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22-08-2009, 12:33 PM
(This post was last modified: 24-08-2009, 06:37 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Le soir venu, Goemon se présenta au palais d'Ivoire et demanda à être reçu par le conseiller de l'ambassadeur Mitsurugi.
Dans les rues de la ville commençait une fête populaire, la célébration de la Fortune des Moissons, qu'on priait une première fois, environ un mois avant les récoltes. La fête commençait par le carnaval. Les commerçants tiraient des feux d'artifices. Des troupes de bateleurs, de jongleurs et de comédiens envahissaient les rues. Les enfants restaient dehors plus tard que d'habitude. Le dragon en papier était de sorti, ainsi que des effigies à toutes sortes de fortunes domestiques.
La liesse populaire s'accompagnait de la parade très populaire des taverniers, qui distribuaient du saké et de la bière dans les rues. Les samuraï Yasuki se mêlaient à la fête, de même que de nombreux bushi Hida permissionnaires. Les autres clans se tenaient à l'écart de ce genre de ripailles vulgaires -à l'exception d'agents Scorpions qui en profitaient pour faire boire les gens et récolter des informations !
- Tu me dis que tu as vu ce samuraï avec la femme de ce dignitaire Grue ?...
- Comme je vous vois !
- Bien, prends cette pièce et amuse-toi... Et oublie que tu m'as parlé.
- L'alcool s'en chargera !
Mamoru déambulait dans les rues de la ville en compagnie de Yojiro. Les deux rônins ne voulaient pas se priver de ses réjouissances.
- Ho, puissant guerrier !
C'était un petit homme maquillé qui alpaguait Mamoru depuis sa roulotte.
- Viens, viens... Viens découvrir l'avenir...
Yojiro bâilla :
- Vas-y si tu veux, moi ces charlatans m'ennuient. Je t'attends à la taverne d'en face.
Il y régnait une joyeuse ambiance : on se racontait encore les aventures de l'Ize-Zumi qui cherche un nuage !
Mamoru s'approcha de la roulotte et le petit homme se pliait en deux et le priait de rentrer.
- Mon spectacle va te charmer, noble samuraï !
Le rônin entra dans le petit théâtre. Par la roulotte, il venait d'entrer dans une petite bâtisse contiguë. Il y avait une dizaine de tatamis disposés au sol devant une scène. Le rideau était levé et la scène était vide.
Il s'assit au premier rang et attendit. Il sentit soudain une présence derrière lui. Il se retourna et eut le souffle coupé.
Il y avait quatre personnages derrière lui, d'aspects fantomatiques, entourés d'une aura verdâtre.
- Salutation, Yasashiro...
C'était son nom quand il était encore samuraï. Et celui qui venait de s'adresser à lui était l'ancien chef de sa troupe ! Et les autres étaient là aussi.
Ceux qu'il avait rencontrés au sortir de la vallée des Soshi !
C'était Hida Eizan qui lui parlait, son chef...
- Ne t'inquiète pas, Yasashiro, nous venons seulement te parler.
Il y avait le moine, l'ingénieur, l'éclaireur et la shugenja, qui n'étaient plus que des spectres.
- Que voulez-vous ? dit Mamoru.
- Nous sommes devenus amis avec un important personnage qui veut te parler...
Les spectres fermaient les yeux. Ils étaient entre notre héros et la sortie. Un autre personnage arriva sur scène : de taille moyenne, fort maigre, avec de longs cheveux noirs, il avait la peau blême et des canines qui dépassaient sur ses lèvres incarnat. Il portait une robe aux motifs maléfiques.
- Salutation, samuraï. Mon nom est Yumi Iro. Tes amis m'ont dit que tu étais quelqu'un de fiable...
Mamoru, de rage, ne desserrait pas les dents.
- Je voudrais que tu portes un message pour moi. Un message pour Yatsume. Matsu Yatsume, je crois qu'elle se nomme ainsi, désormais.
"Dis-lui que je l'attendrai après demain soir, au temple de la fortune du nord-est. Je veux lui parler du passé. Je crains qu'il n'y ait, entre elle et moi, un malentendu, que je voudrais dissiper.
Les spectres disparurent, Yumi Iro aussi.
Mamoru se précipita dehors. Des pétards explosaient, des ribambelles d'enfants passaient en riant.
Yojiro était à la taverne et riait avec plusieurs rônins.
Mamoru courut le voir :
- Il faut prévenir l'Inquisiteur Tadao !
- Qu'est-ce que tu racontes ?
Mamoru lui raconta en quelques mots sa rencontre macabre.
- Je vais surveiller cette roulotte, dit Yojiro. Cours chercher l'Inquisiteur.
Yojiro s'essuya la bouche et sortit de la taverne, pendant que Mamoru partait ventre à terre.
Le petit homme maquillé trembla en voyant arriver sur lui le robuste rônin ; Yojiro l'attrapa par le col :
- Qu'y a-t-il dans ta roulotte, saltimbanque ?
Yojiro entra, sabre en main, et découvrit la petite pièce vide.
- Rien, seigneur ! Rien !... Le spectacle n'a pas encore commencé !
- Ah oui, et c'est quoi ton spectacle ?
Le rônin fouilla la pièce, sans rien trouver.
- Nous allons attendre ici que mon ami revienne. Tu vas attendre avec moi à l'intérieur.
Yojiro ne voulait pas créer de panique, et préférait attendre que l'Inquisiteur arrive.
Hida Goemon ressortait du palais d'Ivoire, où il avait demandé à rencontrer Matsu Sasuke. On lui avait répondu que celui-ci ne serait disponible que le lendemain. La vérité était que Sasuke et Mitsurugi étaient déjà partis s'amuser dans une maison de geishas, en compagnie d'Ikoma Noyuki, l'ambassadeur Lion auprès des Yasuki.
Goemon rentrait donc au palais de son maître, quand il vit ce dernier sortir précipitamment, accompagné de Mamoru.
- Goemon, suis-moi, ordonna l'Inquisiteur.
Tadao avait pris sa besace à parchemins. On ne partait donc pas voir le feu d'artifices !
- Mamoru vient de me prévenir d'un intrusion de démons en ville.
Les trois hommes arrivèrent à la roulotte, où Yojiro tenait toujours le bateleur en garde. Plus personne n'osait s'approcher.
- Goemon, va fouiller l'intérieur.
Le gros garde du corps rentra dans la roulotte et retourna tout, comme Yojiro l'avait fait avant lui.
- As-tu trouvé quelque chose ? demanda l'Inquisiteur à Yojiro.
- Seigneur, j'ai vu des dessins tracés sur la scène, mais à moitié effacés.
Goemon les inspectait en ce moment ; Tadao les inspecta aussi.
- Des traces d'un rituel d'invocation ! De la magie interdite !
A ces mots, Goemon ressortit et prit à la volée une torche à un comédien qui passait en riant avec sa troupe.
- Donne-moi ça, toi !
Le Crabe mit le feu aux rideaux, à la scène, aux murs et jeta la torche sur les tatamis en sortant. La roulotte se mit à flamber rapidement.
Tout le monde recula, les gens s'enfuyant, affolés. Une troupe de gardes Yasuki s'approcha de l'Inquisiteur ; ils échangèrent quelques mots et emmenèrent le petit homme maquillé.
- Cet imbécile ne sait sûrement rien ; tant pis pour lui, il a pu être touché par la flétrissure maudite.
"Rentrons ! Mamoru, je vais entendre tes explications !
Au palais des Kuni, l'Inquisiteur fit asseoir les deux rônins dans sa salle de réception.
- Je vous écoute.
Mamoru raconta ce qu'il avait vu et dit :
- Ils m'ont confié un message pour Matsu Yatsume !
- Ces démons ?
- Oui, seigneur !
