29-01-2004, 01:52 PM
1ERE PARTIE : L'OASIS
I : Où nos héros quittent Rokugan pour les montagnes gaijins
Le grand ouest est le grand désert et les plaines brûlantes, où vivent en nomades les campements et les caravanes de gaijins. Leurs chevaux sont aussi des destriers licornes, et leurs grandes lames courbes flamboient au soleil. Quand ils ne montent pas de chevaux, ils vont sur des animaux très laids et bossus, des montures déformées par leur bosse. Leurs vêtements sont faits de tissus et de couleurs inconnus à Rokugan ; leur langue est barbare, leur pays est étrange, hostile ; leur peau est cuivrée, leurs visages poilus, et leur horizon est encore bien plus lointain que celui sur lequel Dame Soleil se couche. Si un cavalier malheureux, ou un samurai exilé, part trop loin vers l’ouest, il perdra complètement de vue l’Empire d’Emeraude, il finira par tomber après avoir atteint les bords du monde, ou il sera frappé de folie par le caprice de Fortunes sauvages.
Le convoi au service du daïmio Kanjiro était mené par Shinjo Zenzabûro et ses trois fils, accompagné de six yorikis, avec une charrette transportant les équipements de voyage et le coffretrempli des kokus.
Cette troupe laissait maintenant derrière elle Bugaisha, le donjon des étrangers. Dans cette tour branlante, ouverte à tous vents, veillaient des bushis Licornes déshonorés, qui n’avaient aucun espoir de revoir leurs contrées. Ils étaient à peine mieux considérés que des étrangers.
Le samurai qui gardait Bugaisha avait salué avec respect le convoi, mais on sentait dans son attitude plus un respect obligé que le salut sincère pour des frères de clan. Les samurai de Bugaisha veillaient sur cet endroit perdu à la frontière de l’Empire ; quelles fautes avaient commises ces guerriers ? Trop deshonorés pour faire seppuku, pas assez pour devenir rônin, leur sort était étrange. Les Fortunes du Vent qui tourbillonnaient autour de l’édifice étaient seules témoins des tourments endurés par ces exilés.
Sans regret, les voyageurs laissèrent derrière eux la tour des exilés. Ils passèrent la frontière peu après.
Ils dépassaient la limite jusqu’où pouvait s’étendre le regard divin des Hanteï. Ils s’aventuraient dans un pays sans foi ni loi, chez des peuples exclus de l’Ordre Céleste, dont l’existence avait une valeur bien inférieure à celle du dernier des paysans de Rokugan. Ils sortaient de la limite des cartes.
Le vent soufflait fort dans le dos des Licornes, comme pour les pousser plus vite hors de leur empire.
Si les montagnes des Dragons, d’où Kohei revenait, étaient une région isolée, consacrée à la sagesse très ésotérique des Togashi, il s’agissait encore d’une région de l’Ordre Céleste ; mais dans cette montagne, il n’y avait plus rien de la bénédiction des kamis ; plus rien que des pierres, et du vent qui pétrifie de son souffle froid toutes montagnes et leurs habitants.
Zenzabûro-san ordonna qu’on établît le campement pour la nuit au col de Bugaisha, à une demi-journée de cheval après la tour des exilés. Hommes et montures étaient fatigués. Il fallait ménager tout le monde avant d’entrer sur les terres brûlantes des gaijins.
Le lendemain matin, nos samurai jetèrent un dernier regard en arrière, vers leur contrée, puis ils entreprirent de descendre le chemin difficile qui les menait dans la vallée, vers le pays de la terre, de l’air et du soleil gaijin. Cette lumière-là ne se levait pas pour eux, elle n’était pas la robe et les doigts d’Amateratsu…
- Père, demanda Isawuni le fils aîné, savez-vous si nous allons nous perdre dans ce pays ?
- Ne t’inquiète pas, répondit calmement Zenzabûro-san, et vous tous, ne vous inquiétez pas, lança t-il aux yorikis. Nous portons tous en nous la force que nous procure Hanteï et le galop de dame Shinjo. Elle aussi partit vers l’inconnu jadis. Les Licornes ne craignent pas l’inconnu, car ils conquièrent des territoires pour la gloire de l’Empire d’Emeraude. Nous n’avons rien à craindre de ces gaijins. Ce sont des barbares, mais ils craignent nos lames affûtés et nos techniques de combat. En avant !
Le convoi se remit en marche sur un étroit chemin pierreux. Après avoir traversé l’étroite vallée sans croiser le moindre homme, ils arrivèrent en fin de journée en vue d’un premier village.
