14-07-2012, 12:55 PM
(This post was last modified: 16-07-2012, 08:12 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #21
La même petite scène se répéta presque à l'identique aux différents arrêts du tram. Maréchal descendait, alpaguait le planton le plus proche, pendant que Lanvin veillait à ce que le conducteur ne reparte pas. Maréchal gesticulait pour expliquer qu'il cherchait Faivre ; il le décrivait sommairement, s'énervait quand le gros Pandore ne comprenait pas ou disait n'avoir vu personne ; Maréchal revenait s'asseoir dans le tramway et fusillait du regard quiconque osait l'observer même en coin. Puis le conducteur pouvait sonner la cloche et on repartait. Ce n'est qu'au quatrième arrêt qu'un Pandore affirma que Faivre venait de passer, pressé.
On était dans le quartier des hangars de dépôts des saisies.
Faivre précédait ses deux poursuivants de quelques minutes. Il croisa le planton du hangar 37 qui laissait son poste plus tôt que prévu. Il attendit au coin de la rue : Fabio et deux hommes approchaient, méfiants. Faivre sortit de sa ruelle et s'approcha d'eux, empressé.
- Vous êtes presque en retard, Mouplin...
- Presque, vous l'avez dit.
Faivre prit un passe et ouvrit le hangar.
Les quatre hommes entrèrent. Faivre trouva la lumière et proposa à Fabio d'aller dans la cahute du fond, où se trouvait une petite cuisine pour le gardien.
- C'est quoi cet endroit ?
- Des hangars, vous voyez... Des corpoles s'en servent comme dépôts.
Faivre vit que les deux hommes de Fabio fouinaient du côté des caisses.
- Il faudrait dire à vos hommes de ne rien toucher, ils risquent de laisser des empreintes...
- C'est bon, c'est bon... Venons-en à nos affaires.
Faivre sortit les bijoux de Penthésilée et les répandit sur le bureau.
- Vos bijoux de famille, hein...
- Au prix convenu entre nous.
- Permettez...
Fabio alla ouvrir la porte arrière et fit entrer un petit homme timide, bien replet.
- Voyons voir votre camelote... Regardez-moi ça, Liczov...
L'homme sortit un "oeil" de joaillier" et approcha plusieurs bijoux. Faivre surveillait les deux hommes, qui avaient sorti un pied de biche.
- Dites, Fabio, vos hommes...
- Foutez-leur la paix, Mouplin.
Cela ne rata pas, ils ouvrirent une caisse, qui se vida de son contenu, une dizaine de fusils.
- Chef !
Fabio sortit voir. L'autre gorille ouvrait une deuxième caisse, pleine de cartouches.
- C'est un véritable arsenal ici, dites donc...
- Fabio, il ne faudrait pas...
- C'est bon, Mouplin, je vais prendre vos breloques. Laissez mes hommes s'amuser un peu.
Ils avaient pris des fusils et faisaient jouer leurs mécanismes.
- Nous ne sommes pas venus pour rien. Voilà qui nous payer le dérangement.
Ils ouvrirent un container, rempli de pièces de chromatographes.
- C'est la caverne aux trésors ici, dites-moi... C'est comme ça dans tous les hangars ?
- Fabio, nous n'avons pas beaucoup de temps. Il y a tout de même des vigiles qui circulent.
- Nous allons nous servir autant que nous pouvons, dit le Vicari à ses hommes. Nous reviendrons la prochaine faire nos courses.
Les deux hommes ricanèrent. Dans la cahute, Liczov avait fini d'examiner le matériel. Il fit un signe d'approbation à Fabio. Ce dernier prit à pleines poignées les bijoux et les mit dans son sac, sauf une bague et un collier qu'il laissa à son "expert".
Faivre fit durer la conversation, dit qu'il pourrait avoir des prix sur les autres marchandises mais qu'il était trop dangereux de les emmener comme ça.
- Qui se sert de ces entrepôts ? demanda Fabio.
- Des corpoles, je vous ai dis.
- Hé bien, ils ne tiennent pas trop à leurs marchandises, pour les entreposer ici, à la merci de n'importe qui... Nous saurons mieux qu'eux en prendre soin.
