15-12-2003, 06:50 PM
L’hidalgo et les deux rats d’égout
- Vous savez vous servir d’un fusil ?
En une autre occasion, Saint-Huant aurait pris le temps d’ironiser avant de répondre, de rappeler à Fraundon qu’il ne savait déjà pas se servir d’un revolver. Mais en l’occurrence, il répondit seulement :
- Non, non. Désolé, non…
- Tant pis. Et arrêtez de me regarder avec vos yeux de moutons. Vous n’avez jamais vu de Gangrel se battre ? Vous n’avez jamais lu les aventures de Wolverine ?
- Et moi je suis qui ? Le Cyclope ?
- On est chez Bathory ici ?
- Je n’en sais rien. Je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter.
- Passez-moi une bouteille. Ou plutôt non : deux.
Saint-Huant obtempéra : il prit dans la rangée derrière lui deux bouteilles de porto, les premières que sa main rencontra. Il en passa une à Fraundon. Le Gangrel les ouvrit, en tendit une à Saint-Huant, le regarda droit dans les yeux, choqua sa bouteille dans la sienne et dit :
- A la vôtre !
Et d’avaler la moitié de la bouteille !
Pour lui faire plaisir, Saint-Huant trempa les lèvres.
- Vous croyez que l’heure est bien choisie pour picoler ?
- La rasade des condamnés, monsieur le cinéaste. J’ignore qui sont ces gars, mais rien ne dit qu’on est tirés d’affaires.
- Remontons. Nous avons assez traîné dans cette cave…
- Prenez quand même un de leurs fusils. Tenez-le fermement, tâchez de faire illusion si on croise un de ces affreux.
Saint-Huant fut pris d’une soif qu’il essayait d’oublier depuis le début de sa captivité. Il absorba une bonne rasade de sang à la gorge d’une des victimes de Fraundon, parmi la quinzaine qui gisait à terre. Il s’empara d’un fusil, en constatant le carnage perpétré. Fraundon, repu de sang, avait repris contenance. Il attendait que le Toréador s’abreuve en surveillant les lieux.
La cave était vraiment très grande. Plusieurs pièces se succédaient. Elle devait contenir près de cinq cent bouteilles, soigneusement rangées. Les deux Caïnites avançaient prudemment. Fraundon éteignait la lumière dès qu’il croisait un interrupteur. Saint-Huant suivait au flair et à la vision thermique le Gangrel.
Ils arrivèrent au pied d’une volée de marche, qui menaient au rez-de-chaussée.
- Après vous…
- Trop aimable, monsieur le Toréador est trop bon.
- Si on s’en tire, je vous revaudrai ça, à prix d’or.
Saint-Huant avait essayé d’être ferme dans sa promesse. Celle-ci ne paraissait pourtant pas très solide : qu’il puisse connaître le jour de la tenir était hypothétique.
Ils arrivèrent en haut des marches, au bout d’un long couloir.
- Il n’y a plus personne dans cette turne pourrie, souffla Fraundon.
- Barrons-nous vite d’ici, alors, dit Saint-Huant, en avalant une rasade de porto.
- Allons visiter les lieux d’abord.
- Quoi ? vous êtes fous ! cria Saint-Huant en murmurant. Vous voulez tenter le diable ou quoi !
- Je veux comprendre qui sont ces salopards.
Le plancher de bois craquait sous leurs pieds. Un courant d’air soufflait dans l’obscurité. Au bout du couloir, une porte battait et grinçait.
- Je parierai que vous voulez aller voir derrière cette porte… dit le Toréador, avant d’avaler une gorgée pour se donner du cœur au ventre.
- On ne peut rien vous cacher, à vous les Toréadors.
Saint-Huant se résolut à suivre le Gangrel.
- Et pourquoi cette porte et pas une autre ?
- Taisez-vous un peu. Je flaire d’autres Caïnites, pas vous ?
Le Toréador renifla :
- Si vous avez raison. J’ai l’odorat moins développé que vous, mais vous avez –
- Alors, silence… Je ne comprends pas qu’ils n’aient pas entendu les bruits dans la cave.
- Oui, vous n’y êtes pas allé de main morte.
- Et moi, je vous emmerde monsieur le –
Une détonation claqua, l’éclair d’un coup de feu. Fraundon contint un cri de douleur : le coup lui avait arraché son fusil des mains. Une porte s’ouvrit derrière le Toréador. Il n’eut pas le temps de se retourner : il sentit la pression d’un canon qui s’enfonçait entre ses omoplates.
- On ne bouge plus les deux guignols !
L’ordre venait d’une grande silhouette, plongée dans l’obscurité, devant les deux Caïnites.
