29-10-2010, 11:13 AM
(This post was last modified: 19-12-2010, 11:28 AM by Darth Nico.)
DOSSIER #15
<!--sizec--><!--/sizec-->Turov avait passé plusieurs heures à l'hôpital. Il avait passé une nuit reposante. Au matin, la blessure le fit souffrir mais il se mit quand même au travail.
Il passa des heures sur chromatographe. Il sortit enfin du bureau des détectives et appela Faivre, qui se trouvait au quai des Oiseleurs :
- J'ai trouvé, inspecteur... Les frigos quo'n a trouvés viennent d'un navire de tonnage moyen, pour la pêche en eaux peu profondes... Ces navires font habituellement des circuits de deux nuits.
- Contrairement aux Léviathan, c'est ça ?
- Oui.
Les Léviathan étaient ces monstres mécaniques, de véritables usines flottantes capable de rester des semaines en mer. Ils avaient servi au transport des troupes vers Forge pendant la guerre.
- Ces frigos, ajouta Turov, étaient corrodés. Ils ont passé plusieurs semaines, ou plusieurs mois dans l'océan.
- On cherche donc une épave.
- Oui. J'ai appelé la capitainerie, ils m'ont renseigné. Deux navires comme celui que nous cherchons ont coulé il y a quelques années. Le Tempêtueux, il y a six ans et le Chevauche-Cyclone, il y a cinq ans. Ils ont un point commun, ajouta Turov, ils appartenaient à une compagnie maritime rattachée à la corpole des Obre-Ignisses.
Les Obre-Ignisses : les plus traditionnalistes des corpolitains de la Cité, fermement opposés à toute ouverture de la Cité aux étrangers. Les plus proches des milieux militaires, défendant soit l'autarcie complète de la Lune, soit une conquête en bonne et due forme des Etats les plus développées de Forge, pour la grandeur de la Cité.
- Bon travail, dit Faivre. Je continue de mon côté.
L'inspecteur était à la Morgue avec Morand. Ils examinaient les deux corps trouvés dans les combinaisons étanches. Faivre dictait au Scientiste :
- Organisme rachitique... Dégénérescence de tissus épidermiques, poumons atrophiés, ossature fragilisée, coeur anémié... Le développement semble s'être arrêté à un état foetal...
Il était déjà très tard. Faivre avais mis plusieurs échantillons de sang dans la centrifugeuse, pour les comparer à des prélèvements de Morand et lui.
- Rentrez donc dormir, mon petit Morand. Nous continuerons demain...
Le Scientiste enleva sa blouse, remit sa veste et son chapeau haut de forme. Faivre s'assit sur une chaise, las, et alluma une cigarette.
Morand l'inquiétait, avec son teint pâle, sa maigreur. Il devait manquer gravement de vitamine et de fer ce garçon... Il s'assoupit sur sa chaise. Il se réveilla une heure plus tard, ensuqué, la nuque douloureuse ; un interne lui indiqua un lit de camp pour finir sa nuit.
Il se releva tôt, passa sous la douche. Le légiste le salua :
- On va vous faire payer un loyer si ça continue...
- J'aime dormir près de mes cadavres, dit Faivre, qui avait besoin de plusieurs cafés.
Il se versait son troisième quand Morand arriva.
- J'ai du nouveau, dit le détective en enfilant sa blouse.
Il sortit de son cartable une liasse de papiers :
- Je suis passé au laboratoire de ma Fondation... Nous avons examiné des tissus intestinaux et des prélèvements de sang.
Faivre s'étira :
- Et alors ?
- Alors nous avons trouvé la cause de cette anémie organique généralisée. Il s'agit d'une infection. D'un parasitisme plus exactement, dû à des organismes unicellulaires présents dans le sang.
- Comment ça ?
- Tenez...
Morand lui tendit la liasse. Faivre alluma une cigarette, parcourut les relevés d'analyses, les tableaux, les graphiques. Il avait la berlue. Il relut plusieurs fois les papiers.
Comment avaient-ils détecté ces unicellulaires ? De quel matériel inconnu du commun des médecins les Scientistes disposaient-ils ?
- Bien sûr, dit Morand, qui cachait mal sa fierté, j'ai dû faire appel à des camarades de la branche biologique, car moi, j'appartiens aux psychologues, donc évidemment...
- Bien joué, détective, bien joué...
Faivre et sa médecine devaient s'avouer vaincus. Il était assez jaloux de Morand, et en même temps assez admiratif.
- Mes amis pensent que ces unicellulaires sont responsables de cette dégénérescence... Nous avons affaire à des êtres humains ordinaires, qui ont été placés dans ces combinaisons pour des raisons de survie.
