22-12-2020, 06:41 PM
(This post was last modified: 26-12-2020, 07:34 PM by Darth Nico.)
![[Image: MIf7cHE.png]](https://i.imgur.com/MIf7cHE.png)
Ce matin-là, Bakufu se réveille au son des tambours militaires qui roulent sur la place publique. Tandis que la foule accourt, des soldats amènent une quinzaine de prisonniers. Plusieurs conseillers de l'Harmonie sont présents, solidement entourés par leurs gardes du corps.
Il y a quelques semaines encore, les hommes qu'on devant en ce moment contre le mur auraient été condamnés à la pendaison ou à la décapitation. Mais le Guide a décidé de frapper les esprits pour l'exécution des dirigeants des Poings de Justice et de la conjuration du Moine Fou.
Un peloton de soldats arrive, solennel, leur fusil en bandoulière. Alors que les roulements de tambours s'intensifient, et que les ashigarus font reculer les trop curieux qui se pressent pour avancer sur la place, un officier Miya passe devant les condamnés et leur propose un dernier verre. Plusieurs boivent, certains refusent. L'un prend le liquide et le recrache au visage de l'officier et éclate de rire. L'officier tire son wakisashi et lui passe au travers du ventre : sa mort sera bien plus douloureuse que celle des autres.
On propose alors aux autres de leur passer un bandeau sur le visage. Seuls quelques-uns acceptent de voir la mort en face : les soldats qui prennent leur fusil en main et, au signal de leur supérieur, épaulent l'arme et mettent en joue.
Dernier roulement de tambour et soudain, alors qu'on attend les coups de baguette suivants, le silence sur la grand-place. Les quinze coups de fusils éclatent en même temps, dans un jaillissement de fumée, et les condamnés s'effondrent. Celui qui a recraché finit d'agoniser, sans recevoir le coup de grâce qui mettrait fin à ses gémissements.
Les officiels s'inclinent brièvement : justice a été rendue, les insurgés ont reçu leur châtiment.
La foule commence à se disperser, car la vie quotidienne a pris du retard. Il est temps de vaquer à ses occupations. Il fait déjà chaud en ce petit matin. Sarutobi entre dans le Nid et avale une bonne bière.
- Alors ? lui demande le patron.
- Ces canailles ont reçu leur châtiment.
Sarutobi finit son verre. Il a encore le temps avant d'aller poser son rail.
Le Guide, qui ne manque pas d'imagination, a eu une seconde idée pour marquer la véritable entrée de l'Harmonie dans la modernité : le chantier du chemin de fer débute aujourd'hui, après plus de dix ans de retards en tous genres. Mais avec la reddition des Lièvres, plus rien ne s'oppose au glorieux projet du Dragon de l'Aurore !
C'est le Guide qui va symboliquement poser le premier rail, puis, par ordre descendant dans l'ordre protocolaire, des conseillers jusqu'aux plus humbles samouraïs, chacun ira à son tour planter une barre de fer dans la journée. Ensuite, les ouvriers prendront le relais. Nous sommes aux premiers jours du printemps. Avant six mois et le début de l'hiver, le Guide a dit qu'il veut pouvoir se rendre à la Cité des Mensonges en moins de deux jours.
Le premier arrêt du parcours sera d'ailleurs à Kyuden Usagi, le palais des Lièvres, maintenant ralliés à l'Harmonie.
Le soleil est déjà haut dans le ciel quand Feiyan et Sarutobi, accompagnés de Suzume Kiohage, se rendent au chantier. Miya Genichi n'aura pas l'honneur de planter son rail, le docteur Rijin ayant interdit tout effort physique avant plusieurs jours encore.
Deux ouvriers en sueur posent le rail et le tiennent fermement, puis chaque samouraï prend le gros maillet et enfonce deux énormes clous. Moto Kohei a déjà fait le sien, mais il reste pour regarder les autres. Feiyan, qui le connaît bien, sait que le chef de l'ambassade serait volontaire pour en planter d'autres !
Il va faire une chaleur estivale et nos samouraïs sont contents de retrouver la fraîcheur du palais de la Magistrature. Miya Genichi a retrouvé son bureau, et se contente de faire remplir des papiers par un secrétaire. Il dicte et signe, tout en fumant sa pipe. Il demande ensuite à nos héros ce qu'ils pensent de Daigotsu Yori. Feiyan dit qu'elle y est favorable, tout en essayant d'oublier qu'elle le fait pour son marché avec Bayushi Ojun. Pour sa part, Sarutobi raconte comment elle a fait partie de l'expédition des éclaireurs en reconnaissance avant la bataille contre les Lièvres. Elle s'est montrée efficace et dévouée.
