08-10-2010, 04:44 PM
(This post was last modified: 19-12-2010, 12:30 AM by Darth Nico.)
DOSSIER #15<!--sizec--><!--/sizec-->
« Messieurs,
Ce n’est pas sans fierté que je me trouve devant vous aujourd’hui, pour vous présenter cette nouvelle édition du chef d’œuvre des services de CADASTRE, cette oeuvre unique en son genre, que vous attendez chaque année avec impatience, toujours plus nombreux. J'ai donc l'honneur de vous présenter le plan complet de notre Cité, entièrement remis à jour au cours de l’année 210 qui vient de s’écouler. [applaudissements]
Présenter le travail que j’ai eu l’honneur de diriger, c’est d’abord rendre leurs mérites aux équipes de dévoués collaborateurs qui ont une fois de plus arpenté notre Cité de fond en comble, qui n’ont pas oublié la plus petite passerelle, le plus discret escalier, la venelle la plus oubliée ni la ruelle la plus introuvable. Non, messieurs, je m'en porte garant, comme chaque année, rien ne leur a échappé. J’ignore la distance exacte, en cumulé, parcourue par les arpenteurs, messieurs, mais je parierais volontiers qu’ils auraient pu, en reportant cette distance en ligne droite, aller à pied jusqu’à Forge ! [rires]
Et ces fins limiers dont les pas n’ont pas oublié un pouce carré de la structure de notre Cité, ils ne faisaient que préparer -par leurs repérages, les croquis, leurs esquisses - le travail de nos équipes de dessinateurs, rivés à leurs tables avec constance, acharnement, dévotion. Combien de nuits avons-nous passé à revoir ensemble le tracé d’un boulevard, le parcours d’un tramway ? Combien d’heures passées pour appeler un concierge et savoir le nombre d’étages de son immeuble, un épicier pour vérifier la surface de son commerce, un mitier pour qu’il nous confirme le tracé d’une canalisation ?
Je n’oublie pas le travail de la troisième équipe, qui s’est attelée à la finition de l’ouvrage. Véritables artisans, et j’oserais le mot, artistes, ils ont gravé les planches que vous avez le plaisir en ce moment de découvrir. Leurs illustrations, leurs tableaux et leurs croquis font de ce compendium plus qu’une somme d’information : une véritable œuvre, qui trouvera sa place dans les rayons de tous les services publics, sur les bibliothèques des férus d’histoire ou d’architecture, de dessin ou de mécanique, de sculpture ou d’hydraulique, chez les amateurs éclairés et plus largement, chez les bons citoyen qui aiment leur Cité comme on aime un frère ou un père.
Hommage à toi, Cité d’Acier, que nous avons eu la prétention de recopier en deux dimensions -osant aplatir ta vertigineuse hauteur ! Hommage à toi, ADMINISTRATION, d’offrir à tes citoyens de quoi s’informer, découvrir, rêver et vénérer la plus magnifique œuvre jamais conçu par le génie humain ! [applaudissements] Tu es sans pareille, Cité d’Exil, et à vrai dire, ce n’est pas sans mélancolie que l’on songe que nul ne t’admire véritablement en-dehors de tes habitants. Comment les habitants de Forge pourraient-ils seulement reconnaître ta grandeur ? Tu es si loin d’eux, et quand bien même ils te verraient de leurs pays arides et glacés, ils n’auraient pas la hauteur d’esprit pour la mesurer, cette grandeur.
Aussi, je te vois, Cité d’Acier, comme un défi aux solitudes arctiques comme aux étendues infinies de l’espace, défi à la gravité et au ciel, défi à l’océan et ses tumultes, défi au temps et aux hommes. Rien de tout cela ni ne t’effraie ni ne peut t’user. Tu vis, et ni l’espace ni le temps ne peuvent te rabaisser. Puisses-tu croître toujours plus haut et voir naître bientôt d’autres Cités, tes petites sœurs, sur d’autres îles de notre lune, en attendant d’aller domestiquer les inhospitalières contrées de notre planète-mère, quand celle-ci aura su accueillir notre civilisation bienfaitrice !
Voilà ce que je désirais vous dire aujourd'hui. Permettez pour finir de remercier une nouvelle tous ceux -ils sont innombrables - qui ont contribué à cette nouvelle édition. Il ne me restera ainsi qu'à vous remercier de votre attention.[applaudissements] »
¤
« Vous venez d'entendre sur nos ondes larges la diffusion de la cérémonie annuelle de présentation... »
Maréchal tourna le bouton du poste. Il remit ses lunettes droites.
« Elles te vont très bien », lui avait dit tante Myrtille.
Il feuilleta quelques pages du compendium. Il ne vit pas d'erreur mais sut qu'avec un peu d'attention, il parviendrait à trouver la petite bête. Peut-être écrirait-il alors une lettre qui irait se perdre dans la masse de celles affluant chaque année aux bureaux de CADASTRE.
