23-03-2013, 06:50 PM
(This post was last modified: 24-03-2013, 06:04 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yatsume atteignait les abords de la Cité impériale d'Otosan Uchi a moment où de grandes manoeuvres s'y produisaient : les armées Phénix, Grue et Scorpions opéraient leur jonction à la cité stratégique nord, prêtes à fondre sur les terres des Lions.
Yatsume dut passer par des chemins de traverse pour ne pas être enrôlée de force. Elle vit sans doute possible la bannière du shinsen-gumi parmi les armées de la coalition. Les chiens enragés des usurpateurs prenaient la tête de la plus formidable puissance militaire qui se soit jamais levée dans l'Empire.
Yatsume approcha de la capitale et alla se renseigner dans les bouges interlopes comme il y en avait par dizaine dans tous ces mauvais faubourgs où s'entassait tous les trafiquants vivant des commerces inavouables dont avait besoin la capitale. Comme l'espérait la rônin, l'arrivée d'un shugenja Lion n'était pas passée inaperçue.
- Tu dis qu'il a rencontré un dignitaire de la famille impériale, hein ? Alors c'est bien lui.
Yatsume se fit faire une description du Lion et du rônin qui l'accompagnait. Il lui fut facile de trouver le village où ils résidaient, à un jet de pierre des fortifications de la cité.
- Psst, Yatsume !
C'était Yojiro !
- Viens avec moi, dépêche-toi !
Yatsume le suivit sans rien dire. Ils partirent dans une ruelle déserte :
- Je te cherchais, dit Yojiro. Je n'espérais pas te trouver si facilement.
- C'est inespéré.
- Tu es en danger, Yatsume. L'ordre que tu as reçu était un faux.
- Pardon ?...
- Viens, je vais t'expliquer.
Ils allèrent dans une taverne.
- Yasashiro a prévenu Mitsurugi de ton départ de la Cité des Mensonges.
Yatsume comprit ce qui s'était passé.
- Mitsurugi nous a fait prévenir, Sasuke et moi, par un message aérien. Du coup, je suis resté ici à t'attendre.
- Et où est parti Sasuke ?
- Il est reparti à la Cité des Apparences. Tu ne l'a pas croisé ?
- Non, j'ai pris des chemins détournés.
- Bon, je suis content de t'avoir retrouvée. Tu dois avoir des agents Scorpions à tes trousses. Quel était le faux ordre qu'ils t'ont envoyé ?
- Attends, je t'interromps, Yojiro. Sasuke ne reviendra pas ?
- Certainement non.
- Qui venait-il voir, si ce n'est pas indiscret ?
- Hmm, je ne sais pas s'il voudrait que je te le dise.
- Allez, de toi à moi...
Yojiro maugréa :
- Non, cela ne te concerne pas.
Il ignorait à quel point Sasuke voulait dissimuler sa rencontre avec Hanteï Tokan puis le Bouffon.
Yatsume demandait par pure curiosité. La seule chose qui importait pour elle, c'était que Sasuke n'était plus là ! C'était les dieux qui voulaient qu'elle réussisse ! Avec le renfort de Yojiro, c'est comme si la belle Ikue était déjà délivrée !
- Ecoute-moi Yojiro, j'ai quelque chose à te dire...
Yatsume recommanda à boire.
- Je veux d'abord que tu me jures de ne rien révéler de ce que tu vas entendre, même si cela te semble déraisonnable.
- Si tu as l'intention de te saouler, je ne dirai rien.
- Non, je suis très sérieuse et très lucide.
C'est vrai qu'elle avait déjà bien bu, mais c'était pour se donner du courage.
- L'ordre n'était pas un faux, Yoj'... Enfin si, mais pas comme tu crois.
Yojiro se gratta le menton. Avec Yatsume, on pouvait toujours soupçonner des genres de tours pendables inédits. Il avait l'impression que cette fois, elle s'était surpassée.
- Cet ordre, dit-elle à voix basse, c'est moi qui l'ai écrit !
Yojiro écarquilla les yeux.
- Parfaitement. J'avais besoin d'une excuse pour aller à la capitale et y rencontrer le Bouffon.
- C'est démentiel, dit Yojiro. Tu t'es fait faire un faux ordre !
- Ce n'est pas compliqué tu sais. A la Cité des Mensonges, on rencontre des gens qui font ça à chaque coin de rue...
- Et peux-tu me dire ce que tu veux dire au Bouffon.
