23-03-2012, 05:18 PM
(This post was last modified: 24-03-2012, 05:12 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
- Le patron est de sortie ce soir...
Yojiro finissait les restes dans les cuisines. Autour de lui,se pressaient marmitons et servantes, à la lumière des restes de bougie de la réception des Kitsu. Entre deux bouchées, le rônin contait quelques-uns de ses nombreuse aventures.
- C'est vrai que sans moi, quelqu'un comme l'ambassadeur Mitsurugi n'en serait pas là où il est, vous voyez... Resservez-moi donc du vin, j'ai soif à force de parler.
On lui amenait un cruchon et un coupe.
- Oui, moi je les connais un peu ces grands seigneurs... De loin, ils sont impressionnants. Mais de près, hé bien à la fois ils sont comme nous, mais aussi, ils sont incroyablement supérieurs. Moi j'ai la chance de les fréquenter, je sais de quoi je parle...
On l'admirait, on le sentait nimbé de l'aura du beau monde qu'il côtoyait.
- Yojiro-san, dites-nous quel est le pire monstre que vous avez combattu ?
- Le pire, ah non, je ne peux pas en parler... Vous n'en dormiriez plus de la nuit mes pauvres amis.
- Allez, dites-nous !
- Ah non, non ! C'est trop infâme !
- A ce point ?
- Vous n'avez pas idée... A en perdre aussi l'appétit !
Un soldat entra brusquement :
- Attention, un incendie en ville ! Il a l'air de se propager rapidement...
Les serviteurs coururent au puits organiser la chaîne d'eau en prévention de l'arrivée des flammes.
- Un incendie par un temps si humide ? dit Yojiro.
Il monta sur les remparts avec le soldat Matsu :
- Regarde, il se répand tellement vite, mais a l'air de s'éteindre... On dirait comme une traînée de feu d'artifices...
- Qu'est-ce donc ? demandait un officier, qu'on venait de tirer de son sommeil. De la lave ?
- Ou bien une sorte de comètes ?
- Un esprit du feu ?
- Non, dit Yojiro, je sais ce que c'est...
Il soupira et descendit chercher ses armes. Il avait deviné que la traînée incandescente qui se rapprochait du palais n'était autre que Sasuke, arrivant à grand pas pour une mission nocturne.
- Je le connais, le conseiller, quand il est comme ça, c'est qu'on ne dormira pas avant l'aube.
Les espions de Tangen postés sur les toits n'avaient pas de mal à surveiller Sasuke !
- Yojiro !
Comme l'impétueux shugenja franchissait les portes du palais des Lions, Yojiro se tenait déjà prêt.
- Dire qu'il va falloir courir et que je viens de manger..
- Yojiro ! Nous partons !... Tu es déjà prêt ?
- Oui. Une prémonition... Je vais avancer votre palanquin ?
- Inutile car nous partons incognitos...
Et, toujours enrobé d'une aura de flammes, il repassa à grandes enjambées la porte, avec Yojiro qui lui emboîtait le pas, sous les regards compatissants des serviteurs et soldats.

Kokamoru avait fait le bravache une fois de trop ! On ne provoquait pas Sasuke inutilement, surtout quand il était venu chercher le premier la provocation ! Il allait enflammer les ténèbres jusqu'au fin fond de la nuit s'il le fallait pour détruire la menace représentée par ces ombres, ravager l'obscurité, brûler les serviteurs ignobles de cette chose maudite...
- Conduis-nous au pont du Dragon, Yojiro...
- Celui au sud de la baie ?
- il y a plusieurs ponts du Dragon ? Non, alors au pont du Dragon...
Ils traversèrent le quartier noble d'un bon pas, Sasuke profitant de son laissez-passer diplomatique pour ouvrir les portes à grande volée. A peine s'il saluait les soldats... Il n'était pas temps de retarder la flamme de la justice en marche !
- Mon seigneur est pressé, insistait Yojiro, qui s'occupait des formalités.
Les soldats, réveillés au creux de la nuit, bâillaient, inspectaient les papiers et partaient se recoucher.
- Rien ne nous arrête, tu vois... Pas même les formalités Scorpions !
- Nous avons survécu à pire...
- Là où nous allons ce soir, Yojiro, j'aime autant te prévenir que nous y risquons notre peau, mais aussi notre honneur...
- Quel serait l'intérêt de sortir à une heure pareille ? Où allons-nous ? Sur l'île de la larme ?
- Mais non, tu n'y es pas... Nous avons mieux à faire que ces bagatelles !
- Hmm, dommage, cela m'aurait bien convenu, songea Yojiro.
Ils arrivaient sur le pont. Une chaloupe de soldats passait en-dessous lentement, en silence. Sasuke dit à Yojiro de ne plus bouger. Il ne fallait pas faire grincer une latte du pont. Quand les soldats se furent éloignés, Sasuke jeta une pierre dans l'eau. Rien ne remuait, pas un poisson.
