29-01-2011, 12:28 PM
(This post was last modified: 29-01-2011, 01:17 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Sasuke se mit en route le surlendemain, avec Yojiro, un éclaireur Hiruma et cinq soldats Matsu. Les montagnes du crépuscule n'étaient normalement qu'à une journée de marche ; avec la neige, il fallait compter une bonne journée de plus.
Il faisait un soleil radieux, qui rendait la neige étincelante, crépitante de diamants. Pendant que les soldats avançaient à pied sur les chemins mal dégagés, Sasuke lisait dans son palanquin.
- Rien de tel que le bon air de la campagne, disait-il en s'étirant.
Les soldats approuvèrent avec un enthousiasme forcé. Yojiro regrettait son travail de surveillance du palais Grue. Il était trop bien au chaud dans son restaurant : il fallait bien sûr que les Dieux l'envoient marcher dans la campagne glaciale !
Il avait laissé sa place à Yatsume :
- Surtout, si tu vois qu'Ikue sort, ou si tu entends qu'elle est emmenée ailleurs dans le palais, tu devras prévenir aussitôt Mitsurugi.
C'est Yatsume qui était heureuse de reprendre ce travail !
Elle ignorait que Yojiro avait aussi demandé à un rônin du clan du Loup de la surveiller !
Yojiro en avait informé Mitsurugi :
- Comme ça, Ikue est surveillé, et Yatsume aussi.
- Cette ville est un vrai nid d'espions.
- Tout le monde surveille un peu tout le monde, oui. L'époque est à la méfiance...
- Je me demande où Sasuke veut t'emmener.
- Il n'y a rien dans ces montagnes à l'ouest. Rien que des mauvais esprits.
- Des mauvais esprits ? dit Mitsurugi, ils fuiront en voyant Sasuke...
Ils passèrent leur première nuit hors de la Cité dans un village minuscule, où il y avait tout juste un relais pour voyageurs et quelques maisons.
Les gens vinrent servir les samuraï, intimidés.
- Yojiro, demande-leur s'ils ont entendu des choses bizarres sur les montagnes du crépuscule.
Le rônin se dit que lorsque Sasuke avait une idée dans la tête, il ne l'avait pas ailleurs ! La réponse était évidente, mais Yojiro la posa tout de même :
- Non, seigneur, nous n'avons aucune nouvelle. Il n'y a presque personne dans ces montagnes. Des esprits très puissants y logent et personne n'osent les déranger.
Ils passèrent une nuit paisible. Ils partirent tôt, alors que le soleil perçait à l'horizon. Dès qu'ils eurent quitté les petits chemins, ils furent assaillis par des violents qui tombaient de la montagne. Ils avancèrent une heure, frappés par la neige.
- Nous ne pouvons pas continuer plus longtemps, dit l'éclaireur. Une avalanche peut se déclencher à tout moment. Je connais un village abandonné pas loin d'ici, il y a encore quelques bâtiments debout, nous devons nous y réfugier.
Yojiro transmit le message à Sasuke. Le groupe bifurqua ; au bout d'une heure, ils arrivèrent dans un hameau fantôme.
- Il va falloir trouver du bois, dit l'éclaireur.
- Cassons une de ces vieilles bicoques, dit un Matsu.
- Bonne idée, dit l'éclaireur.
Sasuke entra dans la maison la plus solide, pendant que ses hommes allèrent abattre un pan de mur. Ils trouvèrent une hache de bûcheron. Ils trouvèrent même une réserve avec quelques bûches et un billot. Un Matsu commença à fendre le bois pendant que les autres accumulaient les planches.
On entendit un sifflement et un bref cri : le Matsu qui coupait le bois avait laissé tomber sa hache et s'effondra, une flèche dans la gorge. Les autres sortirent aussitôt leurs sabres. Trois autres flèches volèrent et deux Matsu tombèrent, frappés au coeur.
Sasuke se mit à couvert, rejoints par les autres.
Le vent venait de retomber. On n'apercevait aucune silhouette. Les deux porteurs du palanquin étaient terrifiés.
- Vous, restez là, dit Sasuke aux soldats. Yojiro, tu viens avec moi.