- Par les esprits des Ancêtres, que fricote cette samuraï avec eux ?
- Je l'ignore, mais ce que je sais, c'est qu'ils lui donnent rendez-vous pour après-demain soir au temple de la fortune du nord-est.
- Il faut que nous soyons à ce rendez-vous, dit Tadao, pour la surprendre avec ces démons. Nous ne savons pas encore si elle est de mèche avec eux. Nous capturerons ce Yumi Iro. Ce doit être quelque adepte du sang... Donc, demain, Mamoru, tu iras porter le message comme prévu. Et toi, Goemon, tu rencontreras Matsu Sasuke. Quant à toi, Yojiro, pas un mot sur cette affaire pour le moment. Matsu Mitsurugi est ton maître mais je le tiendrai au courant dès qu'il le faudra. Cette affaire concerne une intrusion de l'Outremonde, j'entends donc mener l'enquête comme il le faudra.
Les trois hommes s'inclinèrent devant l'Inquisiteur et chacun rejoignit ses quartiers.
Tôt le lendemain matin, Sasuke, Mitsurugi et Ikoma Noyuki rentraient au palais d'Ivoire et hoquetaient encore de tout le saké avalé dans la soirée. Les rayons bienfaisants de dame Soleil réchauffaient les ruelles du quartier réservé et nos héros goûtaient l'air frais comme un nectar. Noyuki se tenait encore les côtes :
- Il y a bien longtemps que je n'avais passé une telle soirée.
Il bénissait le ciel de lui avoir envoyé deux fêtards comme Mitsurugi et Sasuke -deux hommes qui tenaient l'alcool et qui savaient parler aux femmes. L'alcool, c'était surtout Sasuke et les femmes, Mitsurugi. A eux deux, ils faisaient la paire et Noyuki avait du mal à suivre !
Les trois hommes se saluèrent, épuisés et heureux, rentrèrent dans leur chambre et s'effondrèrent sur leurs couchettes.
Ils dormirent une partie de la mâtinée et se réveillèrent avec un mal de crâne carabiné. Ils prirent chacun un bain glacé pour se réveiller et burent un solide thé noir avant les exercices du matin. Il faisait déjà chaud.
Mitsurugi baillait à s'en décrocher la mâchoire en entrant dans son bureau, où ses secrétaires l'attendaient, affairés. Il consulta, les paupières lourdes, les requêtes du jour. Il vit une liste de noms de personnages sans grande importance qui requéraient une audience et ordonna à ses deux adjoints de les recevoir eux-mêmes. Puis il retourna faire une petite sieste. Il somnola délicieusement, en repensant à cette nuit débridée. Ils avaient bu, chanté, ri comme des soudards de permissionnaires, avec une dizaine de geishas franchement délurées. Les Crabes avaient des créatures de rêve à offrir. Bien sûr, ces filles n'avaient pas la prestance et le maintien des grandes dames de compagnie du clan du Phénix. Le dicton proverbial disait que la geisha doit avoir la délicatesse de la fleur et la robustesse du saule. Mitsurugi aurait davantage parlé, pour celles-ci, de la rudesse du bambou ! Il est vrai qu'elles se distinguaient moins nettement que chez les Phénix de prostituées de luxe, et se donnaient bien plus facilement à leurs clients, les Crabes n'ayant guère le loisir de faire longtemps la cour à la femme de leurs rêves...
Mitsurugi ronfla paisiblement, alors qu'un bienveillant petit vent frais, qui bruissait dans les arbres, venait le titiller.
Et dans son rêve, notre ambassadeur revit Ikoma Noyuki, qui avait eu un moment de déprime pendant la soirée, et qui avait raconté sa vie :
- Misère... Si je ne m'étais pas pris de passion pour cette femme de la famille Asahina... Je lui écrivais des poèmes, jeune rhéteur que j'étais à l'époque... Je sortais à peine de l'académie Ikoma et je rêvais de grandes odes épiques et d'intrigues... Jusqu'à ce que la famille de la donzelle s'en aperçoivent... J'ai failli déclencher une guerre. J'ai été disgracie et envoyé comme ambassadeur ici. Depuis, j'ai bien compris comment m'y prendre avec les femmes. Ne jamais s'attacher à elle ! Autant aller dans la cage d'un tigre !... Un jour, je voudrais bien écrire un roman pour raconter cette aventure, mais je n'en ai pas trop le courage, voyez-vous, pas trop...
Il avait les yeux rougis, lourds. Sasuke et Mitsurugi l'avaient consolé, aidés par les filles et il avait retrouvé son entrain.
Mitsurugi s'étira et se releva, alors que l'après-midi était déjà avancée. Il avala un bol de riz en écoutant ses assistants le mettre aux dernières nouvelles. Il apprit que Sasuke s'était relevé avant lui et qu'il était en ce moment en entretien... avec Hida Goemon !
- C'est original, dit Mitsurugi.
Il s'habilla un peu plus correctement et alla retrouver son fidèle ami et conseiller dans son conseiller. Il ouvrit doucement le panneau et trouva Goemon incliné respectueusement devant Sasuke. Ce dernier lisait un message frappé du sceau de la famille Kuni.
- C'est un message de l'inquisiteur Tadao, dit le shugenja. Il me reparle de la nécropole et de la folie d'Isawa Ichibei. Il me fait poliment remarquer l'attitude offensante qu'il a eue envers nous... Il suggère que nous ne devrions pas laisser cela impuni... C'est un peu retors, dit-il à Goemon. Pourquoi ton Inquisiteur ne va pas défier Ichibei lui-même ?...
- Je pense, dit Mitsurugi en s'asseyant, que nos amis du Crabe ne peuvent pas ainsi défier des hôtes prestigieux. Est-ce que je me trompe, Goemon ?
Goemon ne répondit rien.
C'est alors que l'esprit de son Ancêtre, qui le harcelait presque quotidiennement, vint lui frapper dans la caboche :
- Réponds quelque chose, idiot ! Tu veux vraiment passer pour un demeuré, ma parole !
Goemon ne savait plus quoi dire, entre l'embarras de la question de Sasuke et les intrusions de son Ancêtre dans son esprit. Si bien que son silence passa pour une approbation. Mitsurugi et Sasuke se regardaient d'un air entendu.
- Tu te sens prêt à défier en duel Isawa Ichibei ?
- Pourquoi pas, dit Sasuke. Je "brûle" d'envie de me confronter à lui !...
- C'est un duel qui va faire du bruit !... Bien sûr, tu as mon accord.
- Je te remercie. J'irai défier Ichibei très bientôt. Je pense que le senseï Masaakira et ses élèves prendront le thé. Il sera juste l'heure de les secouer après ce moment de méditation !
Sasuke était impatient. Il se sentait plein d'ambitions.
Quand Mitsurugi retourna à son bureau, on vint lui dire que le rônin Mamoru l'y attendait.
- Encore ! Ils n'arrêtent pas, aujourd'hui !
Il allait dire "ces Crabes !..."
Mamoru entra, accompagné de Yojiro. Qu'est-ce que ces deux-là mijotaient encore ?...
- J'ai à te parler d'un sujet grave, dit Mamoru en s'inclinant.
- Allons bon !
Mamoru prit le temps d'expliquer ce qui lui était arrivé la veille, ce qui n'intéressa Mitsurugi que lorsqu'il prononça le nom de Yatsume. L'ambassadeur prit son temps, avant de répondre prudemment :
- Bien, je remercie ton maître l'Inquisiteur Tadao pour cette information.
Les deux rônins ressortirent.
Mitsurugi soupira. Il fit signe à Sasuke de sortir de derrière le paravent, d'où le shugenja avait bien évidemment écouté la conversation.
- Il va falloir surveiller Yatsume de près...
- Oui, dit Mitsurugi. Elle a rendez-vous demain soir dans ce temple. Or, demain soir, nous sommes invités chez Hanteï Norio...
