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Dossier #19 : Les truands
#2
DOSSIER #19


LES TRUANDS


SHC 1 - RUS 0 - IEI 1 - ATL 0





- Moi, je ne comprends pas, inspecteur. Je ne comprends pas, c'est comme ça...
Faivre se prenait la tête dans les mains. Maréchal ne le regardait pas avec une condescendance amusée. Il était inquiet, lui aussi.
- Cette affaire est terminée, Faivre.
C'était botter en touche.
- Mélian a été acquitté.
- Ils vont le "traiter" à la Recouvrance !
Maréchal fit la moue. Il le savait bien.
- Ce n'est pas rationnel, vous comprenez, reprit Faivre. Même les truands ont un comportement rationnel -à leur manière. Ils escroquent, ils cognent, ils tuent, mais c'est un métier pour eux. Vous voyez, ils sont truands comme d'autres sont avocats ou comptables...
Dites dans un cadre officielle, au tribunal par exemple, ces paroles auraient valu une sévère sanction à Faivre. Mais pas dans un bureau de police, entre collègue, et surtout pas à la Brigade Spéciale.
Maréchal dit qu'il comprenait. Lui était inquiet, mais pour Antiphon. Et cela le mettait mal à l'aise d'avoir de la considération, et même une certaine fascination, pour ce criminel. Il l'imaginait enserré dans la combinaison étanche, plongé dans une cuve, plus isolé du monde qu'un détenu en quartier de haute sécurité.
Est-ce que la justice avait le droit d'infliger un tel traitement, même à un détraqué dangereux comme le "Prince Paon" ?...
Pas la justice d'ailleurs, mais la médecine !
Et pas la médecine classique ! Les services de contrôle des réfracteurs à la Concorde Sociale ! OBSIDIENNE !

Faivre s'enferma dans son bureau. Maréchal resta songeur.
Après la période intense de l'enquête sur Antiphon, le calme plat était revenu sur les bureaux de Névise. Maréchal reprenait son rythme paresseux. Il allait attendre tranquillement que la prochaine affaire se présente, bien au chaud derrière son bureau, avec son siège moelleux, ses cigarettes, le café servi par Clarine. Il regardait avec satisfaction ses dossiers qui n'occupaient que la moitié des rayonnages. Il y en avait peu, mais ils étaient denses ! Toutes ses enquêtes depuis ses premiers pas dans les rues de Mägott-Platz !
Même pas un fichier anthropométrique, mais une petite somme tératologique ! C'était comme s'il gardait dans des bocaux de formols des morceaux de monstres et d'aberrations humaines : le Passe-Muraille, Gueule de Rat, le Somnambule... Le docteur Heindrich (un petit dossier noir, caché entre deux lourds classeurs beige clair). C'était son petit musée des horreurs personnels.
Un jour, il le ferait visiter...

Dans la pièce d'à côté, Faivre abattait de la besogne administrative assommante, en maugréant sur ses fiches à remplir, sur l'affaire Mélian, sur le détective Vinsler qui avait le teint trop pâle et qui refusait de se soigner !
Turov était calé dans son fauteuil. Il se morfondait vaguement sur son passé, sur les hallucinations subies dans la Recouvrance. Il ne savait pas trop comment retrouver son passé, et il n'était pas certain d'en avoir envie.
Maréchal lui avait laissé la carte du professeur Julius Heims, spécialiste des troubles mentaux. Turov l'avait rangé dans son porte-feuille et se promettait d'appeler bientôt cet homme.

Morand, sa veste repassé et amidonnée, sa cravate bien droite, ses manches repliées droites juste au-dessus des poignets (pas plus haut), travaillait à son rapport de stage avec le plus grand sérieux.
"Le commissariat est actuellement plongé dans une sorte d'hibernation collective", écrivait-il, "comme si les fonctionnaires l'occupant entraient dans une torpeur due à une absence de stimuli extérieurs. Peu de mots sont échangés, le strict minimum des relations humaines. Les journées passent et se ressemblent, mes collègues semblent satisfaits chaque jour par le peu de besogne accomplie au service de SÛRETÉ.
Il est entendu que, dans ces lignes, je ne juge pas (en dépit de ce que je peux éprouver en mon for intérieur), je décris simplement la vie à Névise comme le ferait un entomologiste. J'ignore s'il en va de même dans les autres services, notamment au quai des Oiseleurs. Je crois que nous sommes comme une tribu isolée, presque coupée de tout contact avec la civilisation. L'absence de contraintes, de dangers, de besoins provoque une apathie généralisée. L'autarcie décourage toute velléité d'action. A échelle miniature, nous sommes comme une civilisation qui stagne. Notre chef de tribu, Maréchal, semble satisfait de cet état mou de lente régression. Mais je digresse, en m'aventurant ainsi sur le terrain de l'anthropologie, qui est certes bien différent de mon champ de spécialité, la noble Psychologie."