- Lâche ton arme, Saint-Huant, ordonna une voix nasillarde.
Le Toréador s’exécuta. Fraundon esquissa le geste de se baisser pour ramasser son arme : une deuxième détonation claqua devant lui. Le fusil, touché, était brisé.
- Ne bouge plus Naundorff, tu entends ?
On ramassa le fusil que Saint-Huant avait posé. Les trois nouveaux arrivants étaient des Caïnites.
- Ça sent le rat moisi, remarqua Fraundon, en levant les bras. Les Nosfératus se font refouler hors des égouts, ce soir ?
- Ta gueule ! ordonna, de sa voix nasillarde, la créature qui braquait le Toréador.
- Et je sais reconnaître l’odeur d’un Toréador quand je la sens, dit Saint-Huant, en fixant la grande silhouette devant elle. Il but encore une lampée.
- Avancez les mains sur la tête, ordonna ce dernier, et arrêtez de picoler ! Toi le Gangrel, au premier faux geste, je te fais sauter la cervelle.
- Méfiez-vous plutôt du Toréador, rigola Fraundon, c’est une vraie terreur. Il a massacré de la main gauche tous les types dans la cave. C’est lui le vrai danger, parole de scout !
Il y avait bien deux Nosfératus dans le dos de Saint-Huant : celui-ci prit en effet l’initiative de regarder les deux affreux bonhommes.
- Quoi ? Tu veux une photo dédicacée, l’artiste ? grogna l’un des deux, en lui enfonçant le canon de l’arme plus profondément dans le dos. Regarde devant toi et marche !
- Ça suffit les pitreries, dit le Toréador. Entrez-la, et asseyez-vous.
Ils furent conduits dans un grand salon. Le Toréador alluma la lumière. La pièce avait été récemment déménagée : les silhouettes des meubles étaient visibles au sol et sur les murs. Fraundon et Saint-Huant s’assirent sur deux tabourets.
Devant eux, les armes pointaient sur eux, se trouvaient les deux Nosfératus, habillés de vêtements en jean, et le Toréador, un grand escogriffe, habillé comme un hidalgo (chemise blanche, gilet noir, pantalon moulant, grandes bottes), regard perçant, posture droite et assurée. Une balafre courait de la lèvre à l’œil.
- Très bien, mettons les choses au point succinctement, dit-il. Vous allez vous tenir bien sages et écouter. Je m’appelle Steenwyck, et les deux Nosfé, ce sont les cousins Perséphone et Désastre. Sachez que nous sommes bien dans le loft de la comtesse Bathory.
- Et puisque vous n’avez pas l’air si hostiles envers nous, dit Saint-Huant, si vous nous racontiez ce qui se passe ici ?
- Détrompez-vous, nous ne sommes pas venus vous sauver par charité, affirma Steenwyck.
- Qui sont ces humains ? demanda Fraundon, des gros bras de l’Inquisition ?
- On peut dire ça, oui. Ils ont été prévenus que vous veniez dans ce loft. Après la fusillade avant-hier, la police a bouclé les lieux, les journalistes sont arrivés. Mais ceux qui vous séquestraient avaient des soutiens en haut lieu. La police a carrément dû fermer les yeux sur leur présence dans la cave. On a orienté l’enquête vers une fausse piste, le temps que la pression retombe. Ils vous ont gardé au frais parce qu’ils avaient ordre d’attendre qu’on vienne vous prendre. Et ça a pris du retard. Et ça leur tapait sur les nerfs à force.
- Mais qui ? protesta Saint-Huant, et pourquoi nous deux ?
- Nous étions en observation, les deux Nosfératus et moi, continua Steenwyck, depuis le coucher du soleil. Il y avait un groupe de mercenaires au rez-de-chaussée, et un à la cave. Nous captions les conversations entre les deux groupes. Quand nous avons entendu que le Gangrel se déchaînait en bas, nous avons investi les lieux plus tôt que prévu…
- Et pourquoi nous, répéta le cinéaste. Et que fait la Comtesse ?…
- Faut croire que notre tête ne leur revenait pas, maugréa Fraundon. Et à mon avis, Bathory est de mèche.
- Ils vous en voulaient particulièrement, expliqua Steenwyck sans baisser son arme. J’ignore à vrai dire pourquoi. A vous de chercher.
- Mais c’est absurde enfin. Bathory avait pris Fraundon sous sa protection, et m’a engagé pour l’aider ! Et elle m’a offert ce loft en échange ! Elle ne peut pas être mêlée à cette séquestration !
- Je vois, dit Steenwyck, pensif. Il garda un doigt sur le menton, il releva les yeux et dit : vous pouvez dire qu’elle avait bien calculé son affaire…
[i]A suivre...
