22-10-2012, 04:58 PM
(This post was last modified: 22-10-2012, 11:40 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #21
Lanvin, Maréchal et une dizaine d'hommes entrèrent dans le commissariat situé à deux pas de la maison des Vicari.
Tout de suite, il s'installa une atmosphère d'armée en campagne. On installait un quartier-général provisoire. Le stagiaire fit chauffer de la tisane pour tout le monde, un autre alla acheter du tabac.
- Il fallait bien qu'on nettoie un jour ce nid à cafards, dit le commissaire, qui essayait de se persuader parce qu'il n'avait plus le choix. La police judiciaire lui tombait dessus, alors qu'il avait aménagé depuis des années une entente cordiale avec les Vicari ! Il essaya de tirer les vers du nez des deux inspecteurs. Ceux-ci restèrent évasifs, comme s'ils avaient monté un plan bien trop ficelé pour des flics de quartier. La vérité, c'est que Maréchal et Lanvin avançaient à l'aveugle. Or, la première qualité d'un bon officier, est de ne jamais le montrer !
- On attend le papier du juge pour une perquisition, expliqua Lanvin.
Il essayait de faire croire qu'il avait une idée derrière la tête. Tant que les braves flics du coin, et même ceux venus du Quai, le croiraient, tout irait bien !
On se préparait à une veillée d'armes. Lanvin espérait et redoutait que Faivre vienne directement ici, armé jusqu'aux dents. En s'y prenant bien, on aurait le temps de lui sauter avant qu'il ne déclenche un carnage.
Maréchal s'était mis sur un lit de camp et réussit à s'endormir. Maintenant qu'en somme, tout était dit avec Nelly, avec Faivre, il se sentait soulagé. Les mensonges ne tenaient plus, les motivations de chacun étaient claires, il pouvait enfin céder au sommeil. Il ne fit pas de rêves, suivit un tunnel noir et fut secoué par Lanvin :
- Agite-toi, les Vicari mettent les voiles...
- Où ils vont ?...
- Je ne sais pas, mais j'ai lancé la perqui.
Maréchal ne pouvait rien changer au cours des choses. Il alla prendre du café. Il voulait rester au calme, pendant que les hommes de Lanvin retourneraient le repaire des truands et y laisseraient tomber les preuves dont ils avaient besoin. Il avait envie de rappeler Nelly. Il pouvait encore sauver quelque chose avec elle. Il ne restait dans le petit commissariat que lui et le stagiaire, qui réchauffait la tisane et en versait à Maréchal :
- Merci, fiston.
Maréchal sirota la tasse brûlante.
Les hommes de Lanvin revenaient, comme des soudards en campagne, soulagés d'avoir fini leur boulot.
- Magnifique, on a trouvé tout ce qu'on voulait.
Maréchal s'efforça de sourire pour faire illusions, mais son sourire était mélancolique. Voilà, c'était fait, cette bande de policiers était rentrée chez les truands pour se comporter comme eux.
- On va les saler pour longtemps !
Lanvin, devant ses hommes, faisait le fier-à-bras mais il évitait de regarder Maréchal.
Le parlophone sonna. Le stagiaire passa le combiné à Maréchal :
- Turov ?... Vous avez eu Faivre au bout du fil ?
Tout le monde fit un silence religieux, pendant que l'inspecteur parlait à haute et intelligible voix.
- Il avait l'air comme fou ? Oui, je vois... Bien sûr. Il a appelé les Vicari... Un ultimatum... Il vous a transmis l'information, en vous disant de me contacter... Un rendez-vous ?... Dans les Filets.... Oui, les Filets, je vois... D'accord, merci Turov.
Maréchal claqua le combiné. Les hommes étaient déjà en train de vérifier leurs armes et d'enfiler leurs manteaux. Lanvin prenait un fusil et des munitions d'avance.
- Je ne sais pas dans quoi on s'embarque, Maréchal.
- Vous ne devez pas monter souvent aux Filets, vous...
- On compte peu de truands dans un quartier qui menace ruines.
- Prenez vos équipements d'escalade, ça grimpe !
