28-12-2010, 02:41 PM
(This post was last modified: 28-12-2010, 05:57 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #17<!--/sizec-->
LES FAUSSAIRES<!--/sizec-->
SHC 2 - RUS 2 - IEI 4 - ATL 2
LES FAUSSAIRES<!--/sizec-->
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Nelly s'était levée la première. Elle préparait le café. Maréchal sortait du sommeil en lisant le journal encore frais de la rue. La radio égrenait en sourdine un vieil opéra. Nelly laissa le café sur le feu, pendant qu'elle passait dans la salle de bains. Maréchal prit la carafe et s'en servit machinalement. Il relut trois fois le même article sans bien s'en apercevoir.
Nelly était ressortait, prête, maquillée. Ses chaussures lui faisaient déjà mal au pied. Elle avait trouvé une place à mi-temps chez Casteljac, le parfumeur.
- Tu sais que ce n'est pas son vrai nom en plus ? En fait, il s'appelle Kaasteljar, il vient d'Autrans... Il essaie de faire passer les vendeuses sous son bureau. Moi, il m'a invité l'autre jour, m'a dit que je travaillais bien. Je lui ai dit : "Merci, monsieur. -Vous avez un peu d'expérience... "- Oui, monsieur, j'ai travaillé au Baz'Mo. C'est là que j'ai rencontré mon compagnon, qui travaille à SÛRETÉ." Il a compris. Il a vu que je ne tombais pas de la dernière pluie. Je peux te dire qu'il a senti qu'il valait mieux pas qu'il m'approche.
- S'il te touche un seul cheveu, dit Maréchal, toujours dans son journal, je lui fais avaler son parfum et les Pandores le balancent à la flotte.
Nelly approuva. Elle prit son sac, fouilla dedans, embrassa Maréchal et partit au funiculaire.
Maréchal s'étira. Presque six heures trente. Il passa sous la douche et alla sans se presser au travail. Il fut accueilli dans l'escalier en fer par l'odeur du bon café de Clarine, bien meilleur que celui de Nelly.
- Bonjour, inspecteur.
Maréchal crut répondre, mais après coup, il ne fut pas sûr d'avoir prononcé un mot. Il prit le courrier, ouvrit quelques lettres au hasard. Faivre somnolait dans son bureau. Maréchal claqua des doigts plusieurs fois. Faivre sursauta :
- Oh, patron !
- Turov va mieux ?
- Pardon ?...
- Turov... Il va mieux ?
- Ah oui, il revient aujourd'hui.
- Bon.
Faivre avait passé la nuit à fumer de l'opium. Il referma un oeil, arriva à se lever de sa chaise.
Morand était à son bureau. Il arrivait invariablement le premier.
- Il ne faut pas faire de zèle, détective.
- C'est une habitude chez moi de ne pas me lever après cinq heures. Sans quoi, je suis décalé.
Maréchal maugréa quelques mots, indistincts même pour lui et alla lire son courrier avec une grosse tasse de café. Clarine alla passer le balai dans le bureau du commissaire.
Turov arriva à huit heures.
- Désolé, je viens juste de sortir. Encore quelques examens...
- Asseyez-vous, détective. J'espère que vous allez bien.
- Oui, c'est bon. Ma carcasse tient encore debout.
On sentait que la plongée l'avait secoué. On n'expliquait toujours pas comment il avait échappé à la noyade.
Maréchal n'avait pas envie d'y penser. Il se leva, appela Faivre et Morand.
- Bon, puisque tout le monde est là...
On commençait à sortir du sommeil. Les mitiers passaient éteindre les lampadaires. Un jour timide se levait par-dessus les vieux palais. Les rues étaient à nouveau vide après le passage des travailleurs.
Tout le monde s'assit devant le bureau de Maréchal.
- Ce ne sera pas de trop de faire le point, dit doucement Maréchal.
