04-09-2011, 04:14 PM
(This post was last modified: 06-09-2011, 09:50 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #18
Maréchal ouvrit un oeil. Il voyait trouble, sa tête cognait de l'intérieur. Il était allongé sur un lit dur. Il faisait froid.
Il se revit dans le parc. Il pleut, il se cogne à une branche, il est dans un ascenseur à la lumière aveuglante. Il voit quelqu'un à côté de lui qui trafique les boutons. Il remarque qu'il n'y a pas de bouton pour le sixième étage. Ensuite, il se réveille. Il a un moment de nausée. Il se tient l'estomac, ça passe. Il réalise qu'il se trouve dans une cellule ! Il se précipite sur les barreaux, les secoue. En face, c'est la cellule 514. Logiquement, il doit être dans la 515... Il appelle Faivre, Turov, n'importe qui ! Il n'y a personne !
Maréchal vérifia ses poches : on lui avait appris son arme, pas ses papiers. Son imper traînait par terre, sous la chaise. Il y avait encore ses clefs, son paquet de tabac.
Quelqu'un tape au barreau : l'inspecteur se retourne et voit trois personnages en combinaisons de caoutchouc intégral, avec leurs masques respiratoires ! Ils le regardent. Elles le regardent, plutôt, puisque l'enquête a montré que ce sont des femmes qui sont obligées de vivre dans ces combinaisons, pour ne pas mourir asphyxiés suite à l'infection par la temporite !
Elles le regardent en silence. Maréchal a arrêté de rouler sa cigarette. L'une d'elles approche une chaise. Un homme vient s'asseoir dessus : Antiphon.
- Nous avons à parler, dit ce dernier.
Maréchal se rassit sur sa propre chaise, à califourchon, comme si c'était lui qui allait mener l'interrogatoire.
- Vous voulez tout savoir sur moi, n'est-ce pas ?
Maréchal acquiesça. Il prit le temps de finir de rouler sa cigarette. On lui avait pris ses allumettes. Antiphon comprit : il en craqua une et lui passa par les barreaux. Maréchal s'approcha. Dans le couloir froid, on entendit grésiller le bout de la tige de papier.
- Je suis bien le Prince Paon, alias Antisthène Phonos.
- Dans ce cas, je vous arrête, dit naturellement Maréchal.
Que l'inspecteur ait encore à l'aise derrière des barreaux gênait Phonos.
- Vous êtes le seul à pouvoir comprendre...
- Je ne suis pas votre mère, Antiphon.
- Ma mère ? Mais elle ne me comprend pas ! Si un peu, mais pas assez...
- Elle m'a menti. Elle dit ne plus vous avoir vu depuis des années. Or, vous vous êtes rencontrés il y a moins de trois semaines. Est-ce ce jour-là que votre père vous a surpris, et vous a fait interner ?
- Ce n'est pas si simple, monsieur le policier. Vous êtes malin, mais pas autant que vous le croyez...
- Éclairez-moi.
- A ma sortie de l'école militaire, ils ont voulu se débarrasser de moi. Donc ils m'ont aidé à devenir marin.
- Sur le Chevauche-Cyclone...
- Bravo, vous avez bien avancé.
- Il y a eu une tempête exceptionnelle dès notre première sortie. Du jamais vu. C'était surnaturel, Maréchal. L'océan entier hurlait, en avait après nous...
- J'ai toujours pensé que l'océan était un bel emmerdeur, oui...
- Ne riez pas... Il y avait quelque chose là-bas... Quelque chose qui voulait notre perte... Une tempête, pareille à celle qui passe sur la Cité en ce moment même... Vous comprenez ?...
- J'aime la pluie, mais pas le vent du large, dit Maréchal.
- C'est l'océan, c'est pourtant lui... Il y a ces choses qui sont arrivées avec la tempête quand le Chevauche-Cyclone a coulé. Et elles reviennent ce soir, avec la même tempête. Elles ne viennent pas de notre monde, elles y ont fait irruption. Le navire a coulé, mais moi j'ai survécu... "Elles" ont voulu que je survive... Elles sont venues en moi, elles ont fait de moi ce que je suis.
- Vous avez donc survécu au naufrage du Chevauche-Cyclone... Comment ?
- Nous avons coulé, dit Phonos. J'ai cru mourir asphyxié. Et puis je suis remonté à la surface et je n'étais qu'à quelques brasses des côtes, alors que nous étions à deux jours de mer quand nous avons coulé.
- Vous avez transporté par les courants sur cette distance ?
- Non, ce sont elles qui m'ont téléporté... Elles naviguent par la tempête, mais elles viennent d'un autre monde. Pour elles, l'espace n'est rien... Elles s'adaptent à l'espace de notre univers mais elles peuvent le plier.
- Qui sont ces choses de la tempête ?
- Les temporites. Vous le savez comme moi. Elles vous ont parlé.
- A moi ? Non...
- Pourtant, vous connaissez leur existence.
- Je n'ai pas appris leur nom en leur demandant leurs papiers.
