04-04-2012, 10:12 AM
(This post was last modified: 10-04-2012, 03:51 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Le Dragon inspira par ses puissants naseaux, remua, détendit ses ailes en acier, grinça des écailles, cligna des yeux.
Fascinés, Sasuke et Ayame n'osaient pas remuer. Sans avoir besoin d'ouvrir la bouche, le Dragon leur parla directement :
- Je ne pensais pas réunir chez moi un si beau couple...
- Tu nous flattes, Dragon, dit Sasuke. Mais je devine que tu avais le pouvoir de prédire qu'un jour cette réunion aurait lieu.
- C'est exact, j'ai le pouvoir de voir clair dans la grande roue du dharma... Sais-tu qui je suis, Sasuke ?
- Un Dragon élémentaire. Pour être emprisonné dans les Limbes, tu as dû commettre un crime très grave contre les Dieux.
- C'est vrai... Mon nom est, dans la langue primordiale des dieux, Kel'welk'rgna't'ok'lâ'a-r'krt'seoc'la'tk... Je suis le Dragon du Soleil, modelé par Dame Soleil à partir de ses premiers rayons du matin. Je devais être l'aurore qui éclaire le monde, le premier de tous les Dragons... J'étais son fils aîné, son préféré en quelque sorte. Chéri, choyé, j'ai fini, dans ma jeunesse, par finir un enfant gâté. Je me suis rebellé contre ma mère. J'aurais voulu prendre sa place. Mes frères les Dragons des quatre éléments se sont ligués contre moi et après une bataille titanesque, j'ai été vaincu. Entre temps, notre combat a ravagé une partie du monde, autrefois fertile et transformé depuis en enfer stérile. Cette région que vous nommez les Sables Brûlants. Pour me punir, j'ai été exilé dans les Limbes pour y expier mon orgueil...
- Sortiras-tu un jour de cette prison ?
- Le temps de ma libération n'est plus si loin. Je retournerai dans les Sables Brûlants et c'est là que, moi aussi, je rencontrerai la mort.
- Tout est déjà joué pour toi ?
- Oui, Sasuke. Et ton destin est déjà lié au mien. Nous nous reverrons dans les Sables Brûlants. Dans plusieurs années pour moi, qui ne sera pour moi que le temps d'un clin d'oeil... Ce jour-là, toi aussi, tu rencontreras la mort. Ainsi sont tressés les fils de ton kharma.
- Je serai prêt à ce sacrifice.
- Il nous reste si peu de temps, Sasuke. Il te reste, à toi surtout, si peu de temps, pour percer les secrets des arcanes élémentaires.
- A l'école des tensaï, j'en avais découvert deux, dit Sasuke. L'arcane du feu, puis celle de la Terre. Je crois en avoir découvert une quatrième récemment. C'est Rêve qui me l'a révélée malgré lui, quand il m'a exposé à l'Oeil de l'Oni.
- La magie de cet artefact est très puissante. C'est bien pour toi la troisième arcane, qui te permet d'entrevoir l'avenir.
- Je n'ai que des visions très floues.
- Pour un mortel comme toi, c'est déjà beaucoup. A mesure que tu progresseras, les visions deviendront de plus en plus nettes. Mais sache qu'il n'est pas permis à un mortel de tout voir dans le monde et dans le temps...
- Je suis à la recherche des deux dernières arcanes maintenant.
- La quatrième, dit le Dragon, c'est moi qui l'ai forgée. L'arcane du soleil ne pourra t'être révélée que si tu te trouves un jour sous le soleil à l'heure où il atteint son apogée dans le ciel. Cela ne se produit dans ton monde qu'au solstice d'été, sur la ligne équatoriale de ton monde.
- Je me rendrai là-bas en temps et en heures.
- Pour le peu de géographie que je connais, dit Ayame, la ligne équatoriale passe sur la côte sud des Royaumes d'Ivoire, chez les barbares.
- Yojiro est déjà allé là-bas, il me montrera le chemin.
