27-07-2013, 06:06 PM
(This post was last modified: 27-07-2013, 11:04 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Les lignes qui suivent racontent une histoire peu connue, même de ceux qui ont voulu découvrir ce qui s'était réellement passé à l'époque du Gozoku.
Ce que certains appelèrent l'épopée du général Kokatsu, d'autres sa félonie, s'acheva dans le sang. Sa défaite face au triumvirat Grue/Scorpions/Phénix fut un soulagement pour beaucoup de monde. A vrai dire, le venin distillé par le clan Bayushi avait eu à ce moment le temps de faire son oeuvre. Pris de court, les Scorpions n'avaient pu empêcher que le général prenne la tête de son clan et ne détruise Bakufu. Mais au moment où son armée se présentait devant les trois cités stratégiques, les Lions étaient largement plus sceptiques sur le bien-fondé de cette bataille. Les rumeurs et insinuations véhiculées par les Scorpions avaient achevé de semer le doute sur les intentions du général : derrière sa volonté affichée de rencontrer l'Empereur, n'y avait-il pas la tentation de prendre sa place sur le trône d'Emeraude ? Ce doute lancinant, Kokatsu n'avait rien fait pour le dissiper. Nul ne savait jusqu'où il pourrait aller. Même un allié potentiel comme le conseiller Tokan n'avait plus voulu, sur la fin, le soutenir.
La conspiration du Kolat, pour une raison en quelque sorte inverse, n'avait pas non plus aider de toutes ses forces le général : celui-ci pouvait renverser la lignée des Hanteï mais pour rétablir un pouvoir aussi dur que celui des premiers Empereurs.
Tout ceci fit que plusieurs seigneurs quittèrent l'armée de Kokatsu avant le début de la bataille. Certains firent publiquement seppuku, d'autres partirent, honteux ; d'autres assumèrent carrément leur désobéissance et reçurent moults félicitations de la part du Gozoku. Toutes ces défections affaiblirent assez Kokatsu pour que la victoire fût impossible. En première ligne et non à l'arrière pour diriger les troupes, le général, qui sentait certainement qu'il était allé trop loin, avait trouvé la mort face à une garde serrée de Daidoji. Il se précipita sur eux à la tête des Quêteurs de Mort, quand il vit que plus rien ne pouvait lui permettre de remporter la victoire. Poussant un cri collectif de rage, les Daidoji massacrèrent les Matsu et percèrent de leurs douze lames le général. Ces douze hommes furent ensuite grandement célébrés pour leur acte de bravoure.
La bataille s'acheva dans le silence du grand vent, le criaillement des corbeaux, l'agonie des mourants, à l'heure où l'on laisse venir les pilleurs se constituer un butin infâme.
La honte s'abattit largement sur le clan du Lion. Ce fut le vieux daimyo Kitsu qui fut invité, de par sa docilité, à reprendre la tête du clan. Il y resta jusqu'à sa mort deux ans après. Les querelles de succession parmi les Akodo n'étaient toujours pas réglées à ce moment. Un daimyo Ikoma fut choisi en attendant, aussi docile envers le Gozoku. Ce fut le début d'une très longue période de décadence pour les Lions, qui ne s'acheva que deux décennies après. Débarrassé de leur plus gros adversaire, n'ayant rien à craindre ni des Crabes ni des Dragons, le triumvirat prit effectivement la main sur le gouvernement céleste.
Le nom de Kokatsu fut largement maudi, rayé de la mémoire collective. Il fut interdit aux Matsu de célébrer sa mémoire et de l'accueillir dans le temple des Ancêtres. L'un des plus grands chefs de guerre de l'histoire du clan fut voué à l'oubli.
Ils furent encore moins nombreux, parmi ceux qui gardèrent malgré tout le souvenir du grand général, à évoquer encore le nom de celui qu'on surnomma le Griffon ; le bras droit du général, son porte-parole, gouverneur de la Cité du Levant, vainqueur d'innombrables combats sur la Muraille et dans les terres Crabes, l'homme qui défia de la façon la plus effrontée le Gozoku, Matsu Mitsurugi.