Genichi annonce donc qu'elle rejoindra son équipe sous peu.
En attendant, c'est l'heure d'aller déjeuner au Nid !
- Une bière, patron !
- Une bière pour Sarutobi !
- Il y a de la soupe de langouste à l'orange, annonce la patronne.
- Elle vous gâte, dit le patron avec un clin d'œil.
Mamballa est dans la salle, Korimi et Meikudo à ses côtés. Il veut parler à nos héros (on devine presque le point d'exclamation au-dessus de sa tête !

Alors que le patron sert les plats fumeux, qui font monter l'eau à la bouche, Mamballa sert à boire à tout le monde et s'explique :
- Il y a quatre de cela, dans un archipel habité par mon peuple, un volcan sous-marin s'est réveillé et a provoqué un puissant séisme. Pour les savants de mon peuple, c'était la colère de Watawhairu, l'Océan. Une vague énorme, comme la gueule d'un monstre, a gonflé l'océan et s'est abattue sur des îles où vivait mon peuple. La terre et les mers ont tremblé pendant plusieurs jours, et à la fin, ces îles ont été englouties comme des navires. Heureusement, les familles qui vivaient là, averties par nos prêtres, avaient pu partir en barque sur une île voisine. Ils avaient tout perdu, mais leur malheur ne s'arrête pas là : car des Thranois arrivèrent et leur promirent de les emmener dans un lieu plus sûr. Mais aussitôt qu'ils furent revenus sur leur navire, ils capturèrent et les enchaînèrent à fond de cale. C'était en effet des esclavagistes, qui accumulent des fortunes en faisant commerce de la chair humaine.
« Le chef de ces îles était absent quand la colère des eaux se déchaîna, car il assistait à une réunion d'une société secrète ailleurs. Quand il apprit la nouvelle, il crut devenir fou. Il fallut quatre hommes solides pour le contenir et l'empêcher de commettre l'irréparable, puis l'enfermer. Il resta enfermé une semaine en tapant contre les murs, tantôt priant, tantôt maudissant Watawhairu pour le sort qu'il lui faisait subit. Lorsqu'il put ressortir, c'est lui qui dut passer devant le conseil des Sociétés. Les Sages lui dirent qu'il était désormais "tabou" : il avait perdu le "mana", l'énergie primordiale qui relie les Nambiwa à la déesse de l'océan. Il perdait son statut de prince et ne pourrait vivre qu'en travaillant pour un autre. Par dérision, il fut surnommé le prince des îles perdues.
Mamballa, les yeux rougis, finit son verre et ajoute :
- Je suis le prince des îles perdues. Et cette famille capturée, réduite en esclavage, était la mienne. Aujourd'hui, puisque je connais votre sens de l'honneur, c'est un homme brisé qui vous demande l'impossible : retrouver ma famille. Car mon sort n'est pas loin d'être pire que la mort, et depuis quatre ans, je ne vaux guère mieux qu'un "zombi".
Nos héros gardent le silence, par respect pour Mamballa.
C'est Korimi qui parle la première et dit qu'elle en sera, bien évidemment. Feiyan n'hésite pas non plus, Meikudo dit qu'elle leur servira de guide dans les sept mers, et Sarutobi se joint aussi à l'expédition : il était aussi sur l'île des Larmes de l'est, et il ne peut pas laisser Feiyan partir seule.
*
En revenant au palais, Feiyan fait sa demande à Genichi : car elle ne peut pas partir comme une voleuse ! Mais une dette d'honneur doit être repayée à tout prix, et la demande de Mamballa est des plus honorables. Genichi en convient. Cependant, Feiyan et Sarutobi ne peuvent pas partir sur demande de la magistrature de l'Harmonie. Ils seraient prêts à un congé sans solde. Genichi dit qu'il va réfléchir. Il a besoin de prendre conseil autour de lui.
