29-07-2011, 04:06 PM
(This post was last modified: 29-07-2011, 06:25 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Une veillée mortuaire fut organisée pour le daimyo des Akodo. A la lueur des mauvaises bougies que le vent menaçait à tout moment de souffler, des centaines de samuraï défilèrent devant le corps. Il semblait que les flammes vacillantes révélaient les vrais sentiments que ni le maquillage ni l'habitude de l'hypocrisie ne pouvaient plus cacher chez les courtisans. Il avait été décidé dans l'urgence que ce serait le daimyo des Ikoma qui prendrait la tête du clan, d'ici à ce qu'un nouveau Akodo soit choisi. Le daimyo Ikoma refusa cependant et laissa sa place au daimyo des Kitsu, qui était un vieillard paisible, très étranger à la guerre. Cette solution convint pourtant à tout le monde car Kitsu Itsoji ne ferait aucune difficulté pour passer la main. A ce moment, les Lions étaient loin de se douter de ce qu'allait, plus tard, leur coûter le choix de ce vieil homme...
Hanteï Tokan se présenta au nom de Hanteï Norio devant le cercueil du successeur d'Akodo le Borgne. Le capitaine Jukeï était là aussi, auréolé du peu de gloire que la dernière victoire contre Akuma lui avait apportée.
Les Akodo annoncèrent qu'ils respecteraient au moins une journée de trêve. Iks ne pouvaient faire moins, même en considérant l'urgence de la situation. Dans des circonstances normales, ils auraient exigé au moins une semaine de recueillement et de trêve. La menace étant si grande au nord ou au sud, ils étaient prêts à repousser au printemps les véritables célébrations de la mort de leur chef. Ainsi donc, si les Akodo ne se battaient pas, c'était presque tout le clan du Lion qui se retrouverait paralysé. Plusieurs Grues ricanèrent, et durent en rendre compte en duel. Quelques Scorpions aussi moquèrent cet attentisme. L'ambiance devenait de plus en plus lourde.
Le gros juge Otomo Kempô, qui était secrètement réputé pour sa lâcheté physique (il était toujours entouré d'une soldatesque impressionnante dès qu'il sortait hors des quartiers nobles) suait malgré le froid, répétant :
- Ah, que cette cour d'hiver se termine bientôt !
- Nous allons honorer jusqu'au bout l'Empereur et sa venue ici, lui répondit son ami le maître de cérémonie Seppun Tokugawa, mais oui, vivement que nous retrouvions la Cité Interdite !
Hanteï Tokan discutait avec l'Inquisiteur Tadao, et lui glissait :
- Regardez tous ces lâches qui prendraient leurs jambes à leurs cous s'ils en avaient l'occasion ! Ils détaleraient comme des lapins, prêts à traverser vos terres de jour et de nuit, sans arrêt, pour s'éloigner le plus possible de la Muraille.
- J'espère que certains reviendront plus aguerris de cette cour, grommelait l'Inquisiteur Tadao. Mais je dois déjà ceux qui n'en reviendront que plus lâches.
- Ce ne sera pas le cas du jeune Doji Suzume, dit Tokan. On dit qu'il a le shinsen-gumi après lui, après s'être enfui de chez son père.
- Ils se sont réconciliés, et je crois que pour le moment, le shinsen-gumi est prêt à oublier cette affaire, dit Tadao. Même ces mercenaires sont prêts à comprendre que le combat contre les démons est plus important que de s'en prendre à un jeune samuraï honorable. A propos, des nouvelles de sa soeur ?
- Non, dit Tokan. Mais tous les bruits courent à son sujet. D'aucuns disent qu'elle n'est pas partie mais qu'elle a été mise au secret par le capitaine Jukeï. Les mêmes disent que c'est une ruse du capitaine, pour attirer Mitsurugi dans un piège.
- Il irait délivrer la belle et se ferait attraper, hein ?... Décidément, je préfère combattre les démons. Avec eux, au moins, il n'y a pas d’ambiguïté. Ils ne font pas semblant de défendre l'Empereur... L'avez-vous récemment d'ailleurs ?
- Pas depuis quelques jours, à la vérité.
- Je comprends que la santé de votre maître doit vous occuper en permanence. Je prierai pour ce noble Hanteï Norio, témoin d'une époque belle et bien révolue, dit l'Inquisiteur.
Comme le capitaine Jukeï arrivait, les deux hommes décidèrent que l'ambiance devenait beaucoup trop malsaine et regagnèrent leurs appartements. On reconstruisait déjà la tour abattue par le boulet des barbares.
Ce même jour, l'ambassadeur Akodo avait invité son collègue Mitsurugi à prendre le thé.
- Je reviens de chez les Bayushi, dit-il à notre héros. Autant vous dire que l'accueil a été glacial.
L'ambassadeur faisait référence à un incident survenu à la fin de la dernière bataille. Au moment où le daimyo Akodo avait été frappé d'une flèche, il se trouvait tout près du général Matsu Kokatsu qui, de rage, avait accusé les Scorpions d'avoir gêné l'avancée des Lions par leurs manoeuvres, et les avait dans la foulée accusé, plus qu'à demi mot, d'être responsable de cette mort. Comme il était hors de question que le bouillant gouverneur de la Cité des Apparences aille demander pardon devant les Scorpions, c'est l'ambassadeur Lion qui avait préféré prendre les devants pour arrondir les angles.