Lanvin prit son collègue à part :
- Sans rire, tu veux vraiment qu'on monte tout là-haut ?
- Que suggères-tu ? Laisser Faivre et les Vicari en découdre, arriver après la bataille et compter les douilles ?
Lanvin ne répondit pas.
- Fais comme tu voudras. C'est ta brigade, tes hommes. Faivre est mon inspecteur, je dois y aller.
Lanvin hésita, soupesant le pour et le contre entre s'interposer au milieu d'une fusillade et faire un coup d'éclat en arrêtant toute la bande.
- Bon, on te suit. Tu connais le coin ?
- Oui. Les Filets, j'ai un homme qui y est mort, avant-guerre, je n'ai pas envie que ça devienne une série.
- Tu m'en diras tant.
Maréchal décrocha le parlophone, composa le numéro de Corben et fils :
- Envoyez quatre ballons à l'adresse que je vais vous indiquer ! En urgence ! C'est TRIBUNAL qui paye !
- TRIBUNAL ? dit la voix joviale et eraillée de Corben père, alors autant dire que je serai payé à la Saint-Glinglin !
- Envoyez votre flotte aéroportée, ou je fais fermer votre boutique !
- Me parler comme ça, à moi, un héros de la guerre ! Qui a transporté des régiments entiers vers les portes d'Airain !
- Ma médaille est plus grosse que la vôtre, Corben !
Maréchal raccrocha et s'alluma une cigarette. Il aimait beaucoup le père Corben, on n'en faisait plus des vieux bourrus comme lui !

A l'heure où les policiers se mettaient en branle, avec des renforts appelés au Quai des Oiseleurs, qui jaillissaient de la bâtisse antique dans leurs voitures bondées lancées au triple-galop, le gris inspecteur Petitdieu se faisait réchauffer des saucisses sur son poele. Sa ligne personnelle retentit. Il décrocha, le visage affaissé par la tristesse.
- Je comprends ce que vous me dites, monsieur...
Il déglutit.
- Il faut juste leur laisser un peu de temps... Le Quai est justement en train de se vider... Des dizaines et des dizaines d'hommes, monsieur...Écoutez, je sais que nous avons traîné mais nous allons rattraper...
D'abord inquiet, Petitdieu sentait l'affolement le gagner.
- Non, je ne dis pas cela... Non, non, je dis juste ceci : il est prématuré d'envoyer vos hommes...
Il parlait doucement, en cachant de son mieux le tremblement de sa voix. Il déboutonna le haut de sa chemise.
- Non, monsieur, je ne me permettrais pas...
Il avait un crâne trop haut, lisse comme un oeuf, un visage compressé au bas de la tête, des paupières tombantes dont la ligne était semblable à celle de sa bouche incurvée vers le bas. Même ses oreilles semblaient prêtes à tomber, comme celles d'un chien triste. Et en ce moment, la courbe générale de sa face se tournait encore plus en bas.
- Je dis simplement que nous pouvons éviter un bain de sang, monsieur...
Il dut encore écouter, longtemps, son interlocuteur parler et à la fin, il dut reposer le combiné, triste comme l'élève puni, car l'autre avait déjà raccroché.
¤
Il n'y avait plus que pour Faivre, entre les étoiles et les innombrables vagues de l'océan, que ces arches, murs et ogives en ruine. Le fantastique paysage des filets immenses qui recevaient les morceaux qui, petit à petit, se détachaient des bâtisses vieilles de plusieurs siècles. Les pierres roulaient, des murets craquaient, et des blocs entiers tombaient dans la pente avant de finir par une plongée dans les eaux noirs, trois kilomètres plus bas.
Faivre s'arrêta dans le reste de bâtiment le plus haut, qui pourrait lui servir de redoute. Il posa la lourde caisse kaki qu'il avait gardée de l'armée et sortit son arsenal. Une dizaine de fusils qu'il monta avec aisance. Il avait pratiqué cet exercice pendant des heures sur Forge.
L'écho lui renvoya le bruit de pas qui approchaient en contrebas. Faivre passa la tête au-dessus du muret. C'était bien les Vicari. Ils étaient une vingtaine, qui précédaient leur patriarche appuyé sur sa canne, emmitouflé dans son manteau à gros col de fourrure.
