Thread Rating:
  • 0 Vote(s) - 0 Average
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
#13
#5
Ce résumé était fait sur un seul long message, et je viens de voir que toute la fin a été coupée lors du changement de forum Totoz
Bon, heureusement, j'ai une copie du texte, je vais pouvoir remettre la fin.

Mais si ça a coupé sur d'autres longs posts dont je n'ai pas la copie, est-ce que tu as des back-up de l'ancien forum, Seb ? Mellow

Je remets la fin ci-dessous.



L’inspecteur est paralysé par la peur. Penthésilée l’attrape par la manche. Les créatures avancent résolument, sans courir. Maréchal voudrait crier, mais le monde est devenu vide et silencieux. Nelly le traine aussi vite qu’elle peut. Ils se retrouvent acculés au mur. Une centaine de ces ersatz d’hommes s’approchent. Ils sont tous identiques, avec leurs visages inexpressifs, leurs petits yeux noirs. Maréchal se plaque contre le mur. Il voudrait s’enfoncer dans la matière. Penthésilée se jette sur les monstres. Elle frappe dans le tas, elle en projette plusieurs à bas de la corniche. D’autres arrivent, toujours plus nombreux. Maréchal n’entend pas, ne voit plus. Nelly commence à être débordée, il la voit danser parmi les spectres, de plus en plus lentement. Il s’appuie sur le mur, qui s’ouvre d’un coup. Derrière un couloir. Ils y entrent en courant. Le mur se referme derrière. Les créatures le défoncent à coups de poings. Elles passent par-dessus les décombres et les unes par-dessus les autres, elles s’entassent, rampent, se relèvent, se gênent, avancent en tas.
Maréchal et Nelly s’enfuient. D’autres murs s’ouvrent. Maréchal se remet à voir en couleurs négatives. Il est ébloui par la noirceur. Les murs s’ouvrent les uns après les autres. Un dernier couloir tout droit, immense, s’ouvre à eux. Au bout, une cabine d’ascenseur éclairée. Maréchal voit la lumière éblouissante avancer vers lui. C’est Nelly qui le tire encore, qui l’appuie sur son épaule et accélère. Les voilà entraînés comme à jamais dans un tunnel noir. Il a refermé plusieurs murs mais les créatures les fracassent. Ils tombent à genoux dans l’ascenseur. Penthésilée sort une grenade de sa cuisse. Maréchal se relève et appuie sur le bouton. Ils démarrent et sentent la grenade exploser sous leurs pieds. L’ascenseur monte très vite. Maréchal se remet à voir normalement.

Portzamparc et Kassan sont dans les couloirs du faux métro de Heindrich. Des créatures les assaillent. Ils se sont mis dos au mur et vident leurs pistolets sur ces choses inhumaines. Une dizaine git à leurs pieds. D’autres hésitent. Ils rechargent dans la précipitation et ouvrent le feu sur les autres. Elles s’abattent mollement.
L’ascenseur ralentit. Les portes s’ouvrent.
Il pleut, il vente. Une ruelle ordinaire. Maréchal et Nelly avancent pas à pas. Un quartier endormi Des nuages torturés s’étirent dans le ciel, qui ont avalé les étoiles. Forge disparaît derrière une masse noire et compacte de ces nuages. La fine pluie tombe et chante comme du cristal en frappant le pavé. L’hôtel Saphir, dans le quartier de Karel Kapek, est une construction monolithique, plus d’une vingtaine d’étages, des centaines de chambres, toutes identiques.

La façade est sombre, pas une chambre n’est allumée, les rideaux sont tirés, noirs.