Nos héros n'ont pas hésité, mais à présent, il leur faut des renseignements. Feiyan va voir le docteur Rijin, qui a une grande expérience de la mer : en tant qu'ancien chirurgien de marine, il a dû voir du monde sur les sept mers. Le bon docteur a retrouvé la quiétude de sa villa, et, comme Genichi est en voie de guérison, il peut s'occuper de ses bonsaïs sans être dérangé. Feiyan le rassure tout de suite : elle ne vient pas pour le mander urgemment. Elle prend donc le temps de déguster un thé avec lui (elle faudra qu'elle recommande à Korimi de venir le voir pour en servir du meilleur !), puis elle vient au sujet de sa visite : le commerce d'esclave dans les archipels gaijins.
Feiyan ne peut pas cacher qu'elle réprouve ce trafic odieux. Le docteur Rijin serait d'accord, mais il fait remarquer au passage que les Rokuganis ont les etas, qui s'occupent des plus basses tâches et qui sont assignés à cette fonction par leur naissance. Feiyan se dit que l'air des îles lointaines tourne la tête de tous ceux qui s'y rendent, et que le docteur ne fait pas exception à la règle.
- Les esclaves ont été emmenés de force et réduits à cette condition, dit Feiyan. Ils sont nés libres et on les a mis au fer. Tandis que nos etas et hinins sont à cette place pour payer les fautes de leurs ancêtres. C'est dans leur nature !
- Oui, dit Rijin en soufflant sur son thé, c'est bien commode...
Mais il ne relance pas plus le sujet, et dit à Feiyan ce qu'il sait : le commerce des esclaves se déroule principalement sur l'île du Requin. A l'abri d'une forteresse armée de canons, il s'y tient un marché aux esclaves, où des individus de toutes les races sont exposés. On ne peut pas entrer comme cela dans le marché du Requin, il faut être soutenu par un des notables des frères de la Côte.
Feiyan lève un sourcil :
- Ah, parce qu'ils ont aussi une sorte de hiérarchie là-bas ?
- Oui, en quelque sorte. Les plus puissants frères sont regroupés dans la Confrérie des Sept Mers. Ce sont, si vous voulez, des sortes de daimyos.
Feiyan réprime à peine son dégoût :
- Des daimyos chez les pirates, c'est intéressant.
- Ils contrôlent chacun un important territoire maritime, et aucun commerce ne peut se tenir sans qu'ils ne touchent sur les transactions. Je ne connais pas tous les membres de la Confrérie, mais j'en connais un qui avait ses entrées sur l'île du Requin : Seong Feng. Il réside dans la baie d'Along. Un endroit somptueux.
- Comme les gens qui y habitent, certainement...
- A Rokugan, Seong Feng ne vaudrait pas la corde pour le pendre, mais dans les sept mers, c'est un seigneur redouté. Au faîte de sa gloire, il commandait une flotte de trente navires. Assez pour inquiéter les Merenae et les Thranois. Il a conclu une trêve avec les premiers et il s'est rangé des navires.
- Une sorte de retraite, donc.
- Une retraite de sa carrière de flibustier. Depuis, autant que je sache, il dirige l'une des plus grosses maisons de jeux des sept mers. Il a su arrêter la piraterie au bon moment, ce qui le place très haut dans l'ordre de l'intelligence, comparé au frère de la côte moyen.
- Très haut dans l'honneur aussi, sans doute.
- Dans les sept mers, on s'intéresse moins à l'honneur qu'à la survie.
- En somme, il suffit de vivre assez vieux pour entrer dans cette confrérie.
- L'âge moyen n'est pas très élevé, en effet. Donc on est vétéran assez jeune.
Feiyan remercie le docteur pour tous ces bons conseils. Elle aime autant savoir à quel genre de canailles elle aura affaire.
Pendant ce temps, Sarutobi se rend au quartier Thranois, où il va discuter avec le maître d'armes, Markus Wilderbrandt. Il apprend d'abord que le frère de ce dernier, le pirate Jacob, a été expulsé de Bakufu, avec interdiction d'y revenir.
- Il s'en sort bien, dit Sarutobi.
- Oui, dit Markus, pas fier. Au nom des bonnes relations que mon peuple entretient avec vous, vos magistrats Miya ont bien voulu lui éviter un procès. Il est donc reparti à bord de son navire...
Markus sert une petite eau-de-vie de gentiane. Sarutobi le questionne aussi sur le trafic d'esclaves. Encore un sujet déplaisant.