Les bâtiments étaient très différents de ceux de Rokugan : ils étaient bâtis en terre cuite, avec des toits plats, sans aucun ornement. Il faisait très chaud. Des femmes, vêtues des pieds à la tête, puisaient de l’eau dans un puits à l’entrée du village. Elles transportaient l’eau dans des grandes jarres posées sur leur tête en équilibre , sans même les tenir avec leurs mains.
Il y avait cinq de ses femmes, qu’un homme armé, le crâne cerné d’un turban, torse nu et habillé d’un pantalon bouffant, surveillait avant de rentrer au village avec elles. Il vit arriver le convoi des samurai, ordonna aux femmes de hâter le pas, puis se posta au milieu de la route. Il tenait fermement sa lance. A sa ceinture luisait un de ces sabres à lame courbe. Il avait le visage très bronzé, presque cuivré comme les roches environnantes.
En tête du convoi, monté sur son grand destrier, Zenzabûro-san s’approcha du garde, lui dit quelques mots et laissa tomber dans sa main une bourse remplie de piécettes. Le garde soupesa la bourse, s’inclina, s’écarta du chemin et fit signe que le passage était libre.
Kohei accéléra le pas de sa monture pour arriver à hauteur de son père. Une fois qu’ils eurent passé le garde, Kohei souffla :
- Mais enfin, père, pourquoi payer un droit de passage alors que nous sommes plus forts !… Nous n’avons pas à redouter un simple gaijin. Moi et mon ami Hiruya, quand nous en avons croisés dans les montagnes du Dragon, nous n’avons pas été gênés pour nous payer autrement un droit de passage ! Ils voulaient nous rançonner ces barbares, mais Hiruya a dégainé plus vite que l’éclair et a tranché en deux l’insolent. J’ai réglé son compte à un deuxième, et les autres se sont enfuis. Pourquoi ne pas avoir fait pareil ?
Zenzabûro avait écouté son fils en souriant.
- Ecoute-moi, Kohei. Ces gaijins-là ne sont pas de la même espèce que ceux que tu as vus chez nos frères Dragons… Nous sommes ici pour leur verser de l’argent… pas pour verser leur sang ! Tu crois que ce garde était seul, mais en réalité, de nombreux observateurs nous épient, cachés dans les roches. Ils nous cribleraient de flèches sans hésiter, car ils savent ce que nous transportons.
Kohei jeta un regard vers la pente. Il ne vit rien bouger. Il fallait que ces défenseurs fussent bien cachés !
- Croyez-moi, père, nous n’avons pas craint d’agir dans pareille situation. Mon ami Hiruya et moi étions sur un chemin tout semblable et nous avions repérés ces vilains brigands : ils se terraient aussi comme des marmottes derrière leurs rochers. Nous avons grimpé la pente comme de vrais destriers et nous sommes allés les déloger de là !…
- Ça suffit, Kohei, intervint Kenzan l'aîné. Tu t’insurges contre l’autorité de ton père ?
- Pas du tout, enfin, je… protesta le jeune homme.
- Laisse-le dire, sourit Zenzabûro, il est normal qu’il soit fier de lui, il a accompli un grand voyage. Mais je dis que lui et son ami Kakita ont été de jeunes inconscients en se lançant à l’attaque dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Heureusement que les bushis Mirumoto étaient là pour vous aider…
- Oh mais ils n’étaient pas là ! reprit Kohei. Nous étions que deux !
- Ça suffit Kohei, dit Isawuni l’aîné, le soleil a dû te taper sur la tête. Tu racontes n’importe quoi !
- Mais je vous assure ! protesta Kohei en cherchant des yeux ceux de son père pour y trouver du soutien.
- Arrêtez de vous disputez, intervint ce dernier. Nous arrivons au village. Tâchons de passer sans faire d’éclat. Nous nous reposerons après.
- Vous connaissez la région, père ? demanda Isawuni.
- Oui, le seigneur Kanjiro m’y a déjà envoyé. Je sais qu’après ce village se trouve un lac avec des arbres près de la rive. Nous y serons bien, à l’ombre, pour nous reposer. Après, nous aurons encore un long chemin à parcourir pour arriver à la forteresse du sultan Alqasim.
- Qui est-ce donc ? demandèrent les trois frères.
- C’est le seigneur de ces vallées, le daïmyo en quelque sorte. Mais les gaijins lui donnent le titre de « sultan ». Nous devrons nous comporter avec lui comme avec Kanjiro-san.
- Mais ce n’est qu’un vil gaijin un peu plus riche que les autres ! protesta Kohei.
- Suffit mon fils, coupa Zenzabûro. Les guerriers du sultan sont redoutables. D’ailleurs, je ne crois pas me tromper en disant que tu auras l’occasion de voir une démonstration de leur art de la guerre. Hâtons-nous maintenant, nous avons tous besoin de nous rafraîchir !