La grosse enseigne éteinte reste immobile face aux rafales de vent qui hurlent dans l’allée. Maréchal regarde l’heure : encore dix minutes.
Les créatures commencent à sortir de l’ascenseur. Maréchal fait face. Ils vont être rattrapés. Il a les yeux exorbités. Il se sent statufié. Les monstres sont de plus en plus nombreux. Soudain, ils s’arrêtent pour regarder au-dessus d’eux : une passerelle située vingt mètres plus haut vient de se détacher. Elle s’écrase sur eux dans un bruit assourdissant. Maréchal et Nelly reculent face à ce monstre en acier, qui meurt dans une agonie déchirante. Des fenêtres tombent en pluie de verre, le métal déchire les façades, enfonce la chaussée.

Ils voient une silhouette sortir de l’hôtel. Le docteur Heims.
- Inspecteur !
Il court et trébuche. Il se relève, égratigné au genou. Il a des contusions au visage.
- Inspecteur !
La passerelle finit de crouler. Des mains liquéfiées en sortent, quelques bouts de membres.
Maréchal prend son révolver avant d’approcher le docteur.
- Inspecteur, je vous en supplie, vous devez comprendre… Je n’ai rien à faire dans cette histoire.
- Où sont les deux Jonson ?
- Dans l’entrée, là-bas… Ces monstres…
La passerelle grince encore, quelques gémissements… Nelly relève Heims. Ils approchent. Deux corps sont étendus dans la réception sinistre. Les Jonson. Ils sont englués dans une poix épaisse. Etranglés par cette matière caoutchouteuse.
- Je vous assure, inspecteur. Nous avons été attaqués.
Bruit de ferraille. Les premières créatures ont franchi la passerelle.
- Venez…
Ils prennent un escalier. L’hôtel est décrépi, sale, délabré. Ils montent trois étages, regardent par les ouvertures sans fenêtre. Les créatures entrent. Plusieurs sont dans l’escalier. Ils continuent leur montée. Penthésilée lance une grenade. Explosion. Dans presque chaque chambre, Maréchal voit le commissaire Weid assis sur un sommier, qui le regarde sévèrement. Certaines pièces sont des salles d’eau avec de vieilles baignoires en fonte.
Une des créatures plus rapide que les autres surgit de l’escalier. L’inspecteur lui décharge son pistolet dans la poitrine. Elle tombe dans un bruit de gargouillis. Ils arrivent au dixième étage, épuisés. Ils ne pourront pas les retenir longtemps. L’inspecteur sort sa montre : il reste trois minutes.
- Penthésilée, pars.
- Pardon ?
- Tu as l’équipement pour leur échapper. Moi je continue.
- Mais il n’y a personne !
- Si, Heindrich est ici.
Il n’a plus le temps de discuter.
- Et lui ?
Le docteur est blafard. Maréchal sent le léger cliquetis de la trotteuse qui termine son tour de cadran.
- Tu l’emmènes avec toi.
Heims n’ose rien dire. Nelly le prend par la taille. Elle monte sur le rebord de la fenêtre, lance un grappin. Elle laisse ses grenades à Maréchal.
- Merci. Rendez-vous dans notre paradis…
Elle lève le pouce pour dire qu’elle a compris.
Il met les grenades en poche, recharge avec ses dernières balles. Nelly décolle en serrant Heims. Elle remonte les quinze étages en quelques instants et s’accroche au toit. Maréchal est seul. Il dégoupille une grenade, la lance dans l’escalier. Il lui reste une minute. Il court au bout du couloir. Explosion, secousse. Des bouts de peinture tombent, les murs sales tremblent. Une créature surgit par une vitre. Maréchal l’abat de deux balles en pleine tête.

Il trouve une chambre, avec une grande psyché intacte, brillante dans les lueurs orageuses. Il reprend son souffle. Les monstres envahissent le couloir. Maréchal caresse le miroir, dont la surface se brouille comme un rideau de fumée. Il lui reste deux goupillons à enlever. Il tire dessus, lance ses gros fruits métalliques, qui roulent avec un bruit métallique. Les monstres entrent, masse noire informe, Maréchal saute dans la fumée blanche, il est minuit pile, il sent la chaleur de l’explosion. Il passe dans une grosse bulle d’eau, il tombe, tourne et plonge dans l’eau. Il se cogne sur un fond très dur. Il sort la tête, s’agrippe aux rebords d’une baignoire. Il glisse, replonge dans l’eau, affolé. L’ampoule se balance au plafond. Sa main passe sur une bonde, il tire dessus, elle vient. L’eau commence à dévaler dans la canalisation. Maréchal respire. Le carrelage vert. Il se relève à la force des bras.