- Fabio, ces gens ne plaisantent pas. Si vous touchez à leurs biens, ils iront après vous...
- Parce que j'ai l'air de plaisanter, peut-être, monsieur de Mouplin ? Et qui irait me dénoncer ? Vous peut-être ?
- Pas du tout, bien sûr...
Faivre consulta sa montre pendant que les deux affreux Vicari fracassaient d'autres cadenas. Il y avait déjà dix minutes que Grigoriev aurait dû arriver et jeter sa bouteille explosive !
Faivre ne pouvait savoir que l'individu Grigoriev venait de fournir des explications qui n'avaient pas paru satisfaisante aux inspecteur Lanvin et Maréchal !
Il dut mettre les mains sur le mur et subir la fouille de l'officier de la brigade des rues :
- Tiens, tiens, on transporte sa petite bibine pour le service, Grigoriev ? Interdit, ça...
Lanvin passa la bouteille à Maréchal, qui remarqua la mèche qui dépassait du bouchon.
- C'est de la sacrée gnôle ça, dis donc... Un drôle de petit goût de pierre à fusil... Il faut secouer avant de boire ?
Comme Maréchal faisait mine de remuer la bouteille, Grigoriev poussa un cru et supplia l'inspecteur de la poser par terre délicatement.
- Ça suffit, Grigoriev. Plus le temps de plaisanter. Tu transportes un produit explosif, tu te promènes ici alors que ton poste t'assigne à ton bureau...
Maréchal vit un planton qui venait juste de tourner les talons :
- Hep, vous !
Il se jouait une comédie pas claire dans ce quartier.
Maréchal répéta son ordre. Le Pandore n'eut que le choix d'obéir.
- Venez par ici, vous...
Grigoriev évita le regard du nouveau venu. Cela le trahit aussitôt aux yeux de Lanvin :
- Vous trafiquez quoi, vous deux, hein ?... Les petites crapules !
Lanvin sortit ses menottes et les passa à Grigoriev. Maréchal fit de même avec le planton. Lanvin envoya un coup de pied derrière le genou du détective, le mit à genoux et lui asséna encore deux coups de crosse sur l'omoplate. Suffoqué, les mains attachées dans le dos, Grigoriev ne put se retenir de tomber sur le pavé :
- Allez, crache le morceau... Où est Faivre ?
- Entre-pôt 37...
- Toi aussi, ton compte est bon, dit Maréchal au planton. On va trouver de quoi t'assaisonner comme il faut.
- Mais c'est lui, il m'a demandé de partir plus tôt de mon poste !
- Et tu as accepté, hein ? dit Lanvin, rageur. Sois content si tu finis à faire la circulation dans les Ménimes.
C'était notoirement un bloc entièrement aux mains des bandits d'honneur, où aucun policier ne s'était plus aventuré depuis des années.
Maréchal menotta les deux hommes à une gouttière et prit leurs armes. Il approcha doucement de l'entrepôt.
Les deux gorilles de Fabio entendirent du bruit dehors. L'un d'eux passa la tête dehors.
- Chef, la poulaille !
Maréchal l'avait vu et lui cria de lever le bras. Le gorille se rejeta en arrière et ferma la porte.
Faivre joua de culot :
- Fabio, tu as amené les flics ?
- Sale ordure, je vais te crever !
Le truand prit son couteau. Faivre le devança en lui envoyant son poing en pleine figure. Fabio tomba sur le bureau. Faivre était déjà sur lui et lui asséna plusieurs coups de poings. Les gorilles se cachèrent derrière une caisse. Encore un coup en plein nez et Fabio était assommé. Laissant place à sa rage contenue depuis des semaines, Faivre l'attrapa et le traîna hors du bureau, jusqu'au couloir menant à la sortie de derrière.
Maréchal tirait dans la serrure de la porte ; Lanvin la tirait d'un coup. Maréchal entra le premier, recula quand un des hommes surgit de derrière une caisse. Lanvin tira et l'eut en pleine tête. L'autre voulut déguerpir : Maréchal lui logea une balle dans la jambe. Lanvin courut et l'assomma d'un coup de crosse.
Les deux policiers entrèrent, les pistolets braqués devant eux.
