02-04-2012, 07:43 PM
(This post was last modified: 03-04-2012, 04:48 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
- La Cité du Levant a toujours été comme un prolongement de la Cité des Apparences.
Mitsurugi savait qu'il jouait gagnant. Après un hiver de rude diplomatie, il avait perdu son côté diplomate et gagné en rudesse. Il venait pour reprendre sa ville et ne ferait aucun quartier à Shiba Anzaï.
- Tu arrives ici en territoire conquis, dit amèrement le Phénix, alors que tu as quitté bien brusquement cette Cité.
- Je te l'ai dit, des affaires plus urgentes m'appelaient sur la Muraille. Comme la première fois, je ne serai pas ingrat envers vous. Vous êtes d'excellents administrateurs, vous les Shiba. Les Isawa, j'imagine, vous ont appris l'art de la patience et du compromis...
Anzaï devait avaler sans broncher cette nouvelle vacherie.
- Mais quand il s'agit de commander, ce sont les Matsu qui sont les mieux désignés, chacun en convient.
- Tu n'ignores pas que dans moins d'un mois, les Grues vont marcher sur vous.
- Ils vont marcher "vers" chez nous, nuance. "Sur" nous, je demande à voir, Shiba Anzaï. Et puisque tu évoques le sujet, je compte bien faire de la Cité du Levant l'avant-poste de la Cité des Apparences.
Anzaï savait bien qu'il était inutile de discuter.
- Vous devriez me remercier de vous décharger des dures tâches du gouvernement de cette ville. Vous pourrez retourner tout à votre aise à vos études, là où les Shiba, de l'avis de tous, excellent... De plus, contrairement à certains seigneurs de mon clan, je ne suis pas si cérémonieux. Je ne désire pas que la remise des clefs de la ville se fasse en grande pompe. Je ne fais que reprendre le trône que j'avais laissé vacant pour l'automne et l'hiver... Je me contenterai de traverser la ville, afin que tout le monde soit bien au courant de mon retour, et dès que notre étendard flottera sur la plus haute tour, c'en sera terminé de ces formalités... Tu vois, je respecte au mieux la manière conciliante de la famille Isawa. J'espère que tu m'en sauras gré.
Ikoma Noyuki notait les paroles de Mitsurugi, stupéfait et amusé du culot incroyable de son ami.
Pour la forme, Mitsurugi ressortit de la ville et rejoignit son armée :
- Avant le coucher du soleil, nous rentrerons pour de bon, dit notre héros avec assurance. Sinon, gare à eux.
Alors que les ombres s'allongeaient en fin d'après-midi, Yatsume revint du chemin de l'est. Elle avait passé la journée dans les collines, sur les frontières des Phénix et des Grues, pour observer les mouvements de troupes :
- Je viens rendre compte, dit-elle, en s'agenouillant devant Mitsurugi qui attendait l'heure de la reddition devant un feu, entouré de ses lieutenants.
- Nous t'écoutons.
- Des Shiba font route vers nous.
- Ont-ils franchi la frontière ?
- Ils ne sont qu'à une demi-journée de cette Cité.
- Donc ils ont franchi notre frontière, dont je viens de rappeler le véritable tracé, c'est-à-dire après la Cité du Levant.
- C'est exact.
- Bien, alors nous allons presser un peu l'ami Shiba Anzaï, car je compte bien prendre le souper dans mon palais. Et recevoir cette délégation de l'est avec les honneurs qui lui sont dûs... C'est-à-dire une réception s'ils viennent amicalement, avec une volée de flèches dans le cas contraire !
Tout le monde rit. Mitsurugi se leva avec entrain. Ce fut le signal de la mise en branle de l'armée. On allait secouer les puces de ces Shiba trop mous ! Les faire aller à la cadence Matsu ! Qu'ils prennent le rythme, car le printemps promettait d'être guerrier !
Mitsurugi traversa la Cité, en fanfaronnant juste comme il faut. Il reçut les clefs de la ville de Shiba Anzaï. La garnison de soldats Phénix fut invitée à aller loger à l'auberge, avant son départ le lendemain. Les Matsu prirent possession des lieux et Mitsurugi invita les dignitaires Phénix à sa table le soir. Plusieurs se firent porter pâles, prétextant une période de jeûne.
- Voilà une affaire rondement menée, dit Mitsurugi, comme on allumait un bon feu dans la cheminée.
- Les Phénix vont être furieux, dit Yasashiro.