Il y a une petite pièce à côté. Par la fenêtre arrive un rayon éblouissant. Maréchal fait quelques pas en se protégeant les yeux. Quand il s’est habitué à la lumière, il voit trois hommes devant lui. Non, deux sont des horribles créatures, qui entourent un petit homme chauve.
Herbert :
- Bonsoir, Antonin.
Sa voix est très calme. Maréchal répond doucement :
- Bonsoir, docteur Heindrich.















Les deux serviteurs s’avancent et le ceinturent facilement. Ils le font mettre à genoux, lui baissent la tête. Maréchal pleure de rage.
La poigne du monstre va lui briser la nuque s’il s’obstine à vouloir regarder le professeur en face.
- J’apprécie ta ponctualité, Antonin.
- Vous ne vivrez pas une heure de plus.
- Tu te trompes, Antonin. Je vais vivre encore longtemps. J’ai tué les policiers d’OBSIDIENNE qui me connaissaient, comme j’ai tué Weid et ses hommes avant. Comme rien n’a filtré cette fois, je n’aurai pas besoin d’hiberner à nouveau pour me faire oublier.
- J’aurais dû vous tuer dès que je vous ai vu dans le tram…
- Tu aurais pu me tuer aussi il y a trois ans, ou il y a douze ans… Comme Weid aurait pu me tuer il y a quarante. Pour le moment, tu m’as bien servi. Avec Horo, j’ai eu le plaisir de voir mes expériences réussir. Dommage qu’il ait été tué, mais c’était un essai concluant. Et que dire du Somnambule ? Une réussite merveilleuse.
« Et enfin toi… Dont je savais que tu pourrais devenir mon gardien, parce que tu es meilleur encore que les autres.
- Je mourrais avant de devenir votre…
- Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis. Tu ne le sais pas, mais tu es aussi décérébré que ces deux créatures qui te tiennent. Tu m’as servi à tester mes autres cobayes, puis à récupérer mes données dans la Cité de la Mémoire. A présent, je vais t’effacer la mémoire, grâce aux brûlesprits de ma chère ex-épouse, et tu vas devenir mon serviteur pour de bon. Cette fois, je ne te laisse plus en liberté. Je vais t’enlever tous tes souvenirs superflus. Raser tous tes poils. Je pense aussi que tu seras castré, pour ne pas être distrait…
« Toi seul a développé cette capacité de manipuler la Cité. Tu entres en résonance avec elle. Tu as ordonné à la passerelle de chuter, elle t’a obéi… Tout cela n’est pas encore conscient, mais tu vas progresser.

« Tu deviendras le gardien de mon laboratoire. Tu vas garder l’entrée de mes repaires, parce que tu es le seul à pouvoir le faire. Tu vas devenir ma chose.
Maréchal ne bouge plus. Heindrich se méfie encore. Il sait que le policier a de la ressource.
- Il y a du monde qui vient d’entrer dans mon repaire. Ton ami Portzamparc je paris… J’aurais pu le faire dévorer par mes gardes. Je préfère te laisser l’occasion de le voir une dernière fois. Je vais lui ouvrir le passage.
L’inspecteur voit par la fenêtre Portzamparc et le Somnambule qui entrent dans l’hôtel. Heindrich ne regarde que Maréchal. Ce dernier n’oppose plus de résistance. On lui laisse relever la tête. Il voit l’infâme petit chauve. C’est bien lui mais il ne fait plus ses grimaces. Son visage est impassible, dur, méprisant. Il entend une voix dans sa tête. C’est Kassan qui lui parle.

