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Dossier #21 : Les ruines
#3
DOSSIER #21

Le bâtiment d'AXE dominait de sa masse grise le boulevard des Mauves, l'une des voies les plus chics de la ville, où l'on rencontrait la plus grande concentration d'ateliers de modes et de stylistes de la Cité. Le tramway déposa Faivre au pied du Marché Nouveau. L'inspecteur entra dans le hall occupé par les comptoirs de parfums. Son allure précipitée, son regard vigilant, farouche, détonait dans cet univers féminin luxueux. Des bourgeoises oisives respiraient des échantillons. Plusieurs marques avaient confié leur rayon à des gynoïdes. Faivre fit mine de s'intéresser à des montres. Un robot commençait à lui débiter mécaniquement son argumentaire. L'inspecteur enfilait un bracelet, l'enlevait, épiait dans tous les coins.
- Notez la finition sur les tranches...
- Merci.
Il ne tenait pas en place. En partant de Névise, il avait pris une averse et cela contribuait à son humeur de chien. Il avait eu l'hôpital au téléphone, qui lui avait certifié que Sélène s'en remettrait. Elle serait encore dans le coma pour longtemps. Pour Faivre, c'était intenable, presque pire que si on l'avait déclarée condamnée. Parce qu'il sentait que les médecins lui mentaient, qu'ils le payaient de faux espoirs pour avoir la paix de leur côté. Ils avaient bien compris quelle genre de personne était Sélène et il ne s'occuperait pas d'elle ! Tandis que s'il arrivait malheur à n'importe quelle cliente du Marché Nouveau, elle serait traitée avec égards, ses frais d'hospitalisation réglés par la corpole de son mari !

