04-08-2011, 06:21 PM
(This post was last modified: 04-08-2011, 07:00 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Le couloir qui menait aux quartiers impériaux était en proie aux courants. Il était mal éclairé, étroit. Au bout, deux gardes de la famille Seppun étaient assis, les yeux fermés. Ils saluèrent les deux visiteurs, prièrent Mitsurugi de leur laisser son sabre puis ouvrirent la porte en bois. Hanteï Norio précéda Mitsurugi dans une petite antichambre où les attendait Sasuke.
- J'ai pris soin de faire venir votre conseiller, dit le vieil homme.
Mitsurugi et Sasuke se regardèrent sans savoir quoi se dire. L'heure était grave et chacun ignorait ce qu'on avait dit à l'autre.
Ils burent un thé servi par le vieux Norio, dans cette pièce grande de quatre tatamis. La seconde porte s'ouvrit près d'une heure plus tard : Hanteï Tokan les salua et leur dit qu'ils pouvaient venir. Ils entrèrent dans un jardinet au pied d'une terrasse où la famille impériale, l'Impératrice et ses deux jeunes enfants, jouaient aux osselets près du feu. Quatre gardes, discrètement postés à côté de piliers de bois, attendaient, assis en tailleurs, attentifs à tout ce qui se passait. Intimidés, nos deux héros ne disaient rien, n'osaient pas trop regarder autour d'eux.
Norio leur fit signe de s'asseoir, à l'autre bout de la terrasse. L'Impératrice les salua avec ses enfants, et ils baissèrent longuement la tête. Norio avait descendu les trois marches et s'approcha de l'homme qui se tenait au milieu du jardin et qui regardait le chemin de pierre plate qui passait sur un ruisseau où nageaient quelques truites. L'Empereur.
Le vieil homme attendit, et s'inclina quand le fils du Ciel voulut bien se retourner. Il lui dit quelques mots à voix basse. L'Empereur écouta attentivement, puis répondit en quelques mots. Hanteï Norio fit un signe à Tokan, qui était resté près de nos héros. Le conseiller dit à Mitsurugi de descendre au jardin. Les gardes Seppun ne le quittaient pas des yeux. Norio dit à Mitsurugi de s'approcher, sans cacher une certaine impatience, comme le maître qui attend que l'élève vienne au tableau.
Notre héros s'inclina bien bas.
L'Empereur continuait de regarder le cours d'eau. Presque dos à Mitsurugi, il lui dit :
- Mon cousin me dit que vous avez des choses à m'apprendre.
Hanteï Norio regardait Mitsurugi sévèrement : il ne pouvait plus être question de rester muet.
- On me dit que vous avez eu vent d'une conspiration contre moi et que vous connaissez le nom de certain de ses membres.
Le regard de Norio se fit encore plus dur : l'Empereur avait déjà daigné parlé à Mitsurugi, deux fois de suite, et c'était déjà trop.
- Ce conspirateur, dit Mitsurugi, qui n'osait tousser pour s'éclaircir la voix, de peur de commettre une impolitesse, est connu dans cette conspiration sous le nom de Cristal. J'ai cependant pris connaissance de sa véritable identité. Il s'agirait de l'acteur Shosuro Jotaro.
Mitsurugi venait de s'enlever un gros poids de la poitrine. Le regard de Norio était déjà moins dur.
Le Fils du Ciel resta sans rien dire, regardant le vol d'un petit oiseau noir parmi les nuages gris.
- Qui vous a donné ce nom ?
Hanteï Norio releva légèrement le menton.
- Je l'ai entendu de la bouche de Yoriku, dit Mitsurugi, le Bouffon...
Notre héros déglutit. Il craignit le ridicule, la colère de l'Empereur, la dégradation !...