Très calme, Faivre finit de monter le dernier fusil, enclencha le chargeur, puis s'assit et alluma une cigarette. Des nuages voyageaient sous les étoiles et, dans leurs déformations tortueuses, laissaient paraître par moments le clair de Forge. Ces masses compactes prenaient soudain l'apparence de vallées glaciaires et fragiles, puis leur errance reprenait et ils s'abîmaient dans la noirceur. Forge disparaissait derrière ces étendues laiteuses. Sur l'océan, surnageaient quelques récifs, dévorés d'un coup de mâchoire par les milliers de vagues qui déferlaient depuis l'horizon.
Faivre sentait en cet instant combien sa vie avait passé en un souffle, comme un ouragan. Il écrasa sa cigarette sur une pierre mouillée et empoigna son fusil. Les Vicari guettaient tout autour d'eux. Ils s'étaient mis à l'abri derrière des rochers. Le vieux était entouré de quatre hommes protégés par des gilets renforcés. Dernier arrivant dans cet opéra de pierres que nimbaient les embruns, l'inspecteur Maréchal. Cela fit plaisir à Faivre, que d'avoir son supérieur, et un peu son ami, pour sa sortie...
Maréchal avait repéré la position de surplomb de Faivre. Ce dernier n'aurait jamais pu le tromper. Seulement, il avait été moins attentif à ne pas se faire voir des Vicari.
- Sors de là !
Maréchal s'adossa derrière le parapet. C'était bien à lui qu'on criait de sortir. Des jeunots, ces Vicari... Ce n'était pas à un vétéran comme lui qu'ils allaient apprendre la musique !
- Je veux discuter avec votre chef !
Il entendit le vieux siffler l'ordre d'abattre cet intrus. Des balles crépitèrent sur les briques.
- Est-ce vous, Eugène de Mouplin ?
- Non, je suis l'inspecteur Maréchal, police judiciaire !
Comme pour accueillir cette belle salutation, d'autres balles sifflèrent.
Faivre cria du haut de son promontoire :
- Je suis là, Vicari ! C'est moi Faivre !
Sa voix résonnait superbement dans tout le chaos de rochers.
- Faivre, cria Maréchal, je vais monter vous voir !
- Restez où vous êtes, inspecteur ! cria Faivre.
Il suivait toute la scène grâce à la lunette de son fusil.
- Vous pourriez vous faire aérer le pardessus par nos amis ! ajouta-t-il, goguenard.
Il était en train d'ajuster son tir sur la tête du patriarche.
- Inspecteur Faivre, je vous ordonne de descendre.
- De me faire descendre, vous voulez dire ?
- Les Vicari, reprit Maréchal, je me porte garant de l'inspecteur, et de votre sécurité, si vous me laissez mener les opérations.
Peine perdue, les Vicari ricanèrent. Deux avançaient à couvert vers Maréchal.
- Personne n'approche de lui, cria Faivre.
Il tira au pied des deux téméraires. Ceux-ci reculèrent.
- Trop aimable, murmura Maréchal.
Il remonta son col au moment où une bourrasque, montée brusquement du bas de la falaise, traversait tout le quartier.
- Tenez, patriarche !
Faivre fit rouler au bas de la pente une enveloppe garnie de papiers. Un truand la ramassa. Il y trouva un pistolet.
- C'est l'arme qui m'a servi à tuer Fabio ! Prenez la, Vicari !
Le vieil homme, furieux, ramassa l'arme.
- Maintenant, si vous tenez à votre vie, pointez cette arme sur l'homme que je recherche ! Vous savez de qui je parle.
Maréchal, qui n'aimait ni le théâtre ni l'opéra, dut convenir que Faivre avait un certain sens de la mise en scène. Tout cela arrangeait les affaires de l'inspecteur-chef, qui attendait l'arrivée des renforts... Les bras cassés de la Brigade des rues qui tardaient, tardaient...
- Fabio est mort, vieil homme !
