10-09-2011, 04:06 PM
(This post was last modified: 06-08-2013, 10:28 AM by Darth Nico.)
Le camp de la délégation des Lions, établi au pied des montagnes du toit du monde, semblait s'enfoncer lentement, depuis trois jours, dans la boue. La pluie incessante accablait tout, hommes, bêtes, matériel. Des torrents débordaient, des ponts étaient emportés.
Le général Kokatsu sortait à peine de sa tente, au milieu du camp fortifié que ses hommes montaient et renforçaient chaque jour. Il restait assis sur son siège, au coin du feu, enveloppé dans ses fourrures. Quand il ne s'entretenait pas de longues heures avec un des moines de Shingon, il faisait venir les jongleurs et les poètes. Il bâillait, regardait le paysage morne, ses hommes las, les chevaux résignés. La terre meuble provoquait chaque jour l'effondrement d'un pan de palissade ou d'une tente. Il fallait renvoyer un groupe de soldats abattre de nouveaux arbres.
Matsu Mitsurugi entrait pour faire son rapport :
- J'ai envoyé des éclaireurs, général, vers le col de Benten. Ils seront de retour dans trois jours.
- Trois jours ? Nous avons le temps de finir noyés dans cette boue...
Mitsurugi salua et partit dans sa tente, où le feu ne faiblissait jamais, grâce à Sasuke.
- Si nous restons trop longtemps, les esprits vont finir par se fâcher, dit le shugenja. Je ne peux pas abuser d'eux sans en subir ensuite les conséquences.
- Le général ne tient plus en place, dit Mitsurugi. Il est déjà parti trois fois à la chasse, mais en cette saison, on n'attrape rien.
- J'espère que le col de Benten sera praticable...
- Les Scorpions nous ont dit que non.
- Mais le général ne voudra jamais prendre en compte l'avis des Scorpions, dit Sasuke.
- Bien sûr que non.
Des Bayushi étaient venus en effet, trois jours plus tôt, avec les meilleures intentions du monde, prévenir que la traversée du toit du monde serait impossible avant un bon mois. Les chemins étaient encore trop étroits ; et les neiges trop épaisses, dissimulant des crevasses meurtrières.
Mitsurugi avait envoyé Yasashiro, Yatsume et Yojiro à Benten pour s'assurer de l'état du col.
- Eux au moins font de l'exercice, soupira Sasuke.
Il ne croyait pas si bien dire, car au même moment, les trois "Y" affrontaient une violente bourrasque de neige, qui les obligeait à se précipiter à l'abri d'un promontoire rocheux.
- Nous n'avons rien pour faire du feu, dit Yatsume.
- Pour une fois, il aurait peut-être fallu écouter les Scorpions, dit Yasashiro.
- Plutôt mourir, dit Yojiro. Le général a bien raison.
- Vous croyez franchement que le col sera praticable ? dit Yatsume. Nous sommes encore à une journée de marche, et à trois, nous n'avançons pas ! Aucun cavalier ne peut passer, aucun chariot ! Personne !...
- Il faut quand même bien aller voir, dit Yasashiro.
- C'est tout vu !
Ils attendirent une heure, à grelotter dans leurs fourrures. Le vent finit par retomber, et un beau ciel bleu apparut. Le soleil déchirait les nuages. Les trois éclaireurs montèrent vers un hameau abandonné. Il devait servir l'été pour les bergers qui menaient les troupeaux aux pâturages.
- Nous serons bien ici, dit Yojiro. Il y a du bois bien au sec, de la paille, des pierres pour le feu.
Yasashiro monta sur une grosse pierre et observa l'immense paysage de montagnes brumeuses et d'épaisses forêts. Un choucas hurlait depuis des hauteurs inaccessibles. Quelques fleurs timides perçaient entre les rochers. Yatsume mettait du riz sur le feu, Yojiro partait prendre du petit gibier.
- On n'est pas bien ici, dit le rônin en revenant avec un lapin. Les rois du monde ! Quand je pense que dans la vallée, ils ont de la boue jusqu'aux genoux !... Il faut bien que, de temps en temps, on ne soit pas les plus malheureux !
Quand le feu eut bien pris, ils s'assirent autour, préparèrent le lapin, puis s'endormirent lourdement, pris d'une délicieuse torpeur.

Une bourrasque plus puissante encore que les autres venait de renverser le portail est du camp. Les soldats s'affairaient pour le remonter.
Le général fit venir dans sa tente ses capitaines, ainsi que Mitsurugi, Sasuke et Ikoma Noyuki.
- Nous n'allons pas rester tout le printemps ici, et je dirais même que dans quelques jours, nous serons partis, dit Kokatsu. En attendant, nous devons faire le point. Car notre clan est en deuil...
Tout le monde approuva.
Le daimyo de la famille Akodo, et par conséquent chef du clan entier, avait été tué lors d'une escarmouche contre les troupes de zombies d'Akuma. Les Lions avaient choisi, dans l'urgence, le chef de la famille Kitsu, l'aîné des daimyo, en attendant le choix du prochain vrai chef. Tout le monde savait bien que Kitsu Itsoji n'avait pas la carrure d'un maître de clan, mais il ne causerait pas de remous en attendant.
- Les Akodo ont été pris de court par la mort du seigneur Kojeki, expliqua le général. En effet, il y a maintenant trois prétendants à la succession : le fils aîné de Kojeki, Gencho. Son neveu, plus âgé, Koji. Et un jeune cousin, Hatori. Il est peu probable qu'ils arrivent rapidement à se départager. Or, je ne veux pas être entraîné dans leur guerre de succession. En tant que général, gouverneur de la Cité des Apparences, je dois rester en dehors de ces disputes. Nous partirons donc rapidement. Rien de bon ne peut sortir d'une dispute entre Akodo.
Tous les officiers présents approuvèrent ces justes et fermes paroles.
- Je n'ai qu'une hâte, retrouver ma famille, mes terres et cette Cité conquise de haute lutte. A peine en suis-je le maître que je dois redescendre vers les terres ingrates de nos amis du Crabe. Or, les Grues ne vont pas attendre à l'été avant d'attaquer. Et je veux être là pour leur offrir la défaite qu'ils méritent !
Tout le monde rit de bon coeur.
- Plusieurs d'entre vous se sont distingués durant cette cour d'hiver. Aussi, toi, Ikoma Noyuki, je désire qu'à présent, tu sois mon biographe. Tu écriras mon histoire avec le même talent que pour ta pièce de théâtre.
"Toi, Mitsurugi, tu as suffisamment prouvé tes talents d'ambassadeur. Tu seras mon porte-parole. Je t'envie, car c'est toi qui annonceras aux Kakita que nous les attendons pour les chasser de nos terres !
- C'est trop d'honneur, dirent Ikoma Noyuki et Matsu Mitsurugi.
- Ceux du Gozoku ont suffisamment prouvé leur arrogance et leur vulgarité pour, au contraire, récompenser la vraie bravoure, la vraie grandeur. Si nous écoutions ces courtisans veules et bavards, nous devrions récompenser les plus menteurs et les plus rusés de nos samuraï. Mais ce n'est pas ce sang-là qui coule dans nos veines !
- Non, Matsu Kokatsu ! dirent en choeur tous les officiers.
- Pour commencer, toi Mitsurugi, tu iras annoncer aux Akodo mon intention de partir bientôt. Tu insisteras bien sûr sur l'importance stratégique de la Cité des Apparences. C'est un langage que les Akodo comprennent. Ils ne nous en voudront pas de repartir sans eux.
- Bien, général, dit Mitsurugi, moins confiant dans la réponse des Akodo.