- Ce n'est pas la baie du poisson mort pour rien, dit Yojiro.
- Les poissons ne sont pas tous crevés là-dedans tout de même, non ?
- Ils doivent dormir...
Contrarié, Sasuke s'appuya à la rambarde. Il inspectait l'eau, inquiet.
- Que cherchons-nous exactement ? murmura Yojiro.
- L'entrée d'une cité cachée...
- Cachée où ?
Sasuke regarda Yojiro comme si la réponse allait de soi :
- Sous l'eau voyons...
Une autre barque arrivait, trois lanternes à l'avant, qui éclairaient si peu qu'on aurait cru qu'elles dérivaient sur l'eau. Sasuke s'assit contre la rambarde, Yojiro fit de même... Ils restèrent immobiles tant que les lumières ne se furent pas éloignées sur la baie.
Quand Sasuke se releva, il devina un homme sur le pont. Un souffle glacial provenait de lui :
- Qu'est-ce que c'est que ça ? dit Yojiro, la main au sabre.
- Kokamoru...
Le Scorpion émit un bref ricanement et sauta dans l'eau. Il s'y s'enfonça sans un bruit.
- Le misérable nous montre le chemin...
L'eau s'était mise à remuer ; des lueurs remontaient à la surface, comme des bulles d'air. Bleuâtres, elles n'éclataient pas, formant une mousse compacte, comme des milliers d'yeux morts...
. Qu'est-ce que c'est encore que ce maléfice ?
- Ferme les yeux et la bouche, Yojiro... Nous y allons.
- Comment ?
Sasuke se hissa sur la rambarde. Il serra les poings, regarda ces eaux gluantes, prit une inspiration et sauta.
Yojiro s'était précipité trop tard pour le retenir. Il contempla cette sorte de marécage en formation, fit une moue de dégoût. Il soupira sur son sort puis partit rejoindre Sasuke, au fond des choses...
La mousse disparut quand le rônin eut plongé. Les espions arrivaient en courant.
- Ils ont plongé là ! Avertis le maître...
- Inutile, le voilà déjà.
Tangen arriva à grands pas.
- Maudit shugenja... Il poursuivait Kokamoru, évidemment. Où a t-il pu t'emmener ?
Le conseiller se drapa dans son lourd manteau et repartit prestement, serrant dans sa main son pendentif en cristal.

Un vent glacial soufflait sur le sol de marbre tout lisse. A perte de vues, ce grand dallage sans défaut. Le ciel était liquide : on y devinait des reflets, ceux de la lointaine Cité des Mensonges, très haut, comme dans un autre monde. Sasuke venait d'arriver dans ce monde sans vie. Il lui semblait qu'il courait depuis des heures après Kokamoru : celui-ci le narguait ; il s'éloignait dès que le shugenja approchait. On aurait cru qu'ils étaient condamnés à cette course absurde jusqu'à la fin des temps. Des colonnes se dressaient, solitaires, des têtes sculptées dans la roche, des tumulus, des rivières gelées. Sasuke s'acharnait à travers le brouillard frais ; le dallage disparaissait dans un désert bleu. De grandes mains agrippant un objet imaginaire sortaient des dunes. Des méduses dansaient dans les airs. Il faisait de plus en plus clair : le ciel était luisant, comme l'eau d'un lac l'hiver. Le sable virait au blanc ; les visions difformes se succédaient. Le crépuscule arrivait : il tombait en quelques minutes et c'était à nouveau la nuit après ce jour étrange.
Sasuke arrivait dans un village empli de vieillards claquant des dents : des rokuro-kubi ! Des vieillards du remords, morts tourmentés, revenus chez les vivants pour les persécuter ! Ces déchets d'hommes aux mâchoires décharnées aboyaient en un choeur effrayant. Yojiro sortait d'une maison, rejetant à coups de manches de sabres les spectres aux gueules féroces.
Des Scorpions sortaient d'un palais, pressés, farouches, s'éparpillaient dans les rues. En tournant au coin d'une ruelle, Sasuke et Yojiro découvraient un énorme quartier d'eta, à moitié englouti dans un marais aux odeurs infects. Les rues étaient inondées, des maisons coulaient dans la vase. Les plus gros bâtiments étaient envahis par les algues, rongés par la moisissures, lentement digérés par les sables mouvants. Des rokuro-kubi y agonisaient en silence : leurs pathétiques mâchoires semblaient vivre une vie propre, appeler en vain à l'aide. Kokamoru apparaissait à un coin de rue ou un autre, brièvement. Yojiro repoussait des mégères qui hurlaient à la mort, des enfants aux cris d'orfraie.
Ils traversèrent les eaux épaisses, en marchant sur des crânes qui montaient et descendaient. Derrière eux, la cité finissait de s'enfoncer dans la boue.