- Bon, ça suffit...
Faivre écarta le reste de la lourde pile de paperasses. Professionnellement, humainement, il avait fait ce qui était faisable. Le reste attendrait !
Une fois, il avait demandé de l'aide à Clarine pour traiter ces dossiers. Elle y avait mis tellement de zèle que Faivre s'était retrouvé à passer trois fois plus de temps par feuille ! Ce n'était pas vivable !
Depuis, il travaillait presque en cachette de la secrétaire, dans la peur d'être surpris avec son travail bâclé. Si elle insistait, il minimisait l'ampleur de la tâche. Il lui en confiait une petite partie et alors, elle passait autant de temps sur trois fiches que lui sur trente ! Et puis elle revenait demander des conseils toutes les demi-heures, on n'en finissait pas...
Tandis que si Faivre s'adressait à Maréchal pour déchiffrer le jargon administratif, ce dernier lui conseillait de "laisser pourrir" tranquillement, en attendant une relance qui ne viendrait peut-être jamais. Enterrer les dossiers assez longtemps pour qu'on puisse en faire de l'humus, c'était le mot d'ordre.
- Ça m'a toujours très bien réussi. Parce que, plus vous en faites, plus "ils" vous en envoient. Le travail va au travail, inspecteur ! Ne jamais l'oublier !... Après, vous devenez la proie de gratte-papiers névrotiques, qui vont abuser de votre temps, vous harceler, vous pressurer, vous conduire au surmenage !
Maréchal lui-même contemplait chaque jour, avec une tranquille satisfaction, sa pile de dossiers en retard. Elle donnait une atmosphère à la pièce. Lui, elle le rendait important.
- Avec tous ces dossiers urgents à traiter, je suis débordé...

Faivre alla se faire un café à la cuisine. Clarine tapait avec régularité à la machine, ses lunettes posées sur le bout du nez. Faivre, les idées embrouillées, remit la casserole sur le gaz. Il se demandait que faire ? Sauter dans les bras de Clarine ? Tomber à ses pieds ? La prendre dans ses bras et s'enfuir avec elle ?...

Il se frotta les yeux. Il se dit qu'il fallait la marier avec Morand. Ils étaient de la même espèce, celle des consciencieux. Espèce rare, fragile, à la merci de l'environnement hostile de la Cité !
L'inspecteur se lava une tasse, puis décida d'aller embêter Morand.

Non, il allait faire mieux que ça ! Pour sortir le détective de son état, il fallait le traitement de choc ! L'inspecteur se souvint qu'il lui restait de l'herbe au fond de son tiroir... L'herbe qui égayait les soirées avec Sélène. Il alla en prendre, puis la versa discrètement dans le café. Il touilla bien fort.
- Un petit café Morand ? Ça va vous faire du bien...
- Oui, dit le détective, qui montra une imperceptible fatigue, je veux bien...
C'était les démons qui voulaient voir Faivre réussir !
- J'en veux bien aussi ! dit Maréchal.
- Je vais vous l'apporter, dit Clarine. Et je vais en prendre aussi.
- Ah bon ? dit Faivre, mais attendez je vais en refaire, il n'y en aura pas assez...
Clarine regarda la casserole :
- Si, nous en aurons assez pour quatre...
- Il sera bientôt chaud, dit Faivre, pris de vertige.
Il courut chercher Turov :
- Viens, j'ai besoin de toi sur le terrain !
Il tirait son collègue d'un demi-sommeil.
- Pardon, quoi ?
- Viens, je te dis...
Maréchal releva un sourcil soupçonneux. Une urgence, d'un coup, en plein milieu de l'après-midi ?...
Il ne dit rien, pour ne pas contrarier les bonnes volontés.
- Allez, mets ton manteau, vieux...
Turov suivit, machinalement. Faivre le poussa dehors.
- Votre café ?
- Tout à l'heure, Clarine ! Gardez-le au chaud !
La secrétaire haussa les épaules, puis mit des tasses sur un plateau.

- Dépêche-toi ! Dépêche-toi !
- Si tu me disais où on va...
- Au bistrot !
- C'est ça ton urgence ?
- Je vais t'expliquer...
Gronski fut étonné de voir arriver ses bons clients à l'heure la plus creuse de la journée.
- Salut, patron... Un petit rouge pour moi ! Et toi, Andréï ?
- Alors la même chose.
Les deux policiers s'accoudèrent au comptoir.
- C'est la catastrophe !...
Faivre n'osait regarder par la fenêtre les bureaux.
Après le deuxième verre, Turov demanda :
- Qu'est-ce qu'on fait là, au juste ?
- Je vais te raconter... Patron, la même chose !
Il fallut un quatrième verre, pendant lequel Faivre ne cessa de répéter "la catastrophe, la catastrophe..."
Turov ne comprenait pas bien.
- Ecoute-moi, dit Faivre, les joues plus rouges, j'ai drogué le café !
Il avait voulu parler à voix basse, mais depuis la cave, Gronski avait entendu . Il fit la sourde oreille : ne pas se mêler des histoires des clients...
- Droguer le café ? fit Turov, qui regardait dans le vague.
- C'était pour faire une farce à Morand ! Mais ça a mal tourné ! Tu ne comprends pas...
- Pas bien.
- Ils vont tous en boire !
- Ah...
Faivre voyait sa vie s'écrouler. Maréchal obligé de le dénoncer ! Puis le blâme, la sanction, la dégradation ! Et surtout : Clarine fâchée !
C'est en titubant que les deux policiers repartirent sur le quai. Faivre vit un pigeon mort, puis deux, puis trois. Et des chats, plusieurs souris...
- Oh, il cogne ce rouge...
Les vaguelettes du canal lui donnaient le tournis. L'eau l'attirait, le pays des poissons tanguait...