- J'ai besoin qu'il me prête une dizaine de gredins bien déterminés pour une opération secrète.
- Une opération secrète.
Yojiro se retint de sourire. Elle devait être complètement ivre.
- Il me semble que tu as le pied marin toi, en plus.
- C'est vrai que je sais piloter un navire.
- D'accord, alors, écoute bien, voici mon plan.
Elle se pencha. Son haleine empestait le mauvais vin :
- Nous allons délivrer Ikue.
- Délivrer Ikue, vraiment ?...
- Toi, moi et quelques bons malandrins de la bande du Bouffon.
- Tu n'es pas sérieuse, j'espère.
- Très très sérieuse, Yoj'. Qui peut réussir un coup pareil à part nous ?
- Personne bien sûr.
- Les Grues ne s'attendent pas à un coup pareil.
- Ah ça, certainement pas !
- Nous allons fondre sur eux comme des oiseaux de proie. Ravir la belle et malheureuse Ikue et repartir aussitôt.
Yatsume faisait boire Yojiro qui, à vrai dire, n'était pas insensible à cette idée un peu folle mais héroïque.
- Peux-tu supporter qu'à l'heure où nous parlons, notre bon maître souffre terriblement ? Et qu'Ikue est aux mains de ses rustres qui la retiennent prisonnière !
- Si Mitsurugi le voulait, il nous aurait donné l'ordre...
- Non, Yojiro : il n'y a pas à attendre son ordre. Il faut le devancer.
- Si on commence à aller par là...
- Ce n'est pas un cas ordinaire, Yoj'. On parle d'une injustice d'une cruauté sans nom. A l'heure qu'il est, ils devraient être mariés et vivre leur idylle. Mitsurugi a conquis la belle, elle lui revient de droit.
- Nous allons au-devant de gros ennuis.
- Non et je vais te dire pourquoi : parce que nous n'aurons d'ennuis que si nous échouons. Or, si nous échouons, nous nous ferons couper en rondelles par les hommes du shinsen-gumi. Il ne faut pas se mentir Yojiro. Alors que si nous réussissons, Mitsurugi nous couvrira de récompenses. Il ne voudra même pas savoir comment nous nous y sommes pris, pour que ses oreilles ne soient pas souillées du récit de notre expédition hautement immorale.
- Je croyais au contraire que c'était une question d'honneur.
- Tu m'as comprise, Yojiro. Maintenant, la question est de savoir si tu veux te contenter d'être un anonyme rônin ou si tu veux graver ton nom dans la légende de cet Empire.
- Tu n'en fais pas un peu trop là ?
- Je suis plus sérieuse que je ne l'ais jamais été, Yojiro.
Le rônin ne sut que dire. Yatsume lui resservit à boire et le travailla au corps une partie de la soirée ; de guerre lasse, Yojiro finit par accepter.
- Merveilleux, tope-là ! Tu peux m'emmener au Bouffon ?
- Facile, dit Yojiro, qui se levait en titubant. Je suis allé le chercher il y a encore deux jours... Oups, je n'aurais rien dû te dire...
- Sasuke voulait voir le Bouffon ? Peu m'importe. Oublions cela. Ne pensons qu'à la belle Ikue.
Les deux rônins, bras croisés sur l'épaule l'un de l'autre, partirent en titubant. Des chiens aboyaient. Le voisinage leur cria dessus, comme ils passaient dans les rues en chantant à tue-tête.
Ils sortirent du village et trouvèrent une grande où dormir.
Le lendemain matin, la tête lourde, la bouche pâteuse, ils partirent voir le Bouffon, qui tenait sa cour dans le quartier des miracles. Là aussi, tout était assemblé de bric et de broc : des meubles, des tapis, des pans de murs, des couverts récupérés à droite et à gauche, des carrioles et des vieux palanquins. Tout était de la récupération. Il y avait en permanence des chaudrons sur le feu.
Le gros Yoriku était là, lourdement vautré sur ses coussins, content de se trouver au milieu de ses gueux.
- Ah, qui voilà ! Ma bonne Yatsume ! Décidément !
- Elle aussi voulait te voir, dit Yojiro.
Le Bouffon se grattait sous les bras. Il claqua des doigts pour qu'on lui apporte de la soupe et des sièges pour ses invités.
- Suprême Guide Lumineux, dit Yatsume, j'ai besoin de ton aide pour une noble cause.
- Une noble cause ! Tu n'as pas frappé à la bonne porte !