Le rônin courut le premier jusqu'à la bicoque d'à côté, et s'y mit à couvert. Il dit à Sasuke qu'il surveillait. Les deux Matsu encochèrent leurs flèches et couvrirent la course du shugenja. Il y avait un petit bois à la sortie. Yojiro courut jusqu'à une grange en ruine. Il vit plusieurs hommes en armes dissimulés derrière des arbres. Sasuke le rejoignit et s'accroupit.
Yojiro dit qu'on pouvait les prendre à revers.
Ils sortirent de la grange et coururent vers un ruisseau glacé, se cachèrent derrière d'un talus. Les hommes sortirent du bois. On vit d'abord sortir leurs museaux :
- Des Nezumis, murmura le rônin.
- Ça n'habite pas dans l'Outremonde ces bêtes-là ?
- Normalement, si.
Les Hommes-Rats avaient des tatouages et des marques de scarification. Les Nezumis se postèrent à l'orée du bois. Ils n'étaient plus qu'à quelques bâtiments des Matsu, de l'éclaireur et des porteurs, barricadés dans la maison. Sasuke et Yojiro coururent le long de la rivière. Au moment où les Nezumis sortirent en courant, le vent se leva violemment, projetant de la neige, couvrant leur avancée.
- Quelqu'un provoque cette tempête, dit Sasuke.
Yojiro remonta du lit de la rivière et se plaqua dans la neige. Il attendit que les Rats soient bien sortis du bois. Il étaient trois. Il devait y en avoir d'autres restés en arrière. Le vent soufflait contre les Nezumis. Yojiro arriva derrière eux ; pendant ce temps, Sasuke courait vers le bois. Il vit que deux Rats, cachés derrière un tronc, encochaient. Ils avaient Yojiro ; ils allaient siffler pour prévenir leurs camarades. Sasuke invoqua son sabre de feu et les abattit coup sur coup. A ce moment, Yojiro se relevait, courait et prenait les autres Nezumis par surprise. Une brève mais violente escarmouche s'en suivit : le rônin transperça le dos du premier, tomba avec lui dans la neige. Les deux autres frappèrent mais leurs lames frappèrent leur congénère agonisant. Yojiro roula sur le côté et sectionna les jambes du second ; il évita un coup fatal et lacéra le ventre du dernier.
Il les acheva en vitesse.
Les Matsu barricadés avaient vu et se précipitaient à l'aide du rônin.
Sasuke avançait dans le sens du vent ; il sentait les esprits du Vent en colère, enragés de devoir hurler. Les Lions arrivaient dans le bois ; ils firent face à deux autres Nezumis, qui tombèrent d'une branche.
- Matsu !
Ils hurlèrent et expédièrent au royaume des morts ces caricatures d'hommes.
Sasuke vit la source du vent : une femme exécutait un rituel aux esprits de l'Air. Le shugenja la reconnut : elle avait la peau foncée, des ongles violets, toutes sortes de colifichets autour du cou. Elle ne devait pas connaître tellement la neige, car elle vivait d'habitude dans les îles de la Mante. C'était cette sorcière qui lui avaient échappé sur l'île des flibustiers. Cette sorcière au service de Nuage !
Sasuke jaillit de derrière son arbre, son poing enflammé et lui envoya une boule crépitante. Frappée en pleine poitrine, elle s'écroula dans la neige. Elle hurlait, se tordait de douleur, suffoquée.
Sasuke courut, invoqua son sabre et lui plaça sur la gorge :
- C'est Nuage qui t'envoie ?
Elle gémissait. Sasuke appuya, lui brûla la peau :
- Oui, oui...
- Qui sont ces Nezumis ?
- ... les ai pris à mon service... Nuage les a hypnotisés...
Sasuke lui trancha la gorge.
Yojiro, les Matsu et l'éclaireur sortaient du bois.
- Nous sommes sur la bonne piste, dit le shugenja.
Ils avaient perdu trois hommes. Le soir, on hissa les corps sur un bûcher. Sasuke y mit le feu et récita les prières rituelles. Ils regardèrent les corps partir en cendres, tandis que, dans le bois, les corps des Nezumis et de la sorcière étaient ensevelis par la neige.

Yatsume avait passé une journée dans l'auberge. Yojiro lui avait dit qui étaient les bons indicateurs et lui avait laissé de l'argent pour ses faux-frais.