Mû par une énergie démente, Faivre traînait Fabio par les jambes. Il prit une chaise en acier et la coinça de l'extérieur sur la porte arrière. Puis il souleva Fabio, le mit sur ses épaules et partit en titubant. Il atteignit un hangar un peu plus loin, en fit sauter la serrure d'une balle, entra et jeta son paquet.
Il trouva une chaise, de la ficelle solide sur une caisse. Il ligota Fabio. Comme celui-ci reprenait connaissance, il vit Mouplin qui enlevait sa moustache postiche. Le faux dandy acheva de le réveiller d'une claque.
- Je vais faire vite, Vicari. Je veux la peau de celui qui a tué Sélène !
Faivre haletait, suffoquant de rage.
- De qui ?
Fabio reçut un coup de pied dans la poitrine et fut renversé sur le sol avec sa chaise. Faivre lui pointa son arme sous le nez :
- Tes hommes ont assassiné deux prostituées dans le quartier de Galippe. L'une est morte, l'autre est encore à l'hôpital et ne reprendra peut-être jamais conscience. Je veux le nom de celui qui s'est attaquée à elle.
- Tu es en train de me dire que tu t'en prends à tous les Vicari juste pour deux...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Faivre lui asséna plusieurs crochets, violemment et méthodiquement. La bouche en sang, Fabio lui cracha qu'il était cinglé.
- Son nom, Fabio, son nom...
On entendait du bruit dehors. Déjà, les policiers arrivaient. Des coups de sifflets. Le quartier serait bientôt cerné.
- Tu viens d'avaler ton bulletin de naissance mon pote... Et je vais te dire, ta grue, je ne sais même plus te dire qui l'a rectifiée. Que veux-tu que j'ai à foutre d'une fille à deux sous ? J'en écrase dix par semaine si j'ai envie !
Faivre eut les larmes aux yeux.
- Pour moi, elle était comme un ange, Fabio. Ma seule tendresse... Elle a reçu trente coups de couteaux, Fabio... Elle saignait de partout... Et toi, tu l'insultes, et tu ne sais pas qui...
Il ne put finir sa phrase, étranglé par un sanglot. Il attrapa Fabio par le col, regarda son expression de haine et de stupeur et tira en plein dans cet oeil noir, pour lui enlever son assurance de fripouille. Il le laissa retomber, corps mou et lourd.
Faivre déguerpit au moment où Maréchal entrait. Alors que l'inspecteur-chef allait tourner, il vit Faivre armer. Il se plaqua au mur. La balle siffla sous son nez. Maréchal passa juste la main et tira. Il entendit la porte du hangar claquer et les pas de son inspecteur qui s'éloignait.
Lanvin arrivait avec cinq Pandores. Il regarda Maréchal ranger lentement son arme, allumer une cigarette.
- Un mort, dit Lanvin.
Il cracha par terre :
- Celui-là, on ne le regrettera pas...
- Non, Lanvin. Deux morts... Mais l'un d'eux court encore.
Les gendarmes bouclèrent le quartier. Maréchal sortit et fuma, intensément, adossé sur le mur. Il réprimait difficilement un tremblement généralisé.
Lanvin prit le temps d'organiser la traque par les Pandores. Il savait que c'était en pure perte mais il devait agir selon le livre. Puis, il soupira et alla retrouver Maréchal. Celui-ci lui dit, d'une voix douce, rêveuse :
- Vous avez déjà tiré sur un de vos hommes, inspecteur ?...
Lanvin sortit une bouteille de gnôle. Maréchal en but trois gorgées.
- Elle vient de l'entrepôt. Du douze ans d'âge...
- Qu'a dit Grigoriev ?
- Il venait pour jouer les artificiers. Il préparait une diversion pour la sortie de Faivre.
- Je reconnais tout Faivre dans ce genre de diversion explosive...
Lanvin voulut le prendre à la plaisanterie :
- Sans rire, vous lui avez quoi à mon Faivre ? Vous êtes tous dingues dans votre brigade, non ?
Maréchal explosa :
- Des couilles, des couilles, des couilles, c'est tout ce qu'il y a chez vous.
