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Dossier #15 : La constellation de la veuve
#11
DOSSIER #15<!--sizec--><!--/sizec-->

Le quartier Galippe s'était transformé pendant la guerre en une zone de non-droit. Deux des trois passerelles y menant avaient été déclarées interdites à la circulation. Le quartier avait de plus été amputé de près de la moitié de sa surface, qui avait été raccrochée au quartier voisin. C'était la plupart des industries textiles qui partaient. Ne restaient que quelques vilaines rues pour des petits trafics, des hôtels de passe, des entrepôts clandestin, des ruelles pour naufragés de l'existence.
L'inspecteur Faivre, les détectives Turov et Morand franchissaient la dernière passerelle qui y menaient encore.
- Puis-je vous demander ce que nous venons faire dans cet endroit ? dit Morand.
Le Scientiste essayait de rentrer la tête dans son col montant. Il croyait attraper une conjonctivite rien qu'en regardant ce quartier délabré.

Faivre avait reçu dans la matinée un appel de l'inspecteur Lanvin :
- J'ai repensé à toi... Pas pour ton dossier... J'ai entendu par des collègues de la Crim' que vous cherchiez un type en cavale. On a un gars qui pourrait t'aider : Isidore Trenko. Va voir dans Galippe.
Trenko était un indic régulier de la Brigade des Rues. Diverses petites condamnations pour cambriolages et braquages ratés ne lui avaient laissé d'autre choix que de se faire informateur. Il végétait entre les trois ou quatre débits de boissons de Galippe depuis la guerre.
- La guerre, je voulais la faire, disait-il à qui voulait ou pas l'entendre, mais on m'a réformé... J'y peux quoi ?
Comme tous les jours, il arrivait à cette heure où il ne pourrait plus tenir sur son tabouret et où il tenterait de changer de bistrot. C'est à ce moment que Faivre, Turov et Morand rentrèrent.
- Ces gens n'ont donc pas d'idée de l'hygiène ? murmura le Scientiste.
Trenko reconnut en Faivre un policier.
- Oh merde...
- Calme-toi, mon petit Isidore... On vient discuter.
Faivre s'assit d'une jambe sur le tabouret. Turov resta debout. Morand ne savait pas comment se tenir. Son allure effrayait les rares clients, et lui, cet intérieur crasseux le dégoûtait.
- Vous ne me ferez pas boire, hein...
- Mais non, mais non, dit Faivre.
Il fit signe au patron de servir Trenko. Turov prit l'informateur par le bras et l'aida à s'asseoir correctement. Le patron servit docilement Isidore.
- On venait prendre de tes nouvelles.
- Ben vous direz bonjour à Lanvin de ma part.
- Il va bien, dit Faivre, il te salue.
Trenko tremblait. Il renifla, prit son verre et but.
- Vous voulez quoi ?... Encore trois verres et je tombe, alors grouillez-vous...
Faivre lui laissa le temps d'en prendre un second.
- Plus que deux, je vous préviens.
- On cherche un type nommé Antiphon. Un acteur.
- Vous croyez que je fréquente ce monde-là ?... Mon dernier tour de chant, j'avais 8 ans... Quel désastre, d'ailleurs.
Ses yeux s'embuèrent en repensant à la honte causée à ses parents et professeurs.
Le patron comprit qu'il ferait mieux d'aller vérifier ses réserves dans sa cave. Il descendit par le soupirail.
- Il a fait du raffut dans les Célestes, il y a trois jours.
- Les Célestes, j'y vais jamais... On me chasserait vite fait.
Turov s'assit à côté de Trenko.
- Ah non hein, vous ne me ferez pas ce coup-là...
- De quel coup tu parles ? dit Turov.
- Méchant flic et tout ça...
- Antiphon n'est plus aux Célestes, dit Faivre sinon je ne viendrais pas.
Trenko vida encore un verre. Il tremblait de plus en plus. On aurait cru qu'il était sur le point de se noyer de l'intérieur. Ses yeux jaunis allaient bientôt pleurer de l'alcool.
- Je serais vous, dit-il, prêt à perdre connaissance, j'irais voir du côté de Rotor...
Il grommela sa fin de phrase. Il prit la bouteille. Turov l'obligea à la reposer.
- Rotor combien ?...
Trenko devenait mauvais. Il regardait Faivre avec une haine animale.
- Rotor, quoi !
- Il y en a beaucoup des Rotor !
- ... Rotor 32, voilà !
- Pourquoi là-bas ?
- C'est hors-la-loi, ce quartier... Il y a des anarchistes qui campent...
Turov lâcha la bouteille. Trenko la reprit. Faivre se leva et sortit avec ses deux détectives. Ils entendirent Trenko tomber de son tabouret.
- Vous allez, balbutia Morand, croire ce misérable déchet ?...
- Il a de bonnes informations, dit Faivre, plutôt pour lui-même.
- Je ne pensais pas que la police utilisait ce genre de renseignements.
Faivre leva les yeux au ciel.
- Je suis certain que ces indications ne vaudront rien devant la justice, dit le Scientiste.
- Vous rentrez à Névise taper un rapport, dit-il.
- Raconter qu'un alcoolique au dernier degré nous a aiguillé sur la piste du fugitif ?
- Je vous apprendrai à rédiger un rapport d'enquête, mon petit Morand. Il faut savoir composer, arranger... Je relirai derrière vous. Turov, vous continuez avec moi.
- D'accord.

