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Dossier #19 : Les truands
#4
DOSSIER #19

- On a fait les cons...
Faivre devait l'admettre !
Ils quittèrent à une heure tardive les bureaux de Névise. Les deux policiers partirent les mains dans les poches, la tête basse. De tristes ordures passaient à la surface du canal. Les réverbères éclairaient les palais crayeux submergés. Des oiseaux se perchaient dans le lierre qui envahissait les façades des bâtiments décrépis. Une famille d'anges bleus avaient élu domicile en haut d'une grosse colonne qui s'effritait.
- Tu fais quoi ce soir, Andréï ?
Faivre cracha dans l'eau.
- Oh, moi, tu sais...
Ils passèrent devant chez Gronski sans s'arrêter. La fraîcheur du soir virait au froid mordant. De la buée apparaissait sur les vitres. Les lumières se pulvérisaient dans l'atmosphère figée. Faivre renifla.
- Ça te dit que je te présente des copines à moi ?
- Si tu veux, oui...
- Allez, suis-moi.
Faivre sentait qu'il aurait l'alcool mauvais s'il restait chez lui seul. Il y a longtemps qu'il n'avait pas vu Sélène, sa muse, sa bonne fée. Elle vivait dans Galippe, quartier où les policiers s'étaient déjà rendus pour leurs enquêtes. C'était un petit repaire pour la pègre, surtout pour les hommes de mains occasionnels, les truands à la petite semaine. C'était les logements des sous-prolétaires du crime, quelques rues exiguës où SÛRETÉ ne rentrait jamais.
- Tu vas voir, on va bien s'amuser.
Faivre ne s'arrêta pas devant le café où les trois souteneurs du quartier surveillaient leurs filles. Sélène et quelques autres faisaient partie des indépendantes. Elles vivaient dans un bâtiment de trois étages à la sortie du quartier. On leur avait fait comprendre qu'il y avait une rue à ne pas franchir, où travaillaient les filles "protégées". Leur indépendance avait un prix. Elles ne pouvaient compter ni sur la police ni sur leurs voisins.
- Alors, t'en penses quoi ? dit Faivre, d'un air grivois.
Il trouvait Turov trop apathique. Il voulait le dévergonder, lui chasser de la tête ses mauvaises pensées ! Il était médecin, il savait ce qui était bon pour son collègue !
- Tu vas voir, les filles ici, elles te font la totale, et pour pas cher du tout ! C'est des amies, elles me feront un prix. Tu auras la ristourne du nouveau venu !
Turov souriait gentiment, comme si Faivre lui parlait de la météo de la semaine.

Sélène était une belle fille, un peu grasse, plus si jeune mais pas vieille. Elle sauta au cou de Faivre.
- Oh, Gus, tu es revenu...
- Je te présente un ami, Andréï. Un sacré déconneur lui aussi !
- Entrez les garçons, vous allez prendre froid !
Dans le salon, quelques étudiants qui se prenaient pour les rois du monde. Ils buvaient, fumaient, riaient, avec une fille dans les bras. Faivre partit avec Sélène dans la chambre du fond. Turov se fit emmener par une autre fille, aux yeux hypnotiques, comme ceux d'un chat. Il ne comprit pas trop ce qui se passait. On lui fit fumer de l'herbe. Il partit dans de vagues rêves épais, très loin, dans une ville penchée, avec des gens qui passaient en tous sens, qui riaient ou paraissaient inquiets. Faivre revint en bras de chemises au salon, but et fuma pendant longtemps. Les étudiants étaient déjà repartis depuis un bout de temps. Il pleura à chaudes larmes sur l'épaule de Sélène, sans raison. Celle-ci le laissa s'épancher. Il ne se plaignait de rien de précis, il en avait juste trop gros sur le coeur. Turov était dans les bras de sa fille féline.

Maréchal veillait aussi. Il fumait au lit avec Nelly. Ils se racontaient leurs vies, leur passé, leurs années d'errances. La peur de rester dans la rue, le dégoût des gens normaux. Est-ce qu'ils avaient trahi le rêve des orphelins ? Est-ce qu'il restait encore beaucoup de gamin des rues ?