Elle commençait sa deuxième journée de surveillance, tôt le matin. Le patron avait compris qu'elle avait devenir une habituée. Il lui apporta un gros bol de soupe.
- Merci, dit Yatsume, qui avait le nez rouge.
Elle grelottait. Elle était la première arrivée dans le restaurant encore froid. Elle s'approcha du feu et y mit son manteau à sécher. Avishnar et Yutsuko dormaient encore quand elle était partie. Elle se cala contre le mur et s'apprêta à finir sa nuit.
Un serviteur qui venait de chez les Grues entra dans le restaurant, agité.
Il vit cette rônin qui remplaçait Yojiro.
- Hé toi ?
Yatsume ouvrit un oeil de mauvaise grâce. Le serviteur la secouait :
- Enlève tes pattes de là, toi !
Elle saisit son yari.
- Pitié, pitié, pitié, dit-il à voix basse. Je viens vous prévenir... La fille, elle va sortir !
- Quoi ?
- Elle part, elle part, elle part...
- Où ça ?
- Les gens du shinsen-gumi, dit-il, vraiment tout bas, ils vont l'emmener.
Yatsume grogna un juron, se leva et prit ses affaires. Elle n'avait que trois rues à traverser pour arriver chez les Lions mais elle devait faire vite. A cette heure-ci, Mitsurugi serait à peine levée, et le shinsen-hgumi le savait, qui en profitait en opérant aux aurores.
Yatsume tourna au coin de la rue, la porte des Lions n'était plus qu'à une centaine de pas. A ce moment, un tueur, embusqué dans une ruelle, encocha une flèche et tira sur elle. De l'autre côté de la rue, dans une autre ruelle, Kokamoru, qui la surveillait aussi, poussa un jeune serveur qui sortait les ordures sur Yatsume. Il la bouscula, la renversa. La flèche siffla au-dessus d'elle et vint se ficher dans le mur.
Yatsume roula par terre avec le garçon ; elle poussa un juron affreux et attrapa le pauvre garçon par le coup ; le pauvre ne pouvait rien dire. Yatsume, trop pressée, le rejeta, se releva. Elle vit alors la flèche plantée juste dans le mur. Prise de vertige, elle regarda les rues encore vides, et reprit sa course.
Le tueur, voyant son coup raté, jeta son arc et s'enfuit. Kokamoru surgit au coin de la rue et lui trancha la tête.
Le Scorpion rangea son sabre et s'en alla.
Yatsume arriva au palais et fit prévenir Mitsurugi. Celui-ci faisait ses exercices du matin. Il les arrêta et, sans prendre le temps d'un bain, s'habilla à la diable, enfila son daisho et courut rejoindre Yatsume.
- Ils vont l'emmener !... En chemin, j'ai failli y passer, si un garçon ne m'avait pas...
Mitsurugi n'avait pas le temps d'écouter. Il prit trois hommes avec lui et partit à une cadence martiale vers le palais des Grues.
- Non, non, elle ne va pas partir par là...
C'était le serviteur, mort de peur, mais qui espérait bien une récompense.
- Par où s'en vont-ils ?
Mitsurugi s'était adressé directement à lui.
- La porte nord !
- Allons !
Les Lions prirent au plus court. Ils finirent au pas de course. Les premiers paysans entraient, quelques charrettes. Mitsurugi, essoufflé, s'adressa au sergent :
- Salutations à vous.
Le sous-officier reconnut le fracassant ambassadeur des Lions !
- Seigneur Mitsurugi !
Les Crabes s'inclinèrent devant lui.
- Merci, très bien...
On n'avait pas le temps pour les politesses en règle !
- Vous n'avez pas vu passer un palanquin du shinsen-gumi ?
Mitsurugi retrouvait son souffle.
- Personne aujourd'hui, seigneur.
- Seigneur, regarde !
C'était un des Matsu. Mitsurugi se retourna : le palanquin du shinsen-gumi ! Avec une escorte de trois de ces chiens du Gozoku, et trois Kakita !
Le sang de l'ambassadeur se mit à bouillir : ils avaient à leur tête l'ignoble Otomo Jukeï !
