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26ème Episode : La colère de Mitsurugi
#6
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Yatsume et Yojiro quittèrent la capitale et prirent le chemin le plus court vers l'ouest pour rejoindre la Cité du Levant. Mal leur prit de ne pas emprunter les chemins détournés ; ce qui devait arriver en pareil cas arriva : alors qu'ils croisaient un détachement de l'armée des Lions qui remontait de Bakufu, ils furent encerclés et, comme ils n'étaient porteurs d'aucun ordre officiel émanant d'un clan, ils furent enrôlés de force.
- Nous sommes au service du gouverneur Mitsurugi ! clama Yojiro, alors que lui et Yatsume étaient tenus en respect par trois lances et quatre tridents.
- Nous allons justement le voir ! Allez, qu'on couse un insigne sur les habits de ces vagabonds et qu'ils rejoignent un groupe de leurs semblables.

Ils furent intégrés dans une cohortes de samuraï sans honneur, parmi lesquels ils retrouvèrent quelques anciens du clan du Loup qui voulaient se battre contre le Gozoku, mais surtout le tout-venant de la canaille ramassée aux quatre coins de l'Empire, amenés à Bakufu, et dont on allait se débarrasser à la guerre, en les mettant en premières lignes.
- Ne t'inquiète pas, murmura Yatsume, à la première occasion, on décanille de cette troupe et on rejoint les nobles armées du grand Mitsurugi.
- Plus facile à dire qu'à faire ; la discipline dans les armées du Lion est féroce et si nous partons, ils n'hésiteront pas à nous tirer dans le dos. Ils ne feront pas de détail...
C'était la première fois depuis sa déchéance que Yojiro se retrouvait dans la position d'un vrai rônin, regardé comme tel et donc méprisé. Il se rendit compte à quel point il avait eu une position confortable sous les ordres de Mitsurugi : tous les avantages du service d'un seigneur, sans les désagréments de la vie de clan, des cérémoniels, des obligations de famille etc.
Comme ils avançaient sur la route pavée, sous le soleil de début de printemps qui chauffait déjà la pierre et agressait la vue, ils virent passer un cavalier arborant les couleurs de la famille Hida.
- Ça alors ! s'exclama Yojiro, mais c'est lui ! Hé, Yasashiro ! Yasashiro !
Le Crabe passa sans l'entendre ; sa voix était couverte par le bruit des pas, des plaintes et du trot des sabots sur les pavés.
- Silence ! cria le gunzo [sergent] en charge de surveiller le groupe, ou je te donne le fouet !
Les autres rônins, qui n'avaient pas envie d'écoper au passage de quelques caresses de lanière de cuir, intimèrent à Yojiro l'ordre de se taire et lui promirent qu'il passerait un sale moment s'il continuait. L'heure était d'ailleurs venue d'une halte à la fontaine. Les Lions allaient se désaltérer largement et organiseraient ensuite une distribution d'eau pour les rônins. Quant à Yasashiro, il était déjà loin à l'horizon.
- Ah misère, soupira Yojiro, les dieux sont contre nous. Lui nous aurait aussitôt sorti de là !
C'était une ironie cruelle que son ancien compagnon de la brigade d'enquête crabe (BEC) passe sans le voir et que lui soit promis à aller se battre en première ligne parmi la lie des porte-sabres.

Yasashiro, pressé de retrouver Mitsurugi et de rendre-compte de ce qui s'était passé à Bakufu, piqua encore sa monture ; il fut bientôt en vue de la Cité du Levant, mais dut faire un détour pour passer loin de la gigantesque armée du Gozoku qui campait dans la plaine.
Au terme d'une chevauchée épuisante, il était enfin de retour ! A la petite Cité, on lui que Mitsurugi était auprès du général Kokatsu. Le Crabe remonta aussitôt et finit la route qui le séparait de la Cité des Apparences. A son arrivée, il se fit signaler à l'entrée. Sasuke dit qu'on le laisse rentrer ; il salua le shugenja :
- L'armée de Bakufu sera ici dans trois jours, guère plus... Le nouveau daimyo, Akodo Genchi, est au mieux avec les Scorpions.
- Tu as bien travaillé Yasashiro. Désormais, le destin est en marche. Rien ne peut arrêter la colère des Lions.