Les deux policiers montèrent aux Célestes.
- On va visiter les deux maisons où Antiphon nous a échappé.
Ils repassèrent au Clito, où on ne put rien leur apprendre. Ils allèrent ensuite au Huitième Ciel, le premier bordel dont Antiphon s'était enfui. Ils apprirent que c'était un habitué. Il venait souvent après les représentations. Ils parlèrent à la fille qu'il venait voir.
- Tu vas essayer de te souvenir de tout ce que tu sais sur lui, dit Faivre. N'importe quoi...
Turov voyait plusieurs filles lui faire des signes par la porte. Elles appréciaient sa carrure d'homme fort.
- Je ne sais pas... C'était un habitué, c'est tout mais il ne faisait pas trop de confidences...
- Tu connaissais Olga ?
- Olga, elle a travaillé un temps ici. Mais elle est partie...
- Si tu te souviens de n'importe quoi, tu nous le dis, insista Faivre.
Il sentait qu'il faudrait revenir.
- Il est parti, tu sais, dit l'inspecteur, il ne reviendra pas.
Ils remirent leurs chapeaux et partirent.
- Toi, tu dois être un sacré costaud, dit une fille en effleurant les biceps de Turov.
Ils sortirent, Turov était tout émoustillé.
- C'est pas la même ambiance qu'au port, hein, dit Faivre.
- Ah ça non !
Ils étaient à près de trois mille mètres au-dessus du niveau de l'océan.

Ils se quittèrent au tramway.
- A demain, détective. On verra ce que Morand a fait dans son rapport.
- On le corrigera soigneusement.

Faivre avait commencé la journée en décuvant, l'avait continué dans un taudis sinistre et dans les maisons closes. Il la finit à Torvald, dans la chambre d'une prostituée dont il était un peu le protecteur...
- Oh mon Gus, tu es venu...
Jusqu'ici, il ne lui avait jamais pris d'argent alors qu'elle, tout amour, ne demandait qu'à lui en donner.
- Tu me protégerais, Gus... On se ferait notre petite vie. Tu as tout fait pour moi...
Elle lui caressait la poitrine, lui faisait des baisers dans le cou. Faivre regardait droit devant lui. La lampe offrait une lumière malade, mêlée à la poussière et aux émanations faibles des réverbères.
Il reboutonna sa chemise :
- Je dois partir, dit-il froidement.
Elle retint sa colère. Elle ne pouvait pas se permettre de lui en vouloir.

Avant-guerre, Faivre avait tué le souteneur de cette fille. Il avait traîné le corps dans la rue, l'avait jeté dans une benne d'ordures collectives. La Brigade criminelle n'avait jamais mis d'énergie sur l'enquête.
- On se revoit bientôt, mon Gus ?
Il se demandait pourquoi il la voyait encore.
- Il faut que tu te débrouilles sans moi...
- Prends mon argent, Gus... Prends-en plein, mais reste ici.
- J'ai un nouveau poste. Beaucoup de travail...
Elle pleurait. Faivre savait qu'après les supplications et les roucoulades, elle allait passer aux reproches aigris. Il réussit à partir avant qu'elle n'y arrive.
L'inspecteur rentra chez lui et s'endormit aussitôt. Tant mieux, car c'est ce genre de journées qu'on aime oublier vite.