- Je vais m'en occuper, dit Sasuke d'un air entendu.
Comme d'habitude, Mitsurugi voulait des réponses mais ne voulait rien connaître des dessous sales de l'affaire. C'était à Sasuke de s'en occuper.
Est-ce que c'était en rapport avec son retour impensable du donjon de la Nécropole ? Là encore, Mitsurugi ne voulait pas le savoir...
On se souvient en effet que dans la Nécropole, Yatsume avait entendu la voix de son mari qui provenait d'un donjon, dont l'intérieur luisait d'une aura rougeâtre. Yatsume s'était vaillamment jetée dedans, alors que le tensaï Isawa Nobuyoshi l'avait mise en garde : ce donjon menait vraisemblablement vers un autre monde, connu sous le nom de Toshigoku, le Royaume des Massacres.
Alors que tout le monde croyait Yatsume perdue à jamais, prisonnière pour l'éternité de ce monde de batailles titanesques perpétuelles, elle était réapparue, quatre jours plus tard, au pied de la Muraille. Elle était perdue, hagarde, fébrile. Les Crabes l'avaient recueillie et elle avait été convoyée jusqu'à la Cité de la Pieuvre. Elle était très affaiblie et ne se souvenait de rien de ce qui lui était arrivé depuis qu'elle avait passé la porte du donjon de la Nécropole. On lui avait fait passé le test de la glyphe, qui avait révélé qu'elle n'était pas porteuse de la Souillure de l'Outremonde.
Elle avait repris des forces pendant le mois du Cheval. Elle était maintenant rétablie mais ne retrouvait pas la mémoire. L'ordre de Mitsurugi tenait toujours : elle devrait retrouver l'assassin de son mari, puis elle quitterait le mon de la famille et irait se présenter en tant que rônin devant Tange Sazen pour qu'il décide de son sort.
En effet, c'est Yatsume qui, pour obtenir des informations sur l'assassin de son mari, avait "vendu" aux Scorpions l'emplacement du camp des Loups.
Ce soir-là, Mamoru retrouvait Yatsume dans une taverne du quartier marchand. Quand il dit qu'il avait rencontré ce "Yumi Iro", le sang de Yatsume ne fit qu'un tour. La samuraï-ko, déjà fougueuse habituellement, ne tenait plus en place.
Yumi Iro ! Le nom de l'assassin de son mari !
Mamoru transmit le rendez-vous, pour le lendemain soir, au temple de la Fortune du nord-est. Et il ajouta que l'Inquisiteur Kuni Tadao était au courant, et qu'il s'y rendrait en même temps pour arrêter ce Yumi Iro -Mamoru étant certain que ce dernier était bien corrompu par l'Outremonde.
- Avec ou sans vous, dit Mamoru, l'Inquisiteur ira là-bas.
- Bien, bien, qu'il vienne, dit Yatsume. Au contraire, je ne demande qu'à ce que cet homme soit arrêté et mis à mort...
Mamoru quitta là Yatsume et rentra au palais des Kuni. De son côté, Yojiro fut convoqué chez Sasuke.
- Je veux, dit le tensaï, que tu surveilles Yatsume demain soir. Elle ira à ce temple. Tu la suivras de loin et tu me rapporteras ce que tu as vu.
- Bien, dit le rônin en s'inclinant.
La situation devint encore plus retorse ce même soir : Yatsume resta seule à l'auberge après le départ de Mamoru. Quand elle sortit, elle vit deux samuraï du clan du Scorpion qui l'attendaient et qui lui proposèrent aimablement de les suivre.
Ils l'emmenèrent dans une autre auberge, assez discrête, près du palais des ambassadeurs Scorpions, où attendait Bayushi Kokamoru. Celui-ci, en plus d'être l'ambassadeur de sa famille auprès des Yasuki, était, on s'en souvient, l'informateur privilégié de Yatsume. C'est lui qui avait aiguillé la rônin sur la piste d'un certain démon nommé "Yaagoth", et c'est ce qui avait décidé Yatsume à suivre l'expédition à la Nécropole. Seulement, sur place, Yatsume n'avait pas plus trouvé de Yaagoth que de maîtres d'origami dans la famille Hida ! Furieuse, et sermonnée par Sasuke, elle avait donc dit à Kokamoru qu'elle rompait ses relations avec lui.
Voilà qu'elle n'avait d'autre choix que de parler avec lui. Il l'attendait, toujours supérieur et narquois, entouré de ses mêmes gardes du corps qui regardaient la rônin de haut. Furieuse, humiliée, Yatsume dut s'asseoir. Kokamoru buvait négligeamment un petit bol de soupe au calamar.
Il avait cet air assuré du Scorpion qui va vous faire une proposition que vous ne pourrez pas refuser.
- Prends quelque chose à boire, Yatsume... Mange aussi, si tu veux. Cette nourriture n'est pas empoisonnée. Du moins, je crois...
La rônin écarta le bol d'un revers de main. Elle voulait en venir aux faits.
- Bien, puisque tu n'es pas bavarde ni affamée, je passe à l'essentiel.
- Oui.
- J'ai parlé à ma famille de ton mari. Nous comprenons que tu veuilles te venger de celui qui l'a corrompu...
C'était une manière de lui rappeler au passage que c'était quand même bien elle qui l'avait tué, après avoir découvert sa corruption.
- Le clan s'est montré compréhensif. Tu vois, il en est capable... Mais oui.
"Donc nous voulons t'aider à tourner la page. C'est en effet aussi une tâche dans notre honneur. Un sorcier qui a corrompu l'un des nôtres...
- Que voulez-vous ?
- J'ai prévenu la famille Shosuro...
L'affaire prenait un tour encore plus sinistre. Si les Bayushi étaient spécialisés dans les chantages, les extorsions, le renseignement, la famille Shosuro était connue pour s'occuper des besognes les moins avouables du clan. S'il y avait lieu de croire aux "ninjas" à Rokugan, c'était en bonne partie grâce à la famille Shosuro et ses sorties nocturnes... Yatsume l'avait découvert après avoir tué son mari..
- Ils sont prêts à agir pour t'aider, Yatsume.
- Que vont-ils faire ?
- Ils vont demain soir dans un temple à la sortie de la ville. Le temple de la fortune du nord-est.
Yatsume resta interdite. Elle allait protester, questionner.
- Chut, dit Kokamoru, sache juste que nous veillons sur toi. Nous savons, Yatsume. Ce Yumi Iro est trop important. Et les rumeurs courent vite dans cette Cité de marchands, de colporteurs et de délateurs...
- Je ne viendrai pas avec vous. J'y vais avec l'Inquisiteur, vous devez le savoir...
- Nous partirons avant. Et nous repartirons de là-bas avant son arrivée...
- Vous ne pouvez pas faire ça.
Kokamoru la regarda d'un air narquois, et finit son bol de soupe.
- Je voulais te prévenir, c'est tout, ajouta-t-il.
Yatsume se retenait de bondir et de frapper. Elle se contrôla et ressortit de l'auberge. Elle rentra au palais du Lion, alors que Mitsurugi et Sasuke étaient déjà partis s'amuser, et se jeta dans son lit, accablée.
Ce soir-là, elle fit de mauvais rêves.
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24-08-2009, 06:48 PM
(This post was last modified: 25-08-2009, 11:41 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yatsume s'endormit. Elle se mit à rêver rapidement et entendit un chat qui miaulait.
Elle se revoyait, avancer, hébétée, dans un paysage sinistre, vert-de-gris, noir et désolé. Elle vit une grand tour famélique cernée de brume, et un grand château qui tombait en ruine, envahi d'une végétation dévorante.
Sur un rocher, derrière elle, un chat blanc miaulait, solitaire, comme un loup qui hurle à la mort. Puis elle voyait au loin la Muraille.