Le Crabe dit qu'il irait se battre avec férocement.
- Mais avant cela, je vais aller dormir.
Dès qu'il fut dans sa chambre, il tomba dans un lourd sommeil.


Samurai


Le soleil était encore caché sous l'horizon, le ciel bleuissait à peine à l'est, quand les armées du Gozoku se disposèrent dans la plaine pour la bataille, entre les collines de la Mort Joyeuse et la rivière du Sacrifice Glorieux. A l'ouest, à moins de cinq lis, Matsu Kokatsu arrivait à la tête de son armée. Il commandait à toutes les troupes de la Cité des Apparences, ainsi qu'aux contingents envoyés par le chef de famille Matsu Torajo ; s'ajoutaient les troupes rapides de la famille Ikoma, des archers Akodo et de fortes troupes de familles mélangées qui composaient le gros de cette armée.
Kokatsu harangua toute cette masse extraordinaire de guerriers dont la puissance pouvait faire trembler la terre et le ciel. Brandissant haut la bannière de la Cité la plus disputée de l'Empire, ainsi que la bannière de dame Matsu l'impitoyable, il promit le paradis des Ancêtres bénis à tous ceux qui mourraient aujourd'hui et la gloire à ceux qui resteraient en vie pour savourer la victoire.

Puis Kokatsu alla sur une hauteur et y fit déployer son quartier général. C'est de là qu'il dirigerait la bataille, transmettant à l'aide de son éventail les ordres à ses officiers.

Mitsurugi sanglait son casque. Il passa voir Sasuke :
- A bientôt, vieux camarade. Je compte sur toi pour conseiller le général.
- La tactique, ça ne me connaît pas trop. Si cela ne tenait qu'à moi, tu sais bien que je les disperserais dans une tornade de feu.
- Retiens-toi. Nous devons gagner à la loyale, sinon, ce sera pire qu'une défaite. Et prie pour moi, car je pars en première ligne.
- S'ils t'expédient en enfer, j'irai te chercher.
Mitsurugi donna une tape sur l'épaule de Sasuke et descendit rejoindre ses cohortes. Celles-ci se composaient en fait des guerriers les plus féroces de l'armée. Il y avait au premier rang les Quêteurs de Mort de la famille Matsu, des samuraï qui, s'estimant déshonorés, ne demandaient qu'à subir une mort rapide dans des circonstances glorieuses. Aucun d'entre eux ne comptait en réchapper. Mitsurugi les avait donc autorisés à passer les premiers... Notre gouverneur aurait à ses côtés Yasashiro qui, officieusement, lui servirait de garde du corps.
- Si tu en sors en vie aujourd'hui, considère que ta dette envers nous sera effacé Yasashiro. Et même très largement.
- Bah, je n'ai pas envie de retourner sur la Muraille. J'aime de toute façon mieux me battre à tes côtés.
Le Crabe, dans sa lourde armure, ressembla à une mini-muraille à lui seul. Et quand on le voyait brandir à deux mains son tetsubo hérissé de pointes, c'était le spectacle d'un géant prêt à broyer et écraser tout sur son passage Troll1
Outre les Matsu, Mitsurugi avait sous ses ordres une troupe de rônins triés sur le volet, parmi lesquels Shokun et Ranto, les fidèles du clan du Loup et une quarantaine d'autres samuraï sans clan restés fidèles à l'honneur, prêts à mourir pour racheter leur déchéance. Kokatsu avait enfin mis sous ses ordres un contingent de vétérans ; ils avaient tous connu au moins deux grandes batailles et comptaient parmi la fine fleur de l'armée des Lions. Mitsurugi avait entendu courir la rumeur selon laquelle, s'il revenait en vie, le général Kokatsu lui accorderait le droit de fonder sa propre famille. Et le bruit courait déjà dans l'armée et nombreux étaient ceux qui voudraient faire allégeance à notre héros et porter le nom de famille de Mitsurugi.
Comme, de plus, face à la mort, les hommes s'avouent plus aisément la vérité, le passé de Mitsurugi était revenu : on avait appris, d'abord par les calomnies propagées à la cour d'hiver, qu'il avait appartenu au clan du Phénix. Ce qui aurait dû être un motif de déshonneur devenait, dans ces circonstances héroïques, un motif de fierté et déjà, nombreux étaient ceux qui voyaient dans le gouverneur de la Cité du Levant le composé d'un lion et d'un phénix, c'est-à-dire un griffon, aux ailes de feu et aux pattes velues ! Et tandis que Mitsurugi remontait les rangs de l'armée pour rejoindre ses troupes, le nom de griffon était scandé, d'abord à voix basse par quelques-uns, puis de plus en plus fort par de plus en plus de monde, et quand notre héros arriva en première ligne, c'était une vague d'acclamations qui le portait vers la bataille ; il était entendu que, dans la lumière orangée du levant, il serait l'oiseau aux pattes de fauve qui mènerait l'armée jusqu'au coeur des troupes ennemies. Depuis la colline, Kokatsu observait cette vague d'acclamation ; il ne voulut pas ternir cet enthousiasme. Il sentait bien que Mitsurugi, s'il continuait ainsi, lui ferait bientôt de l'ombre. Il ne parvenait pas à lui en vouloir, car il sentait que c'était les Ancêtres qui portait son diplomate vers son destin : et il est inutile de vouloir arrêter le flot de la rivière en crue ; même barrer le cours d'eau ne fait que le faire déborder et le rendre encore dangereux.
Kokatsu se tourna vers le poète Ikoma Noyuki, qui se tenait debout à sa gauche :
- Tu raconteras tout ce que tu vois aujourd'hui.
- Je n'y manquerai pas, général.
Pour l'ancien compagnon de beuverie de nos héros, c'était aussi un jour de rédemption ; lui qui avait connu naguère la déchéance pour une histoire de femme, pouvait retrouver la gloire si, à l'avenir, il restait aux côtés du général et couchait sur le papier sa légende. Car les hommes meurent et leurs geste sont oubliés, sauf si le poète les a rendus immortels.