- J'y suis donc allé de toutes les politesses devant le seigneur Bayushi Tangen.
- Vous avez dû passer un moment délicieux, dit Mitsurugi en soufflant sur son thé.
- Je ne vous le fais pas dire. J'aimerais mieux mettre le pied dans un niveau de vipères. Je saurais au moins à quoi m'attendre. Alors que là !...
- Ils vont faire les menaçants, dit Mitsurugi, mais s'ils étaient si forts, ils n'auraient pas besoin d'être si rusés ! Voilà la vérité, dit fermement notre héros. Quand on a les moyens de ses paroles, on n'a pas besoin d'insinuations. Les Scorpions doivent toujours s'y prendre de biais car l'attaque frontale leur serait mortelle.
- Je comprends ce que vous voulez dire, mais je crois que le seigneur Tangen reste quelqu'un de très dangereux. Peut-être plus que son maître, car lui tire les ficelles. Je crois que c'est lui, le vrai maître des secrets dans cet Empire et qu'il trie les informations qui parviennent à Bayushi Atsuki. Alors que lui sait tout. Il jouit d'un prestige inimaginable chez les Bayushi, et même dans les autres familles Scorpions. Même les Doji l'admirent, sans le dire. Mais ils l'admirent.
"Cela va bien au-delà du respect pour l'adversaire. C'est une fascination, une, comment vous dire ?...
- Ces gens se laissent facilement berner par de belles paroles et des costumes inquiétants. J'ai appris à voir au-delà de ça, dit Mitsurugi, toujours confiant.
- Vous êtes d'ailleurs, dit l'ambassadeur un ton plus bas, l'un des seuls à inquiéter la clique de Tangen.
- Sûrement, sûrement, fit Mitsurugi, qui y voyait là son principal titre de gloire : ennemi en chef du Gozoku ! Comment s'est terminée l'entrevue ?
- Par respect pour notre deuil, je pense que les Scorpions passeront l'éponge pour cette fois. S'ils devaient s'en prendre à tous ceux qui les injurient à tort et à travers...
- On ne calomnie jamais assez les Scorpions !
Mitsurugi dit qu'il irait annoncer la bonne nouvelle au général. Comme celui-ci était occupé, il retourna dans son cabinet de travail, où Sasuke l'attendait. Il avait encore son air de conspirateur.
- Quelle idée as-tu encore ourdi ? demanda notre héros à son ami.
Sasuke prit son visage le plus sérieux et dit :
- J'ai la conviction qu'Akuma est venu pour moi.
- Tu n'as pas l'impression de tirer un peu la couverture à toi ?
- C'est à moi qu'il en veut. Il cherchait l'Oeil de l'Oni...
- Et ensuite ?
Mitsurugi ne voyait que trop où son ami voulait en venir.
- Je dois sortir l'affronter.
- Et braver la trêve des Akodo ? T-t-t, pas question.
- C'est la trêve des Akodo, comme tu l'as dit.
Mitsurugi leva les yeux au ciel. On aurait dit un adolescent qui réclame la permission de sortir avec ses copains.
- Nous n'allons pas fâcher les Akodo. Je te signale que leur ambassadeur vient d'arranger les choses pour le général Kokatsu.
Mitsurugi sut que Sasuke n'écouterait même pas cet argument. Il se demandait surtout si le shugenja avait bien compris qu'il faisait partie du clan du Lion ! S'il ne se croyait pas encore chez les Phénix ! Ou pire : s'il ne pensait pas qu'à lui-même !
- Akuma va profiter de cette journée pour refaire ses troupes !
- Et alors, dit Mitsurugi, la bataille n'en sera que plus belle.
L'argument, là encore, n'atteindrait pas le shugenja.
- Je ne veux pas que tu y ailles, dit l'ambassadeur, car nous sommes déjà suffisamment divisés ! Nos ennemis n'attendent qu'une chose, c'est que nous nous entre-déchirions. Et je veux que tu gardes tes forces contre Nuage et ses complices !
Mitsurugi sentit qu'il était déjà plus persuasif.
- Akuma est un démon, il y a des Inquisiteurs pour le détruire. Ils se feront un plaisir...
- Je peux y aller seul, s'empressa d'ajouter Sasuke.
- Pas avant demain !
- Demain alors.
Mitsurugi soupira : un vrai gamin ! Il ne fallait pas lui en promettre !
- Tu n'iras pas seul. Je viendrai, et nos meilleures troupes avec nous. Si vraiment c'est à toi qu'Akuma en a... nous éviterons une bataille sanglante.
Sasuke n'écoutait déjà plus. Il dit qu'il devait aller se préparer !
Mitsurugi se frotta les yeux, lassé et ordonna qu'on lui apporte des danseuses, des musiciennes et du saké.
- C'est la cour d'hiver après tout ! Amusons-nous !
Il sentait qu'il serait bien le seul ce soir, à rire dans son coin. Il n'avait pas envie de se mêler à la plupart des trouillards qui ne fermaient plus l'oeil depuis qu'Akuma menaçait la ville. La fête ne dura pas longtemps pour lui. Fatigué, il congédia au bout d'une heure toutes ces belles artistes et rejoignit seul son lit.