- J'appartiens à la maison de Mecklenburg, explique Wilderbrandt, comme tous les Thranois qui résident à Rokugan. Le restaurateur, monsieur Jan, a pour nom complet : Jan-Aleksander de Mecklenburg. C'est un cousin de notre Prince-Electeur, Mauritshuis III de Mecklenburg. Chez nous, il n'y a pas de commerce de chair humaine... Pour cela, il faudrait voir du côté de la maison de Kriengburg.
Sarutobi a toutes les peines avec ces noms barbares.
- Où peut-on trouver cette maison de Kronenbourg?
- Kriengburg... Dans plusieurs archipels dont je vous donnerai la liste. Vous devez comprendre que les Thranois sont divisés en plusieurs maisons, un peu comme vos clans.
- Et vos Princes-Electeurs sont nos daimyos.
- Voilà. Les Kriengburg sont les rivaux éternels des Mecklenburg. Eux se livrent au trafic d'esclave de longue date. Une pratique que notre Prince réprouve, mais qui est très lucrative. Les meilleurs esclaves se vendent à prix d'or. Les Nambiwa sont connus pour avoir une grosse force de travail.
- Je vois...
Sarutobi reste un peu discuter, Markus lui propose à nouveau, quand il le pourra, de venir s'initier à l'escrime thranoise.
- Cela me semble vraiment étrange de se battre avec l'un de vos "fleurets"...
- On attaque non du tranchant mais avec la pointe.
- Je viendrai à l'occasion découvrir cela.
*
Au palais de la magistrature, Genichi fait savoir sa réponse : il accepte que nos héros partent, mais puisque Feiyan est en dette de vie envers le Nambiwa, elle devra abandonne provisoirement son appartenance à la magistrature, et même à son clan. Elle sera musha-shagyo, un samouraï qui devient provisoirement rônin pour accomplir une quête personnelle.
- J'ai consulté les textes de lois, dit Genichi, il n'est fait nulle part mention de ce statut de musha-shagyo. Mais cette tradition est, de fait, respectée dans l'Harmonie, à la discrétion des personnes concernées.
Sarutobi, pour sa part, refuse d'être réduit à ce statut : il accompagne Feiyan mais il gardera son mon de clan. Après tout, il n'a pas de dette de vie envers Mamballa, et c'est au contraire lui qui a porté l'antidote à Feiyan et à l'enfant, au péril de sa vie !
Quelques jours plus tard, Feiyan abandonne donc son nom de famille et revêt des habits anonymes. Quand elle arrive à l'embarcadère du port, elle fait comprendre, par son attitude, qu'elle ne souhaite aucun commentaire. Tout le temps du voyage, elle sera seulement Feiyan. Sarutobi, Meikudo et Korimi se retiennent donc de faire des remarques.
Mamballa est là aussi, en habits de marins. Korimi a revêtu des habits extravagants, à la Thranoise. Pas de risque de passer discret !
La navette du matin les emmène à Porto Maravila, où ils retrouvent la chaleur tropicale, étouffante dès la sortie de l'appareil. Le crieur public est toujours là, qui promet chance et bonheur à tous ceux qui viennent ici. Quoi de mieux qu'un repaire de mercenaires, flibustiers et truands en tous genres pour faire fortune !
Dans une taverne, nos héros retrouvent Jamal, qui se la coule douce en finissant d'écouler sa dernière paye. Sarutobi le recrute une fois de plus. Pour commencer, ils vont se rendre chez Meikudo, qui a besoin de prendre des affaires chez elle, et qui va leur trouver des contacts parmi les frères de la côte.
Le lendemain matin, l'aéronef de Jamal décolle, avec pour destination l'île du grillon, à quatre heures de vols de Maravila.
*
Jamal a posé l'aéronef sur la plage. L'île du grillon sent fort la viande boucanée et les senteurs tropicales. Dès la plage, outre les grillons, on y est accueillis par un concert d'oiseaux exotiques et, en entrant en ville, on voit partout démabuler des singes sur les pontons, en quête de nourriture. Meikudo les emmène dans une petite ville en bois sombre, avec des bâtiments construits sur pilotis, usés par le vent, le sel et le sable. Derrière, une épaisse jungle où le concert de la nature semble assourdissant. Tout en haut de l'île, un sommet dégagé qui, à une époque reculée, devait être un volcan.
