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Dossier #17 : Les faussaires
#8
DOSSIER #17<!--sizec--><!--/sizec-->

Rotor 17 était en pleine restructuration. Bien avant d'y entrer, Faivre entendit des martèlements. Il vit d'abord des ingénieurs avec des casques de chantier qui désignaient avec de grands gestes la structure d'un bâtiment mis à nu et les poutres entrecroisées de soutien du quartier. Des équipes faisaient des allers-retours avec des brouettes pour dégager un éboulis. D'autres apportaient des sacs de ciments, des poutrelles.
L'inspecteur interrogea les responsables du chantier.
- On est un peu comme vous, on découvre les lieux. Sauf que nous, on va tout changer ici. D'ici un mois, il ne restera rien de ce bordel. On montera une habitation à six étages.
Faivre traversa le quartier, trouva une autre équipe affairée à creuser pour des canalisations. Des mitiers faisaient des relevés topographiques.


Faivre fit le tour du quartier, qui bruissait des chantiers et des transports. Trois nohodahak travaillaient en cadence pour déplacer des briques et on entendait leurs grognements par-dessus les appels des ouvriers.
L'inspecteur vit un bâtiment à l'écart, au bord du vide. Il y avait un long couloir en bas d'une volée de marches. Au bout, une lueur bleue qui grésillait. Faivre tira son arme et avança doucement. Une porte était mal fermée, la lueur filtrait par là. Il entendait un ronronnement de tuyauterie et un bouillonnement.
Quand il entra, il vit une créature dans sa combinaison intégrale de caoutchouc. Elle était dans un bain, reliée à une machine par des tuyaux. Faivre frissonna. Elle recula vers le bord du bassin. Elle était effrayée.
- Du calme, du calme...
Il n'y avait personne d'autre. Faivre rangea son arme.
- Je suis de SÛRETÉ, je suis là pour vous aider... Vous êtes seuls ?
Il n'entendit qu'un bruit étouffé. Il vit son masque respiratoire osciller. Elle faisait oui de la tête.
- Vous comprenez ce que je dis ?
"Oui."
Elle désigna un chromatographe et demandait qu'on lui donne.
- Vous communiquez avec ça ?
Faivre, s'approcha de la machine, sans perdre la pièce des yeux.
- Comment vous appelez-vous ?
Il lui posa le chromato sur le bord du bassin et s'accroupit.
Elle tapa au clavier : "Rachel".
- Bien, Rachel, écoutez-moi... Je dois en apprendre plus sur vous... Vous avez besoin de cette combinaison pour respirer ?
"Oui".
- Vous ne pouvez vivre sans ? Non, hein ?... Vous savez ce qui vous a fait ça ?
"Temporite".
- Qui vous a donné ces combinaisons ?
"Le Prince Paon".
- Vous connaissez son vrai nom ? Non ?... Antiphon ça vous dit quelque chose ? Antisthène Phonos ?...
"Non".
- Il vous a mis dans cette combinaison pour vous protéger ?
"Oui".
- Depuis combien de temps vous l'utilisez ?
"Un mois".
Cela correspondait à la livraison des frigos dans Rotor 32.
- Le Prince Paon vous a-t-il dit quel est l'effet de la temporite ?
"Maladie grave, qui vous détruit l'organisme".
- Depuis combien de temps êtes-vous malade ?
"Trois ans ?"
Faivre entendit du bruit dans le couloir. Il dit à Rachel de se taire, tira son arme. Il s'adossa au mur près de la porte. Il entendit quelqu'un rire. Il se jeta devant la porte. Il avança pas à pas.
- Qui est là ? SÛRETÉ ! Arrêtez !
L'homme s'en allait. Il ricanait toujours. Faivre pressa le pas :
- Stop ou j'ouvre le feu !
Pas de réponse, ce ricanement encore...
Faivre mit en joue, visa et tira. Il entendit un bruit sec, un cri étouffé. La silhouette s'écroula. Faivre courut et s'accroupit : l'homme était tombé face contre terre. Il le retourna et se releva d'un coup, terrifié : c'était Maréchal !
Faivre contempla l'homme, incapable d'y croire. Non, c'était bien Maréchal !
Il entendait le tintamarre des chantiers. Il voulut sortir pour appeler à l'aide. Il courut vers la sortie. Le sol était boueux. Il courait, s'embourbait de plus en plus. Il en avait jusqu'aux chevilles. Il avait dû se prendre dans des branches, il était coincé. Il dégagea sa jambe et vit que la sortie était loin.
Le couloir avait pris une forte pente. Faivre se retourna : le corps de Maréchal avait disparu, mais il y avait une centaine d'hommes indistincts appuyés au mur. Faivre reprit sa course, les murs se liquéfiaient, le plafond coulait comme une boue épaisse, le sol remontait peu à peu ; Faivre, pris au piège comme une taupe dans un glissement de terrain, asphyxiait. Il tendit la main vers le dehors, sut qu'il était sur le point de sortir... Un vague de fond le prit et l'emporta dans un reflux trop puissant et il disparut dans la coulée de boue.

