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Dossier #19 : Les truands
#17
DOSSIER #19


La Brigade Spéciale entama sa journée du lendemain chez Gronski. Annie leur servait du café, de la soupe, des oeufs et des saucisses. La veille au soir, l'ancien boxeur avait décliné l'invitation de retourner à la salle. Maréchal n'avait pas insisté.

Annie débarrassait la table. Elle avait engagé une fille de salle, un peu sotte mais dévouée, qui s'occupait des autres clients. Il fallait la tenir à l'oeil, car elle gaffait facilement.
- Ce n'est pas grave, souriaient les employés du funiculaire, débonnaires.
Certains lui pinçaient les fesses. La fille ne comprenait pas, s'étonnait. Annie la grondait pour qu'elle se presse.

Turov et Gronski étaient déjà descendus à la cave. Les coups résonnaient à travers le plancher en bois du comptoir. Des ouvriers entraient :
- Le patron fait des travaux ?
- Il abat au moins un mur porteur, non ?

Maréchal se leva de table :
- Bon, ce n'est pas le tout mais nous avons du travail. On vous laisse avec les champions, Annie, on repassera les voir ce midi.

Faivre passa à l'hôpital. Sélène respirait toujours par un tube. On lui faisait plusieurs injections à la fois.
Maréchal eut Lehors pendant plus d'une heure au parlophone, pendant que Morand recevait le lot habituel d'illuminés et de frappadingues, qui n'avaient rien de mieux à faire de leurs journées que de solliciter la police.
- Vous dites que le fantôme de votre arrière-grand-père rôde autour de chez vous ?
Une partie non négligeable d'entre eux avaient en fait juste besoin qu'on écoute leurs malheurs. Morand s'y laissait prendre à chaque fois, jouait le fin psychologue. D'autres fois, Maréchal avait coupé court. Aujourd'hui, il laissait faire.
Morand s'engageait dans des discussions interminables, avec des pauvres gens trop heureux qu'on leur découvre des troubles compliqués. Certains auraient bien pris pension ici. D'autres ressortaient inquiets sur eux-mêmes. Certaines mamies envoyaient ensuite des cadeaux à ce jeune homme très bien qui s'était penché sur leurs misères. Il y avait encore une boîte de chocolats, pour le détective Vinsler.

Maréchal ressortait de son bureau, heureux de prendre l'air.
- Il devient le chéri de ses dames, dit Clarine.
- Nous ne sommes pas non plus le bureau des plaintes.
Faivre revenait de l'hôpital, de mauvaise humeur. Maréchal mit poliment à la porte les emmerdeurs et emmena sa brigade chez Gronski.

Turov était attablé devant sa soupe. Gronski passait le balais. Quand les policiers entrèrent, il dit à Turov qu'il fallait ranger le sous-sol, nettoyer.
- J'y vais.

Les policiers s'attablèrent. Annie apportait le chaudron de soupe de vermicelles.
- Alors, cette mâtinée ?
Gronski fit la moue. Les policiers n'insistèrent pas.

L'entraînement reprit le lendemain matin. Pendant trois jours, la cave retentit des coups sourds de Turov et des cris de Gronski.
Maréchal décida ce dernier à retourner à la salle. Il ne se doutait toujours pas que Faivre y passait une partie de ses soirées sous le déguisement de Mouplin.
Il y avait plusieurs champions ce soir, qui participaient à un tournoi organisé par le clan des Vicaris.
- C'est après eux que vous en avez, hein...
Maréchal changea de sujet :
- Que pensez-vous de Turov ?
- Ça ira ce que ça ira ! Il donnera le change sur un ring. N'attendez pas non plus des miracles !... Il a le physique pour tenir quelques reprises. S'il tombe sur quelqu'un d'un peu costaud, il risque quand même le tapis...
- Je suis certain que vous avez fait du bon travail.

Gronski n'approchait pas des rings. Il jetait un oeil aux combats, de temps en temps. il commentait pour lui-même, vivait intérieurement le match puis s'en détournait vite.
- Je voulais votre avis sur les sportifs...
- Des seconds couteaux pour la plupart, dit l'ancien boxeur. Ils se battent comme des truands. Où est la technique là-dedans ?... A mon époque, on avait le respect du beau geste.
Gronski ricana de s'entendre parler comme un vieux schnock. Il reprit un verre, dit qu'il devait rentrer :
- Je dois faire tourner le restaurant demain. Je ne peux pas laisser Annie et la petite tout faire...
- Je comprends...