Dans l'armée, l'acclamation retombait. Mitsurugi était prêt à lancer son bataille à l'attaque.
Le troisième prétendant, Akodo Gencho, descendit pour transmettre les ordres aux troupes de sa famille. Kokatsu n'aimait pas trop avoir à compter sur lui, car il était encore trop jeune. Néanmoins, si ce Gencho devait être un appui pour lui, le général n'avait d'autre choix que de l'accepter à ses côtés.


Samurai


Les deux armées étaient en place. Selon une vieille coutume, les Matsu prirent leurs sabres dans leur fourreau à la main et commencèrent à marteler en cadence le sol ; bientôt, ils furent imités par les autres familles et c'est ainsi que des centaines de samuraï se firent à battre en cadence la terre sur laquelle tant de braves allaient verser leur sang. Ceux du Gozoku avaient beau être au courant de ce rituel de début de bataille, la plupart n'en furent pas moins pétrifiés, et leur effroi ne fit qu'augmenter quand les Matsu les premiers entonnèrent à pleins poumons le chant traditionnel des guerriers recommandant leur âme aux Ancêtres. C'était alors comme si toutes les portes du royaume des morts s'ouvraient, que les fantômes des disparus venaient hurler sur les ennemis du clan du Lion, comme si ces centaines d'hommes ne formaient plus qu'un seul fauve rugissant, avide de dévorer ses proies. Les Scorpions, habiles pour attaquer à revers, pour se cacher, pour ruser et taper sous les ceintures, ne pouvaient rien opposer à la puissance brute qui se dégageait de cette armée. Le comble fut atteint quand les rônins volontaires, armées d'énormes pieux, avancèrent aux premiers rangs, comme une forêt mouvante, et pointèrent leurs rondins d'empalement vers le Gozoku, acclamés par leurs camarades.
Les Phénix avaient beau réciter toutes sortes de prière et rester, comme à leur habitude, tout à fait maîtres d'eux-mêmes, certains sentaient leurs genoux les abandonner face à la déferlante qui se préparait. De même, nombre de Scorpions commençaient à se demander ce que pourrait la ruse et la stratégie devant cette meute de fauves ; les Grues, arrogants, sûrs, trop sûrs, de leurs moyens, avaient presque oublié ce que pouvait être la toute-puissance des Lions quand ceux-ci se mettaient en ordre de bataille ; obligés d'admettre ce que leurs adversaires avaient d'admirables, ils devaient pourtant ne pas oublier le raffinement de leurs tactiques guerrières et l'ardeur de leur détermination.
Enfin, au premier rang, les mercenaires, mauvais samurai, opportunistes et demi-repentis composant les rangs du shinsen-gumi, réalisaient l'ampleur de leur erreur, car ils réalisaient qu'ils n'auraient jamais la force d'âme des Lions face à la mort. Plusieurs voulurent reculer mais ils se heurtèrent aux Grues, qui les empêchèrent de faire un pas de plus en arrière.