A suivre...
I : Où nos héros quittent Rokugan pour les montagnes gaijins
Le grand ouest est le grand désert et les plaines brûlantes, où vivent en nomades les campements et les caravanes de gaijins. Leurs chevaux sont aussi des destriers licornes, et leurs grandes lames courbes flamboient au soleil. Quand ils ne montent pas de chevaux, ils vont sur des animaux très laids et bossus, des montures déformées par leur bosse. Leurs vêtements sont faits de tissus et de couleurs inconnus à Rokugan ; leur langue est barbare, leur pays est étrange, hostile ; leur peau est cuivrée, leurs visages poilus, et leur horizon est encore bien plus lointain que celui sur lequel Dame Soleil se couche. Si un cavalier malheureux, ou un samurai exilé, part trop loin vers l’ouest, il perdra complètement de vue l’Empire d’Emeraude, il finira par tomber après avoir atteint les bords du monde, ou il sera frappé de folie par le caprice de Fortunes sauvages.
Le convoi au service du daïmio Kanjiro était mené par Shinjo Zenzabûro et ses trois fils, accompagné de six yorikis, avec une charrette transportant les équipements de voyage et le coffretrempli des kokus.
Cette troupe laissait maintenant derrière elle Bugaisha, le donjon des étrangers. Dans cette tour branlante, ouverte à tous vents, veillaient des bushis Licornes déshonorés, qui n’avaient aucun espoir de revoir leurs contrées. Ils étaient à peine mieux considérés que des étrangers.
Le samurai qui gardait Bugaisha avait salué avec respect le convoi, mais on sentait dans son attitude plus un respect obligé que le salut sincère pour des frères de clan. Les samurai de Bugaisha veillaient sur cet endroit perdu à la frontière de l’Empire ; quelles fautes avaient commises ces guerriers ? Trop deshonorés pour faire seppuku, pas assez pour devenir rônin, leur sort était étrange. Les Fortunes du Vent qui tourbillonnaient autour de l’édifice étaient seules témoins des tourments endurés par ces exilés.
Sans regret, les voyageurs laissèrent derrière eux la tour des exilés. Ils passèrent la frontière peu après.
Ils dépassaient la limite jusqu’où pouvait s’étendre le regard divin des Hanteï. Ils s’aventuraient dans un pays sans foi ni loi, chez des peuples exclus de l’Ordre Céleste, dont l’existence avait une valeur bien inférieure à celle du dernier des paysans de Rokugan. Ils sortaient de la limite des cartes.
Le vent soufflait fort dans le dos des Licornes, comme pour les pousser plus vite hors de leur empire.
Si les montagnes des Dragons, d’où Kohei revenait, étaient une région isolée, consacrée à la sagesse très ésotérique des Togashi, il s’agissait encore d’une région de l’Ordre Céleste ; mais dans cette montagne, il n’y avait plus rien de la bénédiction des kamis ; plus rien que des pierres, et du vent qui pétrifie de son souffle froid toutes montagnes et leurs habitants.
Zenzabûro-san ordonna qu’on établît le campement pour la nuit au col de Bugaisha, à une demi-journée de cheval après la tour des exilés. Hommes et montures étaient fatigués. Il fallait ménager tout le monde avant d’entrer sur les terres brûlantes des gaijins.
Le lendemain matin, nos samurai jetèrent un dernier regard en arrière, vers leur contrée, puis ils entreprirent de descendre le chemin difficile qui les menait dans la vallée, vers le pays de la terre, de l’air et du soleil gaijin. Cette lumière-là ne se levait pas pour eux, elle n’était pas la robe et les doigts d’Amateratsu…
- Père, demanda Isawuni le fils aîné, savez-vous si nous allons nous perdre dans ce pays ?
- Ne t’inquiète pas, répondit calmement Zenzabûro-san, et vous tous, ne vous inquiétez pas, lança t-il aux yorikis. Nous portons tous en nous la force que nous procure Hanteï et le galop de dame Shinjo. Elle aussi partit vers l’inconnu jadis. Les Licornes ne craignent pas l’inconnu, car ils conquièrent des territoires pour la gloire de l’Empire d’Emeraude. Nous n’avons rien à craindre de ces gaijins. Ce sont des barbares, mais ils craignent nos lames affûtés et nos techniques de combat. En avant !
Le convoi se remit en marche sur un étroit chemin pierreux. Après avoir traversé l’étroite vallée sans croiser le moindre homme, ils arrivèrent en fin de journée en vue d’un premier village.