- Vous savez vous servir d’un fusil ?
En une autre occasion, Saint-Huant aurait pris le temps d’ironiser avant de répondre, de rappeler à Fraundon qu’il ne savait déjà pas se servir d’un revolver. Mais en l’occurrence, il répondit seulement :
- Non, non. Désolé, non…
- Tant pis. Et arrêtez de me regarder avec vos yeux de moutons. Vous n’avez jamais vu de Gangrel se battre ? Vous n’avez jamais lu les aventures de Wolverine ?
- Et moi je suis qui ? Le Cyclope ?
- On est chez Bathory ici ?
- Je n’en sais rien. Je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter.
- Passez-moi une bouteille. Ou plutôt non : deux.
Saint-Huant obtempéra : il prit dans la rangée derrière lui deux bouteilles de porto, les premières que sa main rencontra. Il en passa une à Fraundon. Le Gangrel les ouvrit, en tendit une à Saint-Huant, le regarda droit dans les yeux, choqua sa bouteille dans la sienne et dit :
- A la vôtre !
Et d’avaler la moitié de la bouteille !
Pour lui faire plaisir, Saint-Huant trempa les lèvres.
- Vous croyez que l’heure est bien choisie pour picoler ?
- La rasade des condamnés, monsieur le cinéaste. J’ignore qui sont ces gars, mais rien ne dit qu’on est tirés d’affaires.
- Remontons. Nous avons assez traîné dans cette cave…
- Prenez quand même un de leurs fusils. Tenez-le fermement, tâchez de faire illusion si on croise un de ces affreux.

Saint-Huant fut pris d’une soif qu’il essayait d’oublier depuis le début de sa captivité. Il absorba une bonne rasade de sang à la gorge d’une des victimes de Fraundon, parmi la quinzaine qui gisait à terre. Il s’empara d’un fusil, en constatant le carnage perpétré. Fraundon, repu de sang, avait repris contenance. Il attendait que le Toréador s’abreuve en surveillant les lieux.
La cave était vraiment très grande. Plusieurs pièces se succédaient. Elle devait contenir près de cinq cent bouteilles, soigneusement rangées. Les deux Caïnites avançaient prudemment. Fraundon éteignait la lumière dès qu’il croisait un interrupteur. Saint-Huant suivait au flair et à la vision thermique le Gangrel.
Ils arrivèrent au pied d’une volée de marche, qui menaient au rez-de-chaussée.
- Après vous…
- Trop aimable, monsieur le Toréador est trop bon.
- Si on s’en tire, je vous revaudrai ça, à prix d’or.
Saint-Huant avait essayé d’être ferme dans sa promesse. Celle-ci ne paraissait pourtant pas très solide : qu’il puisse connaître le jour de la tenir était hypothétique.
Ils arrivèrent en haut des marches, au bout d’un long couloir.
- Il n’y a plus personne dans cette turne pourrie, souffla Fraundon.
- Barrons-nous vite d’ici, alors, dit Saint-Huant, en avalant une rasade de porto.
- Allons visiter les lieux d’abord.
- Quoi ? vous êtes fous ! cria Saint-Huant en murmurant. Vous voulez tenter le diable ou quoi !
- Je veux comprendre qui sont ces salopards.
Le plancher de bois craquait sous leurs pieds. Un courant d’air soufflait dans l’obscurité. Au bout du couloir, une porte battait et grinçait.
- Je parierai que vous voulez aller voir derrière cette porte… dit le Toréador, avant d’avaler une gorgée pour se donner du cœur au ventre.
- On ne peut rien vous cacher, à vous les Toréadors.
Saint-Huant se résolut à suivre le Gangrel.
- Et pourquoi cette porte et pas une autre ?
- Taisez-vous un peu. Je flaire d’autres Caïnites, pas vous ?
Le Toréador renifla :
- Si vous avez raison. J’ai l’odorat moins développé que vous, mais vous avez –
- Alors, silence… Je ne comprends pas qu’ils n’aient pas entendu les bruits dans la cave.
- Oui, vous n’y êtes pas allé de main morte.
- Et moi, je vous emmerde monsieur le –
Une détonation claqua, l’éclair d’un coup de feu. Fraundon contint un cri de douleur : le coup lui avait arraché son fusil des mains. Une porte s’ouvrit derrière le Toréador. Il n’eut pas le temps de se retourner : il sentit la pression d’un canon qui s’enfonçait entre ses omoplates.
- On ne bouge plus les deux guignols !
L’ordre venait d’une grande silhouette, plongée dans l’obscurité, devant les deux Caïnites.
- Lâche ton arme, Saint-Huant, ordonna une voix nasillarde.