Hanteï VI se contenta de croiser les mains dans le dos et de se tourner franchement vers Mitsurugi. Il n'était qu'à trois pas de lui. Les gardes Seppun s'étaient approchés au bord de la terrasse qui cernait le jardinet. L'Impératrice laissait ses enfants jouer en observant à la dérobée la conversation. Sasuke n'entendait pas et cachait qu'il en rageait intérieurement.
- Le Bouffon, dit l'Empereur, est souvent bien informé. Je m'étonne qu'il n'ait pas voulu m'en avertir lui-même.
Mitsurugi brûlait d'envie de demander à Norio comment lui-même avait été mis au courant, mais il ne pouvait pas.
Un poisson fit un clapotis à la surface de l'eau. Quelques timides bourgeons pointaient sur les branches.
- Bien, dit l'Empereur, nous vous remercions de votre dévouement au trône d’Émeraude. Nous tiendrons compte de cet avertissement.
Mitsurugi allait dire que Jotaro jouerait le premier rôle dans la pièce de théâtre, qu'il se retrouverait à une longueur de bras de l'Empereur, qu'il pourrait frapper, mais Norio, qui avait deviné, intima discrètement mais fermement l'ordre à Mitsurugi de ne rien ajouter.
- Etant donné le danger représenté par cette conspiration, dit l'Empereur, dans la voix duquel perçait la mélancolie, je me dois de renforcer ma garde d'ici à la fin de cette cour d'hiver. C'est pourquoi je souhaite m'adjoindre la protection de deux shugenjas parmi les meilleurs.
Mitsurugi écarquilla les yeux.
- Aussi, je vous demande l'autorisation de prendre votre conseiller Matsu Sasuke comme l'un de mes gardes du corps.
Mitsurugi resta bouche bée, comme une carpe.
- Le second sera Isawa Nobuyoshi, dont on m'a également vanté -à plusieurs reprises- les grands mérites.
L'Empereur fit un petit geste de la tête à Norio, qui fit signe à Mitsurugi de remonter sur la terrasse. Notre héros s'inclina bien bas et se retira. Hanteï Tokan dit alors à Sasuke de descendre.
Mitsurugi s'assit, en regardant devant dans le vide. Son conseiller n'échangea que quelques mots avec le Fils du Ciel. Avant qu'ils aient réalisé, ils étaient reconduits hors des quartiers impériaux, dans la cour est du palais, où Hanteï Tokan les remercia d'être venu et leur souhaita une bonne fin de journée.
Le vent soufflait, des domestiques ramenaient des fagots de bois de la réserve et un garde prenait la relève de son camarade.
- Bien, dit Sasuke, je vais aller faire préparer mes affaires.
Il était de retour en début de soirée dans l'antichambre, où il retrouva Isawa Nobuyoshi devant une tasse de thé. Les deux amis se regardèrent, sans cacher leur inquiétude, mais comme pour mieux masquer leur effroi. Sasuke dut cacher le tremblement de ses mains. Il ne savait pas s'il était en possession de lui-même ou s'il n'était pas, plus que jamais, la créature de l'ignoble vieux Rêve.
On les fit entrer dans le jardin, où ils ne firent que passer, pour rejoindre leur chambre commune. Le garde Seppun leur dit qu'ils dormiraient ici, à deux portes de la chambre de l'Empereur. La pièce de théâtre était le lendemain soir.
Mitsurugi dîna chez Doji Onegano. Suzume passait la soirée en compagnie de Hanteï Norio et Tokan. Il y serait encore le lendemain soir.
- Si j'avais su, dit le vieil Onegano, ce que mes enfants deviendraient quand j'ai décidé de les emmener à la cour d'hiver...
Savait-il où était Ikue ? Comment pouvait-il accepter que le shinsen-gumi lui prenne sa fille ? Qu'il ait menacé son fils ?...