Gronski ne fermait presque jamais. A peine s'il s'accordait une fois l'an quelques jours au bord de la mer. Maréchal paya les consommations. Gronski se vissa la casquette sur la tête et partit, impatient de rentrer chez lui.
- Au fait, dit Maréchal, qui ne voulait pas finir la soirée sur une note morose, vous n'aviez pas un surnom dans le temps ?
- Moi ?... Oh, si. Certains disaient : "uppercut" Gronski... Voyez le genre...
Il mimait le coup, s'amusait, puis s'enfonçait les mains dans les poches et tâchait d'oublier cette gloire passée.
Ce n'est pas ce soir que Turov, alias Kovach, monterait pour de bon sur le ring. Les Vicari occupaient la salle. C'était un soir où ils se montraient, affichaient leur réussite. Faivre/Mouplin était attablé avec Fabio. Il discutait à voix basse entre deux rencontres.
- Vous vous intéressez aux belles choses, je crois...
- Que voulez-vous dire ? dit Fabio.
- J'ai quelques oeuvres d'art de famille, dont je n'ai plus le goût, mais qui plairaient à quelqu'un comme vous.
- Tiens donc, pourquoi pas ?
Faivre savait d'expérience que les crapules parvenues, comme tous les parvenus, aiment afficher leur richesse par l'achat de meubles, décorations, oeuvres d'art clinquantes. Les Vicari étaient tout à fait dans cette phase où l'ascension sociale doit se marquer par un luxe tapageur.

On entendit une clameur à l'entrée. Une bousculade, des cris, des hommes qu'on retenait d'aller se battre.
- Que se passe t-il ? dit Faivre en se levant.
Il avait vu Maréchal se diriger vers la sortie et craignit le pire.
- Rien du tout, dit Fabio, que ces choses-là n'atteignaient pas. Parlons plutôt de vos trésors de faille.
- Bien sûr...
Du coup, Mouplin passait aux yeux de Fabio pour un tendre, un fils à papa qui ne supporte pas la violence. C'était toujours ça de pris.

Maréchal ne voulait pas sortir sa carte de SÛRETÉ, tout gâcher dès maintenant. Il réussit à s'extraire de la foule compacte avec quelques autres clients, faillit tomber sur les pavés luisants, se releva. Il agrippa son revolver dans sa poche et résista à la tentation de le sortir.
C'était allé vite. Gronski poussait déjà la porte quand un homme de son âge s'était interposé :
- Alors, on ne dit pas bonjour aux amis ?
Gronski avait reculé, révulsé. Il avait essayé de garder sa contenance mais l'autre était là pour le provoquer.
- Rosen ?... Si je m'attendais à te voir...
- Pourquoi ne viens-tu pas boire un verre pour parler du bon vieux temps ?
Le Rosen en question parlait haut et fort, face au timide Gronski qui était pressé de s'en aller...
- Pas ce soir, vieux...
- Allons, allons, tu ne va pas faire offense...
- Non, merci, une autre fois.
Gronski avait voulu forcer le passage. Les deux brutes qui entouraient Rosen avait attrapé Gronski par le col. Celui-ci en avait écarté un ; l'autre l'avait empoigné, Rosen s'était mis de la partie.
- Fous-moi la paix, Rosen !...
On avait flanqué Gronski dehors, et les quelques autres clients qui se trouvaient là.
- Tu fais vraiment peine à voir, mon pauvre Aldo...

Humilié, Gronski s'éloignait, la tête basse. Maréchal mémorisa le visage de cette grosse brute de Rosen. Il était entouré d'hommes des Vicaris. L'inspecteur rejoignit Gronski.
- Merde, merde, merde !
Maréchal redescendit sans dire un mot. Gronski lui dit bonsoir rapidement et rentra chez lui en claquant la porte. Pas fier, l'inspecteur rentra chez lui et se coucha. Nelly dormait depuis longtemps.

Il arriva au bureau le premier. Quand Clarine arriva, il lui demanda d'appeler l'Urbaine pour avoir la fiche de ce Karl Rosen. Ils eurent la réponse en milieu de journée.
- Il a un casier typique, dit Clarine.
Coups et blessures, braquages, trafics divers et autant d'interpellations n'ayant pas abouti.
- Il a trouvé dans les Vicari une famille d'accueil, dit Faivre.
Maréchal passa seul chez Gronski le midi. Annie laissa la fille le servir. C'en était fini de l'entente cordiale. Il vit bien qu'Annabelle l'évitait. Gronski ne sortait pas de sa cuisine. On l'entendait crier sur la pauvre fille, qui servait de souffre-douleur. Il ne put leur dire un mot.
- Ça va mal là-bas, dit-il à ses hommes en rentrant.
- Il fallait s'y attendre, dit Faivre.