Le Toréador s’exécuta. Fraundon esquissa le geste de se baisser pour ramasser son arme : une deuxième détonation claqua devant lui. Le fusil, touché, était brisé.
- Ne bouge plus Naundorff, tu entends ?
On ramassa le fusil que Saint-Huant avait posé. Les trois nouveaux arrivants étaient des Caïnites.
- Ça sent le rat moisi, remarqua Fraundon, en levant les bras. Les Nosfératus se font refouler hors des égouts, ce soir ?
- Ta gueule ! ordonna, de sa voix nasillarde, la créature qui braquait le Toréador.
- Et je sais reconnaître l’odeur d’un Toréador quand je la sens, dit Saint-Huant, en fixant la grande silhouette devant elle. Il but encore une lampée.
- Avancez les mains sur la tête, ordonna ce dernier, et arrêtez de picoler ! Toi le Gangrel, au premier faux geste, je te fais sauter la cervelle.
- Méfiez-vous plutôt du Toréador, rigola Fraundon, c’est une vraie terreur. Il a massacré de la main gauche tous les types dans la cave. C’est lui le vrai danger, parole de scout !

Il y avait bien deux Nosfératus dans le dos de Saint-Huant : celui-ci prit en effet l’initiative de regarder les deux affreux bonhommes.
- Quoi ? Tu veux une photo dédicacée, l’artiste ? grogna l’un des deux, en lui enfonçant le canon de l’arme plus profondément dans le dos. Regarde devant toi et marche !
- Ça suffit les pitreries, dit le Toréador. Entrez-la, et asseyez-vous.
Ils furent conduits dans un grand salon. Le Toréador alluma la lumière. La pièce avait été récemment déménagée : les silhouettes des meubles étaient visibles au sol et sur les murs. Fraundon et Saint-Huant s’assirent sur deux tabourets.
Devant eux, les armes pointaient sur eux, se trouvaient les deux Nosfératus, habillés de vêtements en jean, et le Toréador, un grand escogriffe, habillé comme un hidalgo (chemise blanche, gilet noir, pantalon moulant, grandes bottes), regard perçant, posture droite et assurée. Une balafre courait de la lèvre à l’œil.
- Très bien, mettons les choses au point succinctement, dit-il. Vous allez vous tenir bien sages et écouter. Je m’appelle Steenwyck, et les deux Nosfé, ce sont les cousins Perséphone et Désastre. Sachez que nous sommes bien dans le loft de la comtesse Bathory.
- Et puisque vous n’avez pas l’air si hostiles envers nous, dit Saint-Huant, si vous nous racontiez ce qui se passe ici ?
- Détrompez-vous, nous ne sommes pas venus vous sauver par charité, affirma Steenwyck.

- Qui sont ces humains ? demanda Fraundon, des gros bras de l’Inquisition ?
- On peut dire ça, oui. Ils ont été prévenus que vous veniez dans ce loft. Après la fusillade avant-hier, la police a bouclé les lieux, les journalistes sont arrivés. Mais ceux qui vous séquestraient avaient des soutiens en haut lieu. La police a carrément dû fermer les yeux sur leur présence dans la cave. On a orienté l’enquête vers une fausse piste, le temps que la pression retombe. Ils vous ont gardé au frais parce qu’ils avaient ordre d’attendre qu’on vienne vous prendre. Et ça a pris du retard. Et ça leur tapait sur les nerfs à force.
- Mais qui ? protesta Saint-Huant, et pourquoi nous deux ?
- Nous étions en observation, les deux Nosfératus et moi, continua Steenwyck, depuis le coucher du soleil. Il y avait un groupe de mercenaires au rez-de-chaussée, et un à la cave. Nous captions les conversations entre les deux groupes. Quand nous avons entendu que le Gangrel se déchaînait en bas, nous avons investi les lieux plus tôt que prévu…
- Et pourquoi nous, répéta le cinéaste. Et que fait la Comtesse ?…
- Faut croire que notre tête ne leur revenait pas, maugréa Fraundon. Et à mon avis, Bathory est de mèche.
- Ils vous en voulaient particulièrement, expliqua Steenwyck sans baisser son arme. J’ignore à vrai dire pourquoi. A vous de chercher.
- Mais c’est absurde enfin. Bathory avait pris Fraundon sous sa protection, et m’a engagé pour l’aider ! Et elle m’a offert ce loft en échange ! Elle ne peut pas être mêlée à cette séquestration !
- Je vois, dit Steenwyck, pensif. Il garda un doigt sur le menton, il releva les yeux et dit : vous pouvez dire qu’elle avait bien calculé son affaire…
[i]A suivre...