- Quant à la cinquième et dernière arcane, elle est hors de ma portée, Sasuke, dit le Dragon. Je ne l'ai pas forgée. J'ignore même qui en est l'auteur. Je sais seulement que tu ne pourras la trouver qu'en t'adressant à un personnage auquel tu n'aurais jamais pensé. Un mortel de ton Empire, déchu par les manigances de ton ancien maître, Nuage.
- Tu m'intrigues, Dragon.
- L'homme se nommait Asako Yoriku. Il était sur le point de percer le secret de la cinquième énigme, quand ce Nuage, ivre de jalousie, a voulu le forcer à partager ce secret. Yoriku a refusé et Nuage s'est vengé, en le frappant de sa magie sournoise. Depuis, ce sage n'est plus que la caricature de lui-même ; lui qui imposait la vénération à ceux qui l'entouraient, n'est plus bon qu'à faire rire...
- Le Bouffon impérial, dit Sasuke. Yoriku... Si je m'étais douté...
- C'est pourtant lui qui peut te mettre sur la piste de la cinquième arcane.
- Je vais le retrouver. Et tu viens, Dragon, de me donner une raison de plus de me venger de Nuage.
- Ton maître est puissant. Il est capable de trouver la cinquième arcane.
- Non, je ne peux pas croire qu'un homme comme lui puisse aller si loin sur le chemin de l'Illumination.
- Méfie-toi. L'Illumination est l'expérience la plus dangereuse qui soit pour un mortel. Tu ne peux pas t'y préparer.
- Lorsque le moment viendra, je ferai le grand saut pour la trouver.
- La sagesse, moi je la connais bien, dit Ayame, sarcastique. L'Ombre est toute-puissante et le soleil n'est qu'une brève lumière qui se détache sur les ténèbres. Nous retournerons nécessairement au chaos primordial...
Ikky et Yojiro s'étaient réveillés. Ils ne voulaient pas s'immiscer dans cette discussion entre magiciens. Ils s'étaient éloignés et discutaient dans un coin de la pièce. Ils avaient passé longtemps à se raconter leurs vies.
- Servir, toujours servir, disait la yojimbo, cela ne te pèse pas, de temps en temps ?
- Bah, dit le rônin en haussant les épaules, j'ai en quelque sorte choisi ma voie. Et quand j'ai terminé ma journée, je suis mon propre maître.
- Au fond, pourquoi as-tu refusé de rejoindre le clan du Lion ? Tu aurais pu, comme Mitsurugi et Sasuke.
- Non, non, ce n'est pas pour moi. Crabe j'ai été, Crabe je reste... Je ne veux pas renier mon passé.
- Oui, je comprends. Moi-même, j'ai enduré cent souffrances pour protéger Ayame et je ne voudrais pas m'arrêter. C'est étrange.
- C'est le destin, c'est comme ça...
- Mais toi, personne ne t'a demandé de servir les Lions, tandis que moi, j'ai été éduquée à servir les shugenjas.
Yojiro détourna la tête, soupira puis regarda avec sévérité Ikky. Il prit son fourreau et sortit son sabre :
- Regarde... Cette lame a été fabriquée il y a de cela des générations par le meilleur forgeron de la famille Hiruma. Elle a abattu plus de démons de l'Outremonde que tu n'en peux compter en une journée. Cette épée m'a été confiée quand un Inquisiteur, se penchant sur mon berceau, vit pour moi un destin hors du commun. Les dieux savent pourtant que j'ai accumulés les misères dans ma vie. D'abord, j'ai assisté à la destruction de notre château familial par l'Outremonde. J'étais là quand l'un des plus gros Onis jamais sorti du Puits Suppurants s'est attaqué à nous. J'ai fait partie du dernier carré de samuraï à fuir. Honteux, nous sommes arrivés à la Muraille. Plusieurs d'entre nous ont demandé à faire seppuku.
"Moi, on me l'a refusé, quand on a vu la lame que je portais. J'ai donc dû continuer à servir le clan, alors que j'avais fui et que mes frères d'armes étaient morts dans l'honneur. Plus tard, j'ai été chargé de conduire un navire vers les îles des Phénix, pour y prendre un chargement de bois rare... C'est ce jour-là que j'ai rencontré Mitsurugi et Sasuke, comme je te l'ai raconté, et que nous avons mis le pied sur l'île, avec le fortin des Tortues. A notre retour, nous avons été déchus.