Meikudo possède une petite bicoque qui ne paye pas de mine. Elle a accumulé dans l'unique pièces quelques souvenirs de ses voyages sur mers, des bricoles qui doivent avoir une valeur surtout sentimentale : des cartes, des gri-gris, des instruments de navigation. On la sent contente de retrouver son chez-soi. Feiyan a du mal à comprendre comment elle a pu si vite considérer cet endroit comme sa vraie maison.
Le soir, Meikudo emmène ses compagnons dans une taverne remplie de grands gaijins à la peau claire. Les chopes de bières s'entrechoquent au comptoir, un orchestre joue un air entraînant, des filles aux jupes rouges et au maquillage criard racolent des clients.
Dans la salle du fond, des groupes de marins se sont réunis autour d'une table, sur laquelle s'est perché un grand gaillard : mal rasé, les cheveux hirsutes, il porte un grand tricorne usé, une veste rouge qui a dû être une pièce d'uniforme, une grosse lanière de cuir à boucle en travers du torse, une rapière à garde dorée, et deux révolvers courbes à la ceinture. Il harangue les marins, qui le hèlent à leur tour et semblent prêts à en venir aux mains entre eux.
Meikudo explique ce qui se passe : l'homme perché est le capitaine Samuel Bellamy, un Avalonien. Il est en train de recruter un équipage et les hommes discutent le contrat. C'est comme cela que font les frères de la côte : on négocie chaque terme âprement, mais une fois à bord, assure Meikudo, les marins obéissent sans discuter au capitaine et respectent un règlement très strict qu'ils signent avant le départ. Ils ont l'air de saoulards avinés mais en réalité, la discussion ne va pas dégénérer en bagarre... normalement. C'est juste une manière pour chacun de montrer combien il est déterminé. Car un frère de la côte ne se laisse jamais marcher sur les pieds, tout en étant dur à la tâche et solidaire des autres membres d'équipage.
Soit, nos Rokuganis veulent bien le croire.
L'Avalonien semble accorder ce qu'ils veulent aux hommes, car ceux-ci hochent la tête d'approbation. Et tout cela se termine par une tournée générale.
- Bellamy, explique Meikudo, commande un petit navire, le Whidah Galley, qui ne paye pas de mine, mais qui est rapide et bien armé pour son tonnage. Il a la réputation d'être juste avec ses hommes, et il est généralement très aimé de ses équipages.
Une crème, en somme ! Parmi les frères, on ne fait pas mieux, assure Meikudo. C'est pourquoi elle propose à nos héros de s'engager auprès de lui. S'il n'a même pas connaissance du mot bushido, ce n'est pas pourtant pas une fripouille qui les trahira à la première occasion.
Alors que les hommes rentrent chez eux, Bellamy reste à sa table avec ses lieutenants et Meikudo, qui le connaît, va discuter avec lui, pendant que nos héros restent à la table à côté. Bellamy écoute et semble intéresser. Meikudo leur fait alors signe de venir à leur table :
- Bellamy accepte de nous prendre à bord. Il est en partance pour un cimetière de navires. Il compte récupérer des trésors dans les épaves.
Sarutobi fait un peu la grimace : ils veulent s'engager pour gagner de l'argent et retrouver la trace des esclaves Nambiwa. Mais jouer les pillards d'épaves ne les enchante guère. Sarutobi insiste pour que Meikudo dise à Bellamy ce qu'ils valent vraiment : des vrais guerriers. Avec eux à son bord, Bellamy va pouvoir s'attaquer à de vrais navires !
A condition, bien sûr, ajoute Feiyan, que l'on s'attaque à des pirates ou autres personnes déshonorables et qu'il n'y ait pas d'effusion de sang inutile.
Bellamy écoute et sourit. Il semble prêt à lui faire confiance. Il se tourne vers les Rokugani et leur tend la main.
Meikudo dit qu'il faut se serrer la main vigoureusement, c'est comme cela la politesse. Ce contact physique répugne un peu à nos héros, qui prennent sur eux pour faire comme des frères de la côte.
Bellamy a-t-il vu en Sarutobi un redoutable guerrier ? Ou a-t-il été intéressé à l'idée d'accueillir à son bord trois jolies femmes ? Le code des pirates est pourtant clair à ce sujet : interdit de coucher pendant les trajets ! Les femmes seront habillées et traitées comme des hommes. Si un frère veut dormir dans le même lit qu'une femme, il doit l'épouser. Sinon lui et la femme sont condamnés à la planche !