Il consulta l'heure et sortit taper à la porte du bureau de Faivre :
- Il va être l'heure...
L'inspecteur se leva. Ils mirent leurs manteaux :
- Morand, vous restez assurer la permanence.
On sentait le Scientiste grognon aujourd'hui, pour la plus grande joie de Faivre qui avait entrepris de dévergonder le jeune homme.
- Qu'est-ce qu'ils leur apprennent, dit l'inspecteur alors qu'ils marchaient sur le quai, à ces Scientistes ? Ils ne boivent pas, n'ont pas de femmes... Non mais franchement.
Maréchal ne dit rien. Il était en froid avec les Scientistes.
Ils s'arrêtèrent boire un café chez Gronski et sortirent quand le funiculaire -sa station était à deux pas- s'immobilisait en bas de son rail. Ils montèrent au quai des Oiseleurs, où ils étaient attendus par le commissaire Ménard.
Le patron de la Brigade Criminelle terminait d'expédier des papiers quand ils entrèrent.
- Asseyez-vous messieurs.
Il ne disait pas "les enfants". La rencontre allait donc être plus formelle. Et les deux inspecteurs sentaient au passage qu'ils restaient des étrangers à la Crim'.
- Alors, nous faisons le point sur Mélian, dit le commissaire en sortant sa blague à tabac.
Le cadre de corpole était en cellule depuis deux jours au Quai. Maréchal raconta l'enquête en quelques mots.
- A votre avis, demanda Ménard, il a agi sous influence ?
- On ne peut encore le prouver. Cependant, nous avons certaines raisons de penser que oui.
Faivre releva la tête, choqué. Pour lui, il était évident que Mélian était la victime de l'hypnose d'Antiphon. Il ne voulut cependant pas contredire son supérieur devant le commissaire.
- Je vois, dit ce dernier, que votre conviction n'est pas faite. Tout n'est pas encore joué. Mélian va repasser dans mon bureau une dernière fois. Puis son sort passera entre les mains de TRIBUNAL. Le juge d'instruction insiste pour le rencontrer rapidement.
"Cependant, son procès n'est pas encore ouvert. Il va falloir trouver un juge, convoquer des experts en psychologie, monter un jury. Nous avons un bon mois devant nous je pense.
- Qui sera le juge ?
- Berbrier, vraisemblablement.
C'était ça de pris : Mélian "échappait" à Tolin, le juge le plus dur de la Cité.
- A mon avis, dit Maréchal, Mélian peut échapper à la peine capitale. Mais il passera la fin de sa vie au Château.
- Au jury d'en décider, lui rappela Ménard.
"Si vous pensez que le vrai coupable est encore en liberté, il vous reste jusqu'au procès pour nous l'amener.
- Nous allons le trouver, dit Faivre, soyez-en sûr.
- Je le souhaite pour le prévenu.
Il les raccompagna à la porte :
- Bonne chasse, les enfants. Cette affaire paraît nébuleuse, et TRIBUNAL n'aime pas les situations trop complexes. Pour Elle, il serait plus facile que Mélian ait commis un double assassinat.
Comme les deux inspecteurs remettaient leurs chapeaux, Mélian, hagard, arrivait entre deux agents. Il sursauta en voyant les deux hommes :
- Maréchal ! s'écria-t-il. Vous leur direz que je suis innocent !
Faivre serra les mâchoires, révolté par l'injustice faite à cet homme. Maréchal dit seulement, froidement :
- Nous allons chercher cet Antiphon qui a pris la fuite. Alors, nous l'interrogerons.
- Allez, ça suffit, dit Ménard au suspect, tu entres.
Il le laissa passer et dit à ses inspecteurs de commencer sans lui.
- Je reviens dans un instant.
Le commissaire sortit prendre l'air dans la cour :
- Il reste aussi la fille, dit Faivre. Elle a avoué sa complicité.
- Une fille de rue à moitié cinglée, répondit Ménard avec une moue sceptique.
Faivre serra les poings.
- Allons, je vous laisse.
Le commissaire remonta par l'escalier vert-de-gris et disparut dans une demi-obscurité poussiéreuse.
- Je vais passer voir Lanvin, dit Faivre.
- Moi je redescends, dit Maréchal. De la paperasse à remplir.
L'inspecteur-chef découvrait les joies des charges de commissaire sans en avoir le traitement. La secrétaire était heureusement bien formée au traitement des papiers administratifs, ils avançaient relativement vite. Ils avaient malgré cela passé plusieurs demi-journées sur ces dossiers, et ce n'était pas fini.
Faivre entra dans les bureaux agités de la Brigade des Rues. L'inspecteur Lanvin, son ancien supérieur passait un crayon entre les dent, des papiers à la main. Il ne vit même pas Faivre et rentra dans son bureau. Il commençait à gueuler sur un suspect.