La journée du lendemain, grise, lourde, ne fut consacrée qu'aux préparatifs. L'ambiance était fébrile d'un bout à l'autre du palais. Les courtisans allaient, venaient, ne savaient pas quoi faire pour s'occuper. Ils parlaient, s'agitaient, allaient chez les uns et les autres. Les couloirs bruissaient de murmures, de rumeurs. Les samuraï de plus basse condition étaient les plus visibles, agités comme des abeilles dans la rûche, tandis que ceux des plus hautes castes restaient invisibles. Mitsurugi dut terminer du courrier protocolaire, pour remercier ses hôtes pour leur accueil, pour renégocier des traités commerciaux avec les Yasuki, pour parler d'invitations pour les uns et les autres à la Cité des Apparences. Le ciel restait toujours aussi bas. Il ne neigeait plus. Parfois, une bruine légère, vite chassée par le vent. Il ne gelait plus, il faisait frisquet, on ne savait plus comment s'habiller. Les feux avaient l'air de brûler plus fort, les paroles semblaient plus lourdes, les courtisans plus pesamment présents, les papiers encombrants, les serviteurs toujours dans vos jambes.
Mitsurugi, qui n'y tenait plus, alla en fin d'après-midi se promener sur les remparts, où des soldats montaient la garde, las à mourir d'observer la campagne morne. On devait observer Mitsurugi depuis les chemins de ronde plus hauts, de derrière des meurtrières, du haut des tours ou depuis les cours. Il ne voulait plus y faire attention. Enfin, dérangeant le protocole qui voulait qu'en sa qualité d'ambassadeur, il arrive plus tard, Mitsurugi partit au théâtre et s'installa dans la salle encore presque vide. Yasashiro était installé au dernier rang. Yojiro devait guetter depuis la cour adjacente. Yatsume se trouverait un poste d'observation discret. Pendant deux heures, Mitsurugi regarda la salle se remplir. Il mémorisa la place de chacun des invités, salua ceux qu'il fallait, bavarda avec les uns et les autres, sans jamais cesser de surveiller la salle. Il devait avoir l'air absent et dédaigneux, et voulait juste paraître affairé comme tout le monde. Il reconnut le capitaine Kaiu Koga, sous les ordres de qui il avait servi sur la Muraille. Cette présence le rassura. Il vit arriver les ambassadeurs des différents clans. Les Dragons arrivaient sans paraître respecter un quelconque ordre procolaire (en avait-on seulement prévu un pour eux ?). Les Grues arrivaient en discutant de belles choses, les Scorpions veillèrent à jeter un froid dans la salle. Dans la pénombre, tous les uniformes prenaient la même teinte gris foncé. Les Crabes s'installaient et, bien qu'ils essayassent de murmurer, faisaient autant de bruit que s'ils avaient parlé normalement. Kuni Tadao était là parmi les autres Inquisiteurs. Les Phénix, dont Isawa Masaakira et ses deux élèves, Ichibei et Mizu, avaient une place privilégiée au quatrième rang. Alors que la salle était presque pleine, les hommes du shinsen-gumi arrivèrent, se disposèrent sur les bords de la salle, obligeant tout le monde à se serrer. Il commençait à faire chaud. Les serviteurs changeaient régulièrement les bougies dans la salle et sur la scène. Plusieurs gardes du corps arrivèrent, précédant le triumvirat du Gozoku, qui s'installèrent sur les côtés du premier rang. Enfin, les gardes Seppun firent leur entrée, s'assirent dos au mur tout autour de la salle et la famille impériale fit son entrée, prenant les dernières places, juste devant le milieu de la scène.
Mitsurugi ne voyait ni Sasuke ni Nobuyoshi. Les serviteurs vinrent souffler les bougies de la salle et en allumèrent de nouvelles sur scène. Le rideau se leva lentement. Il y eut quelques chut, des raclements de gorge.