Elle se réveilla en sueur. Elle réalisa qu'elle était passée par l'Outremonde. Où elle avait toutes les chances d'être corrompue. Elle ne comprit pas comment elle était arrivée là-bas, ni par quel miracle elle en avait réchappé.
Elle ne retrouva pas le sommeil de la nuit, effrayée après coup de ce qui lui était arrivé. C'était d'ailleurs à peine croyable, à peine distinct d'un cauchemar.
Pendant ce temps, Mitsurugi et Sasuke s'amusaient avec Noyuki, en compagnie de charmantes geishas entraînées à défier les hommes à la boisson. Noyuki commit l'erreur stratégique ce soir-là de ne pas assez manger et fut le premier à céder. Rond comme une barrique, il gesticulait, riait ; il s'affalait, se relevait, tout hébété...
- Vous savez, "Migurusti"... Je peux vous parler à vous, et à "Kusase", parce que nous sommes amis, hein... L'autre soir, je me suis étendu sur ma vie, je vous ai raconté, tout... Faut pas m'en vouloir, n'est-ce pas, vu que j'avais bu un coup de trop, hein ?... C'est vrai que j'ai eu des malheurs à cause de cette salope de Doji...
- Ha, les Doji, dit Mitsurugi, il faut s'en méfier !
- L'amour, hein ! L'amour ! queellleee connerie, entre nous !... Depuis, j'aime mieux les geishas rigolotes comme celles-là... Plus question de jouer le poète amoureux. Maintenant c'est saké, soshu et p'tites pépées, vous voyez le genre !
- Vous savez ce qui est bon dans la vie, dit Sasuke.
- Merci, "Susake", hein, merci... Tiens, c'est rigolo, dans votre nom, il y a "sake", vous avez remarqué ?...
Il piqua ensuite du nez et dormit comme un bébé, bercé par une des geishas, qui l'emmena ensuite dans sa chambre.
Nos deux fringants héros rentrèrent dans la nuit en pouffant de rire. Ils se souhaitèrent bonne nuit et dormirent sur leurs deux oreilles.
Le réveil fut des plus difficiles. Mitsurugi avait vraiment abusé de la boisson. Il sentait qu'il serait à plat pour la journée. Il se gratta sa barbe naissante, grognon et tenta de recomposer ses souvenirs. Il avait un tetsubo en travers du front. On frappa alors à sa porte. Il maugréa d'entrer.
- Seigneur, dit un serviteur, je m'excuse de vous déranger, mais il y a là quelqu'un qui veut vous voir... Une femme moine nommée Togashi Maya.
Pour le coup, Mitsurugi faillit rendre tout le repas d'hier soir !
- Que me veut-elle, celle-là ?
- Elle n'a pas dit, seigneur ambassadeur.
- Bon, vous la faites attendre le temps que je sois prêt...
Mitsurugi se leva, la bouche pâteuse. Il jurait d'arrêter les geishas pour un moment. Il craignait tout de même que ce ne soit un serment d'ivrogne. Il avait du mal à s'empêcher de jouer les jolis cœurs. Et à chaque fois, il se disait après coup que les femmes ne sont pas importantes, qu'il ne faut pas s'attacher à elle...
Quand il fut sur pied et présentable, il se présenta à son bureau. L'Ize-Zumi attendait, immobile. Elle devait méditer profondément.
- Maya, que puis-je faire pour toi ?
Il se donnait un air empressé, comme si sa journée était remplie de rendez-vous.
- Je suis sur une enquête, dit-elle.
- Allons donc !...
- Sur un nuage et un serpent.
Mitsurugi tiqua en entendant le mot "nuage".
- Pourrais-tu être plus précise ?
- Voilà.
Maya tendit un papier sur lequel elle avait noté l'énigme exacte donnée par la vieille voyante.
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets
L’enfant aux trois étoiles
Frappera un gong
Le silence couvrira cinq nuits
Et l’oubli couvrira la honte"
Mitsurugi lut le papier, dubitatif.
- C'est une prophétie ?... Si on peut la croire, cela peut signifier que des serpents vont avoir des ennuis avec ce nuage. Or, un "Nuage", nous en connaissons un. Ce conspirateur dont Tange Sazen nous a parlés... Et des serpents, il y en a dans cette ville. Le clan mineur du Serpent !... C'est de ce côté qu'il faudrait chercher, à mon avis. Quant au reste de cette énigme, je ne le comprends pas.
- Moi non plus. J'ai cherché ce matin des temples avec des gongs, mais il y en a plein en ville.
- Évidemment.
- C'est pourquoi je voudrait l'autorisation d'aller lire des documents dans votre bibliothèque.
Mitsurugi releva un sourcil. Il se demandait bien comment on pouvait avoir l'idée d'aller chercher des informations dans une bibliothèque ! Au lieu d'aller interroger les gens et de punir les coupables !
- Tu as mon autorisation, Maya, fit notre héros, négligemment. Ce sera tout ?...
- Oui.
C'était parfait !
Intérieurement, l'ambassadeur souhaitait bon courage aux assistants de bibliothèques qui devraient aider Maya et comprendre ses consignes. Mais cela ne le regardait plus. Il alla prendre un bain.
Pendant qu'il soupirait d'aise dans l'eau brûlante et qu'une servante lui frottait le dos, un serviteur entra et s'inclina bien bas.
- Quoi encore ? fit notre héros, aigre.
- Une lettre pour vous, seigneur.
A moitié assoupi, Mitsu y jeta un œil. Il faillit se noyer en voyant le sceau de son supérieur, Matsu Kokatsu, gouverneur de la Cité des Apparences. Le général arrivait très bientôt à la Cité de la Pieuvre ! Il ne précisait pas pourquoi.
C'était sûr, les Ancêtres punissaient Mitsurugi pour ses nuits de débauche !
- Une mauvaise nouvelle, seigneur ? demanda sa masseuse.
Pour toute réponse, notre héros descendit la tête dans l'eau et fit des bulles de mécontentement.
Maya passa la fin de matinée entre les rayonnages de parchemins de la bibliothèque du palais d'Ivoire. Elle chercha tant qu'elle put et repensa au meurtre du garde Lion, retrouvé mort sur les terres de Yasuki Kokaï. Elle consulta des arbres généalogiques dressés par les fonctionnaires du palais, et découvrit que ce Lion avait pour cousin... un membre du clan du Serpent !
C'était une coïncidence trop belle. Elle nota le nom du cousin et partit. L'après-midi, elle décida de faire des recherches dans la bibliothèque du palais du Crabe. Encore lui fallait-il l'autorisation d'y accéder. Mitsurugi avait accepté mais il n'était pas sûr que les Crabes seraient aussi conciliants. Elle se présenta à la "Carapace" (c'est ainsi qu'on surnommait le palais fortifié massif des Crabes à la Cité de la Pieuvre), et demanda à rencontrer l'Inquisiteur Tadao. Ce dernier était absent mais son garde-du-corps, Hida Goemon, avait vu arriver cette charmante petite Ize-Zumi. Et il connaissait sa réputation...
- Elle a la cuisse légère, disait-on dans les tavernes des Hida.
- Mon salaud, dit alors à Goemon son Ancêtre, tu tiens là un joli coup. Je compte sur toi pour ne pas déshonorer ta famille, ton père, ton grand-père et tes autres aieux, qui n'ont jamais faibli face à la femelle, et ont laissé derrière eux, outre de vigoureux descendants, un nombre imposant de bâtards, à droite et à gauche, grâce à leur vigueur peu commune !
L'esprit de l'Ancêtre repartit en ricanant. Maya entrait dans le bureau de Tadao, où Goemon s'était installé pour la recevoir.
- Mon Maître est absent, dit le Crabe. Que puis-je pour vous ?
