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Dossier #16 : Le client de chez Emma
#8
DOSSIER #16<!--sizec--><!--/sizec-->

Faivre entendit frapper à la porte. Le sommeil lui avait fait oublier sa colère. Il eut du mal à se réveiller. Il revit le fil avec rien au bout, se leva.
- Ici le capitaine... Etes-vous décidé à vous calmer ?
Faivre baissa la tête. Il s'approcha de la porte et dit que oui.
- Bien, alors je vais ouvrir.
Le loquet se releva. Aussitôt, Faivre se précipita dehors, pour sauter à la gorge du capitaine. Il fut arrêté par deux solides hommes, qui le ceinturèrent aussitôt.
- Vous m'aviez donné votre parole ! grogna le capitaine.
Faivre se débattait avec l'énergie du désespoir.
- Si on ne peut plus se fier à un fonctionnaire de police...
Le capitaine fit un geste du menton.
Les marins traînèrent cette fois Faivre vers la cale et l'y enfermèrent, avec une ration de pain et d'eau.
- Ne comptez plus sortir avant notre retour à terre.
Ce n'était pas les mauvais gars. Ils voulaient juste ne plus avoir ce furibard dans les pattes. Ce n'était pas le moment d'aggraver l'ambiance déjà sinistre.

Dans les bureaux de Névise, Clarine recevait le message du Repousse-Ecume. Elle eut un sursaut d'effroi. Elle devint toute pâle. Morand vint la voir :
- Que se passe-t-il ?
- C'est affreux, lisez...
Morand parcourut le télégramme des yeux. Il eut une inspiration plus forte que la normale. Maréchal sortait de son bureau :
- Des nouvelles ?
Il vit la tête que faisait Clarine et s'empara du papier. Il dut s'asseoir.
Les trois policiers se regardèrent, avec la même idée en tête : ils n'avaient recruté ce pauvre Turov que pour l'envoyer à la mort le jour même... En fait, c'était Maréchal le responsable au premier chef.
- Ils rentrent demain en milieu de journée, dit Clarine. Ils nous renverront un message en arrivant au port.
- Pauvre gars, dit Maréchal, qui ne pouvait croire ce qui se passait.
Faivre l'avait sauvé d'un marécage d'Autrelles et il venait d'assister à sa noyade. Maréchal ne savait pas trop quoi dire :
- Il avait de la famille ?
Personne n'en savait rien.

Faivre finit de se saouler pour de bon. Il s'endormit en gémissant de vagues insultes. Il avait déjà peur de se réveiller. Il partit dans des hallucinations effrayantes, indistinctes, des morceaux de spectres l'assaillaient et il ne pouvait pas se réveiller. Au bout de trois scènes de ce genre, il eut la gorge tellement serré que le besoin de respirer l'éveilla en sursaut.
- Debout, debout...
Deux marins le secouaient. Ils le levèrent et l'assirent. Comme prévu, Faivre avait un épouvantable mal de crâne. Et il avait la mort de Turov partout sous la peau. Les marins lui apportaient un repas et un petit verre d'alcool.
- Nous avons des choses à vous dire, de la part du capitaine.
- Que voulez-vous que ça me fasse ?... Ramenez-moi à terre, c'est tout.
- Lisez ce télégramme, on vient de le recevoir.