Faivre rouvrit les yeux ; il s'agitait dans le vide, à moitié aveugle. Il se battait contre des ennemis imaginaires. Il était à la sortie du couloir. Il ressortit son arme, furieux, traversa le couloir : il y avait encore les installations mais Rachel n'était plus là. Faivre frissonna : il allait devoir retraverser le couloir !
Il courut ventre à terre et arriva dehors sans problème. Il grelottait et il tremblait de rage en même temps. La suite fut plus confuse. Il criait sur les ouvriers, sur les ingénieurs. Il se jetait sur des ouvriers qui creusaient, il attrapait une pioche, menaçait les gens. Il se voyait comme dans un rêve. Des porteurs de sacs de ciment lâchaient leur charge et arrivaient pour le maîtriser. On l'attrapait, on le plaquait par terre, il se débattait ; on lui passait ses propres menottes. Les Pandores arrivaient, il les insultait, il prenait des coups, était emporté comme un sac de patates, finissait en cellule de dégrisement, cogné de partout.
- Tu vas dormir maintenant, compris, si on viendra t'y aider !
Vaincu par cette voix, et par la douleur, il s'allongea sur le banc. Il se tordait en deux, la tête dans les mains.


¤

Cette même après-midi, Turov et Morand allaient au bureau de VOIRIE et s'installaient au poste de Continus. Le Scientiste fit craquer ses doigts. Il fouilla dans la mémoire de la machine ; il y cherchait les dernières demandes faites. Les connexions avec les Intelligences-Mécaniques prenaient du temps. Personne ne regardait les deux policiers dans la salle ; chacun s'absorbait dans son travail. Le chef de salle, perché sur sa chaise haute, jetait des regards farouches vers ces deux intrus.
- C'est vraiment long, soupira Morand.
- Tu n'as pas un accès privilégié ?
- En tant que policier, je pourrais en demander un pour ce poste, mais cela prendrait des heures je crois.
L'heure tournait, les recherches n'avançaient pas. Turov alla voir le chef, lui murmura quelques mots ; une heure après, un employé, content d'être distrait de sa routine, arrivait pour aider. Il eut un sursaut en voyant le Scientiste. Il se mit quand même au travail, inquiet de savoir dans quel quoi il venait de mettre le doigt.
Une autre heure passa.
- Demandez à ces IM aux indicatifs commençant par 347, ce sont les plus douées souvent.
- Je l'ignorais, dit Morand.
Turov s'ennuyait sur sa chaise.
- Maréchal va nous attendre, dit-il.
Morand se frotta les yeux :
- Vous feriez mieux d'y aller sans moi. J'en ai encore pour longtemps.
Turov n'attendait que cela. Il était pressé d'aller manger et boire à l'oeil. Il monta par le tramway et un grand ascenseur aux Célestes.
Maréchal l'attendait au Grand siècle. Il y avait pris ses habitudes.
- Faivre n'est pas avec vous ? demanda l'inspecteur.
- Ah non, j'étais avec Morand.
- Que peut-il bien faire ? Il est l'heure...
- On boit un verre ici ?
- Non, on boira là-bas...
Turov regarda avec regret les mille bouteilles colorées derrière le comptoir.
Maréchal marchait les mains dans les poches, pressé. Turov se sentait détendu. Il n'était pas un habitué des Célestes, bien au contraire, mais il trouvait amusant toute cette folle agitation, cette débauche de costumes.
- Et Morand ? demanda l'inspecteur.
- Il travaille encore.
- Vous savez où nous allons, là, détective ?
- A une fête pour les gens de SÛRETÉ ?
- Une "fête", ricana Maréchal.