Le patriarche laissa tomber l'arme et cria à ses hommes de mener l'assaut. Il se mit à l'abri dans une chapelle qui tenait encore debout et s'assit sur une pierre, résolu. Ses hommes comptaient leurs chargeurs et organisaient la montée.
Maréchal entendit le bruit caractéristique d'une grenade qui roule. C'est son inspecteur qui venait de la lancer. Il se mit sur le ventre, mains sur la tête, les oreilles bouchées et attendit.
L'explosion secoua toute la structure croulante ; elle souffla plusieurs arches, qui partirent vers les étoiles, des trônes rongées par la moisissure, des tableaux délavés et des pans de murs qui s'effondrèrent après avoir résisté à l'usure de plusieurs siècles. Maréchal serrait les dents. Il se déboucha les oreilles, pour entendre une autre grenade rouler. Nouvelle explosion, une déflagration éblouissante, qui emporta dans une danse folle et brève des murets, d'autres arches, des bouts de colonnes et des chapiteaux. Une troisième, juste derrière, et ce furent des jaillissements de poussière, des piliers éclatés, des statuettes qui partirent convoler dans les constellations, des vitraux irradiant la noirceur de leurs chatoiements, des pluies de verre projetées dans l'espace avant de finir dans les eaux épaisses, des demi-ogives tournoyant follement, la valse des statues qui iraient chatouiller les planètes avant de raconter leurs histoires aux fonds tourmentés...
Maréchal attendit, ouvrit un oeil, pour voir des filets en flammes qui craquaient mollement et tombaient comme des draps, très paresseux, languissants. Le sol tremblait, c'était toute la falaise qui allait crouler. Les pavés glissaient, des murs s'abattaient les uns sur les autres comme des dominos. Les Vicari montaient au milieu de cette destruction généralisée. Faivre vidait ses chargeurs ; les hommes tombaient, leur tête explosant rouge, des colonnes roulaient en tous sens. Les truands répliquaient avec leurs propres grenades et ce fut à nouveau un feu d'artifice, les filets transformés en danseurs contorsionnés, gémissants ; des étoiles partout qui éclataient, le sol soulevé, remué, comme par un océan invisible. Le bruit de la mitraille, les détonations par dizaines, répercutées, multipliées, l'air vibrant, les Vicari fauchés et Faivre, toujours seul, là-haut, qui résistait à tout ce fracas.
Comme les truands, réduits à la moitié de leur nombre, refluaient, Faivre poussa un cri de victoire. Les blessés ne pouvaient pas emmener les morts. Le silence revint ; même le vent était tombé. Maréchal y voyait mal au-travers de la fumée. Le crépitement des désastres se perpétuait dans l'écho. Des bâtiments rendaient enfin l'âme, épuisés : ils se laissaient choir de tout leur poids, comme heureux de s'abandonner à la gravité, leur maîtresse impitoyable.
Maréchal, abruti par le vacarme, ne sut que faire. Les Vicari redescendaient à grandes jambées. On vit alors surgir un gros ballon, de derrière la falaise, remonté en trombe du niveau de l'océan. Ce n'était pas la Brigade des rues, c'était un engin non-identifié, certainement pas un taxi de Corben, mais un aérostat plus lourd, à la coque renforcée de blindages. A son bord, deux hommes au visage caché par leurs lunettes, à côté d'un troisième qui avait les mains sur une mitrailleuse automatique.
Maréchal eut le souffle coupé et replongea dans son abri.
Les douilles jaillirent, voltigèrent, lumineuses dans le clair de terre ; les balles s'abattirent en grêlons claquant sur le pavé. Toute une averse de plomb qui fut fatal aux Vicari. Ils furent tous abattus sur les pierres et moururent sans bruit, comme des créatures de papiers déchirées.