En fin de journée, Annabelle passa voir les policiers :
- Il dit qu'il voudrait bien vous parler.
On devinait qu'elle savait très bien de quoi il s'agissait. Elle avait dû lui parler longuement après le départ des clients.
- Venez avec moi.
Faivre, Turov et Morand suivirent Maréchal.
- Il vous attend en bas, dit Annabelle.
La fille essuyait la salle, la tête basse.
Les policiers descendirent par la trappe derrière le comptoir.
Gronski était dans sa salle, le visage fermé mais l'air résolu :
- J'ai fait du rangement...
Il marmonna pendant un moment, pendant qu'il s'affairait pour se donner une contenance. Puis il les invita à remonter. Il ferma la boutique, dit à la fille de rentrer chez elle.
On s'assit à table, Annie apporta les apéritifs et monta à l'appartement, non sans avoir lancé un dernier regard à Gronski.
- Vous avez droit à quelques explications...
Gronski remplit les verres et en vida aussitôt la moitié d'un.
- L'homme qui s'est interposé... Karl Rosen, dit la Torpille.
Maréchal sortit sa fiche à SÛRETÉ.
- C'est bien lui, dit Gronski, qui ne voulait pas mettre son nez dedans. Ce type était la bête noire de la bande... On savait tous qu'il finirait mal. Il ne jouait pas réglo, déjà à l'époque...
Les policiers laissaient l'ancien boxeur s'exprimer comme il le voulait, remettre ses souvenirs en ordre.
- Il salopait le boulot. Il participait à des paris juteux, des combats faussés, vous voyez... Il touchait déjà à la poudre à l´époque. Les salles honnêtes ne voulaient pas de lui. Il se battait en dehors des combats, il faisait des histoires. Il parlait toujours de casser la gueule aux gens. Il faisait le malin. Il disait : "Un jour, vous verrez..."
- Ils sont nombreux à s'être couchés devant lui ? demanda Faivre, qui comprenait parfaitement la colère de Gronski.
- Ouais. Mais pas moi. Pas moi. J'ai dit non. Pourtant, j'aurais pu toucher gros. Mais non. Et j'ai fini par être sorti du circuit. J'ai compris qu'il fallait que j'arrête. Mon dernier combat, j'ai perdu face à lui, mais je peux vous dire qu'il a souffert pour me mettre au tapis. Je ne me suis pas laissé faire.
Gronski rit jaune, les policiers l'encouragèrent.
- Ah oui, il en a bavé ce jour-là. Il n'était plus habitué à un adversaire qui se défend. Les copains, je m'en souviens, m'ont regardé quand je suis descendu. Ils avaient peur pour moi... "Gronski, tu as fait le con". Mais je m'en foutais,. et eux ils m'admiraient. Je suis parti la gueule refaite, mais la tête haute vous voyez. Après moi, c'était fini. Ils savaient que Rosen avait gagné. Il a salopé la fin de toute notre génération...
"Aujourd'hui, ce salaud de Rosen s'est remis dans le circuit. J'ai vu le gars qu'il entraîne. Todi Bartolomeu. Une petite frappe ce gars-là, ça se voit tout de suite. Rosen doit lui apprendre à frapper sous la ceinture et à simuler. C'est ce qu'il sait faire de mieux...

Maréchal alluma une cigarette. Le silence se fit quelques instants. Gronski remplit d'autres verres :
- Et vous croyez, demanda Maréchal -et tout le monde avait la question sur les lèvres, que Turov peut le battre ?...
Gronski reboucha la bouteille, regarda avec sévérité Maréchal et dit, son visage se détendant brièvement :
- Bien sûr. On va y travailler, non ?

Les policiers sourirent.
- Par contre, je te préviens, dit Gronski à Turov, on redouble la cadence dès demain. Je veux que tu flanques cette lopette au tapis, que tu lui en fasses voir de toutes les couleurs ! Je veux que tu le fasses danser, qu'il mange les cordes, tu comprends ? Les gens veulent du spectacle, on va leur en donner.
- Voilà qui est parlé, dit doucement Maréchal.
Gronski regardait sur le côté, vers le fond de la salle :
- Ils croient que le vieux Aldo est fini... Ah, tiens, on va rire...

Les policiers partirent tard, d'un pas pressé, échauffés :
- Bartolomeu est le poulain des Vicari, dit Maréchal. Turov va lui mettre sa raclée et prendre sa place. Demain matin, j'appelle Lehors. Il sera d'accord. Ensuite, on organise une rencontre...
- Excellent chef, dit Faivre, pour qui la défaite de Bartolomeu serait le signe annonciateur de la déchéance des Vicari.

A l'hôpital, Sèlène se maintenait entre la vie et la mort.
Lehors et Petitdieu s'entretenaient avec le commissaire Ménard, à voix basse dans son bureau. Faivre retournait chez les filles de Galippe. Maréchal ne trouvait pas le sommeil.

Toute la nuit, Gronski ne put trouver le sommeil. Le sang lui cognait dans la tête. Il s'assoupit pendant deux heures. Au petit matin, il s'éveillait avec dans la bouche et dans la peau le goût et l'odeur de l'ancien temps, de la boxe, du sang, de la peur avant le combat et de l'exaltation de la victoire. Il retrouvait quelque chose de ce moment, quinze ans plus tôt, dans cette même chambre, assis sur ce même lit, quand il retirait pour la dernière fois les bandes de ses mains.





FIN DU DOSSIER


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Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 05:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 14-10-2011, 06:53 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 15-10-2011, 12:41 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-10-2011, 01:57 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 16-10-2011, 10:34 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 26-10-2011, 10:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 29-10-2011, 05:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 30-10-2011, 09:00 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 31-10-2011, 02:56 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 01-11-2011, 12:58 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 01-11-2011, 09:50 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by vengeur77 - 03-11-2011, 10:26 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 04-11-2011, 01:10 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 05-11-2011, 12:34 AM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 08-11-2011, 12:07 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 15-11-2011, 05:03 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 02:05 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by Darth Nico - 16-11-2011, 04:42 PM
RE: Dossier #19 : Les truands - by sdm - 18-11-2011, 11:27 PM

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