27-12-2010, 06:34 PM
(This post was last modified: 27-12-2010, 07:07 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #16<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal surveillait la cabine depuis le comptoir, ce qui était plus discret que de déambuler dans la rue.
Il finit son verre, en reprit un autre et admit :
- J'ai demandé de l'aide à quelqu'un...
Il n'était pas honteux d'utiliser un passant, mais il se trouvait que c'était un mime. Maréchal était agacé par tous ses bateleurs.
En ce moment, il était déguisé en statue, juste en face de la cabine.
La scène où Maréchal s'était adressée à lui était croquignolette. L'inspecteur posait ses questions, et l'autre ne répondait qu'avec des gestes et des mimiques.
- Vous avez vu quelqu'un à cette cabine, hier vers quatorze heures trente ?... Vous étiez là ? Oui ?... Alors ?... Ca vous dit quelque chose ?... Un type maquillé ?...
C'était long, et l'autre en profitait pour faire rire la galerie. On se demandait même si Maréchal ne faisait pas partie du numéro. Il prenait des expressions outrées d'homme innocent.
- Arrêtez de faire le malin, avait dit Maréchal, ou bien on va en parler chez les Pandores...
Et l'autre mimait la fuite par une course sur place, puis il se mettait à pleurer en silence.
Bref, il faisait des pitreries mais il allait l'aider. Il demandait par les gestes une cigarette. Maréchal lui en offrait une et il la fumait d'un air d'importance, puis il commençait à espionner avec des airs de gendarme de boulevard, avec un gros air soupçonneux, le front sous la main.
Maréchal recommanda un verre. Morand se retint poliment de sourire aux déboires avec le mime. Il regardèrent dans le vague un moment, la houle des clients qui entraient et sortaient, l'agitation de la rue, les cracheurs de flammes et les équilibristes. Nelly arriva quand Maréchal recommandait une bière :
- Elle est belle la police...
- Qu'est-ce que tu bois ? Tu connais le détective Vinsler ?
Nelly eut un sursaut en voyant le Scientiste.
- Enchanté, détective honoraire Morand Vinsler.
Il lui serra la main et fit un baisemain élégant.
- Bon, finies les mondanités. Morand, vous allez vous poster là-haut, sur la coursive. Vous allez acheter un cerf-volant au vendeur là-bas, le gamin. Vous l'agitez si vous voyez quelque chose.
Maréchal finit son verre, sortit avec Nelly et acheta un cerf-volant à un autre vendeur.
Ils marchèrent ensuite, bras dessus, bras dessous.
- Dis, Antonin, il nous veut quoi celui-là ?
Maréchal regarda le mime : il gesticulait, désignait Maréchal et faisait rire les badauds.
- On se moque de SÛRETÉ ?
Deux Pandores approchaient. Maréchal montra sa plaque.
- On l'embarque !
Ils attrapèrent le mime.
- C'est la cellule de démimement pour toi, ricana Nelly.
- Attendez, dit Maréchal.
Les Pandores relâchèrent leur poigne.
L'autre avait quelque chose à dire. Il désignait un homme qui passait, outrageusement déguisé, avec une grande cape à plume et un masque en bec d'oiseau. Le mime faisait signe que c'était l'homme qu'ils cherchaient. Il se mettait à lui courir après sur place. Les gens riaient, alors que Maréchal prenait l'autre en chasse. Il l'avait déjà perdu. Il vit Morand qui agitait son cerf-volant.
- C'est le Prince Paon, c'est lui, fit Maréchal, c'est Antiphon !
Il monta l'escalier quatre à quatre. Il rattrapa Morand :
- Il est là-haut, il va vers la grande passerelle.
- Couvrez-moi !
Maréchal partit en courant. Il tenait son revolver dans sa poche. Il monta un grand escalier, très raide, alors qu'Antiphon s'engageait sur la passerelle. Maréchal sortit son arme, bondit au-dessus des dernières marches et lui cria de s'arrêter. Il le braquait. Morand et Nelly arrivaient dans l'escalier.