Faivre se fit petit. Il attendit dans le couloir. Il regarda distraitement les papiers punaisés sur le tableau en liège. Il s'approcha quand il reconnut un nom sur un entrefilet : Andreï Turov. Faivre prit le morceau de journal, le lut. Il claqua des doigts et se dit que...
Lanvin ressortait de son bureau, une cigarette à la main :
- Tiens, te voilà encore...
- Vous avez deux minutes, chef ?
- Viens...
Ils passèrent dans un autre bureau, où Lanvin sortit plusieurs caisses de dossiers.
- C'est au sujet de mon transfert...
Lanvin grognait, fouillait. Il arracha enfin victorieusement un papier à la pile entassée en bas d'une étagère. Il le lut en vitesse, puis dit :
- Alors quoi ? Tu ne te plais pas avec Maréchal ?
- Ce n'est pas ça mais...
Laivre s'assit d'une jambe sur le bureau et dit :
- Ecoute, Faivre, je serais toi, je n'insisterais pas trop. Si tu as été envoyé là-bas, c'est qu'il y a une bonne raison. En plus, dans une petite brigade, tu auras plus facilement de l'avancement, songes-y. N'oublie pas non plus que si tu te fais une réputation - excuse-moi - d'emmerdeur auprès des services du personnel, ça se saura et ils te le feront sentir tôt ou tard. Tu vois mon point de vue ?
- Oui, bien sûr.
Lanvin lui donna une tape sur l'épaule :
- Je suis sûr que tu fais du bon boulot, grand.
- Merci, inspecteur.
Faivre ne savait pas quoi penser. Il laissa Lanvin à ses occupations. Il frotta le haut de son chapeau melon, essuya le pommeau de sa canne et redescendit à Névise.
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Maréchal examinait le dossier Turov :
- Il était au Stalag avec nous, dit Faivre. Vous ne vous souvenez pas ? Le type qu'on a pêché dans le marécage...
- Ah oui, celui que vous avez extrait du char... Votre évasion lui aura au moins sauvé la vie...
Faivre ne releva pas.
- Il travaille aux chantiers navals, donc...
- Oui, c'est un chef mécano, expliqua Faivre. DOUANE l'a mis au bon poste. Parce qu'avant-guerre, il travaillait déjà sur les chantiers. Il a aussi pas mal navigué sur les Léviathan.
Les énormes bateaux de pêche, de véritables usines flottantes.
- Et sur Autrelles, ajouta Maréchal, l'armée l'a "collé" dans un de leurs chars qui se cassent pour un oui ou pour un non...
- On a sympathisé lui et moi au camp. C'est un bon, un sacré bon.
- Vous pensez que la Brigade Spéciale a besoin d'un réparateur ?
- C'est un homme de terrain. Il est débrouillard, il est costaud. Et voyez l'article sur lui : il a effectué un sauvetage très périlleux récemment...
- Une vraie bonne âme, dit Maréchal, placide et sarcastique à la fois -ce qui était chez lui le meilleur de sa forme.
- Non mais attendez...
- Je vous taquine, inspecteur. Vous savez bien que c'est le premier devoir d'un supérieur.
- Vous pensez qu'on ne peut pas recruter un agent de plus ?
- Si, bien sûr. Nous avons encore de la place. Et c'est moi qui manie les tampons. Allez donc le chercher, ce Turov, et s'il n'est pas ivre mort comme tous les marins à terre, faites-lui une proposition.
- Merci, c'est chic de votre part.
Maréchal lui dit d'aller, avec un air las d'homme trop généreux pour ce bas monde.
Faivre finit sa journée en classant des papiers. Il devait se résoudre à rester ici, Lanvin l'avait dit. Il décida d'aller tourner autour de Morand pour occuper sa dernière heure.
- Votre travail avance bien ?
- Oui, très bien, dit le jeune Scientiste, qui faisait le gros dos à son "tortionnaire".
Il entamait son rapport de stagiaire.
- Je peux jeter un oeil ?
Le Scientiste ne parlait ni d'alcool ni de femmes. Il flattait dans les formes convenues le bon et attentionné inspecteur Faivre.
- Très bien, très bien... Vous irez loin, mon petit Morand...
Faivre partit le lendemain matin très tôt à la cité portuaire. L'énorme avancée de la Cité sur l'océan ronronnait en permanence, des entrées et départs de navires, des chantiers, des trains de marchandises. Les ingénieurs avaient réussi à dupliquer certaines des machines-absurdes les plus simples, pour reproduire sur ce quartier artificiel l'automatisme du reste de la Cité. Faivre traversa les halles sales et grasses, longea les bâtiments des taxations maritimes et entra dans les bureaux des chantiers de DOUANE. Il lui fallut patienter dans plusieurs salles pour arriver à un guichet d'information, où il dut remplir plusieurs papiers et les apporter à un autre guichet, pour obtenir enfin le numéro du quai où travaillait Turov.
- Le chantier du quai 31. Sur votre droite en sortant et comptez cinq pontons.
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