- Il faut attaquer sur les Obre-Ignisses, lança Faivre.
Maréchal le regarda sans rien dire.
- Excusez-moi, patron.
- Bien. Donc les Obre-Ignisses, commençons par eux puisque vous y tenez.
"Remontons dix ans en arrière. Nous savons que la famille Phonos, branche de cette corpole, a un fils indigne, Antisthène. Celui-ci est en rébellion contre son père. Il est envoyé à l'école militaire -il y a sept ans. Il ne tarde pas à en être renvoyé. Il erre plusieurs années. Finalement, il y a cinq ans, sa mère, en cachette du père, lui trouve une place sur un navire de pêche de la corpole, le Chevauche-Cyclone. Le bateau coule. Pas de nouvelle d'Antisthène. Mais nous avons des raisons de croire que ce dernier a survécu. Il serait bel et bien Antiphon, le Prince Paon, hypnotiseur ayant poussé le brave monsieur Mélian, cadre chez les Aussame-Nerbois, à tuer un concurrent ainsi qu'un garçon d'hôtel. Antiphon a appartenu, il y a cinq ans environ, à une secte, dissoute au moment où le gourou a été condamné pour attentats à la pudeur.
"Cette secte travaillait sur un livre, Le livre des mille étoiles. Dedans, une prophétie, sur des êtres qui viendront d'ailleurs, de la constellation de la Veuve. Antiphon, qui était le second du gourou, connaît cette mythologie.
"Dans le quartier de Rotor 32, nous découvrons, outre une bande d'anarchistes, des frigos ayant abrité des créatures atrophiées, obligées de vivre dans des combinaisons étanches. Si les combinaisons sont percées, ces créatures meurent. Les analyses de sang révèlent chez elles la présence de monocellulaires inconnus. Les frigos dans lesquels elles s'abritaient proviennent d'un navire de pêche, sans doute le Chevauche-Cyclone sur lequel a travaillé Antisthène Phonos. Voilà donc la boucle bouclée : les deux hommes n'en feraient qu'un. Le Prince Paon serait bien le rejeton indigne des Phonos, donc des Obre-Ignisses.
"Les analyses de sang de Mélian et des créatures confirment, grâce aux amis du détective Morand, la présence de monocellulaires, dont nous apprenons que ce sont des "temporites". Les créatures ont vu leur développement organique ralenti, voire empêché par ces cellules. Ces parasites ont provoqué une atrophie généralisée, des muscles, des os etc.
"En plongeant dans l'épave du Chevauche-Cyclone, le détective Turov est exposé à ces temporites, vraisemblablement contenues dans les frigos qui restaient. Il est victime d'hallucinations, un peu comme Mélian. Les temporites ont peut-être à voir avec les capacités de manipulation mentale d'Antiphon qui, en quelque sorte, pourrait les contrôler.
"Ce qui est certain, c'est que cette affaire tourne autour de la temporite et des Obre-Ignisses.
"Je vous rappelle que le procès de Mélian a lieu dans deux semaines. Si, comme l'inspecteur Faivre, nous le croyons innocent, nous devons nous dépêcher de trouver le coupable présumé, le Prince Paon.
"J'ai oublié quelque chose ?
- Nous savons, dit Faivre, que SANITATION était au courant pour les créatures atrophiées. Le chef du département d'épidémiologie a eu l'ordre de dissimuler les dossiers. Je les ai exigés, et j'ai alors découvert une dizaine de cas semblables : des femmes retrouvées mortes. Toutes dans des quartiers appartenant à la corpole Obre-Ignisses.
Maréchal servit du café.
- Et pour finir, dit-il, nous avons découvert un complice d'Antiphon : Alphonse-François Continus, fonctionnaire de VOIRIE. C'est lui qui m'a averti, mais trop tard, qu'il y avait des temporites dans le Chevauche-Cyclone. Et quand nous sommes allés le voir à son bureau, nous l'avons trouvé mort.