- Vous pensez que le système de refroidissement empêchait le développement des unicellulaires ?
- Quelque chose comme cela...
- Et que savez-vous de ces unicellulaires ?
- Peu de chose pour le moment...
"Pour le moment"...
Faivre sentait qu'il devait reprendre l'initiative. Ne pas se laisser doubler par Morand, ne pas le féliciter outre mesure.
- Bien, mon petit Morand, vous allez m'appeler le département d'épidémiologie à Mechkine...
Augustus Mechkine était le nom du grand hôpital administratif de la Cité.
- Je veux un rendez-vous avec le chef du service.
Faivre se fit un dernier café. Il appela Névise pour que Maréchal soit informé de la suite de l'enquête.
- Votre café du matin me manque terriblement, ma chère Clarine.
- Moi qui vous en avais préparé un avec amour, répondit, pince-sans-rire, la secrétaire.
- Mon coeur se réchauffe rien qu'à entendre cela.
- Quand serez-vous de retour ici ?
- Vous êtes donc si impatiente de me voir ?
- Je dis ça pour que l'inspecteur Maréchal ne vous retienne pas une journée de salaire.
- Dites-lui qu'il ne pourra jamais s'interposer entre vous et moi, ma chère Clarine.
Morand levait les yeux au ciel. Il devait écouter son supérieur jouer les jolis-coeurs de boulevard. Faivre raccrocha et ordonna à Morand de se dépêcher. Ils prirent le funiculaire qui montait du quartier du quai au grand hôpital. C'était un nid d'aigle que ce centre de soins mis en place il y a plus de trois siècles par ADMINISTRATION. Faivre connaissait les lieux depuis qu'il y avait suivi des stages pour sa médecine de guerre.
Ils entrèrent dans le hall d'accueil bruyant, dans une salle remplie de vieillards, grabataires, éclopés. Les gens moroses, prenaient leur mal en patience. Ils traversèrent de longs couloirs, interminablement blancs. Ils poussèrent la porte du département d'épidémiologie et de parasitologie, silencieux, presque solennel. Il y avait au mur plusieurs reproductions d'insectes, avec le détail de leurs maladies. Un médecin, qui avait de larges épaules, de l'embonpoint, donnait à voix basse des instructions à sa secrétaire. Il disparut derrière une grosse porte matelassée.
Faivre, qui prétendait s'y entendre en matière de secrétaires, s'appuya sur le comptoir :
- Bonjour, nous venons voir le docteur Gulianov.
- Vous avez rendez-vous ?
Faivre sortit sa plaque en souriant :
- Maintenant oui.
- Très bien, je vais voir ce que je peux faire.
Elle appela le docteur dans son bureau :
- Envoyez-les moi, dit le gros docteur.
Quand il vit entrer un Scientiste dans son bureau, il eut un coup au coeur et avala un cachet. Faivre fit les présentations et s'assit. Il expliqua la découverte des corps atrophiés.
- Nous nous demandions si vous aviez déjà entendu parler de ce genre de cas... Si vous aviez une idée de quelle infection il peut s'agir.
Gulianov examina les feuilles de Morand.
- C'est très étrange, c'est certain... Je ne crois pourtant pas avoir jamais eu à traiter un cas pareil... Combien y a-t-il de victimes ?
- Deux pour le moment. Mais il y en a une troisième, encore en vie. Sans doute davantage.
Le docteur repoussa les feuilles.
- Vraiment désolé de ne pouvoir vous aider. Je serais en revanche heureux que vous me communiquiez ce que vous savez sur cette dégénérescence...
- Bien, tant pis, dit l'inspecteur. Merci de nous avoir consacré du temps.
- De rien, messieurs...
Il se leva pour leur serrer la main. Faivre repartait songeur, les mains dans les poches. Ils sortirent du département, reprirent le long couloir blanc.
Morand s'arrêta, troublé.
- Quoi donc ?
- Ecoutez, inspecteur... J'ai la conviction -presque la conviction... qu'il nous a menti.
- Comment ça ?
- J'ai bien étudié les traits de son visage, ses mimiques. J'ai appris, au département de psychologie, à détecter les signes du mensonge chez...
- Vous m'étonnez, mon petit Morand. Et en même temps, vous m'effrayez... Vous êtes positif dans votre jugement ?
Morand prit encore un instant de réflexion :
- Oui.
- Bon, alors allons-y.
Les deux policiers revinrent au pas de charge en épidémiologie. La porte s'ouvrit en grand sous la poussée de Faivre. La secrétaire sursauta :
- Que voulez-vous ?