"Depuis, je préfère vivre pour moi-même. Je n'entraînerai pas d'autres hommes dans mon malheur. Je ne veux décevoir personne. J'attends le jour où je pourrai enfin faire honneur à ma lame et retourner me battre pour reprendre le château de mes Ancêtres. C'est tout.
Yojiro rangea sa lame.
Sasuke lui faisait signe de venir.
- Yojiro, nous repartons ! Mitsurugi va finir par s'inquiéter.
On procéda au cérémoniel d'adieu : chacun s'inclina devant les autres, sous le regard protecteur du Dragon du Soleil.
- Adieu, chère Ayame, dit Sasuke, j'espère que nous aurons encore le temps de discuter.
- Ikky et moi allons rester ici quelques temps. Reviens donc nous voir quand tu veux.
- Ikky, j'ai été honoré de te connaître, dit Yojiro.
Il lui avait dit des choses qu'il n'avait jamais racontées à personne !
- Vous serez les bienvenus dans mon temple, dit le Dragon.
- A bientôt, dit Sasuke.
Il savait qu'ils ne se reverraient que dans le désert, pour l'épreuve décisive.
- D'ici là, j'aurai découvert les deux dernières arcanes. Merci pour tous tes conseils.
- J'ignores si tu me remercieras quand tu seras arrivé au bout du destin dont je t'ai montré la voie.
- Alors, mieux vaut te remercier maintenant.
- Ikky, j'ai plein de lectures devant moi !
- Et moi, qu'est-ce que je vais faire ? dit la yojimbo.
- Va donc te promener ! Il y a toute une île à explorer !
- L'endroit semble mortellement désolant... J'aimerais encore mieux faire le ménage dans ce temple !
Sasuke et Yojiro rirent et saluèrent les deux demoiselles. Ils allèrent sur la terrasse, en se forçant à rire et à jouer les fier-à-bras, alors que ce n'était pas sans émotion qu'il quittait les deux femmes. Yojiro, parce qu'il avait trouvé quelqu'un à qui se confier ; Sasuke, parce que le Dragon lui avait finalement révélé qu'Ayame était sa descendante, son arrière-arrière... petite-fille ! Même Ayame avait tressailli à ce moment et avait dû se forcer à sourire avec toute l'ironie dont elle était capable.
Le vent des Limbes balayait la terrasse.
- Tiens, qui voilà donc ? Il y avait longtemps, dit Sasuke.
Le bakeneko ! Le chat-démon était occupé à tracer la glyphe de transport sur le sol.
- Je te croyais avec Ikue, toi.
Le Dragon m'a convoqué ici pour que je vous raccompagne chez vous, dit le bakeneko. Je ne resterai pas, ma maîtresse va s'inquiéter.
- Tu vas surtout rater l'heure de la pâtée, hein ! s'exclama Yojiro.
Le chat termina les volutes complexes de la glyphe. Les deux samuraï y mirent les deux pieds. Un tourbillon de lumière surgit du sol. Ils sentirent la terre se dérober sous eux. Ils partirent en chute libre à travers les étoiles, puis ce fut le grand ciel bleu, au-dessus de la radieuse campagne rokugani, et plongèrent la tête la première dans un étang remplie de poissons !
Ils se débattirent pour sortir de l'eau, s'agrippèrent à une branche solide et se hissèrent dans l'herbe. Des tortues se chauffaient sur un rocher. Un chèvre broutait et une vache, qui ruminait, et que nos deux héros venaient de déranger, les regarda et meugla longuement.
- Elle ne manque pas d'air celle-là...
Sasuke tordait son kimono :
- Pressons ! Je suis sûr que Mitsurugi s'est mis encore dans la panade. Il ne fait rien de bien sans moi !
Yojiro regarda l'étang où les poissons avaient repris leur parcours monotone. Il regarda vers le ciel, aperçut un croissant de lune blanche dans le grand ciel d'après-midi.
- Alors, Yojiro, tu te dépêches un peu ?
- Voilà, voilà...
La servitude, la routine, les corvées... Cela aurait fini par lui manquer !
A suivre...