- Je désirerais profiter de votre excellente bibliothèque, dit Maya.
- Normalement, ce n'est pas possible pour quelqu'un d'extérieur au clan.
Goemon l'avait dit d'un air convaincu, alors que rien n'était plus faux -le clan du Crabe ne demandant qu'à partager ses connaissances sur l'Outremonde !
- C'est bien dommage, soupira Maya.
- Exceptionnellement, je peux peut-être vous obtenir une autorisation, dit Goemon, mais c'est une faveur que je vous fais...
- Une faveur ? dit Maya. Je comprends. Mais j'ai besoin d'aller fouiller dans vos documents, c'est indispensable.
Un marchand Yasuki aurait dit que Maya négociait à la hausse !
- Écoutez, dit Goemon en regardant si personne n'écoutait, c'est assez simple. Je peux vous faire accéder à la bibliothèque si, en échange, vous consentiez à passer ensuite un moment en ma compagnie...
On lui avait toujours déconseillé, à la guerre comme dans la vie, d'y aller par quatre sentiers !
- Le plus court chemin est la ligne droite, aimait à répéter le sensei de son dojo.
Maya ne délibéra pas trop longtemps.
- D'accord.
Goemon entendit son Ancêtre déboucher le saké !
Et Maya put passer l'après-midi dans la bibliothèque de la "Carapace" !
Cette fois-ci, les recherches de Maya furent plus fructueuses. Elle découvrit le bref rapport d'un magistrat qui avait enquêté sur la mort du Lion. Il disait également que ce garde avait pour cousin un membre du clan du Serpent, et il précisait de plus que ce Lion avait envoyé un message à son cousin peu avant sa mort. L'enquête n'était pas allée plus loin. Les Yasuki n'étaient pas trop pressés de faire la lumière sur cette affaire qui les embarrassait plus qu'autre chose. Il y avait eu des rencontres entre les magistrats Yasuki et le chef de la garnison des Matsu gardant le Palais d'Ivoire. Mais comme le soldat avait abandonné son poste, cette nuit-là, et avait couru jusqu'à se retrouver chez Yasuki Kokaï, la situation était également des plus embarrassantes pour les Lions. Il n'était pas difficile de comprendre que l'enquête allait traîner, et si personne n'insistait, elle serait bientôt enterrée.
Maya retourna au Palais d'Ivoire et dit à Mitsurugi ce qu'elle avait appris. Celui-ci s'apprêtait justement à partir avec Sasuke au temple des Phénix, où étaient hébergés les quelques Serpents résidant chez les Crabes.
- Bien, je tâcherai de parler à ce cousin, dit l'ambassadeur.
Lui et Sasuke partirent, fiers et résolus. Ils se présentèrent au temple de la Sagesse Céleste où résidaient les shugenjas Phénix. Les Serpents avaient un petit temple pour eux à l'intérieur de la propriété. Mitsurugi se présenta devant la bâtisse ornée d'un fronton où s'entrelaçaient deux cobras royaux. Il salua les shugenjas de la famille Chuda et demanda à parler à Chuda Akagi. Celui-ci était en tailleur devant une statue dédiée aux esprits de la famille. Mitsurugi s'assit à côté de lui et pria les Ancêtres du clan avec lui. Puis les deux hommes sortirent dans la cour.
Akagi devait sortir de son gempukku. Il était timide, presque farouche.
- Je viens pour parler d'une histoire douloureuse, dit Mitsurugi.
Chuda Akagi baissa la tête.
- Je suis honoré que vous veniez me parler, seigneur ambassadeur. Je porte encore le deuil de mon cousin.
Il avait une bande de couleur blanche autour du bras.
- Nous savons qu'il vous a fait parvenir un message peu avant de mourir. Nous savons aussi que c'était un soldat brave et dévoué, qu'il n'aurait pas quitté son poste sans raison.
- J'ignore ce qui a pu le pousser à une telle faute.
Akagi rougissait de honte.
- Que disait son message ?
- Il me disait avoir découvert une menace... Je n'ai pas compris contre qui. Son écriture était nerveuse. Il a parlé d'un certain nuage... Je n'ai pas compris. J'ai cru qu'il délirait. Quand j'ai reçu ce message, il était déjà tard le soir. Je suis allé à votre palais et j'ai demandé à lui parler. On l'a alors cherché et on a découvert qu'il n'était pas à son poste, à la tour ouest... Ce n'est que le lendemain qu'il a été retrouvé...
- Il ne précisait rien quant à cette menace ?
- Non. Il disait que moi aussi je devais me méfier. Que ce "nuage" savait des choses sur nous... Je crois qu'il a surpris une conversation... Croyez-vous que ce soit bien ça qui explique sa fuite ?
- Je ne sais pas trop, dit Mitsurugi.
L'ambassadeur se gardait de conclure. Toutefois, si ce Lion avait surpris une conversation traitant de Nuage... dans le palais d'Ivoire !... Il faudrait à l'avenir se méfier de tout le monde !
- Il a entendu parler d'un nuage, demanda Mitsurugi, ou bien il a entendu ce "Nuage" lui-même ?...
Il redoutait la réponse...
- Je crois qu'il a entendu prononcer ce nom...
On n'osait à peine se l'imaginer... Nuage préparant tranquillement sa conspiration en plein palais d'Ivoire ! A quelques portes de la chambre de nos héros !
Heureusement, cela ne semblait pas être le cas... Sasuke avait découvert que les conspirateurs de Nuage utilisaient une amulette pour communiquer... Il pouvait donc y avoir des conspirateurs dans le Palais ! Espionnant les conversations de Mitsurugi et Sasuke !...
Il y avait de quoi en avoir froid dans le dos.
Mitsurugi avait pensé cela en quelques instants. Il remercia Chuda Akagi, songeur...
Matsu Sasuke était allé à la salle de prière réservée aux tensaï. Il y vit Isawa Nobuyoshi et Isawa Mizu, qui vérifiaient que les jeunes élèves frottaient bien le parquet et astiquaient avec précaution les statues ancestrales. Tout apprenti shugenja doit en passer par là, et en leur temps, Sasuke et ses camarades avaient eu le droit à ce traitement. Les deux tensaï Phénix saluèrent d'un regard complice Sasuke. Puis ils lancèrent aux jeunes élèves :
- Et quand vous aurez fini, lançait Mizu, revêche, vous irez au lavoir !
- Et nettoyer vos chambres !
Quel plaisir de se venger sur eux !
Sasuke salua ses anciens camarades.
- Quel bon vent vous amène ici ? demanda Nobuyoshi.
Il entendit alors quelqu'un entrer.
C'était le tensaï de la Terre, Isawa Ichibeï.
Les deux hommes se regardèrent un moment, Ichibei tendu, Sasuke ironique. C'est à peine s'ils se saluèrent. Les apprentis arrêtèrent de frotter ; même Mizu et Nobuyoshi ne disaient plus rien. C'est d'un coup comme si le tonnerre d'Osano-Wo était prêt à tomber sur le temple !
Lentement, Sasuke et Ichibei sortirent du temple. L'énervement montait chez Ichibei. C'était un tremblement de terre qui frissonnait, prêt à éclater. Et Sasuke, plus sûr de lui que jamais, commençait à avoir des flammèches autour de lui. On sentit le sol vibrer légèrement.
Mizu allait intervenir mais Nobuyoshi l'en découragea d'un geste.
Ichibei et Saske se fixaient toujours. C'était terrible.
Si personne ne faisait rien, le duel allait être vite réglé ! Sans effets d'annonce superflus !
Un personnage s'approcha alors et lança :
- Mate !
C'était sec et sans contestation. La colère d'Ichibei retomba et même Sasuke fit disparaître ses flammèches. Instinctivement, il avait obéi à cette voix. La voix de son ancien maître, Isawa Masaakira, tensaï du Vide.
