05-08-2011, 12:39 PM
(This post was last modified: 05-08-2011, 03:00 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Mitsurugi allait et venait entre les différentes pièces où les invités profitaient de l'entracte. Il devait s'éponger le front. Il ne trouvait pas Sasuke et Nobuyoshi. Il les imaginait en train de siffler tranquillement un petit cru impérial !
Non, ils étaient là, près de l'entrée du couloir menant aux quartiers impériaux ! Mitsurugi dit à Sasuke de venir. Nobuyoshi dit à son ami qu'il pouvait y aller, il garderait la porte un moment.
- Où vous étiez ? dit l'ambassadeur, énervé.
- En coulisses, dit Sasuke. On observait tout du fond de scène.
- Avec les petites costumières, hein ?
- On ne perdait rien de la pièce, ni de ce qui se passe dans la salle.
- Vous auriez dû me dire où vous étiez, je ne vous trouvais pas !
- Aucun danger, nous surveillons tout; dit Sasuke. Tiens, viens voir par là...
Ils se mirent à l'écart dans une pièce. Sasuke ouvrit la paume de la main : il tenait un pendentif en diamant :
- Qu'est-ce que c'est, dit Mitsurugi, un cadeau de bienvenue comme garde du corps ?
- Non, souviens-toi.C'est une "larme" d'un de ces conspirateurs. Ils s'en servent pour se parler à distance. Avec cela, je peux observer ce que je veux.
- On n'arrête pas le progrès, dit Mitsurugi, qui voyait que le général Kokatsu voulait lui parler. Donc, selon toi, tout va bien ?
- Je surveille Jotaro de près, sois sans crainte.
- Je te laisse. Ouvre l'oeil...
Mitsurugi dut aller faire la conversation avec différents ambassadeurs. Ikoma Noyuki était là, tout le monde le félicitait pour ce premier acte.
Sasuke retourna derrière les coulisses au retour de Nobuyoshi. Le public revenait dans la salle petit à petit. Sasuke monta sur scène, et jeta un oeil à travers le rideau. Togashi Ojoshi le vit depuis les coulisses :
- Psstt... Tout va bien ?
- Oui, aucun problème...
L'Ize-Zumi sonna la cloche.
- Comment va l'artiste ? demanda Sasuke.
- Jotaro-san ? Oh, il est dans sa loge. Il lui arrive de faire une petite sieste dans ces cas-là.
Sasuke retourna en coulisse, fit le tour des couloirs. Il se cacha parmi des vieux décors et prit son pendentif en diamant. Il le serra dans sa main et se concentra. Il sentait la magie de l'Oeil de l'Oni affluer et former des visions. Il se concentra et put se déplacer en rêve dans le théâtre, comme s'il était un insecte. Il vit Jotaro dans sa loge, qui se remaquillait. Les figurants remontaient en fond de scène.
- Oh, Sasuke...
C'était Nobuyoshi. Le tensaï vint reprendre sa place derrière la scène avec son ami :
- Tout va bien ?
Ojoshi, de la coulisse côté jardin, sonnait pour la seconde fois la cloche. La salle était de nouveau remplie. L'Empereur revenait le dernier. Noyuki, de la coulisse côté cour, prit le bâton et frappa trois fois. Les serviteurs rouvrirent le rideau. Les généraux des clans entraient, pour une longue discussion sur l'honneur et les ancêtres. Puis ils quittaient la scène pour laisser la place à des moines, qui partaient dans une longue quête mystique, à la recherche de parchemins de sagesse. Pendant leur voyage, des intrigues de palais se nouaient à la cour impériale et le seigneur des démons entamait des rituels effrayants pour lever une armée de morts-vivants. Les acteurs allaient et venaient entre la scène et leurs loges.
Enfin, les moines revenaient avec les parchemins sacrés et les présentait à l'Empereur. Ce dernier convoquait alors le général de son armée. Retour de Shosuro Jotaro sur scène. Sasuke et Mitsurugi ne le quittaient pas des yeux. Jotaro dansait longuement pour s'attirer la faveur des dieux puis pour galvaniser ses troupes, qui se réunissaient en fond de scène.