Cela convient très bien à Feiyan et Korimi.
Deux jours plus tard, nos héros sont déjà à pied d'oeuvre : ils roulent des tonneaux sur le pont du navire, aident à descendre des caisses dans les soutes et à empiler des boulets. Sarutobi, qui se fait des amis partout où il va, a réussi à sympathiser avec le cuisinier. Très important ! Et ce dernier manque de monde pour la tambouille : Feiyan, Meikudo et Korimi vont donc venir avec lui ! Voici donc les trois femmes parties au marché du grillon pour acheter quantité de légume, de viande fumée et de sel ! A bord, elles aideront à couper les légumes et préparer la soupe. Gare à elles si les hommes ne sont pas contents, les frères de la côte ne plaisantent pas avec la qualité des repas !
Feiyan estime ne pas s'en sortir trop mal à devoir découper des légumes, pendant que Meikudo dépèce des poissons et que Korimi touille les marmites. Sur le pont, Sarutobi aide à enrouler des cordages et à repriser des voiles. Il s'est tout de suite bien fait remarquer des frères, qui se méfiaient au début de ce nouveau venu à la peau jaune et aux yeux bridés.
Le lendemain matin, le Whidah Galley quitte le port des grillons et part sur la mer de Kiriba. Le vent est favorable, le ciel dégagé, avec quelques immenses nuages qui dansent dans le ciel, masquant régulièrement le soleil.
Les femmes s'affairent en cuisine et le soir, apportent leur premier repas. Les hommes sont attablés et regardent d'un air farouche ces nouvelles : qu'est-ce qu'elles ont pu préparer. L'un des hommes fait un clin d'oeil à ses voisins et, très content par avance d'amuser la galerie, pince une fesse de Korimi. Celle-ci lui tord aussitôt le bras dans le dos et le lance comme un gros sac à travers la table. Il finit le nez sur le parquet, les pieds en l'air. Il se relève étourdi, et tout le monde éclate de rire, à commencer par Bellamy. Le rustaud n'a plus qu'à regagner sa place, la queue entre les jambes, un mouchoir sur son nez sanglant. Et le service peut commencer !
Les femmes servent, saluent à la façon rokugani et regagnent, stoïques leur cuisine. Mais quelques minutes plus tard, Bellamy les fait revenir et tout le monde les applaudit, en faisant signe que la soupe est délicieuse. Et on les invite à s'asseoir avec tout le monde. A la santé des cuistots !
Deux jours plus tard, un sloop arborant le pavillon Thranois est en vue. Des corsaires au service de la maison de Nassanje. Un bâtiment d'abordage, rapide, très maniable, mais dépourvu de canons. Bellamy fait manoeuvrer le Whidah pour prendre le sloop par babord. Il fait tirer trois coups de semonce, mais le Thranois ne hisse pas le drapeau blanc. Le second siffle et tous les hommes se tiennent prêts à l'assaut, dans un ordre militaire. On aurait pu attendre des braillards hirsutes, le sabre entre les dents, mais on a affaire à des hommes tendus et silencieux, chacun à son poste. Alors que le Whidah est sur le point de frotter la coque du corsaire, une dizaine d'hommes lancent des grappins et se mettent à tirer les cordes à l'unisson. Les premiers coups de feu partent de chaque côte. Sarutobi abat un corsaire d'une flèche. Le second lance trois coups de sifflets et les hommes de Bellamy sautent sur le sloop. Les Thranois tentent de les repousser avec leurs lances, mais sont bientôt débordés. Ils ont à peine le temps de dégainer leurs armes que les hommes du Whidah sont sur eux et les attaquent à l'épée. Sarutobi est de la mêlée, ainsi que Feiyan. Bientôt, les Thranois refluent vers le poste du capitaine, qui agite le drapeau blanc.
Bellamy tire un coup de feu en l'air et tout le monde laisse la place au capitaine de passer. Le Thranois attend les conditions de l'Avalonien. Les deux hommes discutent un moment, puis Bellamy se tourne vers ses hommes, leur lance quelques mots et tous approuvent. Les choses se passent de façon plutôt civilisée !
Les soutes sont vidées de leurs richesses mais on ne touche pas à la nourriture ni à l'eau. Pas d'exécutions sanglantes, pas d'explosion finale, tout se passe calmement.
Et c'est ainsi que nos héros passèrent leur baptême de piraterie !