08-12-2003, 07:19 PM
Quote:je viens de lire les 2 textes, c'est superbe. Vivement la suite!
(NB : L'écriture de ce 6e conte est déjà finie. Je le poste au fur et à mesure, pour que ce ne soit pas indigeste.)
Excursion en banlieue est
Le lendemain soir, Saint-Huant retourna à la porte de Vanves, au volant d’une banale Peugeot. Il n’avait pas l’habitude de conduire des bagnoles de père de famille ; il préférait les italiennes sportives –question de standing Toréador !
Il se gara près de la vieille station. Fraundon était sur le trottoir. Il monta à la place du mort, posa un sac à dos à l’arrière, puis Saint-Huant démarra.
- Avant tout, dit ce dernier, comme il fait froid ce soir, et pour donner le change, j’ai prévu des gros manteaux d’hiver, Mascarade oblige. Ils sont sur la banquette arrière.
- Comme vous voulez…
- C’est juste une question de prudence. Nous risquerions d’être repérés par nos semblables, et dénoncés à l’Elysium. Je n’ai pas très envie que les flics du Prince me tombent dessus en ce moment. J’ai eu Bahtory au téléphone : elle a bien insisté sur la discrétion autour de votre affaire.
- Il ne faudrait pas que Lucien apprenne que la Comtesse me protège… Enfin, je veux dire…
Fraundon se troubla. Il aurait voulu se reprendre : il savait pertinemment qu’il était trop tard. Saint-Huant, qui se concentrait sur le trafic à l’entrée du boulevard périphérique, n’avait pas bronché.

- Très bien… admit le Gangrel, vous allez me dire que j’en ai trop dit, ou pas assez.
- A votre guise. Je ne suis pas censé enquêter sur votre compte…
- Ne me dites pas que vous ne vous êtes pas renseigné sur moi.
- Je n’en ai simplement pas eu le temps, voyez-vous…
- Vous n’alliez pas tarder à le faire.
Saint-Huant s’engagea sur le périphérique, en direction de l’est parisien. Le trafic était fluide : le cinéaste appuya sur l’accélérateur.
- Pour être honnête avec vous, Fraundon, j’ai tout de même laissé traîner mes oreilles, ces derniers jours, depuis le soir où Bathory m’a parlé de protéger un Gangrel et hier soir, où je l’ai rencontrée.
- Et alors ?
- Alors…
Saint-Huant doubla une file de camions, puis se rabattit sur la droite.
- Alors j’ai entendu parler de la créature du bois de Vincennes. Ça traîne ici et là, depuis quelques jours, dans les faits divers des dernières pages des quotidiens. J’imagine que l’Elysium s’est arrangé pour que ça ne remonte pas jusqu’en une, ni n’arrive aux télévisions…
- Parce que vous croyez que ça a un rapport avec moi ?
- Le monde des Caïnites est très petit. De plus, je pense que cette créature est un Gangrel sauvage qui se terre dans le zoo. Ça augmente les chances que vous soyez lié à cela.
- Elle est dans le zoo ou le bois cette bête ? décidez-vous, s’impatienta Fraundon.
- Peu importe, répliqua le Toréador. Elle rôde par là-bas... Vous voulez noyer le poisson. A votre guise, vous n’êtes pas obligés de me répondre. Moi je crois que la police du Prince est drôlement embêté que cette Bête soit en liberté. Et ils hésitent à faire une descente, car ils savent que la proie est féroce, et que ça ferait du remue-ménage… Qu’en pensez-vous ?
- Que voulez-vous que j’en ai à foutre ! C’est l’affaire des chiens de garde de Villon !