Des soldats en fond de scène frappèrent le sol de leurs lances et une troupe de guerriers entra en une danse très lente. Il faisaient cercle autour d'un personnage caché, "s'ouvrirent" en deux, et Shosuro Jotaro, un masque grimaçant de général d'armée, s'avança. Il entama un chant rauque et très lent, où il racontait les circonstances de la pièce, une bataille menée par feu l'Empereur Hanteï V contre l'Outremonde. Les démons arrivaient, grimaçants, avec des contorsions et des cris grotesques, repoussaient les samuraï qui refluaient vers les coulisses, puis dansaient, entamant une gigue effrayante. Shosuro Jotaro revenait, menant un assaut sur les créatures démoniaques. Puis vint un long tableau qui exaltait les héros qui allaient sacrifier leur vie, qui racontait leur ascendance, les exploits de leurs ancêtres. Pendant ce temps, les démons complotaient mille morts et trahisons contre l'Empire.
Mitsurugi sentit sa respiration s'accélérer quand peu à peu, démons et samuraï quittèrent la scène et que Jotaro resta seul, dansant longuement pour invoquer la protection des dieux, des Ancêtres, exorciser les maléfices des démons et glorifier l'Empereur pour qu'il mène ses troupes à la victoire. Mitsurugi ne tenait plus : l'acteur était à deux pas du bord de la scène, à quatre pas de l'Empereur. Et son sang ne fit qu'un tour quand, prêtant soudain attention au récital de l'acteur -lui que ce genre de théâtre d'habitude ennuyait-, il entendit nettement Jotaro parler d'une novice qui viendrait plus tard, pour régénérer la foi et révéler à nouveau le Tao aux hommes, et leur leur montrer la voie vers une nouvelle sagesse qui aurait quelque chose de divin. Le public suivait, attentif ou ennuyé, mais personne ne frémit ni n'eut d'indignation. Mitsurugi vit Shingon et quelques-uns de ses moines, au deuxième rang. Il ne pouvait les voir, ils étaient trop dans l'obscurité. Et quand notre héros se retourna, Jotaro était au bord de la scène. Mitsurugi tremblait, il n'aurait rien fallu pour qu'il appelle à l'aide tous les gardes, pour que lui-même saute sur l'acteur et le plaque à terre. Il eut même l'impression que c'est bien lui que Jotaro regardait directement, alors qu'il dansait, presque immobile, un bras et une jambe levés, alors qu'il entamait un long "ôm" très grave, presque imperceptible, qu'il fixait ensuite l'Empereur, seul silhouette dans un halo lunaire blafard, les bougies presque toutes éteintes.
Mitsurugi retint un cri quand l'acteur fit un geste brusque, puis tourna sur lui-même et en quelques pas rapides, s'éloigna vers le fond de la salle.
Mitsurugi respira, comme pour la première fois depuis le début de la pièce. Le rideau descendait . L'entracte.
Le public s'agitait, murmurait, ceux des côtés se levaient, l'Empereur et le triumvirat du Gozoku partaient les premiers, escortés de leurs gardes du corps. Le shinsen-gumi s'éclipsait aussi vite, et les autres spectateurs étaient autorisés à quitter la salle surchauffée. Mitsurugi se leva, le coeur battant. En sortant, il faillit se cogner contre quelqu'un qui était dos à lui, :qu'il l'évita au dernier moment sans se faire remarquer. C'était le conseiller Bayushi Tangen, qui discutait avec le maître de cérémonie Seppun Tokugawa et le juge Otomo Kempô.
Les invités s'étaient précipités dans les salles de réception et le jardin, où les serviteurs s'affairaient pour leur apporter à boire. On discutait, on plaisantait, on se saluait, on mangeait. Après cette fin d'entracte, c'était comme un retour du pays des morts. Les êtres reprenaient chair, ils n'étaient plus comme les fantômes de la salle et de la scène. Ils étaient bavards, hypocrites, vaniteux, gourmands, tout ce qu'on voudra, mais ils étaient bien vivants !
Où était donc Sasuke ?