Faivre regarda des chapeaux. Il aurait voulu en acheter un pour Sélène, mais ils étaient trop chers. Bien trop chers ! Il regarda les robes, approcha des cabines d'essayage. Il remarqua la gynoïde qui rangeait l'étagère près de lui. Faivre s'approcha et prit un vêtement au hasard :
- Combien ce modèle ?
- Seul 450 -velles, répondit l'automate. Mais pour -madame, il -fau-drait des bijoux pour -aller avec.
- Des bijoux ? Vous en avez de beaux à me vendre ?
- Tou-te une collec-tion.
- Pourquoi pas, tiens ? J'ai un ami qui en voudrait, je pourrais servir d'intermédiaire.
Faivre se retourna, fit mine de regarder une jupe. Il manipulait les habits comme s'il était au marché aux puces. Il ne supportait pas cette propreté, cet ordre, ce clinquant !
- Il y en -a pour plus de cent -briques, ins-pecteur.
- C'est parfait, dit le policier. On marche à 60 pour moi et 40 pour vous, c'est bien ça qu'on avait dit ?
- 50-50.
- Votre programmation déraille, ma chère. C'est moi qui prend les risques dans cette affaire.
- Les ris-ques, j'en ai -pris avant. Croyez-vous que -ces bre-loques se trou-vent sous le pas d'un che-val ?
- Ça, je n'en sais rien. Ces bijoux pourraient bien venir du buffet de votre grand-mère... On marche à 60-40 ou bien au revoir.
- En-tendu.
Faivre reposa la jupe.
- Dans le ray-on du bas... Le -sac.
Faivre se pencha et trouva un sac à mains en cuir, rempli à craquer. Il le secoua, entendit le cliquetis des bijoux. Il l'entrouvrit, vit de l'or et des perles en tous sens.
- Ça m'a l'air bien.
- J'at-tends vos qua-rante bâ-tons, Mou-plin.
- Je vous rappellerai.
Faivre fourra le sac dans sa poche et partit comme un courant d'air. Tramway, quatre stations, arrêt Maldus-Lavinière, dans le populeux boulevard du Rovar, le royaume de la fripe, sa halle encombrée de caisses, de marchandes de quat'sous, d'ateliers à moitié clandestins. C'était là qu'étaient fabriqués la plupart des articles en rayons au Marché Nouveau !
Faivre entra dans un bistrot discret, dans une impasse, qui avait un des seuls parlophones du quartier. Il s'enferma dans la cabine à côté des toilettes, demanda le numéro de Fabio. Il sortit le sac, l'entrouvrit, plongea la main dedans, sortit quelques colliers. Du diable s'il y connaissait quelque chose de toute façon ! Il alla boire un petit noir sur le pouce et revint dès qu'il entendit la sonnerie. Il allait très vite, se sentait fébrile. Il éprouvait le besoin de s'agiter.
- Fabio ?
- Monsieur Mouplin.
- J'ai les bijoux. Une fort belle collection, vous pouvez me croire.
- Combien pour le lot ?
- Cent briques.
- Ils ont intérêt à être à la hauteur, pour ce prix-là.
- Une véritable affaire, mon cher Fabio. Et j'ajouterais que j'ai un point de rendez-vous idéal pour nous deux.
Plus il s'efforçait de parler comme un gentilhomme, plus il sentait monter sa colère en lui. Chaleureux dans ses paroles, froid comme la mort à l'intérieur.
- Que dites-vous ?
- Connaissez-vous les hangars de Walzec-Blagnac ?
- Non.
- Ce sont des entrepôts pour les biens saisis par la police. Ils sont en fait peu surveillés, car ce sont en réalité des bien sans valeur marchande dedans.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- Je vous propose de nous y retrouver?
- En plein chez les flics ?
- Non, du tout. C'est un coin presque désert, derrière le quai des Oiseleurs, c'est vrai, mais où les flics ne vont jamais en fait.
- Je vais faire vérifier ça. Si vous me menez en barque, Mouplin, je vous fais couler dans la chaux vive, vous m'entendez ? C'est comme ça que les Vicari traitent les menteurs.
- Bien sûr, mais j'ai moi aussi mon code d'honneur, figurez-vous.
Fabio indiqua à Mouplin où il pouvait se ranger son code d'honneur.
- Je vous propose demain à dix heures, mon cher.
Faivre devait faire les plus grands efforts pour se contenir.
- D'accord, je vous laisse une chance, Mouplin, car vous avez été réglo jusque là.
- Vivement que nous nous retrouvions pour parler boxe, une fois l'affaire conclue.
- Quand nous aurons conclu cette vente, il vaudrait mieux pour vous ne pas revenir de sitôt chez nous, Mouplin. Avertissement amical, dans votre intérêt.
- Bien sûr, bien sûr...
L'inspecteur ignorait quelle force le retenait encore de déclencher une vendetta sanglante, sur le champ, contre les Vicari. Il avait attendu beaucoup, il devait encore se contenir. Un tout petit peu.
Quand il ressortit de la halle, la pluie retombait de plus belle. Il y avait même des grêlons. Il redescendit à Névise par le chemin des écoliers. La pluie avait cessé quand il traversa le quai. Il dit bonjour en passant à Clarine et s'enferma dans son bureau.

