20-04-2013, 06:21 PM
(This post was last modified: 21-04-2013, 08:43 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Le général Kokatsu, accompagné par Sasuke et ses autres lieutenants, descendit sur le champ de bataille. Le soleil était haut dans le ciel. C'était une magnifique journée de printemps. L'air était vivifiant. Des petits oiseaux se posaient naïvement sur le champ de bataille, vite chassés par de hargneux corbeaux qui voulaient se nourrir des yeux et des langues des morts, encore bien chauds.
Quand le général passa à côté du corps d'Akodo Gencho, il marqua un temps de pause, parut s'incliner légèrement, puis reprit sa route.
- Les hommes de ce gunso sont tous morts après avoir montré une férocité inimitable au combat, rapportait un des lieutenants.
Ikoma Noyuki observait, écoutait, mémorisait tout ce qu'il pouvait pour sa future épopée.
- Ceux-ci n'ont pas reculé d'un pas face à des ennemis trois fois supérieurs en nombre. Ceux-ci se sont sacrifiés pour donner le temps à leurs frères d'armes de manoeuvrer.
Kokatsu, l'air grave, concentré, hochait la tête d'approbation. Il désignait parfois un officier, que lui-même avait remarqué, pour qu'il soit spécialement honoré et que sa famille reçoive une protection particulière. Quand ils arrivèrent au pied de la colline où Mitsurugi avait été capturé, le général retira son casque. Tout le monde observa une minute de silence.
Sasuke avait vu les corps des rônins Shokun et Ranto. En revanche, il n'avait pas vu Noname. Ce dernier n'avait pas dû participer à la bataille. Le shugenja s'en réjouit : il aurait encore besoin de lui...
Les soldats Scorpions, Phénix et Grues s'étaient retirés de plusieurs centaines de pas en arrière. C'était le signe qu'ils acceptaient leur défaite. Ils n'avaient pas réussi à franchir l'armée des Lions et à atteindre les murailles de la Cité des Apparences. Cette année encore, la place forte la plus disputée de l'Empire resterait aux Lions.
Kokatsu n'avait pas envie d'aller parlementer avec les généraux d'en face. C'était du reste inutile et, en tant que vainqueur, il n'avait pas à se presser. Il les recevrait dans son palais plus tard. La coutume voulait que plus la victoire soit nette, plus le vainqueur pouvait faire attendre. Kokatsu avait vraiment l'intention de les faire lanterner.
De retour à sa tente, le général remercia ses officiers et leur dit de transmettre ses félicitations à leurs troupes. Pour le moment, il allait rester seul, avant de faire son retour triomphal en ville au coucher du soleil.
- Vous décréterez trois jours de festivités en l'honneur de ma victoire, dit-il.
On sentait que le coeur n'y était pas. Il demanda à rester seul pendant une bonne heure. Ses officiers, surpris, respectèrent sa volonté. Il fit ensuite venir le moine Shingon, avec qui il s'entretint longtemps. Le soleil descendait sur les montagnes de l'ouest quand le religieux ressortit de la tente. Si Kokatsu voulait rentrer en ville avant la nuit, il ne devait plus tarder. Pourtant, Sasuke fut encore appelé pour s'entretenir seul à seul avec le général.
Le shugenja s'exécuta. En remontant vers la tente du général, il vit l'armée ennemie qui installait un campement non loin des Murailles de la Cité du Levant. Celle-ci paraissait si petite et si insignifiante. Le grand calme était revenu sur la plaine après cette matinée de fureur surhumaine.
- Entre, Sasuke. Prends à boire.
Le général lui tendait une coupe de vin. Sasuke le remercia et vida son verre avec lui. Kokatsu fit claquer sa langue sur son palais. Il oublia un instant son air grave pour dire :
- Ce n'est pas avec Shingon que j'allais déguster ce nectar !
Et il fit signe à Sasuke de resservir.
Les deux hommes restèrent un moment sans rien dire. L'absence de Mitsurugi se faisait cruellement sentir.
- Bien, regardons les choses en face : encore une victoire comme celle-ci et ce sera la catastrophe pour nous. Nos pertes sont énormes. L'ennemi a reculé mais a perdu beaucoup moins de forces que nous. Ils ne vont pas s'arrêter là, comme c'est normalement la tradition. Si cela ne tenait qu'aux Phénix, ils retourneraient à leurs études, et les Grues à leur origami. Mais ces fielleux de Scorpions nous tiennent d'une pince, pour que les chiens sans honneur du Gozoku nous prennent à la gorge.
- Ils ne font pas le poids face à nous, général.
- Sur le champ de bataille, peut-être pas. Mais dans les alcôves et les antichambres, oui. Ils vont manoeuvrer pour que nous laissions la Cité aux Grues. Ils veulent s'offrir ma tête sur un plateau d'argent, Sasuke.
- Elle me paraît encore bien accrochée sur vos épaules.
- Ils ont Mitsurugi, Sasuke. Les dieux seuls savent comment ils vont s'y prendre pour profiter de cet otage inespéré.
- Je me suis un peu renseigné : l'homme qui l'a capturé, Shiba Takéo, est une des meilleures lames de son clan.
- Il n'y a aucun déshonneur pour Mitsurugi. Au contraire ! Les Phénix devraient s'estimer honorés d'avoir un tel invité de marque !
- Ils ne le livreront pas aux Scorpions ni aux Gozoku.