Mitsurugi se rongeait les ongles. Jotaro allait et venait sur scène, souvent près du bord, s'adressant directement à l'Empereur. Les démons faisaient leur entrée et c'était la scène finale, la bataille épique, pleine de cris et de fureurs, avec des dizaines de katanas fendant l'air. Jotaro ne se laissait pas emporter dans une danse démoniaque par le général de l'Outremonde, et parvenait à le tuer.
Le tableau final était une longue méditation après la bataille : un décor rouge, de crépuscule et de sang, et les silhouettes noires de tous ceux qui étaient tombés. Au milieu des corps, Jotaro pleurait les morts, suppliait les Ancêtres de les prendre auprès d'eux et méditait sur les ravages du temps. Puis le général brandissait les parchemins de sagesse au-dessus des bougies, annonçait un âge d'or à venir pour l'Empire grâce à cette novice qui serait comme une nouvelle Shinsei.
Puis le décor rouge disparaissait, Jotaro soufflait les dernières bougies, la scène était complètement noire. On entendait juste l'acteur danser sur scène, ombre à peine perceptible, grognant comme une bête farouche. Il réapparaissait brusquement, tenant une bougie allumée sous son masque, effrayant visage -puis il restait immobile pendant que le rideau descendait lentement. Le coeur battant, Mitsurugi regarda l'Empereur, qui se levait, visiblement content. On entendit quelques Crabes soupirer de soulagement, se lever courbaturés. L'Empereur disparut vers ses quartiers, où il serait rejoint par quelques privilégiés.
On vit alors arriver dans la salle le Bouffon, qui se plaignait tout haut que personne ne l'avait prévenu que la pièce était ce soir.
- C'est intolérable ! C'est moi qui devait jouer le premier rôle ! La pièce devait s'intituler : "Les mésaventures amoureuses d'une femme acariâtre et obèse" et je devais jouer le mari ! Comment a-t-on osé tout changer dans mon dos ?
Puis il faisait des plaisanteries, imitait les Crabes en train de s'ennuyer, les Scorpions complimentant à outrance Jotaro, les avis incompréhensibles des Dragons. Il entamait ensuite avec sa troupe une petite pièce comique et disparut vers les quartiers impériaux :
- L'Empereur m'attend pour s'excuser de cette méprise !
Il s'en allait avec ses acrobates et jongleurs.
Le maître de cérémonie Seppun Tokugawa annonça que la soirée pourrait se prolonger jusqu'à l'aube. C'est le lendemain que plusieurs invités prestigieux s'en iraient après un petit discours de l'Empereur en milieu de journée.
- Buvez et mangez tant que vous voulez...
Mitsurugi avait bien l'intention de rester jusqu'au bout. Il était impensable que les conspirateurs ne tentent pas quelque chose. Il vit Suzume et son père :
- Avez-vous aimé la pièce ?
- Ma foi, assez audacieuse dans son propos, dit Doji Onegano mais je suppose que c'est la nouvelle mode. De mon temps, on aurait préféré quelque chose de plus dépouillé. Je suppose que c'est un bel hommage au vieil Empereur.
- Je dois vous laisser, dit Suzume. L'honorable Hanteï Norio a promis de me parler de parchemins très intéressants.
- Va, va, dit Onegano.
Suzume fut introduit dans les quartiers impériaux. Tokan l'attendait dans une antichambre :
- Il vous fait l'honneur de vous recevoir, mais il est entendu que cela ne durera pas plus d'une heure, d'accord ? Il doit se reposer.
- Bien entendu, seigneur.
- Bien, allez-y.
Tokan ouvrit le panneau et Suzume put entrer dans une petite chambre où Norio, assis sur un tatami, l'attendait en triant des papiers.
Sasuke gardait une autre antichambre, avant un salon où l'Empereur et quelques membres de la famille impériale avaient fait venir le Bouffon et des geishas. Nobuyoshi était lui directement dans la pièce, derrière les artistes. Quand il fut seul, Sasuke sortit le pendentif en diamant : il se concentra sur la loge de Jotaro. L'acteur avait fini de se démaquiller. Il recevait les rôles secondaires de la pièce autour d'un bon saké. Mitsurugi discutait avec Kaiu Koga, tout en surveillant le triumvirat du Gozoku et les membres du shinsen-gumi.