- Tout ça prouve bien, reprit Faivre, qu'il faut s'en prendre aux Obre-Ignisses.
- La mère Phonos m'a avoué avoir eu des contacts avec son fils il y a cinq ans. Par le domestique, j'ai aussitôt appris qu'elle l'avait vu il y a quelques semaines à peine. Elle ment, donc il peut y avoir encore d'autres mensonges derrière.
- Je m'occupe des Phonos, patron.
- A l'école militaire, dit Maréchal, j'ai pris le nom d'un ancien camarade d'Antisthène, un caporal actuellement en poste dans les îles. Je désespère de le voir un jour. Tant pis, nous ferons sans lui.
- Il faudrait savoir d'où venaient les frigos de Rotor 32, dit Turov.
- Vous vous en occupez ? dit Maréchal.
- Des charges pareilles, dit Turov, ça ne se déplace qu'avec le nohodahak. On doit pouvoir retrouver quelle compagnie a transporté des frigos dans un quartier désaffecté comme Rotor 32.
- En effet, dit Maréchal. Alors, on va commencer par là. A vos parlophones, messieurs, nous contactons tous les nohos de la Cité.
On était content de rester au chaud.
Chacun prit un poste. La Cité comptait une dizaine d'entreprises de nohodahaks, ces grosses pieuvres capable de déplacer d'énormes chargements.
C'est Faivre qui trouva la compagnie qui avait amené les frigos à Rotor 32.
- Ils vont passer nous voir en fin d'après-midi.
- Morand, vous avez la réponse pour Continus ?
On attendait que les intelligences-mécaniques donnent la liste des connections chromatographiques du fonctionnaire dans les jours précédents sa mort.
- Pas encore. Cela devrait arriver.
- Vous les rappelez, vous leur dites qu'ils se pressent. Faivre, vous vous occupez de surveiller les Phonos ?
- Oui, j'ai mon idée, ne vous inquiétez pas.
¤
Faivre allait appliquer les méthodes de la Brigade des Rues.
- Tu sais, disait Lanvin, pour démanteler une bande, il ne suffit pas de les surveiller, de faire jouer les indics. C'est long, et plus tu les traques, plus ils deviennent rusés, méfiants, dangereux. Et si tu ne mets pas suffisamment la pression, tu mets en danger la vie des citoyens en les laissant courir. Alors, il faut les briser de l'intérieur. Faut foutre la merde, Faivre, taper dans la fourmilière, les pousser à bout pour qu'ils perdent leurs moyens.
L'inspecteur appela d'une cabine publique la famille Phonos. Il prit une grosse voix rocailleuse :
- Allô, bonjour, je souhaiterais parler à monsieur Phonos s'il vous plaît... Il est sorti ? Très bien, non je rappellerai, merci.
Faivre se laissa le temps de mettre au point son discours. La compagnie de déménagement arriva en début d'après-midi. On vit le gros poulpe enlacer de ses tentacules un des palais et ramper sur le quai avec son cornac en selle. Le cavalier descendit devant la Brigade. De la fenêtre, Maréchal lui indiqua la porte.
- Bonjour, monsieur.
- Bonjour, entrez, inspecteur Maréchal. Merci de vous être déplacé.
- Je prends sur ma pause, monsieur... Je vous ai apporté vos renseignements.
Le type enlevait sa casquette en voyant la secrétaire. Il entra dans le bureau de Maréchal :
- Alors voilà... Pensez qu'un tel déménagement, c'est pas si courant. Trois gros containers à transporter vers ce quartier tout désert...
- Vous avez la date ?
- Tenez, c'était il y a un mois.
- Et le chargement venait d'où ?
- Cet entrepôt, à la sortie de la Vague Noire. C'est dans un coin pour les particuliers... Quand je dis les particuliers, je veux dire surtout ceux qui peuvent se payer des bateaux de plaisance. Pas n'importe quelle clientèle.