Les Lions terminèrent leur chant par le cri de guerre ancestral légué par dame Matsu :
« Dans mon sabre, le vent. Dans mon cœur, le courage. Dans mes yeux, la mort. »

Et comme les dernières syllabes retombaient, le soleil, comme vengeur, dardant ses rayons, apparut dans le dos de l'armée du Gozoku.
Le général Kokatsu savait que, traditionnellement, une bataille à la Cité des Apparences signifiait que les Lions avaient le soleil face à eux. C'était un désavantage dont les Lions n'avaient jamais voulu se plaindre. Par défi, certains hommes des premiers rangs, destinés à périr dès le premier choc, se bandaient les yeux, pour prouver leur loyauté aveugle au clan. L'armée du Gozoku, noire sous la lumière rasante du matin, ressemblait à une bande de fantômes, tandis que les Lions resplendissaient d'autant plus.
Solennellement, Kokatsu leva son éventail et, d'un coup de poignet, le déplia. Dame Amaterasu frappa l'emblème de ses traits, et l'ordre d'attaque ainsi apparut clairement à tous. Puis le général agita trois fois l'éventail et ce fut le signal de l'assaut.

Mitsurugi brandit son sabre ; les lanciers passèrent les premiers. En face, les rônins au service du Gozoku avaient eux aussi leurs épieux mais, moins déterminés, appâtés par l'argent plutôt que par l'honneur, ce premier rang ne fut pas de taille face aux rônins des Lions. Le choc fut comme le craquement d'une forêt qui s'effondre d'un coup. Projetés en arrière, empalés, comme renversés par la charge d'un taureau furieux, les mercenaires s'effondrèrent ou bien partirent s'effondrer sur les rangs de derrière. Passé le premier choc, les pertes pour le Gozoku étaient déjà importantes et surtout, le spectacle des rônins le ventre transpercé, à l'agonie, était saisissant. Les rônins du Lions lâchèrent leurs lances, courant sur celles-ci, montèrent sur leurs ennemis en dégainant leurs sabres. Les archers Asahina étaient néamoins prêts et envoyèrent une volée de flèches. La précision des membres de la Grue ne fut pas démentie : les valeureux rônins furent abattus comme du blé.
La bataille était maintenant fermement engagée.

Les Quêteurs de Mort Matsu finirent d'abattre ceux du shinsen-gumi, avec une facilité déconcertante ; membres, têtes et sabres volaient sur le champ de bataille, dans le rugissement des samuraï impatients de se sacrifier. Les Phénix subirent la colère désespérée des Lions deshonorés et plus d'un mourut de leurs mains, les nobles et modérés serviteurs d'Isawa emportés par les enragés de la dame Lionne.
Passé les premiers affrontements, l'organisation de l'armée du Gozoku révéla son efficacité meurtrière. Les archers des trois clans firent des merveilles : la pluie s'abattit sur les Lions, qui pour beaucoup, ne se virent pas mourir sous ce déluge de gouttes acérées. Et il semblait que les Asahina tiraient comme un seul homme, à une cadence parfaitement respectée. Les Bayushi amorçaient un mouvement tournant pour attaquer les Lions sur le flanc, ou peut-être même de trois-quarts dos s'ils parvenaient à faire une rotation spectaculaire. Sur ordre de Kokatsu, les Akodo durent aller les en empêcher. Hélas, Akodo Gencho, malhabile, tardait à transmettre les ordres et à prendre des initiatives.
Agacé d'abord, puis furieux, Matsu Kokatsu se leva de son siège et répéta ses ordres, de gestes d'éventails frénétiques. Il ne savait pas ce qui le retenait de dire à Sasuke de brûler vif cet incapable !
Ceci eut pour effet que les Scorpions réussirent leur contournement, par un côté et presque aussi bien par l'autre : la pince se refermait sur les Lions ! Pris par les flancs, les serviteurs de Matsu virent leurs manœuvres empêchées. Il fallut que les Ikoma viennent en renfort, au lieu d'aller chercher les archers Asahina comme il était prévu.