Hanteï Norio roulait des parchemins et les attachait avec un fil de soie :
- Ces écrits de maître Gendô vous seront d'une grande aide sur la voie de la sagesse, dit-il à Suzume.
Le jeune homme refusa ce cadeau comme le voulait la politesse puis, devant l'insistance de son hôte, les accepta bien humblement.
- Je ne pourrai hélas m'entretenir plus longtemps avec vous ce soir, dit le vieil homme. Je suis certain que vous êtes un jeune homme éclairé. La voie que vous suivez est escarpée mais elle vous mènera haut.
- Je ne sais comment vous remercier, seigneur.
- En les étudiant attentivement, patiemment et en écrivant ce que vous inspire ces paroles d'un des plus grands disciples de Shinsei.
- Pensez-vous que je puisse m'entretenir un jour avec maître Shingon ?
Hanteï Norio fronça les sourcils :
- Ne soyez pas impatients et suivez d'abord votre voie.
On sentait qu'il n'aimait guère cette religion nouvelle.
Suzume s'en alla, des étoiles dans les yeux, serrant contre lui les précieux écrits. Le vieux Norio fit venir Tokan :
- Je n'ai pu garder le jeune Suzume très longtemps. Je crois que mes douleurs me reprennent.
- Senseï, c'est tout naturel, il ne faut pas vous fatiguer.
- Néanmoins, je souhaiterais que vous invitiez Shosuro Jotaro. J'aimerais m'excuser de n'avoir pu assister à sa pièce.
- Pourquoi ne pas le voir demain, senseï ?
- Non, non...
Norio toussa et fit un effort pour s'arrêter.
- Je veux le voir maintenant.
Inquiet, Tokan s'inclina et dit qu'il allait le faire appeler. Quand il fut sorti, Norio se remit à tousser. Il avait de la fièvre. Il avala un bouillon amère qui devait calmer ces quintes. Sa vue se troublait, il suait abondamment. Deux serviteurs arrivèrent et le prièrent instamment de se mettre au lit.
- D'accord, d'accord, dit-il, un ton trop haut, mais qu'on fasse venir Shosuro Jotaro.
- Le seigneur Tokan s'en occupe, senseï.
On lui apporta des serviettes humides et plusieurs couvertures.
- La fièvre va tomber mais vous devez vous reposer.
Sasuke surveillait toujours Jotaro, qui disait bonne nuit à ses invités. Un message lui arrivait. Sasuke discerna le sceau impérial.
- Très bien, répondait l'acteur, j'irai le voir.
Il passait derrière un paravent pour se changer. Il mettait un kimono plus simple et sortait de sa loge. Le couloir n'était pas éclairé. Il croisait un autre samuraï, que Sasuke ne put identifier, échangeait quelques mots avec lui et se rendait dans les quartiers des Hanteï. Sasuke frissonna : allait-il s'attaquer à l'Empereur directement ? Non, c'était absurde. Il aurait eu à affronter les Seppun, lui et Nobuyoshi...
Hanteï Norio avait ordonné qu'on le laisse enfin seul. Il mettait la main sur sa poitrine. Son coeur palpitait et la fièvre ne partait pas. On frappa à la porte. La respiration du vieil homme s'accéléra. Un auguste personnage, vêtu des couleurs bleu-nuit des Scorpions, entra, un masque de nô sur le visage. La chambre parut immense au vieux Norio, son visiteur démesurément grand, les bougies éblouissantes.
- Vous demandiez à me voir, senseï ? dit la voix caverneuse.
Norio fit un effort pénible pour se mettre sur ses coudes et s'adosser au mur. Il tremblait de la tête aux pieds, il avait peine à articuler :
- Je sais... je sais qui vous êtes...
Il tendait un doigt imprécateur vers le personnage.
- Je sais, je sais...