Ce dernier fut en effet condamné à la mort la plus indigne : précipité depuis la falaise de l'oubli comme certains criminels ou des rebelles à l'Ordre Céleste, il fut assez peu évoqué par la suite, mais son exemple demeura vivace chez nombre de samurai de petit et moyen lignage et aussi dans le peuple, où sa légende circula, véhiculant sous une forme à peine dissimulée, une vision moqueuse du triumvirat, bande d'usurpateurs et de conseillers traîtres qui prenaient peu à peu la place de l'Empereur. Les récits sur le Griffon partirent de ses exploits à la cour d'hiver et furent par la suite embellis, déformés, réarrangés, confondus avec d'autres. La vérité est que ces légendes sont encore bien en-dessous de la vérité.
Car, comme l'a dit un subtil conteur du clan du Dragon, quand la réalité dépasse la légende, on préfère raconter une légende plus crédible.

Le vent qui soufflait de l'océan chassait vers les terres de gros nuages noirs, si chargés d'éclairs qu'ils semblaient prêts à exploser.
La cité stratégiques sud, accablée par un déluge de pluie tiède, paraissait d'une tristesse infinie. Les soldats du shinsen-gumi qui faisaient leur ronde voyait la plaine où s'étalait la puissante armée du général Kokatsu. Si accablés par l'eau du ciel, ils en oubliaient presque d'avoir peur de la déferlante monstrueuse qui pourrait bientôt passer sur eux, des milliers de samuraï ayant, selon le voeu de dame Matsu, la mort dans les yeux !
Alors que la pluie redoublait, un éclair éblouissant tomba du ciel, si proche qu'on put se croire, le temps d'un battement de ciel, en plein ciel. Et un guetteur qui n'avait pas eu le temps de détourner le regard, aperçut dans cette blancheur insoutenable, deux silhouettes, perchées sur le toit de la tour nord. Il se frotta les yeux et regarda encore : les silhouettes avaient disparu. Il se crut le jouet d'une hallucination et préféra ne rien dire. Pourtant, alors que l'eau s'infiltrait entre les pierres de la bâtisse et commençait à tomber à grosses gouttes dans l'étage des prisons, il devint bientôt évident que la cité était hantée ! Les hommes, à bout de nerfs à cause des Lions et du temps accablant, furent envoyés patrouiller partout pour trouver les intrus. Les grosses portes en bois des geôles grinçaient, l'eau tombait sur les pavés, et le vent sifflait parmi les ouvertures, comme si on se fût trouvé sur un navire en pleine tempête. Les gardiens et tortionnaires se regardaient inquiets, pressentant, du fond de leurs instincts infâmes, que l'heure du châtiment pourrait bien être venu pour eux.
Au dernier étage souterrain, il ne restait plus qu'une cellule occupée, celle de ce "ninja" plus qu'un homme ordinaire, qui avait été capturé puis démasqué par le capitaine Jukeï, sans qu'on puisse encore pour le moment lui arracher son vrai nom. un courant d'air plus puissant ouvrit à toute volée la porte de la tour. On entendait des pas dans l'escalier en colimaçon. Les soldats de garde allaient et venaient ; un officier passait, criant qu'on ferme bien toutes les portes. Un des laveurs de latrine dit que le mauvais oeil était sur la forteresse. Il y a trois jours, Hu l'écarteleur était mort d'une fièvre foudroyante, après avoir survécu à plusieurs épidémies. De même, le chien de la vieille Hani, la spécialiste des lacérations, avait hurlé à la mort, et on n'était même pas à la pleine lune. C'est dire si quelque chose de terrible allait arriver.
Seul dans son cachot, les chevilles et les poignets dans les fers, Hida Yasashiro entendait le remue-ménage. Epuisé par la dernière séance d'interrogatoire, il ne croyait plus pouvoir sortir de sa prison que les deux pieds devant. Il avait appris que Mitsurugi avait été envoyé ailleurs. Ce soir, il avait perdu à peu près tout espoir. Quand il vit la porte de son cachot s'ouvrir doucement, dans un grincement à peine supportable, il crut que ses tortionnaires revenaient déjà. Deux personnes entraient. La plus grande grande portait un yari dégoulinant de sang. Elle s'approcha et s'en servit pour trancher les liens qui retenaient Yasashiro. Elle l'aida à se lever et le prit sur ses épaules. Le Crabe, la vue brouillée par le sang et son visage tuméfié, vit plusieurs soldats gisant, à côté de tous les interrogateurs qui l'avaient fait souffrir pendant des heures. L'obscurité était presque parfaite. La torche que tenait la plus petite des deux silhouettes ne projetait qu'une lumière fugace. Yasashiro n'osa pas demander qui il était.
- Pressons, pressons...