Le Somnambule et Portzamparc courent dans l’escalier. Ils arrivent au neuvième étage. Le mur s’ouvre sur la gauche de Kassan. Il rentre dans le passage. Portzamparc continue tout droit. Il voit la lumière dans la pièce du fond. Il entre dans la pièce, sans se presser, son arme au poing.
- Bonsoir, Portzamparc…
- Sacré Herbert, va…
Le Scientiste inspire, ulcéré par l’assurance de l’Autrellois. Maréchal baisse la tête. Portzamparc juge de la situation, il garde son calme. C’est là qu’il réalise qu’il l’aime bien, ce sacré Maréchal, parce qu’il ne supporte pas de le voir dans cette posture humiliante.
- Si vous nous racontiez, capitaine, ce que vous êtes venu faire vraiment sur Exil…
Maréchal est abasourdi. Il regarde Portzamparc, qui ne perd pas son petit sourire d’officier élégant.
- Si vous nous disiez, crache Heindrich, comment vous avez assassiné l’amiral de Villers-Leclos.
Portzamparc claque doucement des talons, bombe le torse et déclare, fièrement :
- Eh bien oui, je suis le capitaine de Portzamparc, venu sur cette Lune au service de Sa Majesté. J’ai eu l’honneur de tuer un ennemi de mon peuple, qui a massacré des milliers de gens pour assouvir les ambitions sanglantes d’Exil.
Si Maréchal était dans une situation plus facile, il serait moins choqué qu’accablé par ces fanfaronnades d’un autre âge.
- Vous ne reverrez pas vos contrées natales… Rendez-vous…
Etonnamment, Portzamparc jette son arme. Il fait jaillir aussitôt deux « un-coup » de ses manches, le Somnambule jaillit de la salle de bains, armé d’un fusil à canon scié. Les deux hommes tirent en même temps et abattent les deux créatures. Leurs armes sont vides, Heindrich recule sur le bord de la fenêtre. Kassan et l’Autrellois commencent à recharger, Maréchal bondit. Un rayon lumineux balaye la fenêtre et le Scientiste disparaît dedans. Un énorme engin volant, vrombissant comme un essaim, penche, hésite et disparait rapidement dans un gouffre. Les trois hommes prennent leurs révolvers et vident leurs armes dessus. L’engin est bien trop loin. Il s’enfonce dans la brume électrisée par les lumières. Kassan aurait dû tirer sur Heindrich, mais une des créatures a fait obstacle.

Maréchal s’assoit, à bout de forces. Kassan lui tend une cigarette. Il en donne une autre à Portzamparc. Les trois hommes font le point en silence. C’est fou comme Maréchal s’en fiche que son collègue soit un espion Autrellois et un laquais d’officier de sa majesté !... S’il n’y avait que ce souci…
Ils sortent de la chambre. L’hôtel est entièrement désert. Les serviteurs de Heindrich ont disparu. Ils sont sortis dans la rue et se dispersent.
Machinalement, les trois hommes prennent les quelques rues qui les séparent de Mägott-Platz. Ils arrivent dans leur bon vieux quartier. Rien n’a changé. A cette heure-ci, les bons citoyens comme les truands dorment. Ils aperçoivent de la lumière dans le commissariat. Qui fait le service de nuit ?