- Calmez-vous, senseï, voyons.
- Vous êtes démasqué, mons, monstre...
Son malaise augmentait. Sa respiration devenait courte.
- Que me reprochez-vous donc ?
- Votre conspiration... Vous avez renié... le Ciel... l'Empereur... tout honneur... Vous êtes des maudits...
- Nous travaillons à faire advenir un nouvel âge d'or, senseï.
- Monstre !... Vous, vous avouez...
- Je parle déjà à un mort, senseï...
Ses palpitations augmentaient.
- Ikoma Noyuki, et le Dragon, ils sont avec vous...
- Non, senseï. Ils ignorent la teneur exacte de cette pièce... En réalité, puisque je peux tout vous dire, il se trouve que nous avions réussi à enlever brièvement Togashi Ojoshi. Suffisamment pour lui inculquer par hypnose l'idée de cette pièce avec la Novice.
- Vous manipulez...
- Ne faites pas l'innocent, senseï. Nous connaissons vous et moi les moeurs de la cour impériale, les chantages, les règlements de compte. Nos méthodes ne sont pas différentes de celles du plus honorable des diplomates. Vous-même, vous n'avez pas toujours hésité à briser des familles pour protéger votre cher Empereur, à précipiter dans l'infamie des innocents, à fermer les yeux sur les agissements de samuraï fidèles à l'Empereur mais aux méthodes sanglantes...
- Taisez-vous... monstre... Je sers le trône d'Emeraude...
- Vous servez un avorton des Dieux, héritier de tyrans impitoyables qui nous ont asservis, qui ont fait de nous leurs esclaves. Votre honneur n'est qu'un voile trompeur, pour masquer que nous ne sommes que les etas de ces dieux, qui se rient de nous et de notre destinée.
- Vous n'êtes que... des crachats à la face du Ciel...
- Les hommes ne supporteront pas toujours une caste corrompue, organisée selon une organisation imparfaite et arbitraire. Nous sommes nombreux à vouloir précipiter la décadence de cette tyrannie immémoriale que vous appelez l'ordre céleste.
"Nous ne voulons plus servir, mais nous interroger. Et dans la langue ancienne des premiers hommes, avant la chute des dieux, interroger se dit : "kolat".
Hanteï Tokan raccompagnait Suzume à la réception :
- Ces parchemins ont l'air précieux.
- Et comment ! dit Suzume, tout excité. Je ne sais comment le remercier !
- Nous y penserons au printemps, ne vous inquiétez pas. Je suis sûr que nous vous inviterons, car je crois que Norio-sama vous apprécie.
- Je suis tellement indigne de sa considération.
- Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre un homme aussi pieux que vous, Suzume. Moi-même, je dois dire...
Tokan préféra rire, lui qui n'était pas bien assidu dans sa lecture du Tao et faisait depuis longtemps le désespoir de son maître !
- Oh malheur à moi !
Suzume venait de se frappait le front.
- Quoi donc ?
- J'ai oublié mon sac à parchemins chez Norio-sama !
- Comment cela ?
- Je le transporte toujours... Et là, voyez, je porte ces rouleaux à la main... C'est pourquoi... Enfin, dans l'excitation.
Tokan le considéra en hochant la tête :
- Voilà bien les grands esprits, incapables de penser aux choses matérielles !
- Je suis sincèrement désolé.
- Vous êtes une tête de linotte, Suzume-san. Voilà la vérité.
- Je vous supplie de me laisser retourner le chercher. Ce sac a été confectionné et brodé par ma mère, il est extrêmement précieux...
- Ça va, ça va, vous allez m'arracher des larmes ! Frapper doucement, entrer en rampant et en vous excusant platement et faites vite ! Vous saurez retrouver votre chemin ?
- Oui, oh oui...
- Bon, filez...
Tokan rejoignit la salle de réception, impatient d'aller boire un bon verre en compagnie d'un joyeux fêtard comme Mitsurugi !
Les yeux révulsés d'horreur, le vieux Norio reculait, alors que son visiteur approchait de lui. Il tirait lentement un poignard de sa manche :
- Mais dites-moi, senseï, comment avez-vous entendu parler de nous ?