- Ne soyez pas terre à terre. Les temporites me parlent... Elles veulent communiquer avec nous.
- Elles communiquent aussi avec toutes ces pauvres filles ?
- Elles sont volontaires. Elles veulent connaître les temporites. Elles savent ce qu'elles risquent quand elles acceptent.
- Mais aucune n'est immunisée à leurs effets désastreux, Antiphon. Elles finissent toutes atrophiées ! Sauf vous, apparemment.
- Oui, sauf moi...
- Qui a envoyé ces temporites ?
- Les Stalytes...
- Tiens donc, les Stalytes...
- Nous ne savons encore rien sur eux, mais eux nous observent... Ils nous guettent, et parfois ils choisissent l'un de nous.
- Pour faire quoi ?... Vous êtes sûr que vos Stalytes ne sont pas les Scientistes ?
- Non, non rien à voir... Même si les Scientistes sont peut-être en contact avec les Stalytes...
- Que vous disent les temporites ?
- Inspecteur, je ne les supporte plus... Elles me parlent, et c'est comme un chant permanent... Elles ont mille voix, elles murmurent sans cesse...
- Et votre famille dans cette histoire ? Et les Obre-Ignisses ?
- Je ne sais pas ! Je ne sais pas ce qu'ils savent des temporites !
- Les Obre sont en contact avec les Stalytes ?...
- Je ne sais pas, inspecteur, je ne sais pas... Ce que je sais, c'est que je veux ressortir d'ici.
- Vous avez récupéré récemment les frigos sur le Chevauche-Cyclone. Des frigos pleins de ces temporites.
- Oui, et du matériel propre à garder en vue ceux qui sont touchés par elles.
- Ces frigos sont donc bien la propriété des Obre-Ignisses !
- Peut-être, peut-être mais je ne suis pas venu pour parler de ça ! C'est vous le flic...
- Que voulez-vous donc ?
Maréchal écrasa sa cigarette.
- Inspecteur, la Recouvrance n'est pas ce qu'elle paraît être... Elle est aux mains des Scientistes ! Pas d'ADMINISTRATION !
- Enfin une information crédible...
- Ces Scientistes se servent des patients comme de cobayes... Ils font sur eux des expérimentations...
- Vous vous prenez pour un justicier, Antiphon ? Et quel rapport avec la temporite ?
- Ecoutez-moi, je suis venu de mon plein gré vous chercher...
- Vous voulez dire que vous êtes entré de vous-même dans la Recouvrance ? Ce ne sont pas vos parents qui vous y ont enfermé ?
- Bien sûr que non...
- Vous êtes bien le premier cinglé à entrer par effraction dans un asile !
- Inspecteur, cette Recouvrance-là est sur le point de fermer ! Mais il y en a une autre, cachée à l'intérieur de celle-ci !
Maréchal roula une autre cigarette.
- Pourquoi en voulez-vous aux Scientistes ?
- La temporite m'appelle là-bas... Les Scientistes font des expérimentations avec...
- Ces vilains savants fous traitent mal les gens, contrairement à vous, grand philanthrope avec ces pauvres filles...
- Ricanez si vous voulez. Mais si vous ne me suivez pas pour les Scientistes, vous le ferez pour vos collègues...
- Quoi ?
- Eux aussi, ils ont été capturés par le personnel de la nouvelle Recouvrance... Les membres de la Brigade Fantôme... Des cobayes de choix !
Maréchal jeta sa cigarette. Il mit son imper.
- D'accord, Antiphon, allons-y.
- J'en étais sûr... On va faire du bon boulot ensemble.
- Je le fais pour mes hommes, Antiphon, pas pour ta vendetta personnelle. Quand je les aurai retrouvés, tu redeviendras le n°1 sur ma liste...
Maréchal remit son chapeau :
- Je peux avoir mon arme ?
- Pas maintenant... Je vous la donnerai en temps voulu.
- Si tu te fais dessouder parce que je n'ai pas pu te protéger, tu ne viendras pas te plaindre.
- Je sais me défendre seul ! Vous oubliez la passerelle...
- Tu sais faire tes tours de cons pour enfumer les gens, dit Maréchal. Mais c'est de la poudre aux yeux. Moi je te parle de dangers réels. Pas d'illusions.
- Vous oubliez que, bien "préparé", un homme est une marionnette entre mes mains... Continus, Mélian...
Ils remontèrent au rez-de-chaussée avec les trois filles en combinaison.
- Tout le monde te croit parti, dit Phonos.
- On se tutoie maintenant ?
- T'es vraiment un flic, Maréchal...
- Et toi un escroc qui se prend pour le roi de la magie...
- Je disais donc que tout le monde te croit parti, et que nous avons peu de temps... Allons voir le bureau du dirlo...
Ils approchèrent silencieusement de l'accueil. La secrétaire était partie. Ils passèrent par le jardin, par la fenêtre brisée, et entrèrent dans le confortable salon. Maréchal ralluma le chromato. Linus était encore là.