Ils arrivaient devant le palais, où des gens déguisés faisaient la queue. C'était à qui aurait la parure la plus extravagante.
- C'est par ici que vous avez failli avoir le Prince Paon, non ?
- Oui. Mais ce n'est pas le sujet ce soir. Ce qui m'inquiète, c'est l'identité de notre hôte. Maréchal présenta son carton d'invitation : ils coupèrent la queue. Il ne s'en trouvait pas tellement fier, sachant ce qui l'attendait à l'intérieur.
Une très grande salle, avec une piste de danse au milieu. Des tables regorgeant de plats et de boissons tout autour, des tables dans les coins. Un bruit de halle de marché, avec ces dizaines de gens qui bavardaient dans cette pièce spacieuse. Des corpolitains, des ingénieurs, de hauts fonctionnaires, côtoyaient des petits nobles en mal de reconnaissance mondaine. Il devait y avoir un certain nombre de pique-assiettes, et puis plein de gens du monde du théâtre qui venaient trouver des mécènes.
Turov s'approcha du buffet et se fit servir un bon verre de mousseux. Maréchal et lui trinquèrent :
- Nous ne sommes plus en service, après tout...
Turov but, se fit resservir et prit une assiette de légumes et de charcuterie.
- J'ai les crocs...
Maréchal l'avait repéré : l'homme en costume bleu marine, au milieu de vieilles mondaines attifées comme de jeunes cocottes, qui jouait à l'ami de ses dames. Il parlait élégamment, et les trois vieilles dames pas si dignes gloussaient et avalaient de travers. Puis il passait à un autre groupe, serrait des mains, très poli, très élégant. Maréchal le regardait, méfiant, renfrogné. Turov mangeait sans s'inquiéter.
- Regardez, dit l'inspecteur, qui ne pouvait plus reculer le moment de couper l'appétit de son détective. Vous voyez ce type là-bas ?...
L'homme serrait la main à un quarteron de jeunes officiers, qu'on avait lourdement décorés pour avoir pris une déculottée sur Autrelles.
- Si je ne me trompe pas, il doit s'appeler M. Jonson.
- Vous le connaissez ? demanda Turov, la bouche pleine.
- Dans ce comité Arts, Fête et Culture, ils s'appellent tous M. Jonson. Mais ils ne sont pas tous frères.
- C'est une énigme, votre histoire là...
- Ce comité dépend directement, comme son nom l'indique de CULTURE. Ça ne vous dit rien ?
- Euh, vous savez...
Il allait dire "moi et la culture"...
- Je ne parle pas d'opéra, Turov.
Maréchal baissa la voix.
- CULTURE est la branche d'ADMINISTRATION qui, outre qu'elle s'occupe des artistes, est chargée de vérifier la conformité des productions artistiques avec la doctrine de la Concorde Sociale. Raison pour laquelle certains parlent plutôt de CENSURE... Vous voyez où je veux en venir ?
"Cet homme que je vous désigne nous a vus dès que nous sommes rentrés. S'il nous a invités, ce n'est pas pour avoir notre avis sur le drame lyrique. Il fait partie de l'organe de contrôle de nos services. Ce qu'on appelle familièrement OBSIDIENNE.
La fin de la bouchée de Turov fut plus dure à avaler. Maréchal se sentait d'humeur carnassière. Il se fit servir une grosse assiette. Il laissa son collègue, alla faire un tour dans la salle. Jonson finissait de serrer des mains.
Maréchal revoyait les deux précédents, qui avaient fini englués au pied de l'hôtel du Saphir [voir #13]. Il y eut un petit manège entre l'inspecteur et l'agent de CULTURE. Ils évoluaient parmi les groupes. Jonson avait quelques amabilités pour chacun, il promettait une réunion bientôt, de venir à une première... Maréchal finissait son verre. Jonson bifurqua nettement de sa trajectoire mondaine. Il redevenait visiblement ce qu'il était vraiment. Il passa près de Maréchal et lui dit :
- Nous avons à parler. Montez me voir au deuxième.
Maréchal finit son verre. Jonson refit un tour de salle, s'excusa terriblement d'être complètement pris par ses charges.
- Quel personne charmant...
