n'en voyait pas le bout. La moquette couleur cuivre immense filait d'un horizon à l'autre.
Il entendait la fête. Il remarqua la porte, restée entrouverte. Il sut qu'il avait tort. Il s'approcha timidement. De quoi avait-il l'air, dans le pyjama et la robe de chambre de l'hôtel ?
- Chut, venez...
Une voix féminine ; juste une main qui dépassait de la pénombre, qui lui disait de venir. Il entra, vaseux. La pièce était sombre. Il pouvait tout lui arriver... Une femme petite et très mince portait un masque à plume.
- Vous n'avez pas amené votre masque ?
- Euh, non...
- Tenez, je vous en prête un... N'oubliez pas la prochaine fois.
Elle lui ouvrit la porte du salon. Il n'y avait que quelques bougies. Les flammes fragiles oscillaient au rythme des invités, qui allaient, venaient. Certains dansaient lentement. Maréchal avança, indistinct dans ces groupes. Il ignorait si quelqu'un s'était aperçu de son arrivée. Il approcha du buffet. C'était le réceptionniste au sourire impassible qui servait.
- Une coupe, monsieur ?
- Oui...
Il la prit pour ne pas se faire remarquer. Les conversations étaient indistinctes, les silhouettes fuyantes. Maréchal ne parvenait pas à se raccrocher à quelqu'un de solide. Une femme avec un masque félin lui murmura :
- Vous êtes venu voir le prince des paons... Est-ce la première fois ?...
- Oui, dit Maréchal, avec une fausse assurance.
- Qui a jamais vraiment pu l'approcher ?...
Ce n'était pas une vraie question. L'inspecteur ne savait que répondre.

Les invités s'éloignaient peu à peu. Maréchal se rappelait de nénuphars emportés par le courant, de feuilles tourbillonnant dans le vent pluvieux. Les danseurs disparaissaient, les groupes partaient en fumée. Maréchal se mit près d'une bougie. Il vit alors qu'il était presque seul dans la pièce. Il ne restait que le réceptionniste au comptoir, qui salua et sortit par une petite porte. Maréchal n'avait pas eu le temps de le retenir.
Une bougie s'éteignit. Un mouvement près de l'entrée.
Il restait un homme, près de l'autre mur. Maréchal devinait quelqu'un de très grand.
- C'est vous, le prince des paons ?...
L'homme alluma le chandelier. Maréchal se protégea le visage, ébloui. Il s'habitua à la lumière, qui lui rappela la période où la nuit ne tombe plus sur Forge.
Il put rouvrir grands les yeux. Il vit alors distinctement le Somnambule. Josef Kassan, goguenard. Ses yeux gris.
- Non, non, pas vous...

Maréchal hoqueta. Il toussa, sentit Nelly près de lui. Il avait le vertige.
Le jour se levait timidement. Nelly, à peine réveillée, lui prit la main.
- Tu vas bien ?
- Oui, oui... J'ai eu le sommeil un peu difficile...
- Tu as trop bu, voilà tout, dit-elle d'une voix charmante avant de se rendormir.

C'était ça, il avait bu. Il passa du temps sous la douche. Les autres devaient être arrivés au bureau. Il allait se faire petit aujourd'hui, retrouver sa bonne habitude de la sieste dans le hamac.


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Dossier #14 : Le sortilège du paon - by sdm - 25-09-2010, 04:16 PM
Dossier #14 : Le sortilège du paon - by sdm - 27-09-2010, 10:15 PM
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