- Justement si. Car je veux louer les services de tes gredins.
- Ah oui, mais c'est un autre genre de bonnes causes alors !
Yatsume expliqua ce qu'elle avait en tête.
- Tu ne manques pas de culot !
- Ni de belles pièces pour payer les services de l'élite de tes hommes.
Yojiro leva les yeux au ciel : "l'élite des hommes du Bouffon" -autant dire ceux qui avaient leurs deux yeux et leurs deux jambes !
- Tu vas au-devant de gros ennuis, ma cocotte. Mes hommes n'ont rien à perdre. Si tu as des kokus, ils te suivront en enfer. Mais toi ?
- J'ai tout à gagner, Bouffon, crois-moi. Je veux racheter ma mauvaise conduite.
- Ton plan est suffisamment insensé pour réussir, c'est certain. Les Doji ne pourront pas croire à une manoeuvre pareille. Mais tu n'as pas peur de deshonorer Mitsurugi en l'associant à cet enlèvement ?
- Mitsurugi n'est pas au courant. On ne pourra jamais prouver qu'il était dans cette histoire.
- Allons, les Grues vont l'accuser. Et quand ils verront Ikue à ses bras, ce sera comme s'il était réellement complice !
- Ikue a été enlevée traîtreusement par le shinsen-gumi ! Voler les voleurs n'est pas déraisonnable.
- Tu t'arrangeras comme tu veux avec ta conscience -et avec Mitsurugi ! Ce dont tu peux être sûre, c'est que moi, je ne suis pas dans le coup -officiellement
- Je te remercie, je savais que je pouvais compter sur toi.
- Ne mentionne pas mon nom !
- Jamais. Je prends seule la responsabilité de cette attaque.
- Bon, voyons pratiquement parlant comment délivrer ta belle...
Ils en discutèrent jusqu'à la nuit tombée, pour trouver le matériel et mettre au point cet audacieux enlèvement. Yoriku envoya chercher les plus fieffés gredins qu'il connaissait. Il réunit la plus belle clique de voyous de l'est de l'Empire et confia cette troupe à Yatsume, en échange d'un paiement substantiel.
- Dis-toi que tu aides nos bonnes oeuvres, ma chérie.
- Je suis une bienfaitrice des pauvres, ô grand Empereur.
- C'est ça. Tâche de me ramener mes hommes dans l'état où tu les trouves.
- Il sera difficile de les abîmer plus.

Yoriku fut content de voir partir les deux rônins. Il allait retrouver la paix. Il demanda à s'isoler pendant quelques temps. Qu'on ne le dérange plus. Il allait s'enfermer dans sa roulotte. Le soir, alors que les gueux se trouvaient un coin pour dormir à l'aise, que ne restaient plus que les derniers veilleurs assis en rond autour d'un faible feu de camp, Yoriku sortit de sa roulotte par la porte arrière, vêtu d'un gros manteau de bure noire. Par un chemin que lui seul connaissait, il se rendit en claudiquant hors de la ville, sur un chemin de campagne battu par le vent, sous un ciel effrayant tant il était noir, aux abords d'une plaine où tant de bataille avaient laissé, au cours des siècles, ossements, casques, bouts de lames et où d'aucuns prétendaient entendre encore les gémissements des perdants.
Le gros Yoriku, d'habitude si lourd, alourdi par sa bosse, affaibli par sa mauvaise jambe, paraissait glisser sur le chemin plutôt qu'il n'y marchait. Enveloppé dans son lourd manteau, il se déplaçait comme un souffle. Il arriva en bordure d'une forêt. Il y avait là un puits. Il s'en approcha prudemment, en regardant par-dessus son manteau. Une lueur phosphorescente remontait vers la surface. Yoriku se recula : c'était une boule d'énergie crépitante, qui s'agrandit et prit forme humaine.
- Salut à toi, dit Yoriku.
La créature était l'Ize-Zumi aux yeux crépitants, le serviteur du Dragon de la Lumière.
- Dis le mot, murmura la créature d'une voix caverneuse.
- Tu es bien procédurier...
- Dis-le mot ou je disparais à l'instant.
- Le nom de ton maître est (il prit son souffle) : Kel'welk'rgna't'ok'lâ'a-r'krt'seoc'la'tk.
- C'est bien. Va, je t'écoute.
- Pourquoi avoir parlé à Sasuke ? Pourquoi l'avoir envoyé vers moi ?