Ils arrivent sur la place principale.
- On va s’en jeter un ? propose Portzamparc.
Ils vont chez Gino, c’est ouvert à n’importe quelle heure. La faune habituelle est, qui joue aux cartes. Quelques clients ont des filles sur les genoux. Tout le monde s’arrête quand arrivent ces trois apparitions fantastiques. Deux anciens flics, et l’ennemi public numéro 1, que tout le monde reconnaît ! Comme s’ils étaient venus la veille, ils s’assoient au comptoir :
- Tu nous mets trois verres de « spécial », Gino.
Le bon vieux Gino. Il y a aussi Fufu Carambouille qui serait tenté de fuir. Kassan le fusille (du regard) et il se rassoit. Les hommes boivent en silence, font juste un geste du pouce et Gino ressert. Personne n’ose vivre pendant ce temps. Verres avalés, bruits de gosier.
- Ah, sacrée piquette, dit Portzamparc. Tiens, encore une…
C’est comme si un rituel ancestral interdisait à quiconque de remuer pendant qu’ils boivent. Les filles ont envie de pleurer. Les clients grimacent comme des enfants punis. Les cigarettes se consument au bord des lèvres. Certains claquent des dents. Des reniflements timides. Une larme.

- Bon, eh bien, on ne va pas s’attarder, dit l’Autrellois. Tu as des pièces, Gino ?
Le serveur en sort, tremblant, du tiroir. Portzamparc entre dans la cabine de parlophone. Il ne ferme pas la porte, parle tout fort.
- Oui, Corben, j’ai besoin de vous. Au tarif de nuit, bien sûr… A Mägott-Platz… Le bon vieux temps… Non, rien n’a changé… Voilà…
Il remet des pièces. Cliquetis.
- Ne coupez pas, mademoiselle… J’écoute, Corben, oui… Je transmets…
Il raccroche et dit à l’assistance :
- Corben vous passe le bonjour.
Il va finir son verre, puis ils se lèvent comme un seul homme. Portzamparc touche son chapeau. Ils sortent, raides, comme à la parade.
Dehors, ils éclatent de rire. A l’intérieur, la clientèle et les serviteurs se regardent comme des morts en sursis.

Ils font quelques pas dans le quartier. Quelques pas gratuits, ils tournent en rond, pour meubler. Ils ne savent pas quoi se dire. Maréchal regarde sa cigarette se consumer :
- Un jour, j’aurai Heindrich… Très bientôt.
- On compte sur toi, dit Portzamparc. On compte sur toi !
Il lui met une bonne tape dans le dos. Maréchal crache ses poumons enfumés.
- Sacré inspecteur, hein !
Portzamparc fanfaronne pour cacher son émotion. Kassan lui serre la main :
- Salut Antonin, prends soin de toi.
- Eh bien, salut Josef... Egalement !
Autant se quitter bons amis !
Ronronnement de ballon-taxi ; l’engin apparaît au-dessus du manoir Whispermoor.
- Tout le monde à bord !
Corben lance l’échelle. Ils s’y agrippent et enjambent le rebord.
- On te dépose quelque part ? lance Kassan.
- Non merci, je suis bien ici, dit Maréchal.
Il les salue et regarde le ballon s’élever. Kassan fixe les nuages. Encore un dernier geste pour son collègue. Portzamparc lui fait le salut militaire, la main sur le front. Il lui crie « au revoir » en Autrellois. Maréchal rigole, fait signe que c’est ridicule.
- Rentre dans ton royaume de pouilleux !...
Portzamparc se tape les oreilles : il n’a pas compris. Le ballon disparait au-dessus de la banque Pham’Velker.