Faivre se frotta les mains :
- Parler au docteur Gulianov, dit-il en allant vers la porte.
La secrétaire sortit de derrière son bureau :
- Vous ne pouvez pas.
Morand lui fit un signe ferme de s'arrêter.
Faivre entra, victorieux, terrible.
Gulianov aurait voulu disparaître derrière son bureau.
- Docteur, vous nous avez menti sur toute la ligne... Vous ne pensiez pas nous voir revenir...
- Vous espériez vous en sortir à bon compte, ajouta Morand.
- Arrêtez, je n'ai fait qu'obéir...
- Asseyons-nous, pour commencer.
Faivre alluma une cigarette.
- Vous avez connaissance de ces cas, docteur...
- On m'a ordonné de me taire !
Le cri du coeur.
- Qui ?
- Qui ? Qui !...
Gulianov avait peur et il jouait l'indignation.
Il souffla :
- J'ai reçu des ordres... d'en haut ! Vous comprenez...
- On vous a dit d'enterrer ce dossier... Je vous demande de le réouvrir...
- Vous n'avez pas le droit...
- Ah non ? Et ça ?
Il lui brandit sa plaque bien sous le nez...
- ADMINISTRATION vous a demandé de vous taire, très bien. Mais moi aussi je suis ADMINISTRATION...
- Vous en prenez la responsabilité ?
- Oui.
Le médecin devint bien plus mou. Il prit un flacon et s'en versa un petit verre.
Puis il ouvrit un tiroir, et ouvrit un double-fond. Il sortit des dossiers et les jeta sur le bureau, soulagé.
- Gardez-les...
Faivre les parcourut.
- Une dizaine de cas depuis douze ans...
- Vous avez l'endroit où elles ont été trouvées... Les dates, tout...
Faivre se fit expliquer le contenu par Gulianov.
- Bien, dit l'inspecteur.
Il se leva :
- SÛRETÉ vous remercie de votre coopération.
Les deux policiers s'en allèrent pour de bon.
- Nous avons du travail devant nous pour examiner tous ces dossiers... Au fait, Morand, il faudra que je vous prescrive un traitement... Vous allez défaillir un de ces jours, si vous ne prenez pas quelques vitamines. Vous êtes blanc comme un lavabo.
- Mais je vais très bien, protesta le Scientiste.
- T-t-t-, rien du tout. Je vais vous faire une ordonnance...
Les deux hommes descendirent à Névise pour faire leur rapport.
¤
Maréchal commençait sa journée chez un ancien de la secte. Féodor Ruppo, retraité. C'était déjà un petit vieux aigri.
- Ce gourou, inspecteur, n'était qu'un sale pauvre type, qui tripatouillait les gamines... Ça je l'ignorais. Je n'ai pas d'enfants, mais il faisait venir les enfants des autres dans sa chambre, vous imaginez... Et les parents complices, heureux que leur enfant soit initié... Quelles sales dégueulasseries. Moi il se contentait de me prendre mon argent, tout mon salaire, ma pension ! Aujourd'hui, je vis dans ce taudis, alors que j'ai travaillé toute ma vie !
- Vous vous souvenez d'un autre membre, un Antiphon ?
- Ah oui, lui est arrivé sur la fin... Il est vite devenu le chouchou. Il se tapait des minettes aussi. Lui descendait pas en-dessous de la jeune fille disons... Il était pas encore devenu obscène comme l'autre...
- Quel était le discours du gourou ? Je veux dire, de quoi parlait-il ?
- Le livre des mille étoiles... C'était le livre de référence. Il fallait l'apprendre par coeur.
Maréchal connaissait déjà ce livre par le fonctionnaire Zbarowski. Il n'avait pas encore eu le temps de le consulter.
- Quoi en particulier dans ce livre ?
- Le chapitre 31, dit le petit vieux, de plus en plus méchant.
Il sentait mauvais en plus. Maréchal écourta :
- Bon, je vous remercie... Voici ma carte. Si jamais...
- Oui, oui c'est cela... Je vais finir une vie d'honneur comme indicateur de police.
- Nous ne demandons qu'à empêcher ce genre de gens de nuire, monsieur.
- Voilà, c'est ça...
Maréchal retrouva l'air frais avec plaisir. Il alla dans la bibliothèque du quartier, où il trouva Le livre des mille étoiles. Il baillait d'avance de ce genre de lecture. Il le feuilleta rapidement, trouva le chapitre 31 : La constellation de la veuve.