- Il n'est plus temps de dissimuler la vérité. Le shugenja est sur la voie des Arcanes.
- Il n'est pas prêt pour cette épreuve. Il sera détruit avant d'avoir trouvé la dernière.
- Le maître de la Lumière a estimé, Yoriku, qu'il serait prêt.
- Ton maître, je suppose, n'a pas oublié que lui-même devra se sacrifier s'il veut que la cinquième arcane soit révélée ?
- Mon maître n'oublie rien. Il estime que son temps en exil dans les Limbes a assez duré.
- S'il sait ce qu'il fait, je ne regrette pas d'avoir parlé à Sasuke.
- Tu lui as indiqué ce que tu savais ?
- Oh oui, dit Yoriku. Mais s'il doit suivre mes conseils, je lui souhaite bien du plaisir...
Le serviteur sauta en l'air, se changea en lueur et redescendit dans le puits.
Yoriku repartit dans l'obscurité.
- Ah, pauvre Sasuke... Tu ne risques pas que ton honneur, pas que ta vie, mais ton âme ! Puisses-tu, au moment suprême, ne pas oublier la Lumière !
Sasuke, informé par le Dragon de Lumière, du destin tragique de Yoriku, déchu et laissé pour mort par Nuage, alors qu'il était sur le point, à l'école des mystiques Asako, de découvrir la cinquième arcane qui confère le secret de l'immortalité. Défiguré, transformé en un personnage grotesque, Yoriku était alors devenu le bouffon impérial.
Sasuke l'avait prié de lui dire ce qu'il savait.
- Je possède les trois premières arcanes, Yoriku. La quatrième, je l'aurai bientôt. Il ne me reste qu'à connaître la dernière.
- Je ne la possède pas, Sasuke. La seule personne qui, à ma connaissance, s'en soit approché, est le légendaire Hafiz, le sage de la lointaine cité de Medinat Al'Salaam, au fin fond des déserts barbares.
- Hafiz, dis-tu ?
- Je l'ai rencontré, jadis. Mais j'ignore s'il est encore en vie. Si c'est le cas, il serait bien vieux.
- Lui m'enseignera l'arcane ?
- L'arcane ne s'enseigne pas, Sasuke. Elle ne se trouve pas, elle ne se cherche pas.
- Je chercherai au moins Hafiz.
- Pour la trouver, il faudrait l'énergie d'un jeune homme et la sagesse d'un vieillard. Deux qualités impossibles à réunir en une seule personne.
Quand le Bouffon revint à sa roulotte, le jour se levait à peine. Quelques mendiants se levaient en claquant des dents. Ceux qui avaient passé la nuit à détrousser les ivrognes qui sortaient des tavernes, s'asseyaient, fatigués. L'un d'eux remettait une bûche dans le feu.

Cela semblait trop facile.
Une dizaine de détrousseurs et de porte-lames experts, un petit navire et c'était parti pour une descente le long de la côte.
- Tu vois, dit Yatsume, il n'y a pas à s'inquiéter.
- Je te trouve bien sure de toi, grommela Yojiro.
- N'aies crainte ! La belle est retenue d'après nos informations à la Cité des Mille Cerisiers. Tu en as déjà entendu parler ?
- Non.
- C'est donc bon signe, Yojiro. Ce n'est qu'un patelin perché sur une falaise. Pourquoi veux-tu que l'endroit soit surveillé ?
C'est au milieu de la deuxième qu'ils y arrivèrent. Comme avait dit Yatsume, ce n'était que quelques bicoques au-dessus de la mer.
- Regarde-moi ça, au moindre coup de vent, tout s'effondrerait.
L'équipage avait revêtu ses tenues noires.
Yojiro n'osait même plus penser à ce que Mitsurugi dirait. Au point où il en était à présent...
On mit une barque à la mer. La lune était bien cachée. Alors qu'ils étaient presque sur la plage, Yatsume sauta dans l'eau, enfonça un lourd pieu dans le sol et lança une corde à l'équipage. Trois hommes descendirent aussi et on attacha fermement la barque. Désormais, plus personne ne disait un mot. Tout le monde s'abrita sous la falaise, à l'entrée d'une petite grotte.
Un chemin montait le long de la falaise. Le sentier très raide fatigua les intrus. Arrivés en haut, tout le monde s'arrêta derrière un buisson. Le monastère des Mille Cerisiers se trouvait à l'entrée du plateau de la falaise. Deux soldats somnolaient. Yatsume fit signe aux hommes du Bouffon d'attendre là. Elle irait avec Yojiro seulement.