Saint-Huant ne voulait pas pousser Fraundon à bout. Les deux Caïnites gardèrent le silence pour le reste du trajet. Saint-Huant quitta le périphérique au niveau de la porte de la Villette.
- Pourquoi sortir si tôt ? demande Fraundon, sur un ton qui trahit nettement son expérience de conducteur parisien.
- Je ne veux pas arriver sur le périphérique de l’est parisien. Ne vous inquiétez pas, j’ai mes raisons. C’est pour ça que je suis passé par le nord. Sans quoi, j’aurais fait la boucle par le sud, et par Vincennes.
- Qu’est-ce que vous manigancez, Saint-Huant ? grogna le Gangrel.
- Rien du tout. Je reste prudent. Nous allons dans mon nouveau loft, offert par la Bathory, comme prévu.
- Vous voulez que je me cache là ?
- Pourquoi pas ? Pas dès ce soir, puisque vous m’avez dit vouloir rester quelques temps porte de Vanves. Vous viendrez quand vous voudrez. Ce soir, nous allons faire le tour des lieux.
- Très bien, « à votre guise ».

Fraundon se renfrogna sur son siège. Saint-Huant finit le trajet en passant par plusieurs communes de l’est parisien, avant d’arriver dans le prolongement de l’axe Défense – Vincennes. Le loft se trouvait dans une petite ville, dans un quartier résidentiel, non loin des friches industrielles. L’hiver engourdissait l’activité humaine. Des paquets de neige s’étalaient de loin en loin sur la route et les bâtiments. Pas un chat dans les rues, pas de lumière dans les foyers. Une grand solitude nimbait les lieux.
Saint-Huant se gara non loin de sa nouvelle propriété. Les deux hommes sortirent, enfilèrent leur manteau.
- La comtesse ne s’est pas foutu de vous, maugréa Fraundon, l’endroit est sinistre au possible. Le décor parfait d’une série Z d’horreur.
- Sauf qu’en l’occurrence, les vampires redoutables, c’est nous, je vous le rappelle.
Fraundon ne l’écoutait pas. Il reniflait les environs.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Ça sent le Gangrel, Saint-Huant. J’ai le nez creux, croyez-moi. Et la banlieue, j’y ai fait quelques séjours ces derniers temps.
- Vos poursuivants seraient déjà sur vos traces ?
- Je n’en sais rien. Prenez ça, c’est plus prudent.
Fraundon tendait à Saint-Huant un revolver.
- Vous savez vous en servir au moins ?
- Si je vous dis non…
- Non, mais à quoi vous servez dans cette histoire, Saint-Huant ?
L’énervement gagnait le Gangrel depuis quelques temps. Maintenant, il débordait.
- Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Le Toréador choisit de rester sur la défensive.
- Vous ne savez pas tenir un flingue, fit Fraundon, d’un air scandalisé, vous m’emmenez dans ce coin paumé, idéal pour un meurtre ni vu ni connu, vous n’êtes jamais allé dans ce loft, vous vous méfiez autant que si nous allions au Rotary Club pour un bridge !… vous vous payez ma tête ou quoi ?… Comment Bathory a pu me coller un Toréador sur le dos !… et merde !
- Une minute, fit poliment Saint-Huant. Soyons bien clair : je ne suis pas un mercenaire, ni un porte-flingue de western. J’ai juste quelques amis bien placés, quelques réseaux pour cacher les gens… Je n’ai pas les capacités pour affronter des tueurs, de quelque bord qu’ils soient.
Fraundon frappa de dépit et de rage sur le capot du véhicule.
- Mais bordel !…
Il étouffa les injures qu’il voulait lancer au Toréador, il fit quelques pas pour se calmer. Saint-Huant n’osait rien faire.