- Et si modeste...
- Si disponible à la fois.
- Si tous les employés d'ADMINISTRATION pouvaient être aussi dévoués que lui à leur mission de service public...
- Savez-vous qu'il m'a promis une aide pour mon club de loto de charité ?
- Une crème je vous dis...
Maréchal prit une poignée de petits fours et deux pâtisseries bien grasses. Il mordit dedans et dit à Turov de le suivre.
Ils se dirigèrent vers le bout de la salle, où un vigile les arrêta, leur demanda de poser leurs armes. Il ouvrit une porte matelassée, derrière laquelle s'ouvrait un petit couloir et un ascenseur. Ils montèrent au deuxième étage. Là-haut, ils furent fouillés à nouveau.
- Arrêtez votre cirque, lança Maréchal.
- Des ennemis de la Concorde Sociale pourrait s'en prendre à nous...
- Vous craignez une attaque de vieilles perruches à coups de tubes de vert à lèvre ?
On terminait de les fouiller.
- Vous pouvez entrer.
Le vigile ouvrit une autre porte matelassée. Maréchal la tapota :
- C'est plus confortable pour les gens que vous collez au mur.
Jonson attendait à l'intérieur, devant une baie vitrée qui donnait sur la grande salle. Les glaçons finissaient de fondre dans son verre.
- Asseyez-vous donc.
Un ton poli avec une nuance cassante. Maréchal se sentait encore plus effarouché que lorsqu'il avait été fait prisonnier chez ces foutus Autrellois.
- Pour une telle réception, je ne pouvais pas manquer d'inviter les clowns de la Brigade Spéciale.
- Trop heureux d'être chez les polichinelles, dit Maréchal.
- Je me demande finalement à quoi sert votre brigade. Vous poursuivez des fantômes. Et quand vous courez après cet Antiphon, il vous échappe et tous les habitués des Célestes rient de SÛRETÉ.
- Vous en savez tellement sur lui, vous l'avez sûrement déjà arrêté. Vous nous invitez pour nous l'annoncer.
- Cet homme est une menace pour l'ordre public. Si cela continue, c'est à dire si vous continuez à lui courir après pour rien, je vais lancer la brigade des rues après lui.
Maréchal aurait considéré comme une humiliation de voir l'Urbaine se mêler à cette traque. Jonson le savait.
- Où en êtes-vous exactement ?
- Nous avons un complice, dit Maréchal, de mauvaise grâce. Il est mort.
- Donc, en somme, rien ?
- Nous avons un homme, Mélian, que TRIBUNAL va déclarer coupable.
- Vous êtes dans la tête des juges ?
- Il va leur falloir un coupable. Or, un de mes inspecteurs croit qu'il est innocent.
- Il a bon coeur. Ce n'est pas une qualité requise pour entrer à SÛRETÉ.
- Si vous n'avez rien pour nous aider, on va vous laisser. On s'en voudrait d'incruster plus longtemps votre soirée...
- Vous allez attraper Antiphon, et vite. D'autant que la vie d'un innocent est en jeu, si j'ai bien compris.
- Vous vous souciez de lui ?
Ils se répondaient du tac au tac. Ils rendaient coup pour coup. Jonson, c'était son travail ; quant à Maréchal, c'était un reste de l'armée, de la captivité. L'habitude d'un climat hostile.
- Ecoutez, Maréchal...
Jonson s'assit d'une jambe sur la table.
- Vous avez une position privilégiée au sein de SÛRETÉ. Néanmoins, vous n'êtes qu'un rouage. Nous ne sommes que des rouages. Nous sommes une pièce au sein de la machine la plus complexe de l'univers. Si nous faillons, la Concorde Sociale est menacée, c'est tout la Cité qui sera "grippée"...
- ... et c'est le chaos, qui menace...
Maréchal l'avait dit ironiquement. Mais il l'avait dit et Jonson en était satisfait.
L'inspecteur se leva, mit son chapeau. Turov le suivit. Ils prirent leurs armes à la sortie et sortirent sans plus un regard à la réception mondaine.
Maréchal alluma une cigarette, une des plus amères depuis longtemps.
- Où est Faivre, enfin ?... Il va m'entendre celui-là !
Les deux policiers prirent un ballon et n'échangèrent pas un mot avant de se saluer sur le quai de Névise.