Maréchal l'avait entendu rentrer. Il préférait ne rien dire pour le moment. Il s'occupait de Turov et Morand, dépassés par leurs derniers rapports. Dans la mauvaise ambiance que mettait Faivre, il valait mieux expédier de la besogne assommante, en attendant de nouvelles instructions concernant les Vicari.
Maréchal partit juste à l'heure. Il toqua juste à la porte de Faivre pour lui dire au revoir.
- Au revoir, Clarine. Ne restez pas trop tard ce soir, je compte sur vous.
- Il y a encore tant de dossiers à prêter.
Maréchal, qui mettait son écharpe, s'arrêta et soupira. Clarine était dans sa phase "raide". Elle avait besoin d'en faire trop, de montrer qu'elle était encore plus tendue que tout le monde, plus acharnée au travail.
- Supposons que je vous donne l'ordre de rentrer chez vous ?
- Vous en avez parfaitement le droit et j'obéirai.
Maréchal enroula son écharpe et lui souhaita juste une bonne soirée. Quand il fut sûr que son supérieur était parti, Faivre s'en alla aussi, sans saluer personne. Clarine n'était pas fâchée de le voir partir. La secrétaire alla dans le bureau des détectives où elle prit en main la relecture de leurs rapports. Dans une autre vie, elle avait été institutrice. Elle corrigea ligne après ligne leurs fautes.
- Là, vous dites "recherché". Mais c'est imprécis. Avez-vous fouillé tout ?
- Euh...
Turov, trop grand pour sa chaise et son bureau, était embarrassé. Lui et le Scientiste eurent l'impression d'être en retenue !
- Et vous, détective Vinsler, ne croyez-vous pas que ce jargon psychologique nuit à la clarté de votre expression ! Vous faites un rapport de police, pas une thèse de médecine !
- Bien sûr, mais il est essentiel de...
- Je vais vous dire, vous avez tort de croire que la psychologie des gens est compliquée. Au contraire, nous n'agissons que selon certains motifs simples et très communs, bien plus grossiers en tous cas que ce que vous supposez.
Le pauvre Morand était désarçonné ! Que deviendrait la psychologie s'il s'avérait que l'homme n'avait plus de tourments intérieurs !
- Un policier doit commencer par voir clair dans les choses, pas compliqué l'analyse des faits par une description embrouillée des motifs. Vous n'avez pas à juger ce que les gens ont dans la tête. Et croyez-moi, souvent, ce n'est pas tant que vous croyez !
On sentait qu'elle faisait allusion à Faivre; mais sans préciser sa pensée.
La secrétaire "libéra" ses deux cancres vers dix-huit heures. A cette heure-ci, le couple Maréchal s'était changé et partait au restaurant.
- Elle exagère tout de même, dit Maréchal, qui voyait encore la lumière allumée depuis sa fenêtre.
- Elle doit bien être la seule à faire du zèle dans le service.
- Alors-là, laisse-moi te contredire. Quand c'est le coup de feu, nous ne comptons plus nos heures et je te signale que c'est alors toi qui me reproches de ne plus rentrer à la maison !... Au fait, on va où ?
- Alors, j'ai pensé à plusieurs restaurants, tu vas me dire...
Maréchal voyait les deux malheureux détectives se diriger vers le bistrot de Gronski. Turov s'y arrêta, tandis que Morand prenait le tramway. La secrétaire passait quelques minutes après, raide sur ses talons. Elle s'asseyait dans le tram comme une bonne écolière, le dos bien droit. Quand ils eurent choisi leur restaurant, Turov ressortait de chez Gronski.
Maréchal et Nelly partirent bras-dessus, bras-dessous. Maréchal voulait surtout éviter le quai des Oiseleurs ou tout autre quartier dans lequel il traînait ses chaussures pour les besoins de ses enquêtes. Monter au Zeppelin aurait été trop long pour ce soir. Ils n'avaient pas non plus envie de se ruiner rue Verte ou sur les Terrasses. Ils se laissèrent tenter par le quartier de Rotor 11, qui venait d'être entièrement rénové par son propriétaire, la firme Margannes. Ils entrèrent dans un restaurant de fruits de mer où l'on pouvait manger à table ou au comptoir. C'était très moderne, lumineux. Les serveurs étaient tous des androïdes. Ils travaillent au centre de la pièce, et préparaient de petits plats, qui passaient ensuite sur un tapis roulant qui faisait tout le tour de la salle. On se servait et on payait à la fin. C'était étrange de voir cette nourriture circuler. On se serait cru dans un aquarium entièrement robotisé.
- On n'arrête pas le progrès, dit Maréchal. J'attends le jour où on nous nourrira automatiquement, tiens, avec un entonnoir.
Ils commandèrent une bouteille de vin blanc.
- Tiens, tu as vu ? dit Nelly. Il y a maintenant de la "Maréchal" au goût de cerise.
- Moui, c'est de la bière pour femmes, ça... C'est vraiment très sucré. J'ai eu Gérald au parlophone l'autre soir. Je lui ai dit de ne jamais m'en envoyer.
- Moi j'aimerais bien goûter...
Le serveur arrivait avec la bouteille dans un seau de glace.
Un quatuor à cordes montait sur l'estrade et jouait un petit air entraînant.

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Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 26-04-2012, 11:13 AM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by vengeur77 - 26-04-2012, 02:44 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 26-04-2012, 06:19 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 22-05-2012, 03:30 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 23-05-2012, 01:21 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 14-07-2012, 12:55 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 17-07-2012, 11:55 AM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by sdm - 19-07-2012, 11:51 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 20-07-2012, 03:57 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 21-07-2012, 04:40 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 22-10-2012, 04:58 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 24-10-2012, 10:30 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by Darth Nico - 26-10-2012, 04:05 PM
RE: Dossier #21 : Les ruines - by sdm - 28-10-2012, 08:07 PM

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