- Nombreux sont ceux qui vous connaissent, dit Norio, haletant, mais presque tous se taisent... J'ai un jour reçu la confession d'un mourant... Un samuraï de la famille Seppun qui m'avait confié avoir servi toute sa vie un monstre... Un des maîtres de votre conspiration...
Le visiteur passa son doigt sur le plat de la lame :
- Vous parlez de maître Nuit. L'homme qui m'a tout appris. Il n'a donc pu empêcher un témoin de parler, ce cher vieil ami....Hé bien, je ne ferai pas cette erreur. Il faut bien que l'élève dépasse le maître.
Réunissant ses dernières forces, Norio se jeta sur son visiteur. Celui-ci le repoussa sans mal mais le vieux lui avait arraché son masque.
Le vieil homme leva les yeux, étouffa un cri :
- Vous !...
- Mes amis au sein du conseil des Dix me nomment Cristal.
Norio haletait.
- Allons senseï, qui pensiez-vous découvrir ?... C'eut été trop facile. Tous les hommes portent un masque. Pour un homme comme moi, c'est une précaution élémentaire d'en porter au moins deux.
Norio recula, terrifié. Cristal leva son bras, projetant une ombre immense et difforme à travers toute la pièce et frappa en plein coeur. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois. Le vieil ne réussit pas à crier. Son sang épais gicla sur les draps trempés, sur le mur, éclaboussa son panneau en bois laqué et les bougies qui finissaient de se consumer.
Cristal remit son masque, reprit son souffle, rangea son poignard et s'en alla rapidement.
Suzume, emporté comme par un torrent, emporté par ce qu'il ignorait être son destin, courait pour retrouver la chambre du vieux Norio. Il ne manqua pas de se perdre. Il s'affolait, tournait en rond, ne distinguait plus une porte d'une autre. Il s'arrêta, s'adjura de se calmer.
- Du calme, tu vas retrouver cette chambre... Le couloir, tu as tourné à droite... Puis à gauche... Et alors...
Il revint en arrière, marcha posément, respira.
- La porte de droite, puis ce second couloir à gauche...
Les larmes lui montaient aux yeux. En possession des parchemins d'un disciple de Shinsei, et incapable de trouver son chemin dans un palais Crabe !
- Tu n'es vraiment qu'un imbécile émotif, immature, qui fait honte à tout le monde, qui n'en fait qu'à sa tête...
Il entendit des voix de l'autre côté d'un mince porte. Il s'arrêta, hésitant à demander son chemin... Et s'il surprenait quelqu'un dans une position gênante ? On racontait tant de choses sur les vices nocturnes des courtisans...
Il prit le risque de s'approcher : il vit deux personnes au travers de l'écran de papier de riz de la porte. Ils discutaient, en tailleur l'un en face de l'autre :
- C'était bien ce que nous pensions. Il était temps d'intervenir. Il faut maintenant découvrir ce qu'il a pu dire.
- Vous êtes certain, pour le moment, que le Vieux ne nuira plus ?
- J'en suis parfaitement certain.
Suzume n'eut pas d'hallucination : il vit l'homme qui venait de parler montrer un poignard. Il recula. Sa mâchoire se mit à trembler, ses genoux allaient le lâcher. Il fit trois pas en arrière et partit en courant. Il entendit le panneau de la pièce s'ouvrir d'un coup, les deux hommes sortir, mais il était déjà loin.
Les couloirs tournaient, chaviraient, se renversaient... Il vit de la lumière sous une porte, la chambre du vieux Norio. Il tomba à genoux. Il entendait des pas dans le couloir. On approchait.
Il ne pouvait plus se relever. Il finit à genoux les quatre pas de distance, ouvrit la porte en grand, fou de terreur. Il se releva, vit le corps du vieil homme, tordu de douleur, baignant dans le sang, le sang qui avait giclé du sol au plafond. Il tomba à la renverse, prit une bougie pour en rallumer trois autres. Il s'approcha lentement, son visage trempé de sueur et de larmes :
- Senseï...