- Bah ! Des Phénix furieux, c'est plus calme qu'un Lion endormi ! Ils vont un peu froncer les sourcils puis repartir chez eux, méditer sur les vertus de l'apaisement et de l'harmonie universelle ! Crois-moi, j'en sais quelque chose !...
Mitsurugi avait souffert toute sa jeunesse de ces discours lénifiants ! Encroûté à son poste de sergent de la Cité de l'Or Bleu, il s'apprêtait à mener la vie sans surprise d'un petit officier de la côte, à regarder le bon peuple pêcher son poisson et boire des coups à l'auberge !
- Je dois retourner demain à la Cité des Apparences, dit Noyuki. Le général Kokatsu me réclame auprès de lui au plus tôt.
- Va, va ! Il ne se passera rien d'épique dans les jours qui viennent ! Garde ton encre de poète pour raconter les batailles furieuses qui vont se dérouler quand les Grues vont arriver en nombre !
- Je demande la faveur de retourner aussi à la Cité des Apparences, dit Yatsume.
- Alors quoi, mes amis ? Vous m'abandonnez tous ? Vous n'êtes pas bien ici, non ?
- Moi, je reste, dit Yasashiro.
- J'ai besoin de toi pour servir de muraille est à la ville, ami Crabe !
- D'accord.
Ces Hida, toujours à tout prendre au premier degré !

La horde ténébreuse de cavaliers était ranimée. La nuit sans lune éclairait de ses mille étoiles ces spectres de la grande ombre vivante, qui formaient un demi-cercle face à nos héros. Comme ils s'apprêtaient à charger, armés de leurs lances pleines d'épines, Sasuke pratiqua une rapide invocation et fit jaillir une barrière de flammes. Les cavaliers reculèrent en sifflant comme des serpents.
- Cela devrait les retenir un moment.
Yojiro regarda le fossé qui s'était ouvert derrière eux, qu'ils avaient peu de chances de franchir en sautant :
- J'aperçois une "table" naturelle, à quelques pieds en-dessous...
Le rônin sortit de la corde de son sac.
- Tu avais tout prévu, dit Sasuke.
- Je déteste la montagne, et c'est pour cela que je prévois tout.
Il enroula en vitesse la corde autour d'un rocher et autour de la taille de la fille.
- Je vais la descendre la première...
- Fais attention à elle, hein !
C'était vraiment la première fois que Sasuke se souciait autant de quelqu'un... Il avait dit que c'était sa cousine, cette fille...
- Elle s'appelle comment ?
- Isawa Ayame...
- Bien, alors nous allons faire attention à mademoiselle Ayame...
Sasuke gardait l'oeil sur les cavaliers. Sa barrière de flammes diminuait déjà. Il vit quelqu'un se précipiter sur les cavaliers, en frapper un à la jambe de son yari, puis sauter au travers des flammes.
Sasuke recula et se mit en garde : c'était un samuraï portant une armure de la famille Shiba. Il se releva péniblement :
- Qui es-tu ?
Le bushi paraissait humain. Il enleva son masque, révélant un visage de femme :
- Shiba Ikky, pour te servir... Je suis le garde du corps de cette femme. Hé, que fais-tu ?
Yojiro avait pris Ayame dans ses bras et s'approchait du bord de la falaise :
- Mon rônin est en train de nous trouver une sortie, dit Sasuke.
- Il va falloir nous expliquer.
- Plus tard, si tu veux bien...
Les flammes allaient s'éteindre.
Yojiro descendit Ayame, passa à la suite. Sasuke et Ikky passèrent les derniers. Tout le monde tenait sur l'étroit promontoire qui dépassait de la falaise. Les cavaliers approchèrent du bord et reçurent une déflagration flamboyante de Sasuke. Deux des monstres s'enflammèrent comme de la poix et tombèrent dans le ravin sans un cri.
- Moi aussi j'ai de la corde, dit Ikky.
Le fond n'était plus si loin. On entendait le murmure d'une rivière.
- Ne perdons pas de temps.
Sasuke fit jaillir des flammes de ses mains : il n'y avait que quelques mètres à sauter. Il se jeta dans le vide et se reçut dans l'eau.
- Envoie-la moi, dit-il à Yojiro, mais attention !
- Oui, fais bien attention ! dit Ikky.
- D'accord, d'accord, ohlala !
Il s'accroupit et fit descendre en douceur la fille.
- Toi, ma jolie, tu as un cousin et une yojimbo pour te soigner, tu ne connais pas ta chance.
- Lui, son cousin ? dit Ikky.