Lanvin baissa la tête, remonta son chapeau. Maréchal allait boire. Il préféra fracasser la bouteille sur le mur.
Les Pandores entendaient la dispute. Ils se regardaient, inquiets, et secouaient la main.
Maréchal écrasa sa cigarette :
- On descend à Névise. Faire le point.
C'était son inspecteur, c'est lui qui dirigeait. Lanvin ne dit rien. Un homme de la Brigade des rues regarda son supérieur, l'air de dire : "vous vous laissez parler comme ça, chef ?". Le lendemain, dès qu'il eut une minute à lui, Lanvin lui mettait quatre jours !
¤
- Evidemment, silence complet sur la mort de Fabio Vicari, dit Maréchal.
- Ça va de soi. Merci, dit-il à Clarine qui servait le café.
- Et les breloques ?
- Au labo pour expertise. J'attends l'appel du spécialiste.
- Turov, vous voulez venir, s'il vous plait.
Le grand gaillard sut que l'heure des explications était arrivée.
- Fermez la porte. Asseyez-vous.
Maréchal était assis d'une jambe sur son bureau. Lanvin assit sur la banquette au fond de la pièce.
- Répondez à ma question sans détour, Turov. Il y a longtemps que Faivre fréquentait le quartier de Galippe ?
L'information était venue par un indic de Lanvin, après que ce dernier eut secoué les puces de tous ses informateurs.
- On y allait régulièrement, c'est vrai. Il fréquentait un bobinard dans la rue des Saveurs.
- Il y a eu deux morts là-bas, il y a quelques semaines, dit Lanvin. Deux prostituées sauvagement tailladées. Tout le monde sait qu'il s'agit des Vicari.
- L'une a survécu en fait, dit Turov, timide comme l'élève au tableau.
Maréchal soupira.
- D'accord. Donc, l'inspecteur Faivre est sur une razzia personnelle...
On frappa à la porte : Morand.
- Pardon de vous déranger. L'hôpital vient d'appeler pour Faivre. Ils disent qu'une certaine Sélène est sortie du coma.
- Merci, détective Vinsler.
- Voilà une bonne nouvelle, dit Lanvin. Mais Faivre ne le sait pas.
- Non. Et je ne sais pas si cela suffirait à l'arrêter dans sa folie vengeresse.
- C'est notre seule accroche avec lui.
- Vous le connaissez comme moi, Lanvin. Quand il a une idée...
- A l'Urbaine, c'est souvent une qualité, l'entêtement.
- Chez nous, on appelle ça de la connerie. Mais les appellations changent selon les services, hein !
Maréchal mit son chapeau.
- Venez, la soupe doit être chaude chez Gronski.
Comme ils sortaient, le laboratoire appela.
- Pour vous, inspecteur, dit Clarine.
- Lanvin à l'appareil. Dites-moi tout... Quoi ?... Vous dites que les bijoux retrouvés portent les empreintes de Faivre, de Fabio Vicari et d'un troisième, inconnu... Oui, c'est Liczov, un bijoutier. Il a été attrapé. Il venait les authentifier, évidemment... Il a déguerpi avant notre arrivée mais s'est fait pincer trois rues plus loin... Quoi d'autre ?... D'accord, je transmets l'information.
Lanvin raccrocha.
Les policiers descendirent l'escalier, silencieux et prirent le quai.
- Ah oui, fit Lanvin, j'allais oublier de vous dire : les bijoux volés viennent du fameux casse d'avant-guerre au Baz'Mo ! Dingue, non ?...
Maréchal avait blêmi.
Stupéfait, il s'arrêta.
- Un problème ?
- Rien, rien... Allez chez Gronski, je vous rejoins. Je dois passer chez moi...
Maréchal partit en trombe.
- Le pauvre, il est tout chamboulé, dit Lanvin. Et on le comprend.
- L'inspecteur Faivre s'est mis dans de vilains draps, dit Morand.
- Bravo petit ! Tu finiras commissaire !
- ... pour une femme !
- Tu vois une meilleure raison pour foutre sa vie en l'air ?
Les policiers entrèrent chez Gronski. Sa compagne amenait justement le chaudron de soupe du pêcheur.
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