Antiphon s'était arrêté. Maréchal avançait pas à pas. Le vent soufflait. La passerelle se mit à osciller. Maréchal s'appuya contre la rambarde. La structure tremblait de plus en plus fort et Maréchal était pris de vertige.
- Ah non, pas tes tours d'illusionniste avec moi !
L'inspecteur vit la passerelle pencher vers lui. Il s'accrocha aux barreaux, sentit ses jambes fléchir. Le Prince Paon courait sur lui. L'inspecteur évita un coup de canne, mais l'autre frappa sur sa main et lui fit lâcher son arme. Il l'empoigna et le souleva. Maréchal voyait comme s'il avait la tête à l'envers, le vide au-dessus de lui, le ciel sous ses pieds, les danseurs et cracheurs de feu dans le ciel. Morand surgit, tira son arme ancienne et tira. Il érafla l'épaule d'Antiphon. Maréchal retomba, retrouva une orientation normale. Seulement, la passerelle ondulait comme un serpent. Antiphon se protégea derrière l'inspecteur et lui envoya un direct en pleine figure. Morand approchait, visait comme il pouvait ; lui aussi était pris par le vertige.
Antiphon, de rage, projeta Maréchal par-dessus la rambarde. Maréchal se rattrapa au rebord de justesse. Antiphon se cachait derrière un des barreaux. Une balle de Morand siffla. Le Scientiste, étourdi, perdit l'équilibre. Le Prince Paon s'enfuit. Maréchal s'accrochait des deux mains. Il attrapa du pied une échelle de service, déplaça lentement ses mains. Morand arrivait pour le secourir, mais il tournait en rond ; il voyait la passerelle se déformer, monter et descendre. Maréchal lâcha le rebord pour attraper les barreaux de l'échelle. Soudain, elle se déplia en entier, et Maréchal se retrouva en bas, les pieds dans le vide. Nelly se précipitait en courant. Morand s'accrochait à la rambarde, perdu.
Maréchal n'était plus accroché que d'une main. Une autre passerelle, plus petite, passait presque sous lui. S'il lâchait maintenant, il la manquerait et irait s'écraser dans une ruelle. Il reprit l'échelle de l'autre main, montait une jambe pour s'y raccrocher. Quelques passants l'avaient vu, et bientôt, la foule s'arrêta, affolée et le regarda se débattre. L'inspecteur sentait ses bras se raidir.
D'un coup, il lâcha. Le cri de la foule accompagna sa chute. Maréchal sentit le temps se ralentir ; il se sentit flotter dans le ciel nocturne, vit les étoiles. La petite passerelle sous lui grinça et se déforma : il tomba dessus. L'inspecteur, sonné, resta à terre quelques instants. La passerelle se remit en place. Maréchal se releva, consulta sa montre : le SHC était monté à 6 ! Il courut et remonta sur la grande passerelle. Nelly et Morand l'avait vu tomber. Il leur cria de poursuivre Antiphon.
Lorsqu'il reprit pied sur la grande passerelle, le vertige était passé. Il était encore étourdi par sa chute, ce qui ne l'empêcha pas de reprendre sa course. Il traversa tout le grand pont d'acier, qui menait à un quartier de petits immeubles serrés entre des ruelles.
Il s'arrêta au coin de l'entrée. Morand courait vers lui.
- Je l'ai perdu ! Ce quartier est un vrai dédale !
Nelly courait dans une rue à deux pâtés de là.
Maréchal vérifia son arme. Il désigna deux rues parallèles, dit à Morand de prendre celle de droite. Il prit l'autre. Il avança doucement, en observant partout autour de lui. Une concierge le vit et lui désigna la rue de droite. Maréchal y tourna. Des gens venaient vers lui en courant. Maréchal courut de toutes ses jambes ; il y avait une autre passerelle. Antiphon s'y engageait. L'inspecteur était trop loin pour tirer. Il se concentra tant qu'il put sur l'acier : la passerelle trembla ; Maréchal ne put la déformer plus. Antiphon disparaissait dans le quartier suivant. Il courait bien plus vite.
De rage, Maréchal s'arrêta. Il revint sur ses pas pour trouver Nelly et Morand. Il était exténué. Il attendait de reprendre son souffle pour allumer enfin une cigarette. Il se jurait d'arrêter bientôt. C'était l'avant-dernière, voilà !