- Que se passe-t-il, ici ?
Masaakira, digne et inflexible, croisait les bras et foudroyait du regard l'assistance. Les petits apprentis prirent leurs balais et leurs serviettes et disparurent en vitesse.
Sasuke s'inclina devant le senseï.
- Je suis venu ici pour parler à Isawa Ichibei, dit Sasuke, fanfaron.
("Hé oui, noble senseï, tu peux rouler des gros yeux, aujourd'hui, je ne suis plus ton élève et je ne vais pas m'arrêter ! Attends un peu d'entendre la suite !")
- En effet, reprit notre héros, je l'accuse de ne pas être capable de maîtriser ses pouvoirs et de mettre par là-même la vie de nombreux valeureux samuraï en danger, comme il l'a fait alors que nous allions détruire cette nécropole maudite !
Sasuke croisa les bras à son tour, content de son effet.
- J'entends ton défi, gronda Ichibei, et si mon maître le permet, je te prouverai que je possède en moi une puissance qui dépasse de loin la tienne, et que je peux maîtriser parfaitement !
Mitsurugi revenait à ce moment de chez les Serpents.
- Je soutiens Sasuke, bien évidemment, lança-t-il.
C'était le concours du plus fanfaron des deux !
Masaakira n'esquissa pas le moindre sourire et répondit à Mitsurugi :
- J'accepte également le duel. Ichibei se lavera de cette accusation !
- Excellent, approuva Sasuke.
Ichibei s'inclina devant son maître et se retira avec Mizu et Nobuyoshi.
Après cette démonstration publique d'ergots et de poitrines gonflées, Masaakira invita poliment Mitsurugi à boire un thé. Ils discutèrent, la tête froide, des modalités du duel, sans se monter la tête.
- Inutile que cela traîne, dit Mitsurugi. L'attaque de la nécropole remonte déjà à un mois.
- Oui. Je vous propose que cela soit réglé dès demain, au coucher du soleil. Il y a un grand terrain de joute, au nord de la ville. Il accueille régulièrement des duels.
- Ce sera parfait.
Les deux hommes se saluèrent. Mitsurugi retrouva Sasuke dehors ; sur le chemin du retour, le tensaï marchait d'un air dégagé, le torse bombé.
Mitsurugi secouait la tête :
- Tu n'as pas fini de faire le fier-à-bras, va ! Je te rappelle que ce soir, nous sommes invités chez Hanteï Norio-sama. Tu auras toute la soirée pour vanter tes capacités !
- Aucun problème de ce côté-là...
Chacun alla dans sa chambre se préparer. Ils savaient tous deux que Yatsume préparait sa sortie nocturne. De son côté, Yojiro se tenait prêt.
La fin d'après-midi fut encore très chaude. Hida Goemon retrouva Maya en ville et lui rappela poliment sa promesse. Il lui offrit un verre et l'emmena ensuite chez lui.
C'est Togashi Ojoshi, s'il avait su, qui aurait désapprouver cette retombée de Maya dans la luxure ! Goemon eut droit à une détente à l'horizontale de tout premier choix. Il fit trembler les murs de sa maison et remercia ensuite Maya d'une petite claque sur la fesse. Et il éclata d'un bon gros rire de Crabe !
Maya se rhabilla et partit sans en redemander.
- Pas mal du tout, approuva le vieil Ancêtre en allumant sa pipe.
Le vieux libidineux était dans un coin de la pièce et n'avait pas manqué un instant des performances de son vigoureux descendant !
En fin d'après-midi, alors que Mitsurugi et Sasuke allaient chez les Serpents, Bayushi Kokamoru et ses hommes étaient à leur taverne habituelle. Des musiciennes leur jouaient du biwa et l'hôtesse s'approchait pour verser un thé noir brûlant.
- Merci, comme ça, très bien...
Le rideau d'entrée se soulevait, laissant pénétrer la chaleur accablante de la rue, et Yatsume entra, aimable comme une corvée de garde sur la Muraille.
- Venez donc vous joindre à nous, dit chaleureusement Kokamoru. Ce thé est délicieux. Venez goûter à ce subtile arôme de colchique.
La plupart des petits Rokugani apprenaient cette comptine :
Colchiques dans les prés fleurissent, fleurissent
colchiques dans les prés, c’est la fin de l'été …
Au même âge, les petits Scorpions apprenaient que c'était un poison violent.
- Non merci, dit Yatsume en s'asseyant entre les gardes du corps.
Ceux-ci ne se départissaient pas d'un sourire moqueur comme on apprend au dojo Bayushi.
Kokamoru faisait tourner son bol lentement et respirait le liquide frémissant.
- C'est bien, dit la rônin en baissant la tête, j'irai avec vous ce soir.
- Il était temps de donner votre réponse. Nos amis Shosuro auront juste le temps de se préparer... Et vous aussi. Mettez vos plus beaux habits !
Yatsume ressortit, la respiration lourde. Elle avait fait passer le message à l'Inquisiteur Tadao, plus tôt dans la journée, qu'elle irait avec lui. A présent, elle cherchait quelle excuse inventer.
Elle revint au palais peu après le retour de Sasuke et Mitsurugi. Yojiro était dans la cour, à affûter son katana sur une meule. Au palais des Crabes, l'Inquisiteur réunissait ses troupes : ses élèves, des soldats Hida et Mamoru.
- Nous aurons face à nous un maho-tsukaï. Et peut-être ses séides !
Goemon revenait à ce moment.
- Où étais-tu, toi ? Encore à la taverne ?
- Chez moi, seigneur...
Il ne mentait pas, à proprement parler !
- Préparez-vous à vous battre sans rémission et sans pitié.
Tout le monde cria en chœur et s'inclina devant l'Inquisiteur.
Quand le soleil eut disparu du ciel, le laissant assombri et plein de longues trainées de nuages rosés, Yatsume sortit du Palais d'Ivoire. Yojiro, qui la guettait depuis la fenêtre du corps de garde, fut surpris de la voir partir si tôt. Il enfila son daisho et prit ses habits sombres avec lui, et la suivit dans les ruelles tortueuses du quartier des artisans, jusqu'à la porte nord de la Cité.
Une heure après, Tadao et ses hommes se mettaient en route, et une petite heure plus tard, Mitsurugi et Sasuke, lavés, rasés, parfumés, partaient au palais de la famille impériale.
A suivre...
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Oh oh toujours plus gros et toujours meilleur, ça pourrait être le Kohei sauf qu'il ne devenait pas meilleur:P
Bravo pour ces textes
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27-08-2009, 09:58 PM
(This post was last modified: 28-08-2009, 04:42 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yojiro connaissait bien les quartiers populaires de la Cité, pour les avoir déjà arpentés de long en large au service des Lions. Il n'eut pas de mal à suivre Yatsume à distance sans se faire voir. Celle-ci dut sentir un moment qu'elle était suivie mais elle crut avoir distancé son poursuivant. Erreur, Yojiro avait feinté en prenant un détour et reprit son pistage plus loin. Il sortit par la porte nord après Yatsume, à l'heure où les gardes allaient fermer l'accès.
Le jour tombait doucement sur la campagne et sa grande route : celle-ci s'orientait vers le nord en sortant de la Cité de la Pieuvre, puis bifurquait vers le nord-est. Personne ne l'empruntait pour repartir de la ville (on prenait un autre chemin plus long), afin de ne pas voyager dans cette direction qui portait malheur, depuis qu'elle avait été celle des armées du Dieu Maudit lors de la guerre qui l'opposa aux Tonnerres. Les marchands et voyageurs ne prenaient cette route que pour aller vers la Cité, donc vers le sud-ouest.