- Nous ne pouvons pas le savoir, Sasuke... A vrai dire, j'aime bien savoir Mitsurugi chez ce seigneur Takéo.
- Il y est mieux qu'ailleurs.
Au moins n'était-il pas directement entre les mains d'Isawa Masaakira !
- Tu vas te mettre en campagne, Sasuke. Placer des informateurs à nous chez Takéo. Je veux que nous puissions correspondre avec Mitsurugi.
- Ce sera fait.
- Nous devons être prévenus de son lieu de captivité et si jamais ils le changent d'endroit.
- Bien.
- Nous avons fait le plus facile : remporter la victoire militaire. Il va maintenant falloir remporter la victoire stratégique. Et cela va se jouer rapidement.
- Je ferai de mon mieux, général. Nous récupérerons Mitsurugi.
Le général lui servit encore un verre et lui dit qu'il pouvait aller.
- Oublions tout cela. Occupons-nous des festivités. Cela nous distraira le temps qu'arrive notre nouveau daimyo.
Il disait cela d'un air qui marquait nettement ce qu'il pensait de celui-là.
- J'espère que le Gozoku respecte encore suffisamment les traditions pour nous laisser célébrer la victoire comme il se doit.
Quand Sasuke ressortit, il vit un groupe de Phénix quitter leur campement et s'éloigner avec un palanquin. Il était certain que c'était Mitsurugi qu'on emmenait loin de là.

La troupe de bouffons de la Cité des Apparences eut bien du mal à dérider Matsu Kokatsu. Chacun voyait qu'il ne s'amusait pas. Il n'avait pas envie de participer à ces célébrations. Il passait de longues heures avec Shingon, dans les jardins de son palais. Il le fit même appeler en pleine nuit. Le moine refusait bien évidemment de révéler quoi que ce soit de ses conversations : aimable et accueillant pour tout un chacun, il devenait lisse, comme une statue de marbre, quand on abordait ses entretiens avec le général. Des courtisans tentèrent d'approcher de jeunes moines, plus impressionnables. L'un d'eux, grisé par le vin, aurait été en état de parler ; mais on apprit juste que Shingon n'avait rien dit, sans doute même pas à ses plus proches disciples. Après Shingon, c'était généralement le tour de Sasuke.
Kokatsu s'entretenait avec son conseiller de la nature exacte du Gozoku. Sasuke rechignait à trop en dire. Il se montrait évasif, faisait comme s'il n'en savait pas tant. Kokatsu ne le croyait pas, mais se serait déshonoré à trop insister.
- En un mot, Sasuke, penses-tu que le Gozoku représente une menace pour le trône d'Émeraude ?
- Dans l'ensemble, peut-être pas, général. Seulement quelques individus extrémistes en son sein qui, eux, sont prêts à franchir toutes les limites...
- Nous démasquerons ces conspirateurs, dit Kokatsu et, si on ne me laisse pas les exécuter sur le champ, ce sera la preuve que tout le Gozoku est pourri. Des samuraï encore fidèles à leur Empereur n'auraient pas fait construire cette monstruosité, Bakufu...
Il avait craché le nom plus qu'il ne l'avait dit.
Les festivités de la victoire se terminaient le lendemain.
- Il serait bon d'afficher votre joie, général, osa Ikoma Noyuki, lors d'une des séances où Kokatsu lui dictait des souvenirs.
Le général avait les épaules très lourdes.
- J'ai l'impression, parfois, de porter le poids de plusieurs siècles...
- Tous les grands hommes, dit-on, ressentent un jour cela, dit le poète.
- C'est le poids du destin, dit Kokatsu, les traits du visage tirés vers le bas. Le destin peut te soulever, Noyuki-san ou bien t'écraser. Vois-tu je n'aurais jamais cru que la victoire puisse avoir un goût si amer. Les nuages noirs bouchent l'horizon. Tiens, si je faisais de la poésie, je te dirais que ce printemps s'annonce glacial comme l'hiver... Mais je te laisse les formules.
Noyuki était sceptique. Il se demandait s'il retiendrait ces paroles dans son épopée. Peut-être, si l'avenir montrait que ces moments de doute avaient précédé une victoire d'autant plus éclatante.
A l'aube du troisième jour, l'étendard du daimyo de clan apparut. Kokatsu envoya ses émissaires à cheval pour aller au-devant d'Akodo Koji. Sasuke et Noyuki suivirent les officiers. Pendant ce temps, Kokatsu convoquait une fois de plus Shingon.
- A mon avis, dit le shugenja, nous allons en entendre de belles...
- Que veux-tu dire ? demanda Noyuki.
- Oh, rien. Oublie ce que je t'ai dit, je ne veux pas t'influencer...
- Je sais faire la part des choses, Sasuke. Dis-moi le fond de ta pensée.
Les cavaliers ralentirent au pied des murailles de la Cité du Levant. Ils discernèrent plus nettement l'imposante armée qui revenait de Bakufu.
- Par exemple, dit Sasuke, trouves-tu normal que le maître de tous les Lions revienne dans ses terres accompagné par une troupe de Scorpions ?
Le shugenja avait vu juste : à l'arrière de l'armée flottait un sinistre étendard bleu-nuit où apparaissait la redoutable bête stylisée, aux pinces puissantes et à la queue venimeuse.
- On dirait bien qu'aujourd'hui, se dit Sasuke, c'est le lion qui aide le scorpion à traverser la rivière...
A suivre...
