22-02-2004, 12:35 AM
AFTERNOON IN JUNE
- C’est à peine concevable... Comment a t-elle pu oublier ce rendez-vous ?
Assis à la terrasse d'un café du quartier latin, Frédéric tournait en tous sens l'idée qu'Elisabeth ne soit pas venue à Guernesey. Il sirotait une bière ; il savourait sa fraîcheur par ce temps chaud qui pesait sur la capitale.
- Et moi qui jouais le bel amoureux impatient... j'en suis pour mes frais. Belle matinée pourtant…
Et la journée lui paraissait d'autant plus monotone que le soleil qui avait dissipé la brume du matin était porteur de promesses...
- J'étais beau à jouer le contemplateur hugolien... Vagues qui grondent, clameurs de l'océan... l'emphase étendue à l'infinie, la grandiloquence des flots. Beaucoup de vent, beaucoup d'eau, et tout ça pour le grandiose, l'enflé... A l'eau ! à l'eau ! Ah les abîmes de l'impatience... Et l'inquiétude me ronge.
Il se fit servir une autre bière. Il avait appelé à nouveau sur le portable d'Elisabeth : répondeur encore une fois.
L'agacement laissait peu à peu la place à l'inquiétude. Tout ce temps qui filait, tout ce bon temps, précieux comme l'or, qui coulait entre ses doigts... Frédéric ne savait plus du tout quoi faire de sa journée. Ses idées tournaient en rond dans sa tête. S'il avait essayé de trouver une occupation, il aurait aussi tourné en rond.
Qui penserait à fonder l'association des gens désoeuvrés ? Et l'oisiveté commençait à lui coûter cher.
Est-ce que le mot oisiveté avait un quelconque rapport avec le mot oiseau ?
En latin, oisiveté est otium... Et l'oiseau ? Pajaro en espagnol... Et en latin ?
Oiseau ? Oisiveté ? Oiseau tombé du nid ?…
Belle journée parisienne. Les rues colorées par la foule, la chaleur mécanique des voitures, les promeneurs le long de la Seine, la foule au pied de Notre-Dame, la Seine qui coule, toute froissée.
Frédéric tourna en rond dans le quartier : il rentrait chez les disquaires, écoutait la musique, rap, reggae, metal, des tempos souvent trop ordinaires… Il ressortait pour aller regarder les affiches des cinémas ou les vitrines des magasins. Il mangea une crêpe ici, but un thé là. Il passa dans de petites rues désertes : leurs restaurants, leurs maisons d’éditions, leurs hôtels particuliers, leurs boutiques d’artisanat…
Il y avait eu dans le lever de soleil sur les îles de la Manche une vitesse sereine qui réjouit son homme. Mais la lenteur de l’après-midi reléguait dans un passé lointain cette mâtinée. Et quand le temps s’échappe, indifférent, il nous laisse emprisonnés dans une lenteur… avant de nous laisser comprendre que tout a passé trop vite.
Tuer le temps, s’y user, comme pour le rocher continuellement léché par la mer…

Frédéric ne savait plus quoi inventer pour se distraire cette après-midi là. Son attente était pendue à son téléphone. Allait-il finir par sonner, oui ou non ?… Il enrageait.
- Allô, oui c’est encore moi. Alors ? Qu’est-ce que tu fais ? Je m’inquiète ! Je tourne en rond depuis des heures. A cette heure-ci, on devrait être ensemble en Angleterre. Et je perds mon temps à Paris. Qu’est-ce qui a bien pu t’empêcher de venir ? Tu ne me feras plus un coup pareil !… Bon, rappelle-moi vite, ça me fera le plus grand bien.
Frédéric savait qu’il ne retrouverait la fraîcheur qu’à la tombée de la nuit. Quel gâchis… Le soleil était plus bas dans le ciel. Il rasait le haut des arbres du jardin des Tuileries.
Des enfants couraient en tout sens. Au loin, au bout de l’axe, l’arche de la Défense. Des Noirs vendaient leurs bibelots (tours Eiffels, montres, cartes postales, bijoux…) remballant leur tapis et leurs montres tombées de camion dès l’approche d’une patrouille de police.
L’orangé brillait dans le verre de la pyramide du Louvre, et sur toutes les statues qui contemplaient les touristes. Frédéric passa aux pieds de la statue de Le Bernin, hocha la tête de désapprobation. Il photographia à leur demande un couple de Japonais.
Il était bientôt 18 heures. Il décida qu’il avait assez tourné en rond. Il s’en lassait plus vite que la grande roue des Tuileries… Il rentra en métro chez lui, dans le 13e arrondissement. Les rues se remplissaient de monde : la fête de la musique avait lieu le soir même.
Il se disait qu’Elisabeth allait bien finir par le rappeler : il l’inviterait au restaurant chinois pour rattraper cette journée ratée. Ou plutôt non : il se ferait inviter pour dédommagement du voyage à Guernesey !