Faivre se réveilla, le cou endolori, couché en chien de fusil sur le mauvais divan. Turov ronflait doucement sur la chaise. Les filles préparaient le café. C'était Marisa qui prenait la relève comme chef pour la journée.
- Debout, messieurs...
L'inspecteur ouvrit un oeil et consulta la grosse horloge kitsch au-dessus de la porte :
- Merde, on est déjà en retard... Andréï, debout !
- Vous repartez au turbin avec vos frusques d'hier ? Vous allez être propres...
- On va passer voir le chef et on lui demandera d'aller se changer vite fait...
Du brouillard stagnait. Le vent crispé du matin donnait des frissons épars aux passants. Ils descendirent un escalier interminable, extrêmement raide, glissant, sans y voir à cinq marches. Ils avaient l'illusion de faire du surplace, d'être voués à errer à jamais dans cette descente.
Ils suaient déjà dans leurs manteaux, le sommeil leur pesait déjà. Ils traversèrent une passerelle aussi interminable, alors que le temps se levait. Des employés traversaient les des passerelles perpendiculaires, au-dessus et en-dessous d'eux. Ils arrivèrent sur les grands boulevards, le quai des Oiseleurs, le funiculaire et les quais de Névise. De longs paquets d'algues dérivaient sur le canal. Les clients de chez Gronski terminaient leur coup sur le pouce.
Maréchal était arrivé depuis une heure. Il s'apprêtait à mettre à pied ses deux soûlards pour deux jours. Le parlophone avait sonné.
- Une femme pour vous, dit Clarine.
Elle fit signe que ce n'était pas une dame du monde.
- Maréchal à l'appareil...
Il se demandait qui c'était, craignait que la secrétaire s'imagine des choses.
- Vous dites ?... Marisa ? Attendez, je prends un papier.
Clarine lui passa un bloc-notes.
- Quartier de Galippe... Oui, je connais... Des coups de couteaux... Deux victimes... Oui, j'ai compris où vous travaillez... Pardon ? Faivre et Turov ?
Maréchal regarda Clarine, ahuri.
- Oui, évidemment... D'accord...
L'inspecteur baissa d'un ton :
- Les voilà qui arrivent... Nous allons voir... Nos collègues seront là avant nous.
Faivre et Turov avaient préparé sur le chemin un argumentaire serré pour Maréchal. Ils allèrent docilement vers son bureau. Maréchal claqua la porte, s'assit d'une jambe au bureau :
- Je vais vous éviter de me sortir un baratin à votre sauce... Je sais que vous revenez de Galippe. Vous allez y retourner...
- Mais attendez, chef...
Faivre crut à la mise à pied sur le champ.
- Ce n'est pas ce que vous pensez, Faivre. Asseyez-vous, vous allez en avoir besoin. Quand vous reviendrez là-bas, vous trouverez certainement des collègues de l'Urbain et de la Crime...
- Pardon ?
- Sélène et Judith, ces noms vous disent quelque chose ?
Faivre n'arrivait plus à articuler.
- Vous êtes partis à quelle heure de là-bas ?... Ne me dites rien : il est sept heures. Vous avez dû partir vers six heures. Alors, disons que vers six heures trente, quatre hommes sont arrivés dans Galippe, dans la maison où vous avez passé la nuit, et se sont attaqués aux filles.
- Non !
Faivre s'était levé de sa chaise.
Maréchal ajouta juste :
- Ce n'est pas de notre ressort, Faivre. Mais "ils" voudront votre témoignage.
Les deux débauchés remirent leurs manteaux.
- Et vous me tenez informé, dit Maréchal. Cette affaire sent très mauvais pour vous, donc aussi pour moi.
C'est dans un état second que Faivre refit le trajet, les boulevards, passerelle, l'escalier vertigineux à gravir. Il se revoyait avec Sélène qui l'appelait Gus...
- Grouille, Turov, grouille ! Merde !

Ils se précipitèrent dans les rues de Galippe, sous l'oeil goguenard de la faune du matin.
- Je savais bien que ça finirait mal là-bas.
- Elles n'ont eu que ce qu'elles méritent, ces traînées...
Faivre entra avec fracas dans la maison, trouva Sélène et Judith tailladées des pieds à la tête. Derrière lui, deux hommes en gabardine marron, chapeaux gris et godillots, se relevaient du canapé affaissé.
- Tiens ? Un admirateur ?...
Judith avait ses yeux de chat grand ouverts. On l'avait étranglé avec son bas. Sélène vivait encore. Le médecin revenait de la salle d'eau, un chiffon détrempé de sang entre les mains.


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Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 05:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 06:53 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 15-10-2011, 12:41 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-10-2011, 01:57 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 16-10-2011, 10:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 26-10-2011, 10:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 29-10-2011, 05:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 30-10-2011, 09:00 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 31-10-2011, 02:56 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 01-11-2011, 12:58 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 01-11-2011, 09:50 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 03-11-2011, 10:26 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 04-11-2011, 01:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 05-11-2011, 12:34 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 08-11-2011, 12:07 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 15-11-2011, 05:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 02:05 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 04:42 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 18-11-2011, 11:27 PM

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