¤


Maréchal avait commencé sa journée dans le quartier des Oublies, au cabinet du docteur Heims.
Le docteur le recevait entre deux consultations :
- J'ai toujours un moment à consacrer à mon patient le plus intéressant, dit-il en finissant de remplir des papiers.
Il posa son stylo. Il faisait tourner légèrement son fauteuil :
- Qu'est-ce qui vous amène ?... Mais pour commencer, comment vous portez-vous ?
- Mieux, dit Maréchal, content de pouvoir le dire. Mieux, même si Forge ne m'a pas fait du bien aux yeux.
- Oui. Vous voyez qui comme opthalmo ?
Maréchal lui dit le nom.
- Oui, c'est quelqu'un de compétent. Et vos troubles ?
- Disparus... Plus rien depuis plus d'un an.
- Bon, parfait...
Le docteur sourit. Il fit une petite moue ironique aussi, pour montrer qu'il était un peu déçu.
- Mais bien sûr, dit Maréchal, complice, si jamais cela me reprenait...
- ... ce que je ne vous souhaite pas, bien sûr...
Ils étaient d'accord.
- Autre chose ?
- Oui, je viens vous voir pour une de mes enquêtes... Un cas qui vous intéressera.
Le docteur ne cacha pas son regain d'intérêt. Il prit une pose bien plus studieuse.
- Il s'agit d'hypnose, disons, commença Maréchal, qui ne savait par quel bout prendre l'histoire. Croyez-vous... Enfin, comment marche l'hypnose ? Est-ce que ça marche, d'abord ?
- Sur un patient volontaire, oui. C'est une bonne méthode de traitement...
- Mais sur quelqu'un qui ne serait pas volontaire ?
Heims réfléchit.
- Y a-t-il des cas, dans les annales de la médecine qui... ?
- Sur quelqu'un de franchement réfractaire, non, l'hypnose ne pourrait pas marcher... Après, il existe des techniques de soumission de l'individu. Des gens fragilisés, abandonnés, qui cherchent une planche de salut... Quelqu'un en détresse qui se laisse avoir par un escroc qui profite de lui...
- Et sur quelqu'un d'équilibré, normal ?
- Franchement, je ne crois pas. Sur quelqu'un qui aurait une bonne situation, une vie réglée, un esprit critique...
Heims était très intéressé. Il plissait les yeux comme pour lire dans l'esprit de l'inspecteur.
- Alors nous devons faire fausse route...
- Vous croyez connaître quelqu'un qui pourrait prendre une emprise profonde sur des gens normaux ?
- Peut-être...

Voilà ! Maréchal avait appâté le docteur et il n'avait pas de "gibier" dans sa gibecière. Le docteur lui serra la main, sans dire explicitement qu'il voulait en savoir plus. Mais l'inspecteur n'avait pas de doute. Heims comptait bien sur lui pour jouer les rabatteurs, pour lui amener un cas si exceptionnel.

Maréchal avait continué en rencontrant un ancien membre de la secte d'Antiphon -secte à laquelle avait appartenu aussi madame Mélian.
L'homme s'appelait Carno Zbarowski. Il travaillait pour PLAN, dans une sous-section de BUDGET, au traitement des dossiers de classifications des dossiers de compte. C'était un immeuble gris, massif et à l'intérieur, grouillant de vie, de dizaines de gens pressés de courir dans tous les sens. Une ruche. Maréchal devait s'écarter en permanence pour laisser passer de véritables trains d'employés poussant des chariots ou marchant les bras chargés de dossier, si vite que c'était comme si leur vie en dépendait.
- Pardon, je cherche le service de traitement des dossiers ?
- Quels dossiers mon pauvre ami ?
- Les dossiers de dossiers !
- Demandez à l'accueil !
Maréchal se retourna, évita à temps un chariot. Il avait le tournis. Il reprit l'ascenseur pour le rez-de-chaussée et parvint à se faire comprendre :
- Bâtiment C, couloir 32...

C'était plus calme. Des secrétaires discutaient de leurs maris et de leurs amants. Certains rangeaient des classeurs, sous les ordres d'un supérieur revêche, qui leur donnait des instructions maniaques.
- Non ! Refaites tout ça ! ! Vous devez classer selon l'étiquetage !
Un grand bureau avec au moins quinze places n'était occupé que par deux personnes qui devaient être des jumeaux, chacun à un bout de la table. Ils tapaient lentement et studieusement à la machine. Il y avait un bureau où on jouait aux fléchettes, un autre où on commentait le journal, les pieds sur la table.
Maréchal voyait les numéros de couloirs, sans saisir leur ordre.
- Le couloir 32, s'il vous plait ? demanda-t-il dans un bureau au hasard.
Ce fut pris comme un affront. La femme qui était en train de refaire son chignon devant son miroir dit qu'elle n'en savait rien. Elle sortit son rose à lèvres et grommela que les gens se permettaient n'importe quoi.

Un sous-directeur se lamentait seul dans son bureau :
- Le couloir 32, s'il vous plait ?
- Oh mais mon pauvre ami... Le couloir 32, mais tout le monde s'en fiche du couloir 32 !...
Ce type allait finir pendu avant le soir.
L'inspecteur vit qu'il était arrivé au couloir 31. Il se dit donc que...
- Mais vous n'y êtes pas, mon pauvre ami, lui dit-on alors... Le couloir 32 est de l'autre côté, il faut traverser la passerelle interne...
C'était un employé plus fringant que les autres, qui paraissait épanoui. Maréchal trouvait enfin quelqu'un de fiable. Ils prirent un couloir, empressés.
- Vous faites quoi ici, vous ? dit Maréchal pour nouer une petite complicité avec son sauveur.
- Pour le dire vite, je m'occupe des fiches de paye des employés de SANITATION.
Au moins, on comprenait.
Ils trouvèrent la passerelle après le couloir 14.
- Voilà, vous continuez tout droit, et c'est la première à gauche.
- Merci beaucoup...
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Dossier #15 : La constellation de la veuve - by Darth Nico - 13-10-2010, 05:46 PM

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