Arrivé chez lui, il appela au manoir de la comtesse Bathory, à côté de l’Eglise de la Madeleine. Il n’y avait personne. Généralement Constance Bathory n’était pas joignable en journée. D’ailleurs (Frédéric le remarqua soudain), elle n’était jamais joignable en journée. Paraît-il qu’elle avait un agenda de ministre… C’est ce qu’Elisabeth disait.
Frédéric s’était assis à son bureau. Il consulta sa boîte aux lettres sur Internet.
Il avait reçu un message. Expéditeur inconnu. Ce n’était pas de la publicité apparemment.
Le titre du message était : « Urgent pour F. Lorrain : au sujet d’Elisabeth ! ! ! »
Le sang de Frédéric fit un tour. Il ouvrit le message…
Il ne contenait qu’un numéro de téléphone portable, et ce post-scriptum : « Elisabeth Poussin est en danger de mort. Si vous voulez la sauver… appelez-moi. »
En d’autres temps, Frédéric aurait accueilli avec colère une blague de si mauvais goût.
Il se précipita sur son téléphone, le cœur battant, alors qu’une froide peur lui montait dans tout le corps.
[i]A suivre...
- C’est à peine concevable... Comment a t-elle pu oublier ce rendez-vous ?
Assis à la terrasse d'un café du quartier latin, Frédéric tournait en tous sens l'idée qu'Elisabeth ne soit pas venue à Guernesey. Il sirotait une bière ; il savourait sa fraîcheur par ce temps chaud qui pesait sur la capitale.
- Et moi qui jouais le bel amoureux impatient... j'en suis pour mes frais. Belle matinée pourtant…
Et la journée lui paraissait d'autant plus monotone que le soleil qui avait dissipé la brume du matin était porteur de promesses...
- J'étais beau à jouer le contemplateur hugolien... Vagues qui grondent, clameurs de l'océan... l'emphase étendue à l'infinie, la grandiloquence des flots. Beaucoup de vent, beaucoup d'eau, et tout ça pour le grandiose, l'enflé... A l'eau ! à l'eau ! Ah les abîmes de l'impatience... Et l'inquiétude me ronge.

Il se fit servir une autre bière. Il avait appelé à nouveau sur le portable d'Elisabeth : répondeur encore une fois.
L'agacement laissait peu à peu la place à l'inquiétude. Tout ce temps qui filait, tout ce bon temps, précieux comme l'or, qui coulait entre ses doigts... Frédéric ne savait plus du tout quoi faire de sa journée. Ses idées tournaient en rond dans sa tête. S'il avait essayé de trouver une occupation, il aurait aussi tourné en rond.
Qui penserait à fonder l'association des gens désoeuvrés ? Et l'oisiveté commençait à lui coûter cher.
Est-ce que le mot oisiveté avait un quelconque rapport avec le mot oiseau ?
En latin, oisiveté est otium... Et l'oiseau ? Pajaro en espagnol... Et en latin ?
Oiseau ? Oisiveté ? Oiseau tombé du nid ?…