Ce dernier ne parut pas surpris le moins du monde de trouver son ennemi en travers du chemin.
Mitsurugi fit craquer ses poings derrière son dos. Il dit à ses hommes de rester devant la porte.
- Que se passe-t-il ? demanda le sergent Crabe.
- Rien du tout, dit sèchement le Matsu.
L'ambassadeur fit deux pas en avant. Otomo Jukeï s'arrêta le premier. Les deux hommes se saluèrent.
- Un départ bien matinal, capitaine.
- Je ne quitte pas la Cité moi-même. Je ne fais qu'escorter mes amis du clan de la Grue jusqu'à cette porte.
- Ils craignaient d'être attaqués en ville ?
- Vous-même, que faites-vous de si bonne heure, loin de votre palais ?
- Je crois que je connais la personne qui se trouve dans le palanquin.
- Et quand bien même ?
- Je manquerais à toute politesse si je ne lui souhaitais bon voyage et si je ne m'informais pas d'où elle va. D'où elle est emmenée, plus exactement.
- Nul ne vous tiendra rigueur de ne pas lui dire au revoir. A présent, mes amis Kakita aimeraient passer, car ils ont une longue route à faire jusqu'à chez eux.
- Vous me permettrez, évidemment, de simplement la saluer ?
- Je ne sais pas si cette rue est le lieu pour ce genre de cérémonie. Dites seulement à vos hommes de faire quelques pas de côté, que nous puissions passer.
Les trois Kakita et les trois soldats de Jukeï étaient sur leurs gardes. Ils ricanaient. Ils avaient été prévenus.
Mitsurugi n'avait pas encore mangé. Il aurait bien fendu la tête de ces Kakita pour se mettre en appétit !
Il fit un effort sur lui et dit simplement :
- Je souhaite juste saluer la personne qui se trouve dans le palanquin. Je ne vous retarderai pas.
Jukeï dit simplement :
- Très bien, allez-y. Je m'en voudrais d'empêcher un Lion d'être poli.
Mitsurugi fit un petit salut, passa à côté de Jukeï, qui regardait droit devant lui et s'approcha du palanquin. Les Kakita se tenaient à quelques pas. Mitsurugi ne leur adressa pas un regard. Il s'agenouilla devant le palanquin.
- Je venais simplement vous dire au revoir.
Il entendit des pleurs retenus. Une main sortit et écarta le rideau. La délicate main d'Ikue.
- Je vous en remercie, monsieur l'ambassadeur. Je suis touché par votre geste... Je suis flattée que vous vous soyez déplacé.
- J'ignorais ce départ, qui me paraît précipité.
- Hélas, je dois retourner voir une vieille tante qui se meurt, dans ma famille. Je resterai un moment auprès d'elle.
- Je vous adresse mes condoléances. Où habite-t-elle ?
- Un petit village charmant où j'ai passé mon enfant... La Cité des Mille Cerisiers.
Les Crabes avaient fini d'inspecter les papiers de voyage fournis par Otomo Jukeï.
- Tout est en règle, dit ce dernier. Les Kakita avancèrent de quelques pas. Mitsurugi se releva lentement. D'un coup, il saisit fermement la main d'Ikue, écarta les rideaux. Celle-ci se recula, cacha son visage en pleurs. Mitsurugi lui tint la main, l'obligea à le regarder :
- Je viendrai te chercher.
Il la regarda dans les yeux.
Un Kakita s'approcha pour refermer le rideau. Il regarda Mitsurugi avec un visage de marbre. Notre héros lâcha la main d'Ikue.
Il salua le Kakita et recula. Il fit signe aux Matsu de s'écarter du passage.
Le palanquin avança, traversa la porte nord et partit sur le chemin enneigé, escorté des trois Kakita. Et ainsi partit Ikue, comme un flocon de neige.
Mitsurugi serrait les poings. Otomo Jukeï s'en allait.
Au bout de la rue, l'ambassadeur fit le vieux Doji Onegano, qui arrivait, pressé, qui comprenait qu'il arrivait trop tard. Otomo Jukeï passait à côté de lui, le saluait à peine.
Doji Onegano vit que Mitsurugi était là, comprit qu'il avait fait face, et ne dit rien.