Les bâtiments étaient très différents de ceux de Rokugan : ils étaient bâtis en terre cuite, avec des toits plats, sans aucun ornement. Il faisait très chaud. Des femmes, vêtues des pieds à la tête, puisaient de l’eau dans un puits à l’entrée du village. Elles transportaient l’eau dans des grandes jarres posées sur leur tête en équilibre , sans même les tenir avec leurs mains.
Il y avait cinq de ses femmes, qu’un homme armé, le crâne cerné d’un turban, torse nu et habillé d’un pantalon bouffant, surveillait avant de rentrer au village avec elles. Il vit arriver le convoi des samurai, ordonna aux femmes de hâter le pas, puis se posta au milieu de la route. Il tenait fermement sa lance. A sa ceinture luisait un de ces sabres à lame courbe. Il avait le visage très bronzé, presque cuivré comme les roches environnantes.
En tête du convoi, monté sur son grand destrier, Zenzabûro-san s’approcha du garde, lui dit quelques mots et laissa tomber dans sa main une bourse remplie de piécettes. Le garde soupesa la bourse, s’inclina, s’écarta du chemin et fit signe que le passage était libre.
Kohei accéléra le pas de sa monture pour arriver à hauteur de son père. Une fois qu’ils eurent passé le garde, Kohei souffla :
- Mais enfin, père, pourquoi payer un droit de passage alors que nous sommes plus forts !… Nous n’avons pas à redouter un simple gaijin. Moi et mon ami Hiruya, quand nous en avons croisés dans les montagnes du Dragon, nous n’avons pas été gênés pour nous payer autrement un droit de passage ! Ils voulaient nous rançonner ces barbares, mais Hiruya a dégainé plus vite que l’éclair et a tranché en deux l’insolent. J’ai réglé son compte à un deuxième, et les autres se sont enfuis. Pourquoi ne pas avoir fait pareil ?
Zenzabûro avait écouté son fils en souriant.
- Ecoute-moi, Kohei. Ces gaijins-là ne sont pas de la même espèce que ceux que tu as vus chez nos frères Dragons… Nous sommes ici pour leur verser de l’argent… pas pour verser leur sang ! Tu crois que ce garde était seul, mais en réalité, de nombreux observateurs nous épient, cachés dans les roches. Ils nous cribleraient de flèches sans hésiter, car ils savent ce que nous transportons.
Kohei jeta un regard vers la pente. Il ne vit rien bouger. Il fallait que ces défenseurs fussent bien cachés !
- Croyez-moi, père, nous n’avons pas craint d’agir dans pareille situation. Mon ami Hiruya et moi étions sur un chemin tout semblable et nous avions repérés ces vilains brigands : ils se terraient aussi comme des marmottes derrière leurs rochers. Nous avons grimpé la pente comme de vrais destriers et nous sommes allés les déloger de là !…
- Ça suffit, Kohei, intervint Kenzan l'aîné. Tu t’insurges contre l’autorité de ton père ?
- Pas du tout, enfin, je… protesta le jeune homme.
- Laisse-le dire, sourit Zenzabûro, il est normal qu’il soit fier de lui, il a accompli un grand voyage. Mais je dis que lui et son ami Kakita ont été de jeunes inconscients en se lançant à l’attaque dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Heureusement que les bushis Mirumoto étaient là pour vous aider…
- Oh mais ils n’étaient pas là ! reprit Kohei. Nous étions que deux !
- Ça suffit Kohei, dit Isawuni l’aîné, le soleil a dû te taper sur la tête. Tu racontes n’importe quoi !
- Mais je vous assure ! protesta Kohei en cherchant des yeux ceux de son père pour y trouver du soutien.
- Arrêtez de vous disputez, intervint ce dernier. Nous arrivons au village. Tâchons de passer sans faire d’éclat. Nous nous reposerons après.
- Vous connaissez la région, père ? demanda Isawuni.
- Oui, le seigneur Kanjiro m’y a déjà envoyé. Je sais qu’après ce village se trouve un lac avec des arbres près de la rive. Nous y serons bien, à l’ombre, pour nous reposer. Après, nous aurons encore un long chemin à parcourir pour arriver à la forteresse du sultan Alqasim.
- Qui est-ce donc ? demandèrent les trois frères.
- C’est le seigneur de ces vallées, le daïmyo en quelque sorte. Mais les gaijins lui donnent le titre de « sultan ». Nous devrons nous comporter avec lui comme avec Kanjiro-san.
- Mais ce n’est qu’un vil gaijin un peu plus riche que les autres ! protesta Kohei.
- Suffit mon fils, coupa Zenzabûro. Les guerriers du sultan sont redoutables. D’ailleurs, je ne crois pas me tromper en disant que tu auras l’occasion de voir une démonstration de leur art de la guerre. Hâtons-nous maintenant, nous avons tous besoin de nous rafraîchir !
A suivre...