- C'est ce qu'il dit. Je ne suis pas au courant des histoires de famille, moi ! Je fais ce qu'on me dit, hein...
- Ayame ne me dit pas tout, c'est vrai, mais elle ne m'a jamais parlé de son cousin... Comment s'appelle t-il ?
- Matsu Sasuke.
- Un cousin Lion ?... Je comprendrais qu'elle m'ait caché ça...
- Vous descendez, cria Sasuke, ou vous campez là ?
Les cavaliers d'ombre ruaient toujours, furieux, en haut de la falaise. Yojiro et Ikky sautèrent. Le premier soin de la yojimbo fut de voir si Ayame n'avait pas reçu de coups...
- Elle a le sommeil lourd la demoiselle, dit Yojiro.
- Elle a reçu un sacré choc...
- Pressons, pressons...
Nos héros suivirent la rivière à la lumière des étoiles. Elle descendait en pente raide. Les cavaliers n'avaient pas renoncé à la poursuite, car la tenacité de l'Ombre est infinie. Maintenant, ils se liquéfiaient peu à peu et coulaient au bas de la falaise comme un sang noir épais et bouillonnant. Sasuke se retourna, invoqua les esprits de la terre : abaissant violemment les bras, il fit s'effondrer la paroi. La substance gluante fut ensevelie sous les monceaux de rochers.
- Cela ne suffira pas, mais nous donnera de l'avance.
- Nous avons des choses à nous dire, fit Ikky.
- J'ai bien l'impression...
Ils coururent de plus en plus vite. Yojiro et Ikky se relayaient pour porter Ayame. Ils couraient, couraient, dans une obscurité de plus en plus complète. Ils se retournaient pour voir si leurs poursuivants gagnaient sur eux et, dans leur empressement, ne prêtaient même plus attention à la rivière, qu'ils avaient quitté depuis longtemps. Le chemin traversait la nuit. Ils étaient en sueur et c'est Yojiro qui, d'un coup, poussa un cri :
- Arrêtez !
- Quoi ?
- Ne bougez plus !
- Mais quoi enfin ?
- On ne bouge plus, murmura Yojiro. Baissez les yeux doucement, regardez...
Nos héros s'aperçurent alors qu'ils marchaient au-dessus du vide ! Le chemin sous leurs pieds était invisible !
Ils flattaient au milieu des étoiles !
- Qu'est-ce que c'est que cette sorcellerie ! dit Ikky.
L'Ombre reformait ses créatures sous forme de samuraï. Au bord de la falaise, ceux-ci voulurent avancer mais chutèrent dans le trou sans fin.
Yojiro éclata de rire et leur envoya un bras d'honneur :
- Allez voir en bas si on y est !
Sasuke vit plus loin une grande flamme verte qui s'élevait majestueusement vers les constellations. Elle irradiait une aura où se mêlaient des esprits des quatre éléments.
- Une puissante magie... C'est elle qui nous protège, dit le shugenja. Allons-y.
Ils coururent à la flamme. Celle-ci éclairait un chemin délimité par deux rangées de lucioles. Nos héros voyaient des météores tourbillonner dans l'immense ciel nocturne, partout autour d'eux. Ce jour-là, Ikky eut une bonne idée de ce qu'Ayame voyait, du temps où elle prenait encore de l'opium !
En suivant les lucioles, nos héros arrivèrent en vue d'un temple. Le chemin les menait vers la terrasse au troisième étage. Quatre boules crépitantes, éblouissantes comme le soleil, tournaient autour du bâtiment. On apercevait le sol, bien plus bas.
- Je reconnais cet endroit, dit Sasuke...
Ils mirent pied sur la terrasse, ouvrirent le panneau en bois et entrèrent dans le temple.
- Vous croyez qu'on a le droit d'entrer comme ça ? demanda Yojiro, qui trouvait l'endroit assez à part pour être sacré.
- Nous ferons nos excuses au maître des lieux, s'il le faut, dit Sasuke, mais je suis d'abord curieux de voir à quoi il ressemble.
Yojiro ne pouvait pas reconnaître ce temple aux météores. Pour cause, il n'était jamais venu dans les Limbes. Quand nos héros y étaient entrés, le rônin traquait ailleurs l'ignoble Petite Vérité. Sasuke, lui avait reconnu le temple aérien qui flottait au-dessus de la route menant du village des Limbes au temple de l'Empereur Hanteï oublié. Ce lieu correspondait à la case en-dessous de celle de Petite Vérité, l'étrange cercle d'or sur fond bleu.