L’inspecteur soupire, le cœur gros.
Soirée minable pour soirée minable, il va finir chez Gino, avec les autres épaves. Il redescend la petite volée de marche. Tintement de la porte. Cette fois-ci, on ne fait plus attention à lui. Il se rassoit au comptoir.
- La même chose.
Gino le sert solennellement. Bientôt une heure et demie du matin.
Le ballon-taxi monte très haut très vite, puis fonce vers le grand large. La Cité apparait dans son entier, comme une image en anamorphose sur un cône. L’air de l’océan fouette le ballon, les étoiles sont légères, les embruns volent et s’en vont. Corben redescend, avec une maitrise virtuose de son engin. Il est au sommet de son art !
Il se pose délicatement sur un quai désert :
- Je vous laisse ici mes princes !
- Merci, Corben, à bientôt !
Pauvre pilote, qui ne sait pas !
- Pressons, dit Kassan, on n’a plus que cinq minutes !
Ils partent en courant, vite rendus euphoriques par cette course. L’évasion magnifique, la tangente parfaite !
Maréchal finit son verre. Il va continuer, il n’est pas encore assez minable. Il est encore trop au-dessus des autres clients. Il va produire un gros effort pour se mettre à leur niveau. Il regarde son fond de verre. Il baisse le pouce, Gino s’approche. Non, Maréchal l’arrête.
Il sourit, il aurait presque envie de rire. Il sort de la monnaie, tout ce qu’il a en poche, une mitraille désordonnée. Il hésite encore. Il regarde la salle. Personne ne s’occupe de lui. Il regarde sa montre. Les trois cadrans sont proches du maximum. Il faudra penser à les refaire, pour ajouter des chiffres !
- C’est où le chiotte, déjà ?
- Au fond à droite.
Maréchal titube ; il parvient à se tenir debout. Il pousse la porte battante, va tranquillement à la pissotière. Il sifflote très fort. Il se rince les mains au lavabo, se regarde dans la glace. Il observe un bouton sur sa joue, tire sur sa bouche et son menton. Il s’asperge le visage. Il fait craquer ses doigts et fait face à la porte des toilettes. Il fait quelques mouvements d’assouplissement, comme avant un départ de course. Il se concentre, il se concentre ! Il répète des mouvements dans le vide, comme un orateur qui prépare sa première phrase. Dernier coup d’œil à sa montre.
Il se sent prêt. Il ouvre la porte. Derrière, une seconde porte. Parfait.

Maréchal remplit son arme. Il ouvre la seconde porte. Il est brièvement ébloui, puis c’est le noir et ses yeux s’habituent. Il avance de quelques pas, ouvre une autre porte. L’air des profondeurs, il sous la Cité Machine. Il est sur le chemin au pied des tombeaux les plus démesurés.

Le Scientiste est dix mètres devant, suivis de trois serviteurs. Maréchal hurle « Heindrich ! ». Le professeur se retourne. L’inspecteur lève son arme. Il abat coup sur coup deux des créatures, vise, abat la troisième. Heindrich s’enfuit. Il hurle. Il monte des marches de marbre veiné, entre dans un tombeau en forme d’une gigantesque paire d’ailes levées droite au ciel.
Maréchal avance dans un état second, ou au contraire premier, très premier. Il voit les moindres reliefs, toutes les nuances de couleur, les architectures cassantes, la noirceur sans limite, les étoile et leur lueur cruelle. Il entre posément dans le tombeau. Heindrich supplie, à genou, se relève maladroitement, recule, retombe ; à peine s’il peut parler. Maréchal, fou de rage et de douleur, avance pas à pas. Le petit chauve part en courant, tourne dans un coin. Maréchal se concentre, abaisse la main. Un mur s’abat devant le professeur. Il tombe à genoux devant. Maréchal tourne au coin, lève son arme ; Heindrich voit la silhouette de Weid apparaître au travers de celle de Maréchal. Ils le pointent tous les deux. Le policier avance encore, plus vite, met l’arme à bout portant. Heindrich entame une supplication, mais ils n’écoutent pas. Le coup part, la balle traverse son crâne. Sa tête retombe, défigurée par une grimace.
Ils laissent tomber l’arme. Maréchal vient de tuer son tortionnaire. Et d’enterrer sa jeunesse.