Au coeur de la bataille, Mitsurugi vit cet échec, face à une tactique Scorpion des plus élémentaires. Lui et ses hommes ferraillaient à un contre quatre mais faisaient merveille pour tenir leur position ; c'était leur but de garder en l'état un espace de manoeuvre en plein milieu du champ de bataille, pour permettre aux autres groupes de se déplacer facilement.
- La position du pivot, dit Kokatsu à Noyuki et Sasuke, est la plus difficile et la plus ingrate, mais il n'y a que Mitsurugi pour réussir à la tenir. Il faut en permanence rester au milieu des troupes ennemis, attaqué de tous côtés, pour les obliger à se concentrer sur vous et laisser aux rangs derrière la possibilité de s'organiser.

Le tetsubo de Yasashiro tournoyait et emportait jusqu'à quatre crânes à la fois. Mitsurugi non seulement fendait ses ennemis, mais devait en permanence jauger de la situation de la bataille ; heureusement, le Crabe, qui dépassait tout le monde d'une tête, avait une meilleure vue que lui. Il était épuisant de se replier en défense pour attirer l'ennemi, puis contre-attaquer par surprise.
- Ta tactique, avait le général Kokatsu lors de la préparation, sera de changer en permanence de tactique. C'est épuisant mais tes hommes y sont entraînés. Et si vous tenez la cadence, vous serez plus meurtriers que si vous étiez quatre fois supérieurs en nombre.
Mitsurugi constatait que Kokatsu ne s'était pas trompé : la troupe du griffon fracassait les rangs ennemis, obligeait les Phénix à reculer ("où sont tes serres, samuraï ?"), faisait enrager les officiers Grue (ce qui était une profonde satisfaction, prenait de court les Scorpions (c'était encore plus délicieux) et désespérait ceux du shinsen-gumi qui n'avaient pas fui ou succombé.

Un nouvel ordre arriva pour les "griffons" : il fallait cette fois percer jusqu'en plein coeur des Phénix. Ceux-ci étaient sur une butte très bien défendue. Mitsurugi savait que c'était une mission dont pas la moitié, peut-être le quart, des hommes ne pourrait sortir vivant. Ses hommes avaient vu l'ordre :
- Mitsurugi-sama, il n'y a autour de toi que des volontaires, qui savaient dès le départ ce que cela signifierait de se battre sous tes ordres.
Notre héros n'était pas surpris : Kokatsu ne pouvait pas le ménager, car c'était grâce à lui que Mitsurugi n'était plus un rônin ; et ceux qui étaient jaloux de lui avaient également pesé pour le groupe des griffons se voit assigné les missions à tous coups mortelles.
Sasuke serrait les poings. Il savait que tout était fait pour envoyer Mitsurugi à la mort -une mort des plus glorieuses sans doute, mais ils étaient nombreux ceux qui préféraient célébrer le souvenir de Mitsurugi que d'avoir à le supporter vivant. Ikoma Noyuki comprenait aussi ce qui se tramait. Le général Kokatsu ne tournait plus la tête vers eux.

- Très bien, dit Mitsurugi, qui laissait à ses hommes le temps de resserrer les rangs, que tout le monde se recommande à ses Ancêtres, car nous allons les rejoindre.
Presque toute l'armée savait qu'était venu le moment pour le griffon de lancer sa dernière attaque, celle qui, si elle était victorieuse, offrirait aux Lions une victoire éclatante et au Gozoku une défaite humiliante, car ce sont ses officiers en personne qui seraient mis en danger et, pour beaucoup, tués ou capturés.
- L'aigle frappe à la tête, dit Yasashiro.
- On va leur voler dans les plumes, dit Ranto.