Cela parlait d'êtres d'un autre monde, qui descendrait un jour en Exil depuis la constellation de la Veuve.Ils modifieraient la structure de la Cité pour l'adapter à eux.
Maréchal prit quelques notes puis alla boire un verre. Il réfléchit au comptoir, réfléchit en chemin. Il retrouva les bureaux de la Brigade avec ses trois collaborateurs au travail. Les oreilles fumaient presque. Maréchal n'osa pas déranger cette belle concentration. Il alla sur la pointe des pieds à son bureau, s'étendit dans son hamac et tapota une demande sur son chromatographe : depuis combien de temps la consommation d'électricité avait-elle atteint un niveau anormal dans Rotor 32, quartier désaffecté ? Les frigos devaient provoquer une hausse significative. Maréchal connaissait peu le fonctionnement de VOIRIE. Il sut que la réponse à sa requête serait longue.
Morand étudiait avec soin les dossiers donnés par le docterur Gulianov, pendant que Faivre et Turov se fatiguaient les yeux sur un chromatographe.
Ils avaient fini par reconstituer l'équipage des deux navires coulés, entre recherches dans les fichiers de DOUANE, appels à la capitainerie et à d'anciens camarades de Turov.
Chaque navire avait un équipage de cinq hommes.
Le Tempêtueux : Rigram Vellovitch, Pirr Kaltah, Rigevel Alokav, deux androïdes.
Le Chevauche-Cyclone : Piotr Derevitch, Kasper Lokodan, Antisthène Phonos, Kiev Makievit, Luter Vils-Bor.
- Deux androïdes, c'est normal ça ? demanda Faivre.
- Oui, dit Turov. Ils peuvent les utiliser pour des tâches simples, comme du chargement.
Faivre avait cherché ceux de ces marins qui s'étaient fait embaucher sur ces navires avant qu'ils coulent.
Il y en avait deux : Rigram Vellovitch pour le Tempêtueux, Antisthène Phonos pour le Chevauche-Cyclone.
Ils allèrent dans le bureau de Maréchal.
- Il y a du louche derrière cette corpole Obre-Ignisse, patron.
- C'est un peu tôt pour les accuser, non ? Ils ont perdu deux navires, c'est tout...
- Je vais continuer, dit Faivre, et je vais trouver.
Il resta une partie de la nuit pour étudier les dossiers de Gulianov. Il eut encore une nuit courte, enfermé dans son bureau. Maréchal arriva de bonne heure.
- J'ai trouvé, patron, j'ai trouvé !
L'inspecteur-chef le reçut dans son bureau. Turov et Morand entrèrent. Faivre ressortit les dossiers de Gulianov :
- Dix personnes mortes de cette même infection, patron. J'ai fait des recherches sur les quartiers où elles ont été trouvées. J'ai mis du temps, mais j'ai fini par trouver le point commun. Regardez, j'ai les relevés de CADASTRE : ces dix victimes ont été trouvées dans cinq quartiers différents. Ils appartiennent tous à la corpole Obre-Ignisses !
- Pas mal, admit Maréchal.
- Je n'ai pas fini. J'ai repris les équipages des deux navires. Peu d'information sur eux. A part que...
Les autres tendirent l'oreille.
Faivre sortit une feuille imprimée au nom d'un des marins :
- Lui : Antisthène Phonos... Son nom a fini par me faire tiquer... Ça ne vous dit rien ?
- Expliquez-nous, dit Maréchal.
- Antisthène Phonos... Antiphon !
"Vous n'allez pas me dire que c'est une coïncidence ? Parce que je vous ai gardé le meilleur pour la fin !
Il pointa du doigt la page sur Phonos :
- Regardez, c'est écrit noir sur blanc par les services d'état-civil. La famille Phonos est rattachée à la corpole Obre-Ignisses !
Maréchal regarda, étonné. Il sourit et laissa Faivre continuer :
- Cette corpole est derrière cette affaire ! C'est eux qui ont fabriqué ces frigos, c'est eux qui soutiennent Antiphon ! Antiphon qui ne pourrait pas avoir ces moyens matériels sans le soutien de sa corpole.
- Faisons quelques recherches sur cet Antisthène Phonos, proposa Maréchal.
- C'est tout vu.
Faivre se précipita dans son bureau et demanda des informations complémentaires à l'état-civil. Maréchal alla boire son café avec les autres dans la cuisine.
- Vous avez fait un sacré travail, dit Maréchal à Morand.
- C'est l'inspecteur qui a tout fait.
Maréchal avait sous les yeux le dossier Scientiste sur l'infection dont étaient mortes les victimes. Ces sacrés salopards de Scientistes qui disposaient de moyens technologiques uniques...