Portzamparc et Kassan sont poursuivis par la police. Les sifflets stridents, les lampes tempêtes, les cris, des coups de feu. On leur crie au mégaphone d’arrêter. Portzamparc a une longueur d’avance. Encore une détonation. Kassan tombe dans un cri bref. Il roule et finit sur le ventre. La balle est entrée entre ses deux omoplates. Il tend la main vers Portzamparc, terrifié ; il cauchemarde éveillé. L’Autrellois s’est retourné, ralentit, fait quelques pas ainsi, il hésite puis il se reprend et repart. Les policiers arrivent et achèvent le Somnambule d’au moins une dizaine de balles.
Portzamparc a presque terminé sa course, il tourne au coin d’un entrepôt, le quai, le navire est là. Il saute sur le pont du navire. Il se rattrape à la rambarde. Une solide poigne l’aide à monter, un marin du pays. La grande horloge de la Cité sonne ses deux coups. Le marin lui met une couverture sur les épaules et le pousse vers l’escalier. Elle surgit, le prend dans ses bras : madame de Portzamparc, plus ravissante que jamais !
- Jean-François !
Il la serre si fort, si fort, et l’air entier, le souffle, les bourrasques, tout au-dessus de l’océan respire pour eux.
Ils descendent aux cabines.
Le navire s’éloigne déjà du quai. Les policiers, menés par Lanvin, ouvrent le feu sur le navire. Ils ne touchent que la rambarde ou les bouées. Un marin est allé à la mitrailleuse : il la pointe vers le quai, lance une rafale. Les policiers refluent en désordre. Il n’y aura que quelques blessés.

Maréchal ressort dans l’air silencieux. Des centaines de créatures sont au pied du tombeau. Elles n’avancent plus. Elles se sont arrêtées. Elles repartent en arrière, elles se dispersent, s’évanouissent par les milles sentiers entre les tombeaux.
Weid regarde l’inspecteur. Celui-ci voudrait lui serrer la main. Le commissaire ferme les yeux, s’adosse à la paroi du tombeau :
- Je vais enfin pouvoir me reposer…
Il disparaît lentement dans la pierre.
Le navire part sur l’océan noir, houleux, vitreux. Portzamparc et sa femme vont voir la cabine du capitaine.
- Nous ne sommes pas encore sortis d’affaire ! La marine croise partout !...
Une grosse vague gonfle et s’abat, révélant la masse effrayante d’un navire des garde-côtes. Il n’est pas seul, d’autres arrivent, tous projecteurs dehors. Ils lancent une brève sommation, quelques coups de canon à l’eau. Le navire Autrellois continue sa course. Les boulets se rapprochent. La coque est touchée, le feu crache sur l’océan tremblant.

« Cette nuit, vers deux heures, un navire arborant le pavillon d’Autrelles a été abattu par les garde-côtes. Il transportait de dangereux espions qui tentaient de rejoindre les portes d’Airain. Des tirs de sommation ont d’abord été effectués. Le navire refusant de couper les moteurs, ordre a été donné de le couler. Quelques tirs ont suffi pour percer sa coque. Il a ensuite rapidement sombré. Il est impensable que quiconque à bord ait survécu. »
Emma se penche sur l’épaule de Maréchal pour mieux lire. Nelly lui allume une cigarette.
- Ben mon vieux, dit le pianiste.
La chaude et grasse ambiance de chez Emma. Maréchal avait bien donné rendez-vous à Nelly dans leur paradis !
- Sacrés menteurs de pisse-copies je vous dis, s’esclaffe l’inspecteur.
Les clients ont écouté attentivement. Rica a fini son déshabillage. Maréchal replie d’un coup sec son journal. D’un sourire entendu, il ajoute :
- Non, croyez-moi, on n’a pas fini d’entendre parler du capitaine de Portzamparc !