Ils suivent la trace de Kokamoru sur un chemin de campagne désert. Le vent qui souffle contre eux apporte des morceaux de parchemins ; bientôt, la campagne a disparu à son tour et les voici prisonniers d'un bâtiment énormes, une réplique de la bibliothèque des Bayushi, qui semble taillée dans des morceaux du ciel nocturne, édifice de voie lactée... Il y a des escaliers dans tous les sens, qui montent, descendent ; certains penchés ; d'autres ne mènent à rien, sont juste suspendus dans le vide. Des rayonnages de bois blancs sont à moitié calcinés : il ne reste rien des rouleaux qui ont dû sommeiller avant pendant des siècles, avant de finir en poussière. Des livres fantômes, des souvenirs de savoirs perdus. Les esprits des lecteurs traversent encore ces rayons, déambulant au hasard.
- Regarde par ici, murmure Kokamoru... Regarde le vieillard sénile reclus dans cette pièce, au fond, comme un prisonnier sans gardien, qui rédige l'ouvrage qui sera bientôt enfermé au fond de l'"enfer"... Le nom de ce lucide explorateur des ombres est Goju... Toi, d'avoir entendu ce nom, tu es lié à présent à sa malédiction. Jette un oeil sur son ouvrage : les Agonies Célestes ! Il raconte la mort du monde. Le moment de la chute des dernières étoiles, de la mort du dernier esprit. Cette pièce est hors du temps.
Sasuke marche dans l'allée et voit deux samuraï se battre en duel, acharnés.
- L'un a pour nom Shosuro Emmon. Caché derrière le masque du Cristal, il sera le fléau des Ombres, beau jeune homme voué à combattre des ennemis sans visage. L'autre a pour nom Riobe. Guerrier déchu, il a voué une haine féroce à Emmon... Ceci n'aura lieu que dans bien des siècles mais, dans la pièce de Goju, le temps est annulé ! Regarde, voilà que la tête d'Emmon roule à terre puis, Riobe, à son tour, est capturé, exécuté devant le nouvel Empereur Toturi... Cela a déjà eu lieu dans un avenir lointain, que tu ne peux rien faire pour empêcher... Tu t'agites en vain, Sasuke, comme si tes flammes n'allaient pas s'éteindre un jour, comme si le Phénix pouvait sans cesse renaître.
"Regarde ce planisphère. Tu y vois l'astre qui gravite autour de notre planète, la Lune, qui se fendille et révèle, tapi dans le vide, l'Ombre d'où a surgi le monde, le soleil, les étoiles et la poussière dont tu es fait.
"Dans ces abysses, rien ne compte plus... Vois, elle... ta descendante lointaine. Le germe de corruption qui est en toi germera pendant plusieurs réincarnations et finira par éclore avec elle. Elle se nomme Isawa Ayame : victime de sa curiosité folle, elle plongera son regard dans les Agonies Célestes. Elle en perdra toute raison d'espérer.
Sasuke ne peut pas parler à Ayame. Il l'aperçoit, occupée à sa lecture, tandis que l'eau monte. Les rayonnages moisis craquent, croulent, s'effondrent. Yojiro dit qu'il faut partir. Sasuke appelle encore : Ayame ne l'entend pas. La bibliothèque va être engloutie.
Les deux samuraï font demi-tour. Une vague déferle, fracasse les étagères et balaye sur son passage nos deux héros. Ils se sentent couler. et d'un coup, se réveillent sur la rive de la baie.
Les oiseaux chantent dans les arbres. Des pêcheurs sortent de chez eux. Le ciel bleuit. Les fêtards rentrent de l'île de la Larme. La Cité s'éveille...
- Rentrons, murmure Sasuke.
Sur le pont, Kokamoru agonise devant le soleil qui se lève.
Le lendemain matin, Sasuke est sur le départ. Il n'a plus rien à faire dans cette capitale. Il part à cheval. Le palanquin le ralentirait trop.
- Nous allons partir au galop, Yojiro. Sois prêt à pousser ta monture à bout. Nous devons rejoindre Mitsurugi...
- Il est parti il y a de cela quatre jours !
- Je veux le tenir au courant de la suite de notre trajet.
- Parce que nous n'allons pas à la Cité des Apparences ?
- Non, bien plus au nord... Chez les Dragons...
Yojiro sait qu'il ne faut pas en demander plus.
- Voyageons léger... Nous trouverons de la nourriture en chemin. Espérons que les cols soient praticables en cette saison.
- Nous verrons bien si l'armée du général est passée. S'ils sont passés, nous passerons...
- Nous pourrions tenter notre chance par le col de Beiden.
- Non, les éclaireurs sont formels, Sasuke-san. Personne ne passe.
- Alors nous passeront par les terres Soshi.
- Ces terres de malheurs... Que de souvenirs là-bas.
- Nous y passerons trop vite pour avoir le temps d'y dormir !