Le vieux Norio était tordu comme une racine, raide comme un arbre abattu.
Hanteï Tokan retrouva Mitsurugi autour d'un verre et trinqua de bon coeur :
- Allons, au printemps qui approche !
- Tout à fait, répondit Mitsurugi, qui essayait de faire bonne figure.
Shosuro Jotaro entrait, salué très bas par ceux de son clan :
- Une prestation magnifique !
- Vous vous êtes surpassé, maître !
Plusieurs Crabes durent y aller aussi de leur compliment d'usage.
Le Bouffon terminait son petit spectacle pour l'Empereur, saluait la compagnie. L'Impératrice fit alors signe à Nobuyoshi qu'il pouvait aller se coucher. Surpris, le garde du corps regarda l'Empereur, qui lui dit qu'il pouvait y aller. Le tensaï salua bien bas tout le monde.
Sasuke l'attendait dans la pièce d'à côté :
- Nous rejoignons nos quartiers pour la nuit, lui dit-il.
- Entendu.
Les deux amis allèrent dans leur chambre, que les servantes avaient bien chauffé.
- Vous serez très bien, seigneurs...
- Pour le chauffage, dit Nobuyoshi, mon ami peut s'en occuper...
Nobuyoshi s'allongea, fourbu :
- Dormons vite car nous nous levons demain à l'aube. Je me dis d'ailleurs que nous aurions pu rester éveillé toute la nuit... Puisque la cour se termine demain, il aurait été normal de veiller en permanence... Dis, tu m'écoutes ?
Sasuke s'était relevé et sortait :
- Je reviens, dit-il.
Nobuyoshi le suivit : le petit coin était au bout du couloir :
- Je vais y passer aussi...
Mais Sasuke partait dans l'autre sens.
- Où vas-tu ? C'est par là...
Sasuke n'écouta pas. Nobuyoshi le rattrapa :
- Dis, oh !
Il toucha le bras de son ami, qui le repoussa fermement.
- Sasuke ?
Il avançait comme un somnambule.
- Sasuke, qu'est-ce que tu vas faire ?
Il se mit devant lui. Sasuke l'écarta vigoureusement et reprit sa marche. Nobuyoshi ferma les yeux et pria les dieux de lui venir en aide.
- Sasuke, arrête-toi... Arrête-toi !
Il n'écoutait pas. Nobuyoshi appela un garde :
- Toi ! Cours me chercher Mitsurugi ! Matsu Mitsurugi !
- Bien seigneur !
Sasuke marchait, guidé par une force toute puissante, qui le déplaçait comme un pantin. Il faisait un pas après l'autre, oscillait de gauche à droite.
- Sasuke, réveille-toi ! Concentre-toi !...
- Laisse-moi, dit-il d'une voix absente.
- Sasuke, tu es sous l'emprise d'un sortilège !
Ils arrivaient en vue de la porte du jardinet réservé à l'Empereur. Les deux gardes Seppun se levèrent :
- Halte-là !
- C'est nous ! dit le tensaï de l'Air.
- L'Empereur vous a ordonné pour l'heure d'aller dormir, dit l'un des Seppun. Nous n'avons pas été prévenus de votre arrivée. Repartez d'où vous venez.
Sasuke, imperturbable, avançait.
- Je vous en supplie, n'essayez pas de l'arrêter !
Les deux Seppun mirent la main sur le sabre :
- Matsu Sasuke, arrête-toi !
Le tensaï fit apparaître des flammes dans ses mains.
- Laissez-le passer, cria Nobuyoshi.
- Encore un pas et nous attaquons !
Ils tirèrent leurs sabres et se mirent en défense. Nobuyoshi invoqua un fort courant d'air qui renversa Sasuke et les deux Seppun. Il courut mais un mur de feu s'éleva devant lui. Il cria encore à Sasuke d'arrêter : il s'était relevé le premier et passait la pore, entrait dans le jardin.
Nobuyoshi invoqua encore les esprits du vent pour disperser les flammes. Il enjamba les deux Seppun assommés et se précipita sur Sasuke.