Le blindé passa dans un rugissement de mort, reprit de l'altitude soudainement et entama un demi-tour. Faivre avait dû se mettre à l'abri. Maréchal crut qu'il allait se protéger mais il le vit jaillir comme un diable de sa boîte, descendre posément, enjamber les corps, le fusil bien en main. Faivre marchait sans plus aucune crainte de rien ; il faisait penser à un androïde programmé que rien ne détournera de sa course. Il acheva un mourant qui l'agrippait à la cheville. Le ballon était haut dans le ciel, sous les nuages, où il amorçait une courbe serrée. Faivre monta sur un rocher et mit en joue le patriarche qui s'enfuyait en claudicant. Il épaula, ajusta. Son tir frappa le vieil homme dans l'omoplate. Ce dernier s'écroula, comme un pantin dont on a coupé les cordes. Une deuxième balle l'acheva.
Faivre lâcha son fusil. Il demeura immobile puis choisit de s'asseoir sur un muret au bord d'un grand vide. Maréchal lui cria de se mettre à l'abri. Le blindé achevait son tour et fonçait à nouveau sur lui. Les ballon-taxi des hommes de l'Urbaine approchaient eux aussi, des voiles à l'horizon.
Le blindé descendait en prenant de la vitesse, l'homme à la mitrailleuse avide de faire un nouveau massacre. Un nouveau déluge de balles s'abattit sur les ruines. Maréchal s'était remis à plat ventre. Il entendit le grondement sinistre s'éloigner. Il se releva. Faivre était toujours assis, paisiblement, attendant la mort sans trembler. Il était passé au milieu des balles ; elles s'étaient écrasées autour de lui sans l'effleurer. C'était une vision hallucinatoire, de le voir dans ce paysage de mort, tranquille comme un ermite sur son rocher.
- Faivre, venez !
Il n'écoutait pas. Il venait de s'allumer une cigarette. Le blindé allait faire un troisième passage. Maréchal ne savait pas s'il fallait abandonner Faivre à son sort, lui crier de s'enfuir et disparaître ou essayer de lui sauver la mise.
- Faivre, venez !
L'inspecteur réagit brusquement, agacé plus qu'autre chose :
- Elle va mourir ! Plus rien ne vaut la peine, Maréchal !
Le grondement redescendait progressivement. L'oiseau de mort était prêt pour achever son oeuvre.
- Faivre, écoutez : je viens de passer à l'hôpital ! Sélène est sortie du coma.
L'inspecteur mit deux secondes à réagir.
- Sélène est sortie du coma je vous dis !
Faivre eut brusquement une réaction saine : il reprit espoir et se remit à craindre pour sa vie ! Il se précipita sous un toit qui tenait encore et descendit quatre à quatre un escalier très raide, juste au bord d'un gouffre de plusieurs dizaine de mètres. Le blindé piquait sur lui. Elle vivait, elle vivait ! La mitrailleuse se remit à cracher ses munitions. La traînée de plomb prit Faivre en chasse, dévala comme lui les marches en sifflant. Les marches éclataient derrière Faivre, l'averse de mort gagnait sur lui à une vitesse affolante.
Maréchal prit son pistolet bien en mains et, avec une froideur inattendue dans la chaleur de toute cette peur, visa. Le tir claqua ; du sang jaillit de la lunette du tireur, comme celui-ci partait en arrière. Maréchal tira encore, blessa un pilote, tira une troisième fois, dans la toile du ballon. Touché ! Il finit de vider son chargeur dedans. La toile commençait à craquer. L'engin déséquilibré reprit brusquement de l'altitude, alors que son ballon se dégonflait comme une baudruche. Un des hommes passa par-dessus bord.
Maréchal vit que le terrain s'affaissait dans son entier. Les ballons-taxi arrivaient juste pour assister à la destruction du quartier. Maréchal courut comme une bête traquée. Une échelle de corde tomba devant lui, il s'y agrippa, fut emporté dans les airs, avec une force à lui déboîter l'épaule. Il s'accrocha de toutes ses forces.
- Tiens bon, criait Lanvin.
Maréchal se sentit ballotté, puis lâcha. Il sentit un moment la mort venue. Il frappa alors un mou et gros filet, où il se laissa rouler, impuissant. Quand il se releva, encore vif, comme un poisson sorti de l'eau, il cria aux policiers un mélange incertain de remerciements et d'injures !
Il put laisser éclater sa joie, mais brièvement : l'escalier raide que dévalait son inspecteur était désert : Faivre venait de basculer dans le vide.