- C'est parfait, SÛRETÉ vous remercie.
- Je ne vais pas m'attarder, j'ai deux chargements avant ce soir.
L'inspecteur le raccompagna, puis tendit la fiche à Turov :
- Le port, c'est votre terrain, détective. Allez-y avec Faivre et trouvez-moi qui a fait transporté les frigos. Je vous appelle un ballon-taxi...
Clarine décrocha le combiné et composa le numéro de l'entreprise Corben.
- Mes amitiés au patron, dit Maréchal, qui connaissait bien d'avant-guerre le vieux Théodule.
Sur le quai, les embruns se mélangeaient à la fine pluie qui trempait la Cité depuis la veille. Des cormorans picoraient des restes de poissons. Dehors, c'était vide, tandis que les bistrots étaient bondés. C'était des petites cages lumineuses, embuées, le long du port.
Les policiers trouvèrent les hangars publics à louer. Ils s'adressèrent au gardien :
- Vous savez, messieurs, des déménagements en noho, il y en a tous les jours depuis ces hangars.
- Nous avons le numéro de la section et la date.
- Vous n'avez pas le hangar exact ?
- Non, mais cela devrait suffire. C'était il y a un mois, ça doit être encore dans vos cahiers.
- Bien sûr.
La cahute sentait la cigarette, le chien mouillé, la mauvaise soupe qui restait au feu toute la journée. Il retrouva le nom :
- Antisthène, c'est ça ?
- Quel numéro ?
- Hangar 27-B.
- D'où venait cette cargaison ?
- Attendez...
Les volets à moitié fermées claquaient sur la fenêtre. La lumière verdâtre du bureau semblait mouillée.
- La cargaison venait d'un navire, le Pointe d'azur, un bateau de plaisance...
Il décrivit les caractéristiques techniques.
- Et à qui appartenait ce bateau ?
- A cet Antisthène j'imagine...
- Nous vérifierons.
Ils sortirent de la cabine, retrouvèrent le grand air et se précipitèrent dans un café alors que le vent se levait. De grosses vagues venaient s'écraser sur les jetées, éclabousser les quais.
Turov reconnut quelques anciens collègues parmi les buveurs. Il leur serra la main. Faivre commanda deux grogs.
- Et des jetons pour le parlo.
Turov appela DOUANES.
- Ils ont trouvé le Pointe d'azur. Il appartient aux Obre-Ignisses, il est à la disposition de certains de leurs hauts cadres, pour des sorties familiales.
- Encore eux, dit Faivre, satisfait.
Ils prirent un petit verre d'alcool bien serré. Ils eurent vite le rouge aux joues, dans cette chaude ambiance humaine. On ne pouvait pas se tourner les coudes, tout le monde parlait, du temps, des nouvelles, de la famille, de la mer.
Faivre finit son verre et reprit un jeton.
- Allô, mademoiselle, passez-moi la famille Phonos, quartier de Leclos-Villers.
Il toussa, reprit sa grosse voix de Pandore.
Le père était rentré.
- Oui, monsieur Phonos... Je me dois de vous annoncer une nouvelle bien pénible...
Il ménagea son effet.
- M'entendez-vous ?
- Oui, je vous entends. Parlez.
La voix était dure, coupante.
- Voilà, monsieur, je me présente...
Faivre prit un faux nom, et raconta ensuite comment il avait trouvé un jeune homme dans une ruelle, blessé à la tête. Comment le médecin était arrivé, n'avait pu le sauver.
- Oui, il a été transporté à la Morgue. Pouvez-vous passer, monsieur ? Pour l'identification ?
D'une voix dure, le père dit qu'il arrivait.
C'était cruel mais Faivre n'avait plus de patience avec ces menteurs de Phonos. Le cas des temporites et de Mélian était trop grave.
Mettre des coups dans la fourmilière, remuer la merde...