Mitsurugi fit craquer ses épaules. Kokatsu en personne s'était levé pour transmettre l'ordre. Les Phénix savaient ce qui allait se produire et regardaient vers la troupe du griffon d'un air de défi. La troupe de notre héros avait perdu plus de la moitié de ses effectifs. Ceux qui restaient étaient épuisés par cette tactique de bataille mouvante, totale.
Il était plus que temps de renverser le cours des choses, car les Scorpions avaient fait de nombreux prisonniers, les Daidoji mettaient en difficulté les Mats, les Kakita saignaient les rangs des Akodo.
Kokatsu enrageait du manque de sens stratégique du prétendant Gencho. Il ne pouvait en pleine bataille le déchoir de son titre ; néanmoins, c'était toute sa famille qu'il abandonnait au sort d'un jeune prétentieux, c'était la confiance du daimyo Torajo qu'il trahissait...

La troupe de Mitsurugi s'était réorganisée. Pas à pas, ils avancèrent vers la butte où s'étaient perchés les officiers Phénix. Au pas d'abord, puis au pas de charge et enfin dans une course effrénée, dans un grand cri ; d'un coup, les Shiba refermèrent les défenses sur eux. Mitsurugi le premier se heurta à l'un de ces solides yojimbo, mais il en vint à bout en quelques passes. Autour de lui, plusieurs de ses hommes étaient abattus. Trois Phénix s'étaient mis autour de Yasashiro. Celui-ci les accueillit d'un grand éclat de rire ; il en repoussa deux, mais fut blessé par le troisième ; d'autres vinrent en renfort et abattirent le grand Crabe, qui s'effondra comme un chêne. Il n'était pas mort, mais il ne pouvait plus se relever. Shokun et Ranto vinrent à son secours : ils tuèrent les Phénix et en mirent d'autres en déroute. Soudain, des archers Asahina surgirent et lancèrent une volée fatale aux deux Loups : ils reçurent chacun une flèche en plein coeur. Mitsurugi se retrouvait presque seul, et il fallait encore monter toute la butte ; cela paraissait d'un coup vertigineux.
Kokatsu hurlait à Gencho de faire envoyer des renforts ; celui-ci s'y prenait encore mal. D'un coup, le général, excédé, bondit de son siège et prit son éventail à Gencho, repoussant violemment le jeune Lion. Enragé, le général envoya trois cohortes en renfort vers Mitsurugi. Capturer l'état-major des Phénix était le seul espoir pour remporter la bataille, qui commençait à tourner mal.

Enfin, Mitsurugi, tenu en respect au pied de la pente, vit arriver des Matsu à lui.
- Ils ne sont qu'à quelques pas ! Allons les chercher au nid ! cria Mitsurugi, qui avait encore du mal à y croire.
Humilié, Akodo Gencho n'osait pas se relever. Il vit que Sasuke le foudroyait du regard ; le jeune Lion préféra s'éloigner, meurtri de honte. Kokatsu, occupé à rattraper toutes ses erreurs, ne faisait plus attention à lui.
Gencho comprit ce qui lui restait à faire : il demanda qu'on lui amène une armure et un cheval. Kokatsu ne dit rien. Le jeune Lion prit les rênes et descendit sur le champ de bataille ; il galopa pour rejoindre la troupe du griffon ; il sauta par-dessus les morts et les blessés ; au milieu de tous ce soldats au sol, il faisait une cible idéale. Un archer Bayushi l'avait pris dans sa ligne de mire. Il le suivit quelques instants de sa flèche tendue et décocha son trait : Gencho, atteint en pleine gorge, s'écroula de sa monture.
Il voulut se relever, mais d'autres flèches arrivèrent ; il put à peine tirer son sabre qu'il s'effondra au milieu des autres.
Kokatsu l'avait regardé, impassible.

Ils n'étaient plus qu'une poignée autour de Mitsurugi. Notre héros avait abattu à lui seul une dizaine d'ennemis, et en avait blessé autant. Il ne sentait plus ses membres. A peine s'il avançait encore droit. Le soleil cognait par-dessus la tête et, c'est dans ce bain d'or éblouissant que notre héros vit descendre à lui un Phénix à l'armure sans une égratignure. Le sang battait dans les oreilles et le crâne de notre héros mais il entendit distinctement son adversaire se présenter :
- Je suis le capitaine Shiba Takeo, de la Cité de la Forêt des Ombres. J'ai sauvé la vie de mon maître à la bataille des Cerisiers Blancs, et j'ai vaincu en duel quatre adversaires qui avaient mis en doute l'honneur de ma famille. Aujourd'hui, je suis le garde du corps attitré du général de l'armée des Phénix, le vénérable Shiba Akojo-doshi. J'ai l'honneur de te défier en duel.