Il crut entendre que c'était une voix féminine. L'autre aussi, qui le portait, devait être une femme. Ce qui est certain est qu'ils furent vite dehors. Comment réussirent-ils à s'évader ? C'est à croire qu'ils étaient passés dans les murs ou par quelque réseau de passages secrets. Yasashiro eut à peine le temps de prendre quelques inspirations, tout en retenant des gémissements de douleur, qu'ils passèrent du souterrain à la campagne noire, noyée sous le déluge céleste.
- Qui êtes-vous ? marmonna t-il enfin, avec le peu de voix qui lui restait.
- Des amies, dit la plus grande. Des amies venues de loin.
Il voyait la plus petite faire des invocations magiques. De l'air se mettait à tourbillonner autour d'eux de plus en plus vite.
- Quand les ténèbres descendent, Hida-san, dit-elle, il faut trouver ses alliés dans les ombres.
Yasashiro n'en croyait pas ses oreilles. Pour dire des choses pareilles, ces deux-là devaient être au moins des amies de Sasuke !
La vue du Crabe se brouilla parce que l'air tournoyait de plus en plus fort. Soudain, il ne sentit plus le sol sous ses pieds et il se sentit emporté, fermement tenue par la plus grande. Ils venaient de partir dans les airs, porté par un tourbillon chargé d'éclairs !

Sasuke, condamné à perdre ses pouvoirs, selon un antique rituel invoqué par Isawa Masaakira, avait juré qu'il reviendrait se venger. Alors qu'il entendait les mots du rituel, et qu'il les sentait entrer en lui comme si on les gravait au fer rouge, il se jurait encore de trouver le moyen de sa vengeance !
Dans ce moment de suprême défaite, il lui fut difficile de croire que ces ombres qu'il voyait descendre du plafond n'étaient pas l'effet du rituel mais bien sa porte de salut.
Des ricanements grinçants descendaient du plafond ; il vit nettement deux silhouettes debout sur de grosses solives sous le dôme du temple et une troisième qui descendait vers lui, à la stupéfaction de toute l'assistance.
La femme au yari s'accroupit, prête à bondir :
- Au fond, pourquoi faites-vous cela ?
L'autre eut mauvaise grâce à répondre. Elle dit tout de même :
- J'ai encore un peu le sens de la famille.
Les soldats Phénix coururent sur l'intrus qui venait d'atterrir à côté de Sasuke. Le shugenja reconnu aussitôt le costume noir de Geki. Ce dernier, dans une forme remarquable, flanqua par terre les samuraï en quelques crochets bien assénés. Et comme Ichibei allait l'attaquer, un violent courant d'air souleva le gros tensaï de la terre et le projeta contre le plafond. Masaakira fut renversé par le souffle.
Sasuke, délivré, fut soulevé par Geki et emporté vivement hors du temple. Quand il comprit bien ce qui venait de se passer, ils étaient déjà sur le toit et un cyclone s'approchait d'eux. Le shugenja, affaibli par le rituel, défaillit.
La shugenja s'approcha de lui :
- Debout, oji-san, restez avec nous !
Oji-san ! Qui pouvait bien l'appeler "grand-père" ? Il rouvrit les yeux et comprit, stupéfait : Ayame et Ikky ! Sa descendante et le garde du corps de celle-ci !
- D'où revenez-vous ? fit Sasuke.
- Ah ça, dit Ayame, des limbes entre autres, et plus précisément, des profondeurs des océans les plus noirs et les plus torturés des mondes souterrains ! Et de mille autres endroits où ne s'aventurent que les chercheurs de connaissance les plus hardis, prêts à tout sacrifier pour en apprendre plus sur les énigmes du monde ! Dans les grands royaumes des ombres, les tombeaux des monstres anciens d'avant la chute des dieux sur terre, et autres parages absolument fantasmagoriques, aussi pulvérulents que spumescents, où l'homme ordinaire perd la raison au premier coup d'oeil et se fait ensuite emporté dans la danse endiablée de mille horreurs innommables qu'on aurait du mal à décrire brièvement et avec des mots simples !
- Des endroits peu recommandables, résuma Ikky.
Ayame n'eut que mépris pour ce raccourci prosaïque.
Le cyclone s'arrêta devant eux, comme un animal docile. Ils sautèrent dedans et une nouvelle fois, furent emportés dans les nuages orageux, dans les altitudes où le ciel est si torturé qu'il menace à tout instant d'exploser en un fracas terrifiant !
A suivre...