¤


Maréchal, éreinté, tourna la clef dans sa serrure. Nelly était déjà au lit. Elle lisait un catalogue de meubles anciens. Maréchal regardait ces lectures d'un mauvais oeil. Il la soupçonnait de préparer un mauvais coup.
- C'était bien ta soirée ?
- Merveilleux, dit l'inspecteur en enlevant ses chaussures. J'aime de plus en plus les mondanités.
Nelly regardait attentivement le catalogue, prenait des notes.
- Je regarde pour des ventes aux enchères...
Maréchal se servit un verre. Il avait la tête en coton. Il regarda l'eau qui s'écoulait lentement sur le canal principal, les plantes grimpantes qui frissonnaient dans le vent. Il ouvrit la fenêtre.
- Ferme, il fait froid, dit Nelly, dérangée dans sa concentration.
Deux silhouettes noires attendaient au pied de l'immeuble. Maréchal s'appuya sur le rebord, amusé, les regarda hésiter, se tourner à droite à gauche pour trouver leur chemin.
- Allez vous-en, leur lança-t-il, ou j'appelle la police.
Les deux hommes levèrent les yeux : c'était Morand et son père, le professeur Vinsler. Que faisaient ces deux épouvantails dehors à une heure pareille ?
- Pouvons-nous vous voir ? demanda le détective.
Maréchal referma la fenêtre.
- J'ai du monde.
- C'est une heure pour tes enquêtes ?
- SÛRETÉ n'a pas d'horaires.