Il rangea son arme. Il aperçut Morand trois rues plus loin. Il marcha vers lui. Il tourna la tête et vit alors la petite silhouette débonnaire, paisible, du comptable Continus ! Il était là, le client de chez Emma !
Maréchal, rageur, sut que ce ne pouvait être le hasard. Il sentait que quelqu'un se moquait de lui ! Le comptable, son homonyme de VOIRIE, le Prince Paon et ses illusions ! Maréchal s'approcha de lui, sa colère dissimulée derrière une politesse forcée :
- Tiens donc, monsieur Continus... Une expertise dans le quartier ?
- Vous ici ?
Il était surpris, un peu perturbé.
- Je peux vous demander ce que vous faites ici ?
- Mais je sors du travail, naturellement...
- Vous restez tard, dites-moi...
Maréchal avait du mal à se contenir. Continus portait une mallette pleine de documents, dont quelques feuilles débordaient.
Morand arrivait :
- Détective, vous tombez bien.
Maréchal sortit son révolver, sans le pointer directement sur le comptable, qui pâlit néanmoins, devant l'arme et devant le Scientiste.
- Veuillez surveiller cet individu, s'il vous plaît. Continus, ouvrez moi votre chemise. Posez-la par terre et ouvrez... Bien, reculez, maintenant.
Morand tenait son arme en main et conseillait du regard à Continus de ne pas bouger.
- Levez donc les mains.
Maréchal s'accroupit, fouilla sans ménagement dans les papiers.
Il ne trouvait rien que des papiers comptables, enrageai d'avance si l'autre n'était qu'un innocent imbécile, si tout ça n'était qu'une coïncidence stupide !
Il ouvrit des pochettes. Il entendit alors un léger choc. Morand basculait à terre, une fléchette jaune dans la poitrine. Maréchal leva les yeux, attrapa son pistolet dans la poche. Il vit alors que Continus, qui avait les deux mains en l'air, avait un troisième bras qui sortait de sous son manteau ! Et il tenait une armes aux formes archaïques. Éberlué, Maréchal hésita un instant et reçut une fléchette dans le bras. Il se leva, chancela. Tout son bras était engourdi. Continus tira une autre fois, dans son ventre.
Maréchal se plia en deux, et tomba sur le pavé.
Quand Nelly arriva, avertie par les cris du voisinage, elle trouva les deux hommes étendus, profondément endormis. L'homme aux trois bras avait déjà pris la passerelle et disparu dans les rues mal éclairées.
¤
Maréchal se réveilla à peine quand Nelly le fit monter avec Morand dans le ballon-taxi. Il ne tenait plus debout. Il passa la nuit avec le Scientiste à l'hôpital. Ils ressortirent le lendemain. Ils n'avaient aucun poison dans le sang, aucune substance dangereuse.
Faivre les retrouva, leur fit des prises de sang. Les résultats de la veille arrivaient de la Fondation de Morand, déposées à Névise : le premier échantillon, pris pendant la quarantaine, contenait une forte dose de temporite. Un second échantillon, prélevé par Faivre après la piqûre Scientiste, n'en contenait plus.
Il fallut attendre pour Morand et Maréchal. C'est Faivre qui fit les tests lui-même, la Fondation lui ayant déposé le réactif avec les échantillons précédents.
Ils n'en avaient qu'une faible dose, qui avait disparu dans le prélèvement du lendemain.
Turov resta en observation pendant une semaine. Maréchal donna deux jours à Faivre et Morand. Lui-même se reposa, endolori de partout après sa poursuite. Il revoyait la passerelle se déformer sous lui... Même avec la guerre, il n'avait pas tout à fait perdu la main !
Il passa de longues nuits aux rêves incertains. Il essayait de placer sur un échiquier mental Antiphon, les Obre Ignisses, le comptable, les temporites. Ces personnages se mélangeaient en une sarabande grotesque qui virait à la valse endiablée.
Faivre, lui, retourna voir Sélène et passa plusieurs nuits dans sa chambre à fumer de l'opium.
FIN DU DOSSIER