"Où étiez-vous parti ?"
"Un petit contretemps, Linus. Je vais encore avoir besoin de toi. Ton prix sera le mien."
"Entendu, je vous écoute."
"Tu vas me trouver les plans complets de la Recouvrance chez CADASTRE, et me dire si tu vois un passage dissimulé partant de ce bureau, ou du même étage."
"D'accord."
Pendant que Linus cherchait, Maréchal et Antiphon mirent le bureau sens-dessus-dessous. Ils renversèrent les tables, les chaises, soulevèrent les tapis, déplacèrent le buffet, vidèrent les rayons de bibliothèque et mirent à terre les étagères. Antiphon cassa plusieurs lattes du plancher au hasard, Maréchal mit des coups de couteau dans les fauteuils et le canapé. Ils ouvrirent des livres au hasard, fébriles, vidèrent les tiroirs, farfouillèrent, de plus en plus nerveux, dans les papiers. Antiphon ouvrit le piano, plongea la main entre les cordes, cassa encore les lattes de plancher.
Maréchal poussa une étagère pleine de gros volumes de médecine, et découvrit un pan de mur nettement découpé. Il soupçonnait un mécanisme pivotant.
- Aide-moi...
Ils poussèrent d'un côté puis de l'autre du mur, appuyèrent en haut et en bas.
- Il faut trouver le levier, un mécanisme...
La tempête soufflait sur le parc. Ils avaient heureusement bouché la fenêtre brisée avec un dictionnaire, mais un coup de vent le renversa. L'air strident s'introduisit en hurlant dans la pièce. Un éclair tomba, illuminant tout le ciel d'une lumière blafarde et, dans cet éblouissement sinistre, Antiphon vit trois silhouettes minces qui approchaient dans le jardin.
- Maréchal !
- Quoi ?
L'inspecteur regarda par la fenêtre :
- Tiens, nos amis philanthropes...
C'était bien des Scientistes, quatre, qui avançaient, armés. L'un d'eux épaula son fusil et tira. La fenêtre vola en éclats. Maréchal et Antiphon plongèrent à terre, puis coururent derrière le gros fauteuil renversé. D'autres tirs frappèrent la vitre et les murs. Antiphon se précipita sur le canapé et le repoussa jusqu'à la porte d'entrée.
- Ça ne les retiendra pas longtemps !
Rageur, Antiphon prit une chaise et la lança par la fenêtre !
- Voilà pour vous !
Trois autres coups retentirent. Antiphon replongea derrière le fauteuil.
- Si en plus tu nous les fâches, soupira Maréchal.
La situation devenait critique.
Il n'y avait plus que la lumière verdâtre du chromato pour éclairer la pièce. Soudain, Maréchal vit le mur à côté de la porte commencer à se liquéfier ! Terrorisé, accablé, il se souvint de Horo : ils allaient passer au travers du mur !
Maréchal courut au chromatographe, pendant qu'Antiphon, tétanisé, voyait la silhouette du maigre Scientiste se couler à travers le mur.
Linus n'était plus connecté ! Maréchal tapa du poing, rageur ! Il se mit en joue, son arme à deux mains, visa le mur. Il retint sa respiration, attendant que l'autre ait traversé. Il comprit soudain, en voyant la forme liquéfiée, que ce serait inutile, comme de tirer sur de l'acier en fusion !
Maréchal courut au mur, pressa encore en haut, en bas... Il fut pris de vertige, vit d'un coup tout se renverser, comme si la pièce se retournait lentement comme un sablier. Ce fut comme s'il venait d'ordonner au mur de s'ouvrir : celui-ci remonta d'un coup. Maréchal se jeta de l'autre côté. Antiphon courut, se jeta à terre alors que le mur redescendait et se glissa dessous juste quand il se refermait. Un autre éclair tombait, tout près. Les quatre Scientistes finissaient de se solidifier dans la pièce.
Ils coururent dans un couloir semblable à celui de l'accueil dehors. Ils arrivèrent dans une autre salle d'entrée, avec un comptoir vide. Des murs fraîchement peints. Des bâches au sol, des fils électriques pendant du plafond.
Sur un poteau au milieu de la pièce, un autre plan en coupe, pour s'orienter dans un bâtiment semblable à la Recouvrance : un étage au niveau du sol, puis cinq étages souterrains, organisés selon les pathologies à traiter.
- La légende détaille les cinq premiers sous-sols, mais le plan en indique neuf, nota aussitôt Maréchal, qui reprenait son souffle.
Antiphon vérifia et dit :
- C'est vrai... Mais il y a quoi, à ton avis, dans les quatre suivants ?
- On va le découvrir bien assez tôt...
Une cage d'ascenseur béante, sans échelle, ne permettait pas de descendre ; en revanche, il y avait un escalier à côté, avec des marches lisses, sans poussière.
- On est sur le bon chemin, dit le policier.
- Pas rassurant comme endroit...
- De toute façon, si tu savais vers quoi tu descends, je suis certain que tu aurais encore plus la trouille, alors...