Les deux rônins approchèrent de la petite barrière et sautèrent par-dessus sans mal. Ils étaient dans le verger. Leurs semelles en crêpe étaient silencieuses sur la terre grasse. Ils se postèrent sous le balcon, surveillèrent les allées et venues : personne, pas un chat, rien que le bruit du vent marin, immense et rassurante respiration du large.
Yatsume lança la corde à grappin et ils se hissèrent à la rambarde. Il fut facile de crocheter la sécurité du panneau d'entrée. A l'intérieur, une femme dormait à poings fermés. Yojiro s'approcha : à la faveur d'un maigre rayon de lune, il la reconnut : c'était bien Ikue.
Seule une bougie brûlait encore dans un coin de la pièce. Yojiro fit des gestes de la main pour signifier : on la soulève, on la baillonne et on s'en va.
- Ah non, ça ne va pas, murmura Yatsume. Il faut y aller délicatement.
- Chut ! Allez, aide-moi !
Yojiro allait pour la soulever :
- Non, cria Yatsume à voix basse. Tu es fou ! Ce n'est pas comme ça qu'on traite une princesse !
- Ce n'est pas une princesse !
- C'est tout comme !
- D'accord, qu'est-ce que tu suggères, mademoiselle je-sais-tout ?
- On va prendre ses affaires.
- C'est ça, et lui chauffer un petit thé avant de partir aussi ?
- Tu es un rustre, Yojiro.
Ils se turent et ne remuèrent plus un cil : un soldat passait dans un gros bâillement. Il entrouvrit le panneau. Les deux rônins s'étaient plaqués au mur, prêts pour bondir sur le garde. Il le referma.
- Bon, je fais ses affaires, dit Yatsume.
Yojiro, excédé, maugréa pour lui-même sur la coquetterie féminine ; il colla l'oreille au panneau : le garde était parti baîller plus loin.
- Alors, ça vient oui ?
- Oui, oui...
Yatsume pliait précautionneusement les affaires de la belle. Agacé, Yojiro attrapa un drap, l'étendit, empila tous habits dessus et replia le drap en un sac :
- C'était pas compliqué.
- C'est ça, c'est ça... Bon, je vais la réveiller, moi.
Yatsume s'approcha :
- Ikue...
Elle s'éveilla. Yatsume lui mit la main sur la bouche :
- Nous sommes envoyés par Mitsurugi. Nous venons vous secourir.
Effrayée, la belle Ikue voulut se débattre. Yatsume lui serra le poignet :
- Je ne veux pas vous faire mal, alors soyez sages. Nous sommes là pour vous aider ! Nous partons !
Ikue cligna des yeux comme par consentement. Yatsume dut se mordre pour ne pas crier : Yojiro venait de lancer le gros sac d'affaires par la fenêtre !
On entendit un coup sourd et le cri étouffé de quelqu'un : Yojiro se précipita sur le balcon : il venait d'assommer un garde sans le faire exprès !
- Ah c'est malin, cria Yatsume, toujours à voix basse.
- Allez, filons.
Yojiro sauta par-dessus la rambarde et se reçut sur le gros sac. Yatsume aida Ikue à se hisser à son tour. La jeune femme fit une petite prière. Yatsume la mettait en confiance du regard : "tout va bien se passer". Impatient, Yojiro secouait les bras. Ikue prit son inspiration et se laissa tomber. Elle chut comme une fleur fragile, mais fut rattrapée par Yojiro, qui la posa à terre, aussi délicatement qu'il put. Yatsume les rejoignit à son tour.
Il n'y eut plus qu'à enjamber la palissade du monastère et ce fut la liberté !
Les gueux attendaient à l'entrée du chemin.
- Mais qui êtes-vous ?
- Chut, dit Yatsume.
Ils dévalèrent la pente jusqu'à la plage.
- Nous sommes au service de Mitsurugi, dit Yojiro. Nous étions à la cour d'hiver.
- Où est Mitsurugi en ce moment ? demanda Ikue.
- A la Cité des Apparences, dit Yatsume. Il vous attend impatiemment.
Comme ils montaient dans la barque et souquaient ferme pour rejoindre le navire, sous un ciel où la lune n'apparaissait toujours pas, Yojiro et Yatsume se regardèrent. Ils comprirent que chacun pensait à ce que Mitsurugi dirait...