Yatsume marchait, pressée, tandis que Yojiro, retrouvant ses réflexes d'éclaireur et d'infiltrateur appris au dojo Hiruma, marchait sur de petits sentiers adjacents, sans bruit sur la terre grasse et parmi les buissons.
A l'entrée d'un petit bois, il vit des silhouettes vêtues de noir s'approcher de Yatsume et l'emmener entre les arbres. Le rônin entra dans le bois et entendit un bruit de conversation. Il s'immobilisa derrière un gros tronc et n'osa plus respirer.
- Tu es juste à l'heure. Partons avant que l'Inquisiteur n'arrive...
Yojiro crut à ce moment-là à des démons nocturnes, comme ceux que Mamoru avait rencontrés dans la roulotte. Le groupe se faufila sur un petit sentier qui descendait dans un vallon où se dressait un vieux temple aux fondations de pierre et à la charpente de bois, tout en hauteur. Les "amis" de Yatsume étaient bel et bien ces "ninjas" des légendes, avec diverses armes sur eux et des avant-bras renforcés de fer. Yojiro mit son fourreau dans le dos afin de l'empêcher de cliqueter et avança à pas prudents vers le temple de la fortune du nord-est. La bâtisse était presque à l'abandon. Qui pouvait bien encore prier cette Fortune dont le nom était synonyme de malheur ?
Yatsume pénétra avec les Shosuro dans le temple impressionnant et sinistre. L'endroit craquait comme s'il menaçait ruine. L'intérieur était nu. Un mauvais plancher vermoulu, des murs attaqués par l'humidité, un toit d'où les tuiles tombaient peu à peu. Il y avait cinq "ninjas" avec Yatsume. Tout le monde avait dégainé saï, sabres et lances. Notre héroïne avançait en tête, son naginata en mains. Une silhouette attendait au fond de la pièce, près d'un autel renversé et brisé. Un personnage au visage émacié, aux cheveux lisses et aux longs ongles noirs.
- Tu devais venir seule, Yatsume...
- Yumi Iro, dit notre ancienne Scorpionne, tu as assassiné mon mari ! Tu vas expier aujourd'hui !...
Le sorcier fit un grand geste vers le plafond : sur les poutres étaient perchés des humanoïdes aux yeux rougeoyants, à mi-chemin du guerrier et du singe. Ils sautèrent en poussant des cris stridents sur les Shosuro. Ils étaient une dizaine : lae combat s'engagea, bref et sanglants. Plusieurs des assaillants furent trucidés par les Shosuro mais ceux-ci n'y voyaient goutte et n'étaient pas agiles comme leurs ennemis. Ils eurent la gorge arrachée ou la nuque broyée par les monstres nocturnes, tandis que Yumi Iro se délectait de ce spectacle. Alors qu'il ne restait plus qu'un Shosuro debout, mais prêt à succomber sous le nombre, Yojiro entra en courant et abattit un des singes : une giclée d'épais sang s'écrasa au mur et la bête expira dans un couinement pathétique. Yatsume s'était aussi attaquée aux monstres mais ceux-ci n'avaient pas cherché à l'attaquer. Nos deux héros mirent fin aux jours des deux dernières créatures et firent face à Yumi Iro.
Yojiro vit un des "ninjas" à terre, la cagoule arrachée et vit qu'il était humain. Il n'allait pas avoir le temps de demander à Yatsume ce qui se passait. Yumi Iro avait déjà les mains enflammées. Nos héros se lancèrent sur lui : Yojiro lui lacéra la poitrine et Yatsume l'empala sur son arme.
Nos héros reculèrent alors car les deux boules de feu du sorcier étaient parties vers le plafond alors qu'il chutait, et maintenant elles allaient retomber !
Ils coururent vers la sortie : les deux météores frappèrent le sol, qui s'embrasa rapidement. Yatsume sauta à côté des flammes pour récupérer son arme plantée dans le sorcier. Elle tira sur son naginata et vit alors que la tête de Yumi Iro avait proprement disparu et que sa poitrine était creuse !
Les flammes crûrent rapidement, faisant un rideau entre elle et Yojiro. Yatsume sentit alors comme une corde la saisir à la gorge et l'étrangler. Elle fut entraînée vers le fond du temple : elle saisit ce qui l'étranglait et sentit alors un tissu mou et caoutchouteux. Elle vit à la lumière des flammes que c'était des viscères ! Elle put relever la tête et vit la tête du sorcier qui flottait au-dessus d'elle, démoniaque, et cette tête se prolonger par un oesophage, des poumons, un estomac et des intestins ! Un pennagolan ! Des vampires qui s'emparent de corp humains et habitent dedans un temps !
- Tu ne dis plus rien, Yatsume ! ricana Yumi Iro.
De fait, notre héroïne étouffait. Elle se sentit entraînée dans les airs : elle se voyait déjà finir pendue au bout du corps de ce monstre !
Yojiro ne pouvait plus passer les flammes, trop épaisses. Il allait suffoquer. Et le feu prenait au toit et aux murs. Le temple ne tarderait pas à s'écrouler. Yatsume se fit emporter sur un poutre en hauteur et sentit l'étranglement se relâcher un peu.
- Nous n'avons que peu de temps, dit Yumi Iro, alors je vais te faire une proposition que tu ne pourras pas refuser...
- Je refuse ! gémit Yatsume.
Les viscères se ressèrent et faillirent l'étouffer.
- Et maintenant ?
- Je... t'écoute...
- Tu vas faire croire que tu m'as tué. Et ensuite, nous irons voir ensemble ce Scorpion qui t'a mis sur ma piste...
Yatsume n'eut pas le temps de lui demander comment Yumi Iro connaisssait Bayushi Kokamoru. Il fallait donner une réponse !
- D'ac... d'accord.
- Parfait...
Le pennagolan relâcha notre Lionne au-dessus du sol et s'enfuit par le haut du temple.
Yatsume, prise dans la fumée, étouffait et pleurait. Elle courut vers la sortie, et vit la main de Yojiro se tendre vers elle : le rônin avait pratiqué une ouverture sur un mur latéral.
Ils sortirent, se gorgèrent d'air frais et s'éloignèrent dans les bois alors que le temple du nord-est craquelait de partout et s'écroulait finalement. La petite armée de l'Inquisiteur Tadao arriva alors que les ruines brûlaient encore abondamment. Tadao poussa un juron quand il vit les corps prisonniers sous les poutres en feu, et aucune trace de Yatsume.
Hida Goemon, Mamoru et les autres fouillèrent les environs sans rien trouver. A cette heure-ci, Yatsume et Yojiro arrivaient dans un petit village à proximité. Ils frappèrent à l'auberge, les habits roussis et noircis.
- Pas de question, dit Yatsume à l'homme endormi en montrant son mon de clan, et deux chambres !
Tadao laissa deux hommes à proximité de la ruine et repartit avec sa troupe, rageur. Pendant ce temps, pas si loin du temple, l'ignoble sorcier pennagolan achevait son travail de vampirisation d'un Shosuro qui avait pu emmener avec lui. Il s'était nourri de son sang et d'une partie des entrailles et se glissa dans ce nouveau corps d'accueil en ricanant, bien à son aise dans cette chair fraîche !
Le palais des familles impériales dans la Cité de la Pieuvre avait pour nom "Les mille nénuphars". C'était certainement le plus beau bâtiment de la ville, construit dans le style le plus traditionnel. Aucune fioriture n'avait été ajoutée, pour affirmer le traditionnalisme des familles Hanteï et Otomo qui y vivaient, contre le style somptueux et débordant promu par le Gozoku. Le contraste était encore plus net par rapport aux grosses bâtisses de la famille Yasuki : depuis qu'ils avaient fait de cette ville leur capitale, il y a deux ans, ils avaient imposé leur opulence tapageuse de nouveaux riches.