Qu'est-ce que Faivre pouvait bien en avoir à faire ?... Il le prit quand même, puisqu'il ne pouvait rien arriver de pire. Cela venait d'un autre navire, le Brise-Lame, qui avait lancé ses filets à peu près en même temps que le Repousse-Ecume. Ils avaient repêché un corps, un homme en sous-combinaison de scaphandrier.
Faivre releva les yeux sur le capitaine. Il ne comprenait pas.
- Le message a été envoyé à tous les navires... J'ai appelé le Brise-Lame, ils m'ont fait une description de l'homme.
Le capitaine la répéta de mémoire.
Faivre resta silencieux. Le portrait correspondait à Turov.
Le capitaine s'assit sur une caisse devant l'inspecteur et lui tendit son paquet de tabac.
Faivre commençait à se reprendre :
- Mais alors, il faut, il faut...
- Nous faisons route déjà. L'homme n'a pas repris connaissance. Tout correspond.
- C'est incroyable !
Faivre voulut se précipiter dehors pour voir le navire.
- Attendez, je ne vous ai pas tout dit...
Le capitaine prit le temps de bourrer sa pipe.
- Pas la peine de courir dehors. Vous aurez le temps de prendre froid avant que le Brise-Lame soit en vue.
- Comment ça ?
- Nous ne croiserons pas sa route avant au moins cinq heures.
- Pardon ?
- Le Brise-Lame est encore à 150 miles de nous. Il en était à plus de 200 quand il a recueilli l'homme.
- Alors, ce n'est pas lui !
Faivre était désespéré, exaspéré. A quoi jouait le capitaine ?
- C'est lui, affirma-t-il.
- A 200 miles de nous ? hurla Faivre.
- Vous, les terriens, vous ne savez pas ce qui se passe au large...
Voilà, il allait lui parler des superstitions de marins, des phénomènes inexpliqués...
- Les choses sur l'eau ne se passent comme dans la Cité.
- Vous allez me dire que Turov a réussi à nager de plus de 200 miles en quelques minutes, ou que les courants ont été assez rapides pour le transporter eux-mêmes ?
- Vous avez besoin de vous calmer, inspecteur.
Faivre se demanda s'il était réveillé, s'il était sorti des hallucinations de l'ivresse.
Le télégraphiste entra timidement.
- Excusez-moi, capitaine...
Il tendait un autre papier.
- Le Brise-Lame, souffla le jeune homme.
Le capitaine lut et le tendit à Faivre.
- "L'homme a repris connaissance, a dit s'appeler Andréï Tarov, ou Turov." Vous vous fichez de moi !
Faivre serrait les poings. La haine lui remontait dans le nez. Le capitaine le regarda, inébranlable. Deux forts marins se tenaient derrière la porte.
L'inspecteur eut un haut le coeur. Encore le roulis, et la fatigue, le vin mauvais. Il courut dehors et se pencha par dessus-bord.
- Dans cinq heures nous serons fixés, dit le capitaine. D'ici là, allez dormir, c'est un ordre. On va vous donner des pastilles contre le mal de mer.
Faivre obéit et s'endormit de plus belle.
- Vous y croyez, vous, capitaine, à un truc pareil ?
Le capitaine montait avec le télégraphiste au poste radio. A ce moment, cet homme fort, rude, eut une moue de faiblesse, de regret, d'amertume, peut-être bien de peur. Il se reprit vite. Le télégraphiste préféra n'avoir rien vu.
- Toi aussi tu peux aller dormir, fiston.
Le second montait à son tour :
- Excusez-moi, capitaine...
Le télégraphiste sentit que c'était important. Il s'apprêtait à partir.
- Capitaine, les hommes demandent des explications.
- Je viens.
Des explications, c'était bien naturel qu'ils en veuillent.
De là à pouvoir leur en offrir...


¤


Les côtes d'Exil étaient en vue quand le Repousse-Écume mit une barque à l'eau. Faivre se pressa d'y descendre. Il sortait du poste de radio, où il avait eu Maréchal, qui commençait sa journée.
- C'est à n'y rien comprendre, je vous dis ! Rien ! Que voulez-vous que je vous dise ! Turov disparaît sous l'eau et on le retrouve 200 miles plus loin !
- Vous êtes certain, demanda Maréchal, que c'est Turov qu'on a repêché ?
- Je vais le savoir sous peu. Le navire est en vue. Je vous rappelle de là-bas.
- Oui, dès que vous pouvez...
Maréchal était sceptique. Il se demandait en fait ce qui se passait chez ces fous de marins. Dans quel état il allait retrouver Faivre après un tel voyage ?