Le docteur Heims regarde dans le vague, laisse sa cigarette se consumer entre ses doigts.
- Allez, lance Emma, je paye la tournée, à la santé d’Autrelles.
- Bravo !
- Rica, ma chérie, en scène ! Tu nous fais un dernier numéro.
- Je suis fatiguée, patronne…
- Je ne veux pas le savoir ! Désape-toi et mets-y du cœur ! Tu as de l’amour en toi, ma chérie, exprime-le… Fais-le doucement, que ce soit sensuel ; laisse venir lentement… Tout doux, voilà… Fais durer le plaisir. Mets-y toute ton âme !... Tiens, Maréchal, refile-moi une cigarette… Bon, où j’ai mis mon rouge à lèvres ?
Le pianiste se remet sur son tabouret, tourne et entonne un de ses airs favoris : « Les oiseaux de nuits, dans un rendez-vous d’inconnus… Tous les maniaques et les insomniaques… Et la serveuse qui demande… »
Le poste de radio crachote encore, le pianiste gémit sur ses touches. Le monde ne doit plus tourner qu’autour de chez Emma, pour une nuit qui n’en finit plus.

« Cette nuit, vers deux heures, un navire arborant le pavillon d’Autrelles… »
- Ah non, pas « vers deux heures » : à deux heures !
Sacrés menteurs de journalistes ! Portzamparc ne supporte pas ces approximations ! Il préfère couper la radio qui grésille. Il sort de sa cabine, sa femme s’est endormie.
Il faut se pencher dans les couloirs étroits. Il entre dans la salle de commande. Le capitaine remonte son périscope. Les garde-côtes sont maintenant loin, ils cerclent autour de l’endroit où le navire a coulé, juste après avoir libéré le premier sous-marin de poche de la flotte d’Autrelles !
- Ils abandonnent les recherches, dit le commandant. Nous sommes tranquilles pour quelques heures. Nous allons approcher des portes d’Airain et nous nous faufilerons dès qu’un navire passera. Paré à faire surface !
L’engin remonte brusquement ; de fortes secousses, il faut se tenir et il émerge d’un coup, comme un bouchon. Portzamparc court voir sa femme, qui s’est mis la tête sous l’oreille et se tient à la poignée du porte-manteau. Ils sortent de la cabine, encoure secoués. Portzamparc passe la tête dehors. Il se hisse et donne la main à sa femme. Des mouettes passent et hurlent contre ce poisson d’acier. Ils s’assoient sur le pont. L’océan est presque plat. D’autres oiseaux passent, qui ressemblent à des vagues, et les vaguelettes ressemblent à mille sanglots.

La Cité d’Acier crache, fume, tousse, gémit. Elle va s’éveiller, s’illuminer, électrique et blafarde. Des mitiers descendent au bout de leurs fils ; les tramways roulent dans le dédale d’acier, passent les immenses ponts suspendus, tournent, repassent, défient le vide. La vapeur siffle et fuit, les eaux brûlantes coulent dans l’océan.
Mille gueules mâchent et mordent, des blocs urbains se déplacent. Un coin de ciel brûle, la planète Forge apparaitra bientôt à l’horizon, à côté du vieux soleil. L’océan reflète l’espace interstellaire, miroir de noirceur. Les portes d’Airain, bouche d’ombre, apparaissent, l’océan y est englouti. La Cité disparaît derrière les crêtes tranchantes, dans l’écume affamée. Tout est emporté par les bourrasques et les vagues, tourbillons, tout enrage, gronde, immense bruit de fond.
Reply


Messages In This Thread
#13 - by Darth Nico - 04-09-2010, 11:43 PM
RE: #13 - by Darth Nico - 30-07-2011, 12:43 PM
RE: #13 - by sdm - 02-08-2011, 11:16 PM
RE: #13 - by Gaeriel - 09-08-2011, 03:52 AM
RE: #13 - by Darth Nico - 10-08-2011, 10:58 AM
RE: #13 - by Gaeriel - 10-08-2011, 03:22 PM
RE: #13 - by Darth Nico - 10-08-2011, 04:48 PM
RE: #13 - by sdm - 15-08-2011, 12:22 PM
#13 - by sdm - 05-09-2010, 10:41 PM
#13 - by Gaeriel - 24-01-2011, 03:32 PM
#13 - by Darth Nico - 24-01-2011, 08:25 PM

Forum Jump:


Users browsing this thread: 1 Guest(s)