- Vous n’êtes jamais allé dans ce loft ! lança le Gangrel.
- Hé non, jamais… si je vous le dis.
- Très bien, allons-y ! Il faut croire que quand le destin vous pèse sur les épaules, c’est pas la peine de s’en débarrasser.
- Qu’est-ce que vous racontez ?
- Je crois que tout le monde veut ma peau, grommela Fraundon. Et je crois que je serai le premier à la vendre avant de l’avoir perdue.
- Ce n’est pas le moment de dire ça !
- Vous vous en foutez vous, à jouer à l’artiste marginal. Si vous étiez dans la merde, vous pourriez toujours vous composer un visage de pauvre orphelin pour aller mendier de l’aide chez Villon ! Moi pas !
- Arrêtez vos conneries ! Vous n’êtes pas seul. Moi je suis bien là pour vous soutenir, et a fortiori Bathory, qui loue mes services !
- Bordel ! vous allez le sentir passer, vous, quand les tueurs de Lucien vont nous sauter à la gorge. Moi je me défendrai, mais un tendre Toréador comme vous, ça va vous faire bizarre. Pour eux, vous ne serez qu’un amuse-gueule, une bouchée fine !
- Mais… je ne veux pas être mangé comme moins qu’un plat de traiteur fin ! répliqua Saint-Huant crânement, pour conjurer la peur que suscitaient en lui les menaces de Fraundon.
De dépit, le Gangrel s’était appuyé contre un arbre : il essaya de retrouver ses esprits.

Au bout de la rue, deux phares éblouissants apparurent. Un brusque instinct tira Fraundon de son abattement : il dégaina son révolver. Le Toréador n’eut pas le temps de réagir. Deux coups de feu partirent du véhicule, l’atteignirent au ventre et à la tête. De deux arbres situés à quelques dizaines de mètres tombèrent, comme de gros fruits murs, deux Gangrels, nus, à la chevelure abondante teinte en vert, à la peau blanchie et tatouée de motifs complexes.
Saint-Huant était déjà à terre : une troisième l’avait touché au bras, et l’avait privé de toute capacité à réagir. Il n’était pas encore mort, mais gravement atteint.
De l’autre bout de la rue, une autre voiture arriva à pleine vitesse. Pris entre deux feux croisés, Fraundon plongea à terre, sur le trottoir. Les deux Gangrel furent sur lui en quelques instants. Ils le frappèrent plusieurs fois de leurs griffes froides et dures comme de l’acier, lui arrachant des cris de souffrance affreux. Saint-Huant se tordait de douleur. Les deux voitures pilèrent l’une en face de l’autre. Leurs occupants, au nombre de six, en sortirent. Ils étaient habillés comme les commandos anti-terroristes, passe-montagnes, rangers et gilets pare-balles. Ils déchargèrent leurs fusils à pompe sur les deux Gangrel. Ceux-ci ne purent éviter les tirs : frappés en pleine face, ils s’écroulèrent. Les hommes lâchèrent encore quelques coups sur les fauves. Les détonations résonnaient atrocement : on dut les entendre très loin à la ronde
Fraundon et Saint-Huant gémissaient, brisés par la douleur. Le Toréador avait le crâne en sang, tandis que de profondes entailles, brûlantes comme des tisons, rougissaient dans le dos du Gangrel.
- Ce sont bien eux, dit l’un des hommes en cagoule.
- Embarquons-les dans les coffres, alors.
- Non, on avait ordre de les emmener dans la baraque.
- Oui, mais les deux Gangrel n’étaient pas prévus au programme.
- Tant pis, on s’en tient aux ordres.
- C’est de la folie. Tout le quartier a entendu la fusillade !
- Tant pis pour eux ! Ils apprendront ce que c’est que de vivre avec des vampires ! On s’en tient aux ordre j’ai dit ! De toute façon, la plupart des baraques du voisinage sont vides ce soir.
- Allez les gars, ne traînons pas ! Et attention, l’un d’eux est un Gangrel !
- J’ai amené des pieux. Suffirait de leur enfoncer dans la poitrine.
- Non. On a besoin de les interroger avant. Méfiez-vous du Gangrel : assurez-vous qu’il est bien neutralisé.
S’il avait pu disposer d’un peu plus de lucidité en ce moment, Saint-Huant aurait été vexé de n’être pas craint de ces humains.
Les cagoulards ligotèrent les deux Caïnites avec des cordons en métal, et se mirent à deux pour les porter chacun, l’un par les pieds, l’autre par les bras. Les deux derniers les pointaient de leurs armes.

A suivre...