Faivre arriva dans la cuisine, des papiers en main :
- Quand je vous le disais ! Quand je vous le disais !... Mais regardez ça ! Antisthène Phonos est un fils de famille rebelle ! Envoyé à l'école militaire ! C'est marqué ici !... Il a été envoyé là-bas par mesure de redressement.
- Vous aimez les militaires, Faivre ? dit Maréchal.
- Pourquoi ?
- Parce que vous irez leur poser des questions. Moi je suis dispensé, j'ai une allergie. Vous comprenez, ils me donnent des boutons.
- Il faut une ordonnance, lança Clarine, qui était une ancienne secrétaire militaire.
- Et comment que je vais y aller les voir ! répliqua Faivre. Ils vont tout me dire !... D'ailleurs, je pourrais y aller avec mademoiselle Clarine, puisqu'elle connaît bien ce milieu.
- Impossible, sourit Maréchal. Elle et moi avons des tas de choses à nous dire...
- Comme quoi ? dit Faivre, pris à froid.
- Comme nous occupez des dossiers d'assurance de santé et de nos fiches de paye.
- Quel malheur, dit Faivre en s'approchant de la secrétaire, que vous perdiez vos plus belles années dans de la paperasse.
- J'aime encore mieux cela qu'aller traîner avec vous dans des quartiers mal famés, avec des ivrognes, des gens contagieux et des filles de rues.
- Un jour, Clarine, je vous montrerai le monde comme je le vois...
- Bon, fin de la récréation, dit Maréchal. Au travail !
Maréchal se dit qu'il allait faire une petite sieste pour être plus en forme, tout à l'heure, pour les dossiers administratifs. Faivre le rattrapa avant qu'il ne ferme la porte de son bureau :
- Chef, je suis sûr que nous tenons une piste. Antisthène Phonos a été renvoyé de l'école militaire en 203. Et en 205, on le retrouve comme marin à bord du Chevauche-Cyclone. Juste après, ce navire coule...
- S'il a quitté sa famille, s'il a perdu son travail comme marin, s'il est bien Antiphon, il m'a l'air plutôt à plaindre qu'autre chose. Il a tout raté.
- Moi je vous dis qu'au contraire il est soutenu en secret par quelqu'un de sa famille... Sa mère peut-être, un cousin, un oncle... Quelqu'un qui lui a trouvé une place comme marin, comme par hasard à bord d'un navire de la corpole.
- Vous spéculez, Faivre.
- Antiphon n'a pas pu avoir ces frigos sans soutien logistique. Il est soutenu par les Obre-Ignisses. Et eux, ils trafiquent je ne sais pas quoi avec un virus mortel ! Ils préparent un sale coup.
- Peut-être, dit l'inspecteur-chef. Ce que je pense, c'est qu'il faudra plonger dans ces navires...
Maréchal lança à Turov :
- Détective, vous aimez la plongée sous-marine ?
- Il y a longtemps. Mais ça me plairait de recommencer.
Clarine amenait des cafés :
- Je suis sûr que le détective Turov doit être très élégant en scaphandre.
- Plus que moi ? demanda Faivre.
- Si je vous ordonnais de plonger dans le canal en sous-vêtements, inspecteur, le feriez-vous ?
- Clarine, pour vous, je traverserais la Cité en scaphandre, et à genoux.
- J'aimerais bien voir ça !
Maréchal dit du balai à Faivre :
- Trouvez ce que vous pouvez sur les Obre-Ignisses. Et vous, Turov, appelez vos amis de DOUANES. Nous devons -plus exactement : vous devez - retrouver les deux épaves et obtenir d'y plonger.
- C'est comme si c'était fait, dit Turov.
Faivre mit son manteau :
- Au fait, Morand, je vous prépare une ordonnance pour bientôt... Vous avez besoin de calcium, mon garçon...
- Mais je vais très bien, dit Morand. Je n'ai plus l'âge de boire du lait.
- Vous êtes pâlot comme un coton-tige... Déficit en magnésium ,ça...
Turov sortit de son bureau et s'habilla :
- Nous montons à l'école militaire, dit Faivre.
- N'oubliez pas de demander s'ils ont enfin trouvé l'assassin du maréchal de Villers-Leclos.
Maréchal ricana.
Enfin un peu de calme dans cette maison de fous. Il s'allongea confortablement dans son filet et dormit bientôt à poings fermés. Morand commençait son rapport de stage avec sa belle plume et son encrier en cristal, pendant que Clarine ouvrait la masse de courrier urgent de la journée.
FIN DU DOSSIER