La barque se colla contre la coque. Faivre attrapa l'échelle et monta vivement. Le capitaine l'accueillit, pressé de se débarrasser de cette affaire. Les hommes du bord regardaient l'inspecteur avec un mélange d'espoir et de crainte. Ils voyaient en lui un policier, un médecin, mais aussi un sauveur qui allait éclaircir ce mystère. On était aussi pressé, à bord du Repousse-Écume, de connaître le fin mot de l'histoire. Faivre savait que c'était sur lui qu'allait reposer l'explication de cette téléportation. C'était la médecine rationnelle contre les superstitions de l'océan !
Le médecin du bord serra la main de Faivre en collègue. Ils descendirent dans la petite infirmerie. Le médecin ouvrit la porte. Faivre entra, tendu. Le rescapé dormait sous de grosses couvertures.
C'était bien Turov.
Faivre put respirer. Il s'approcha, lui toucha le front, le palpa.
- Il dort profondément.
- Coma ?
- Sûrement. Il s'est noyé, n'oubliez pas. Il a craché de l'eau plusieurs fois et il était frigorifié.
Ils restèrent en silencieux. Faivre examinait avec précaution Turov, c'était insensé. C'était bien lui. Il y avait plus de six heures depuis que le message était arrivé sur le Brise-Écume. Six heures que Turov était sur ce navire !
- Qui t'a transporté ici ? murmura Faivre. Qu'est-ce qu'il y avait dans cette épave ?...
- Je lui ai fait des piqûres. Il était déshydraté, paradoxalement, comme après un effort intense.
Faivre osait à peine imaginer la réaction de Turov en voyant son arrivée d'air brisée. La panique, la lutte effrénée contre ce scaphandre qui allait devenir son cercueil, au fond de cet épave... Des noyés ressortaient de ce genre d'épreuve à l'état de légumes.
- Pour le moment, on ne peut rien faire de mieux.
- Je le crois aussi, dit Faivre.
Un marin du Brise-Lame attendait dehors. Tout le monde attendait d'ailleurs, le verdict de Faivre.
- C'est... c'est bien lui, dit-il. Tout va bien, donc...
- L'océan nous l'a rendu, murmurèrent les hommes, stupéfaits.
- Je vais rester ici, dit Faivre. Retournez sur le Brise-Lame et avertissez le capitaine.
La crainte superstitieuse qui pesait sur Turov se reportait sur Faivre, qui venait d'accréditer le pouvoir mystérieux du grand océan.
- Je peux utiliser votre radio de bord ?...
- Suivez-moi, dit le capitaine.
Les hommes jetaient des regards inquiets en direction de l'infirmerie.
- Il va bien, je lui ai administré un traitement pour le garder jusqu'à notre arrivée.
Le médecin de bord voulait rassurer, rationaliser ; il ne faisait que renforcer ce sentiment d'un caprice, ou d'un don, des eaux, qui avaient relâché leur proie...

Faivre mit le casque. Les côtes fumantes et brumeuses de la Cité approchaient. La communication passa bien.
- C'est lui, inspecteur, c'est bien lui...
- J'attends de lire votre rapport, croyez-moi.
- Je suis impatient de l'écrire, répondit Faivre, perplexe.
Le policier regarda le navire, le Brise-Lame qui reprenait sa course.
- Vous pourriez me laisser seul un moment ? demanda-t-il au télégraphiste. Affaires policières.
- Oui, bien sûr, monsieur.
Faivre le regarda descendre, parler aux hommes.
"Il a dit qu'il veut être seul."
L'inspecteur ferma la porte et remit les écouteurs. Maréchal s'impatientait :
- Vous êtes toujours là ?
- Excusez-moi, patron. Je m'isolais... Je viens de penser à une chose.
- Dites-moi tout.
- Je vais demander la mise en quarantaine des deux navires.
- Comment ça ?
- Voyons, patron... Vous croyez que c'est le Grand Esprit de l'océan qui a transporté Turov ?
- Je n'en sais rien, inspecteur, demandez-Lui !
- Patron, vous avez bien été averti par ce Continus ?
- Oui. D'ailleurs, nous allons le voir aujourd'hui. Je vous avoue que nous étions un peu secoués hier...
- Ecoutez, ce truc est lié aux saletés qui infectent le sang. D'une façon ou d'une autre !
Maréchal réfléchit.
- Ce Continus a parlé de "temporites".
- Ça colle complètement ! Turov a été transporté dans le temps !
- Holà, dit Maréchal, vous ne croyez pas que vous allez un peu vite !
- Patron, je vous le dis !
- Le grand air ne vous réussit pas.
- Je mets ces navires en quarantaine. Qui sait si l'infection ne s'est pas répandue !
- On n'a pas de preuve que c'est contagieux. C'est d'ailleurs vous qui me l'avez dit, avec vos boîtes de Pétri et le sang de Mélian.
- C'est vrai, c'est vrai, mais un fait si inexplicable... Vous vous rendez compte !
- Oui, ça n'arrive pas tous les jours. Je serai impatient de savoir ce que Turov va nous dire. Il est dans quel état ?
- Il dort profondément.
- Nous allons appeler l'hôpital.
- Je vais appeler les services de DOUANES, patron. Mise en quarantaine.
Maréchal soupira :
- Allez-y. Vous allez vous faire des amis chez les marins. Toute leur pêche va être foutue...
- C'est bien plus grave si on laisse une infection entrer dans la Cité. Je vais parler au capitaine.
- Tâchez de vous montrer ferme. Le marin est ombrageux à son habitude... Votre double autorité de médecin et de policier...
- ... ne sera pas de trop, oui.

Faivre sortit de la cabine.
- Capitaine, je peux vous parler ?
- Bien sûr, passons dans ma cabine.
Faivre baissa la tête en passant devant les marins. Il avait déjà pris sa raclée sur le Repousse-Écume. Il serait heureux s'il échappait à un lynchage sur celui-ci !
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