Sur la façade du bâtiment, il vit alors une grande tâche noire, qui gouttait sur le quai.
- Euh, le café ?...
Morand était en train d'essuyer le rebord de la fenêtre.
- Clarine ! Clarine !
C'était Faivre qui se mettait d'un coup à braire !
- Clarine ! Je vais vous expliquer !
Turov étudiait avec circonspection un pigeon endormi.
Le Scientiste avait renversé le café par la fenêtre et les animaux des quais en avaient bu. Ils dormaient maintenant d'un sommeil plein de rêves colorés.
- Clarine !
La secrétaire vit Faivre dans un état lamentable, débraillé.
- Il est saoul comme un cochon !
Elle fut prise d'une fureur indignée, et partit à la salle de bains.
Maréchal se leva enfin du fauteuil où il était profondément enfoncé depuis des heures, agacé par ce raffut. Clarine le bouscula presque, un grand seau plein d'eau à la main, comme une concierge qui va laver son morceau de trottoir.
- Il va voir cet ivrogne !

- Clarine !
- Approchez inspecteur, je vous entends mal !
Faivre obéit et reçut la douche glacée. Il y eut une deuxième tournée pour Turov.
Les deux hommes entrèrent, la tête basse. Ils reniflaient bêtement. Clarine leur jeta à la tête des serviettes. Ils passèrent dans le bureau de Maréchal :
- En pleine après-midi, aller vous saouler ! Vous n'êtes pas bien ma parole ! Comme ça, sans raison ! Si vous n'avez pas assez de travail, je vais vous en donner moi !... Et quelle image de la police donnez-vous !
En ressortant, ils furent cueillis par Clarine :
- Indignes ! Déshonorant ! La honte de SÛRETÉ !

Que Clarine était belle quand elle était furieuse, se dit Faivre.
- Poivrots ! Saoulards ! Remettez votre chemise, inspecteur Faivre, le col droit, la cravate bien serrée ! Que dirait votre mère ?...

Leur mère à tous, c'était elle !
Ils s'en retournèrent à leur bureau. Maréchal les fit rester deux heures de plus le soir, pour abattre de la besogne qui devenait soudain urgente. Il allait les surveiller de chez lui, il avait vue sur le bâtiment depuis son salon !
- Si je vois un de vous sortir avant l'heure dite, c'est la mise à pied !
Faivre et Turov durent dessaouler devant une pile effrayante de rapports d'enquêtes et de justificatifs de notes de frais.
Et Maréchal était à son poste d'observation, comme un chasseur dans sa hutte.

- Tu me connais, Nelly, je ne suis pas ennemi de la bouteille, mais comme ça, au bureau, en pleine journée, ce n'est pas acceptable... Vraiment, je me demande ce qui leur a pris... Avant de rentrer, je suis passé voir Gronski. Lui dire de ne plus servir d'alcool à mes hommes en pleine journée. De me prévenir s'il les revoit à une heure indue. Il ne faut pas exagérer...
"Tiens, tu aurais vu la secrétaire, le savon qu'elle leur a passé... Elle devrait faire sergent-recruteur. Non seulement l'armée attirerait plus de monde, mais ça filerait droit dans les rangs !
- A ce propos, dit Nelly, ces malheureux fonctionnaires, tu devrais les inviter, quand ils auront dessaoulés.
- Oui, pourquoi pas... En ce moment, c'est vrai qu'on n'est pas débordés.


¤
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Messages In This Thread
Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 05:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 06:53 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 15-10-2011, 12:41 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-10-2011, 01:57 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 16-10-2011, 10:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 26-10-2011, 10:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 29-10-2011, 05:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 30-10-2011, 09:00 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 31-10-2011, 02:56 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 01-11-2011, 12:58 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 01-11-2011, 09:50 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 03-11-2011, 10:26 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 04-11-2011, 01:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 05-11-2011, 12:34 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 08-11-2011, 12:07 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 15-11-2011, 05:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 02:05 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 04:42 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 18-11-2011, 11:27 PM

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