Mitsurugi retira son casque et cracha par terre un mélange de salive et de sang. Il rit, hoqueta et dit :
- J'accepte ton défi.
Le sang lui brouillait la vue.
- Si tu le désires, nous pouvons repousser le moment de ce duel.
Mitsurugi, accablé par la douleur, se força encore à rire.
- Chante toujours, Fifi, murmura-t-il.
- Plait-îl ?
- Je dis que nous nous battons maintenant, Shiba Takeo. Mon nom est Matsu Mitsurugi. J'ai participé à la bataille pour prendre cette ville. J'ai abattu le Shuten-Doji de la Honte, le Shuten-Doji du Regret. J'ai abattu plus de monstres sur la Muraille que tu ne peux imaginer. J'ai remporté le concours de tir à l'arc, le concours de poésie, j'ai...
Il voulut continuer mais un hoquet l'en empêcha.
- Tu tiens à peine debout, Mitsurugi-san.
- Assez de belles paroles, Phénix !
Jetant ses dernières forces, Mitsurugi dégaina aussi vite que l'éclair, brisa d'un coup le casque de son adversaire, lui entailla l'épaule ; pris au dépourvu, Takeo recula, tandis que son épaulière chutait. Il n'avait pas eu le temps de voir partir le coup de cet homme à moitié mort ; sa lame avait sifflé dans l'air. Takeo dégaina posément. Les deux hommes se tournèrent autour, haletant chacun, et, pour la première fois, le noble et beau Phénix connaissait la peur, face à ce Lion blessé qui aurait pu être son frère d'armes.
Les ombres raccourcissaient petit à petit comme le soleil s'élevait dans le ciel, accablant ceux qui s'agitaient encore, réchauffant ceux qui rendaient l'âme.
Leurs sabres pointés l'un vers l'autre, Mitsurugi et Takeo s'observèrent, et tous les regards se portèrent vers eux, pendant quelques instants où le temps fut suspendu, laissant place à une éternité insoutenable.
Mitsurugi poussa un râle douloureux et attaqua une dernière fois ; le coup de Takeo partit aussi vite. Le Phénix s'écroula, le visage en sang, l'oreille et un bout de menton tranchés. Quant à Mitsurugi, il venait de recevoir un coup en plein ventre ; tout blanc, il sentit ses jambes l'abandonner, la terre se rapprocher, et il bascula, les cheveux trempés et s'effondra.

Un cri s'éleva des rangs des Lions.
Sasuke allait bondir, mais Kokatsu lui prit le poignet :
- Non.
Le général serra fort :
- N'ajoute pas le déshonneur à la défaite, samuraï.


Les Phénix se précipitaient vers Takeo, l'aidait à se relever. D'autres prirent Mitsurugi et le mirent sur une civière. Les Lions qui voulurent se précipiter pour empêcher cela furent repoussés ou abattus. Emmené dans le camp des Phénix, Mitsurugi fut amené à la tente du médecin. Comme ce dernier entreprenait de recoudre la blessure, Isawa Masaakira entra dans la tente, suivi de ses deux élèves :
- Voici une belle prise, ma foi.
Notre héros, à peine conscient, aperçut le visage du terrible Nuage.
- Allons, c'est un rude gaillard, dit le maître du Vide. Il vivra. Et les dieux savent s'il nous est plus précieux vif que mort !

Mitsurugi avait voulu relever la tête, ne pas céder face au maître Kolat. Quand ce dernier fut ressorti, il se rallongea et consentit à se laisser faire par le médecin. Il mit toute sa rage à mordre tant qu'il pouvait dans le bout de bois qu'on lui donna, alors qu'on lui retirait un éclat de lame resté fiché dans son ventre.


A suivre... Samurai
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RE: 26ème Episode : Le général de l'armée de tous les lions - by Darth Nico - 01-04-2013, 12:31 PM

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