Belle journée parisienne. Les rues colorées par la foule, la chaleur mécanique des voitures, les promeneurs le long de la Seine, la foule au pied de Notre-Dame, la Seine qui coule, toute froissée.
Frédéric tourna en rond dans le quartier : il rentrait chez les disquaires, écoutait la musique, rap, reggae, metal, des tempos souvent trop ordinaires… Il ressortait pour aller regarder les affiches des cinémas ou les vitrines des magasins. Il mangea une crêpe ici, but un thé là. Il passa dans de petites rues désertes : leurs restaurants, leurs maisons d’éditions, leurs hôtels particuliers, leurs boutiques d’artisanat…
Il y avait eu dans le lever de soleil sur les îles de la Manche une vitesse sereine qui réjouit son homme. Mais la lenteur de l’après-midi reléguait dans un passé lointain cette mâtinée. Et quand le temps s’échappe, indifférent, il nous laisse emprisonnés dans une lenteur… avant de nous laisser comprendre que tout a passé trop vite.
Tuer le temps, s’y user, comme pour le rocher continuellement léché par la mer…

Frédéric ne savait plus quoi inventer pour se distraire cette après-midi là. Son attente était pendue à son téléphone. Allait-il finir par sonner, oui ou non ?… Il enrageait.
- Allô, oui c’est encore moi. Alors ? Qu’est-ce que tu fais ? Je m’inquiète ! Je tourne en rond depuis des heures. A cette heure-ci, on devrait être ensemble en Angleterre. Et je perds mon temps à Paris. Qu’est-ce qui a bien pu t’empêcher de venir ? Tu ne me feras plus un coup pareil !… Bon, rappelle-moi vite, ça me fera le plus grand bien.
Frédéric savait qu’il ne retrouverait la fraîcheur qu’à la tombée de la nuit. Quel gâchis… Le soleil était plus bas dans le ciel. Il rasait le haut des arbres du jardin des Tuileries.
Des enfants couraient en tout sens. Au loin, au bout de l’axe, l’arche de la Défense. Des Noirs vendaient leurs bibelots (tours Eiffels, montres, cartes postales, bijoux…) remballant leur tapis et leurs montres tombées de camion dès l’approche d’une patrouille de police.
L’orangé brillait dans le verre de la pyramide du Louvre, et sur toutes les statues qui contemplaient les touristes. Frédéric passa aux pieds de la statue de Le Bernin, hocha la tête de désapprobation. Il photographia à leur demande un couple de Japonais.
Il était bientôt 18 heures. Il décida qu’il avait assez tourné en rond. Il s’en lassait plus vite que la grande roue des Tuileries… Il rentra en métro chez lui, dans le 13e arrondissement. Les rues se remplissaient de monde : la fête de la musique avait lieu le soir même.
Il se disait qu’Elisabeth allait bien finir par le rappeler : il l’inviterait au restaurant chinois pour rattraper cette journée ratée. Ou plutôt non : il se ferait inviter pour dédommagement du voyage à Guernesey !

Arrivé chez lui, il appela au manoir de la comtesse Bathory, à côté de l’Eglise de la Madeleine. Il n’y avait personne. Généralement Constance Bathory n’était pas joignable en journée. D’ailleurs (Frédéric le remarqua soudain), elle n’était jamais joignable en journée. Paraît-il qu’elle avait un agenda de ministre… C’est ce qu’Elisabeth disait.
Frédéric s’était assis à son bureau. Il consulta sa boîte aux lettres sur Internet.
Il avait reçu un message. Expéditeur inconnu. Ce n’était pas de la publicité apparemment.
Le titre du message était : « Urgent pour F. Lorrain : au sujet d’Elisabeth ! ! ! »
Le sang de Frédéric fit un tour. Il ouvrit le message…
Il ne contenait qu’un numéro de téléphone portable, et ce post-scriptum : « Elisabeth Poussin est en danger de mort. Si vous voulez la sauver… appelez-moi. »
En d’autres temps, Frédéric aurait accueilli avec colère une blague de si mauvais goût.
Il se précipita sur son téléphone, le cœur battant, alors qu’une froide peur lui montait dans tout le corps.
[i]A suivre...