Maréchal rangea le séjour. Il ouvrit la porte. Les deux Scientistes retiraient leur chapeau.
- Merci de nous recevoir, dit le professeur.
C'était pour l'inspecteur un plaisir de recevoir ces deux échappés de la tombe !
Il aligna des verres sur la table.
- Que puis-je vous servir ?
- De l'eau pour moi, dit le père.
- Pour moi aussi, dit le fils.
Maréchal les regarda une second avec un petit sourire et alla prendre de l'eau dans la cuisine. Il ouvrit ensuite son placard et en sortit sa bouteille préférée.
- Mettez-vous à l'aise.
Est-ce qu'un Scientiste peut (a le droit ?) d'être à l'aise ? Ne risque-t-il pas une cruelle punition s'il n'est plus raide comme un manche ?
Vinsler posa son manteau sur le dos de la chaise. Il sortit machinalement de son gousset une montre semblable à celle de Maréchal. Ce dernier ne fit pas de remarque, se contentant de sourire pour lui-même. Il se servit un verre. Il remarqua que Vinsler sortait une petite antenne téléscopique du cadran. L'inspecteur n'avait pas cette antenne !
La montre fit quelques tics-tacs. Que cherchait-il ?
- Morand, vous avez votre montre ?
- Oui, père.
- Faites voir...
Maréchal s'en serait voulu de les déranger. Il alla prendre des glaçons. Il n'était pas impressionné le moins du monde.
- Ce n'est pas votre montre que je détecte, dit Vinsler, intrigué. Il y en a une autre dans les parages.
Innocent, Maréchal trinqua :
- A la santé des buveurs d'eau.
- C'est vous qui possédez une montre ?
- Comme tout le monde, non ?
- Puis-je la voir ?
Vinsler avait parlé comme un professeur à un élève. Maréchal dit, poliment, comme une évidence :
- Non.
Vinsler se souvint qu'il n'était pas dans son laboratoire.
- Vous avez une montre "particulière" ?
- Particulière, c'est le mot, dit Maréchal.
Vinsler replia l'antenne. Maréchal nota que sa montre avait quatre cadrans.
- Vous vouliez me parler de quelque chose, ou vous passiez juste boire un verre d'eau ?
Peut-être une coutume Scientiste ? Le verre d'eau à l'improviste !
- Morand m'a parlé de l'enquête que vous menez...
- Oui, elle a notamment trait aux temporites.
Autant aller droit au coeur du problème.
- Vous êtes sûr que vous ne pouvez pas me laisser voir votre montre ?
- Elle a moins de cadrans que la vôtre.
- Je suis étonné que vous en ayez une.
- Une sorte d'héritage.
- Vous savez utiliser cette montre ?
Maréchal vida son verre et dit, avec un large sourire :
- Je sais détecter le syndrome d'hypersensibilité chronique, les remodelages urbains de votre "Fondation" et l'intrusion d'anomalie extralunaires, oui.
Vinsler ne dit rien, mais on le sentit un peu dérouté. Il devait être très méthodique, patient, et Maréchal courait le train.
- Je vois, dit-il.
Dans sa tête, il ne vivait pas encore à l'ère des trams, de l'électricité pour tous, de la vitesse, des journaux, de l'agitation et du progrès !
- Que savez-vous des temporites ?
- Rien, ou si peu, dit Maréchal. Ce que votre fils nous a appris, en fait. Ce sont des monocellulaires qui infectent le sang et provoquent une dégénérescence de l'organisme tout entier.
- C'est déjà bien.
- D'où viennent ces temporites ?
Vinsler marqua une pause et dit :
- Morand, voudriez-vous m'attendre dehors ?
Le garçon mit son chapeau et se leva :
- Allez vous faire offrir un coup chez Gronski, dit Maréchal, c'est encore ouvert.
Morand sortit à regrets. Maintenant qu'il était sorti, l'inspecteur se demanda si Vinsler allait boire un vrai verre.


¤

Il n'en fit rien.
- Vous connaissez donc les trois indicateurs de votre montre. Je me demande bien qui vous a appris cela...
Vinsler n'attendait pas de réponse de Maréchal. Il comptait trouver seul.
- Si j'ai bien compris, il y a trois branches chez vous les Scientistes, dit Maréchal.
Vinsler tiqua au mot de "Scientiste", mais laissa dire.
- Il y a les mécaniciens, les biologistes et les psychologues.
C'est Morand qui avait raconté cela quand il était revenu presque ivre de chez Gronski.
- C'est exact.
- Chaque branche correspond à un des indices. LE SHC pour les psychologues, le RUS pour les mécaniciens, le IEI pour les biologistes. Seulement, vous, vous avez un quatrième cadran à votre montre. Qui est cette branche 4 ?
- D'abord, dit posément Vinsler, il n'y a pas de branche 4.
Maréchal sourit et se resservit.
- Pas de branche 4, hein ? dit-il.
- Non.
Il n'en fallait pas plus pour que le policier fût persuadé de son existence !
- Ecoutez, inspecteur, puisque votre travail vous oblige à affronter les temporites, il est de mon devoir de vous aider. Contrairement à certaines légendes, nos Fondations ont pour but d'aider la Cité.
- Je n'en doute pas, dit Maréchal.
- Bien. Je vais vous aider à repérer la temporite. Je vais vous donner une nouvelle montre, mais j'ai besoin de l'ancienne.
Maréchal posa son verre.
Sa montre... Compagne de ses aventures dans les profondeurs ! Confidente de ses secrets ! Témoin de son passé ! Guide infaillible dans les méandres de la Cité !...
Il la sortit de sa poche, triste. Il la regarda, la serra dans son poing comme un enfant rageur qui ne lâchera pas son jouet. Il regarda résolument Vinsler.
Puis, il se calma et dit, négligent :
- Allez, tenez...
Il la tendit à Vinsler, qui la fit disparaître dans son manteau. Il en prit une autre et la tendit à Maréchal. Elle était un peu plus grosse. Elle avait déjà servi, ce qui lui donnait le charme des objets patinés. Elle n'était pas clinquante comme un bijou neuf. Elle avait du métier, elle en avait vu d'autres...
Elle plut donc à Maréchal.

Il l'ouvrit, comme un gamin ouvre une boîte de chocolat et admira les quatre écrans. Les trois qu'il connaissait déjà, et le quatrième : ATL.
- Réflexion fait, dit Vinsler, je ne dirais pas non à un verre.
- Mais comment donc !
On allait trinquer à ce troc !
Maréchal observait les cadrans, la prenait en main, la soupesait.
Il servit un verre à son hôte et trinqua. Vinsler but son verre.
- ATL ? demanda Maréchal.
- Anomalie Temporelle Localisée.
Les yeux de l'inspecteur brillaient.
- C'est l'effet provoqué par les temporites. Elles brouillent les repères spatio-temporels.
- D'où viennent ces temporites ?
- Elles voyagent sur des courants entropiques.
- Pardon ?
Vinsler soupira. Comment s'exprimer plus clairement ?
- Des perturbations... Comme des courants marins ou aériens. Ces courants traversent notre Cité, notre planète entière. Dans certaines conditions, les temporites, qui voyagent sur ces courants, se matérialisent.
- Certains individus peuvent manipuler ces courants ?
- Vous allez vite en besogne.
- Antiphon en est capable.
- Je ne sais pas qui c'est.
- Tiens donc...
Le Prince Paon était typiquement le genre de personnage sorti du cerveau (et du laboratoire) d'un de ces émules de Heindrich.
- Nous pensons que des courants entropiques puissants sont en approche de la Cité. Ils arriveront avec la prochaine tempête.
- C'est la branche 4 qui les a détectés ?
Les Météorologues de la Temporite ?
- Il n'y a pas de branche 4, dit Vinsler, vous perdez votre temps.
Il n'y en avait peut-être pas, mais Maréchal allait la trouver quand même !
- Il y avait ces courants entropiques dans la carcasse du Chevauche-Cyclone ?
- Je ne connais pas ce navire.
Vinsler se leva et mit son chapeau.
- Le cadran ATL vous permettra de trouver la temporite. Aidez-vous de l'antenne, qui se mettra à vibrer.
Cette montre n'était pas tombé dans les mains d'un manchot !
Vinsler remit son manteau.
- J'espère que vous en ferez bon usage.
Vinsler serra la main de l'inspecteur et descendit. Maréchal le regarda partir sur le quai, faire un signe à Morand qui se réchauffait chez Gronski.
- Il voulait quoi, alors, ton épouvantail ? demanda Nelly.
- Il m'apportait un cadeau...

Maréchal eut un coup de fatigue. Il eut une nuit sans rêve, une nuit de sommeil pur pourrait-on dire, un tunnel noir ininterrompu. Il se réveilla le lendemain, et réalisa alors seulement qu'il s'était endormi d'un coup la veille.


¤


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Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 28-12-2010, 02:00 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 28-12-2010, 02:01 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 28-12-2010, 02:41 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by sdm - 29-12-2010, 12:25 AM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 29-12-2010, 12:49 AM
Dossier #17 : Les faussaires - by sdm - 29-12-2010, 01:02 AM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 29-12-2010, 02:03 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 30-12-2010, 07:50 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 10-01-2011, 09:54 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by sdm - 11-01-2011, 01:12 AM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 12-01-2011, 07:17 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 13-01-2011, 05:42 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by Darth Nico - 13-01-2011, 08:09 PM
Dossier #17 : Les faussaires - by sdm - 16-01-2011, 01:58 AM

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