Rien de cela au palais impérial, dépouillé à l'extrême, selon le voeu du vieil ambassadeur Hanteï Norio. C'est lui qui accueillait personnellement les invités à l'entrée, près du petit pont consacré aux Ancêtres. Il les conduisait ensuite sur le chemin qui menait aux quatre petits bassins où étaient entretenus les nénuphars. Ces fleurs requéraient pas moins de cinq samuraï et leurs assistants : ceux-ci s'occupaient aussi de magnifiques massifs de fleurs, des circuits d'eau en bambous, des bonzaï, des autels en pierre et des poissons multicolores qui nageaient dans les ruisselets.
Dans la Cité de la Pieuvre, cette cité de décadence, de luxe, de commerce, le palais était un havre de paix et de sobriété. Après quelques pas avec le seigner Norio, les invités rencontraient son assistant, Hanteï Tokan sur le pas de la porte.
Le vieux Norio était le contraire d'un bon vivant : ascète, rigide, il voulait sa vie en tous points conforme à l'excellence. Avec l'âge, il priait de plus en plus les Ancêtres, avec une dévotion aussi profonde qu'intérieure. Il vivait sans apparats mais s'imposait naturellement par sa droiture. Il s'imposait une rude discipline de vie, avec de longs moments de méditation, des bains d'eau froide au moins deux fois par jour. Il recevait les nobles seigneurs qui le désiraient pour les guider sur la voie de l'honneur.
Mitsurugi et Sasuke arrivèrent à la porte parmi les premiers, en compagnie d'Ikoma Noyuki. D'habitude plutôt volubile et extraverti, Noyuki se signala ce soir-là par une retenue qu'on a que face à ceux qui vous impressionnent réellement. Le seigneur Norio regardait d'ailleurs Noyuki comme un vieux professeur qui tient à l'oeil un élève dissipé. Il y avait une explication à cette relation, qui étai liée indirectement au bassin des nénuphars.
C'était lors d'une cérémonie de thé entre Norio et Tokan.
A brûle-pourpoint, le vieux Hanteï avait demandé à son assistant :
- Voyons, que penses-tu du bassin aux nénuphars ?
Surpris, Tokan avait pris le temps de répondre :
- Ma foi, seigneur, il est magnifique, l'un des plus beaux de l'Empire, à rendre jaloux les Grues et...
Il avait compris au regard de son maître que ce n'était pas le genre de réponse attendu. Tokan se sentait en faute.
- Comment dire ?... Il représente bien sûr l'harmonie, la...
- Je vais te dire ce qu'il représente pour moi.
- J'en serais honoré, seigneur, euh...
- Ce bassin, trancha Hanteï Norio, représente l'harmonie de toutes les choses de ce monde. Elles sont ensemble, en un grand tout. Elles vivent, s'épanouissent, se fanent. Et certaines ont besoin que leurs voisines meurent pour prendre leur place et vivre à leur tour. Mais cet ensemble est fragile. Il ne repose que sur de l'eau. Il peut se disloquer si on n'en prend pas soin en permanence. Il peut partir à la dérive, comme ça, par une simple négligence. Nous vivons dans un monde flottant et incertain, sur lequel nous n'avons qu'une prise relative. C'est pourquoi il faut mettre tout notre soin à ne négliger aucun détail, pour que le tout ne se défasse pas.
- Bien sûr, je...
- Maintenant, toi, qu'en penses-tu ?
Norio le regardait sévérement.
- Je sais au moins, dit le vieux Hanteï, ce que ton ami l'ambassadeur Ikoma Noyuki en pense.
Norio sortit alors de sa manche un parchemin plié plusieurs fois. Tokan rougit.
- Partages-tu l'opinion inscrite sur ce papier ?
Tokan savait très bien qui était l'auteur de ce papier : c'était Ikoma Noyuki. Les deux hommes avaient à peu près le même âge, et partageaient un goût pour la fête et les filles... Ils s'étaient retrouvés plus d'une fois dans des maisons réservées et s'étaient invités mutuellement dans les meilleurs établissements de la ville.
Sur le papier, Noyuki avait écrit, après une soirée particulièrement réussie, un petit poème pour remercier Tokan :
"Mon cher ami, vous connaissez les charmes de ce monde flottant et vous vivez près de ce bassin qui le représente si bien. Pour moi, il est évident que ces nénuphars représentent les femmes que nous avons eues, que nous aurons, que nous n'aurons pas et que nous regretterons de ne pas avoir eues."
Tokan baissait la tête.
- Je n'ignore pas, avait dit Norio après un certain temps, que l'expression de monde flottant peut désigner ce monde de plaisirs où vous ne vous privez pas d'aller, tous les deux.
"Bien sûr, lorsqu'on est jeune, on a des forces à gaspiller. On se donne sans compter et on se disperse. Avec l'âge, on apprend à revenir à l'essentiel. Si je vous confiais mes nénuphars, Tokan-san, vous en feriez pousser autant que vous pouvez, pour le plaisir de tous les admirer, quitte à en perdre plusieurs par jour. Pour ma part, j'aime en avoir moins mais que chacun d'eux soit parfaitement soigné.
"Vous admirez l'eau qui rend tout éphémère et emporte les choses. Moi j'admire cette eau que nous savons dompter et qui nous fait vivre.
Tokan n'osait rien répondre.
- J'ai trouvé ce papier que vous avez oublié parmi notre courrier. Que cela, au moins, vous rappelle une prudence élémentaire, dit Norio en rendant le papier à Tokan : ne pas négliger les détails.
Norio finit son thé cérémonieusement et ajouta :
- De toute façon, vous devriez savoir, mon cher assistant, que les femmes, elles, ne négligent pas les détails.
C'était le coup de grâce !
Et ce fut la seule fois où Tokan crut discerner la naissance d'un sourire sur le visage inflexible de son maître !
Sasuke, Mitsurugi et Noyuki s'inclinaient devant Hanteï Tokan.
- Soyez les bienvenus mes amis.
L'assistant leur fit visiter la salle de réception et leur fit servir à boire. Il les présenta à plusieurs personnalités présentes ce soir-là.
Dans un coin, des Scorpions en faisaient exprès de faire semblant d'être discrets et de ne pas se faire voir de tout le monde ! Bayushi Kokamoru ft quelques commentaires à voix basse :
- Voici donc l'ambassadeur Matsu Mitsurugi et son assistant Matsu Sasuke... On dit qu'ils ont eu une vie agitée pour se retrouver dans notre belle Cité.
- Qui parmi nous a eu une vie tranquille ? sourit une shgenja Soshi.
- Nul n'arrive à la Cité de la Pieuvre par hasard, fit un Yogo.
Nos héros remercièrent Hanteï Tokan et Miturugi ajouta :
- A ce sujet, je vous informe que Matsu Sasuke vient de défier en duel un des tensaï du temple Phénix.
- Par les dieux, mais pourquoi ?
- Il a semblé à mon assistant qu'Isawa Ichibei n'était pas en mesure de maîtriser les pouvoirs qui sont les siens.
- Ma foi, c'est une accusation grave.
- Dont Sasuke montrera qu'elle était pertinente.
Mitsurugi n'avait pas parlé à voix basse !
Les Scorpions sourirent de cette entrée des Lions :
- Par Osano-Wo, dit Baysuhi Kokamoru, deux shugenjas qui s'affrontent, cela va animer cette ville bien mieux que la grosse foire marchande dédiée à Daikkoku (fortune de la richesse).
- Et comment ! ricana le Yogo.
- Et nous comptions, disait Mitsurugi, demander au vénérable Hanteï Norio d'arbitrer le duel ! Qui mieux que lui saurait juger avec impartialité et justesse !
- Bien sûr, fit Tokan, mais mon maître ne va-t-il pas laisser sa place à un senseï shugenja, mieux à même de jauger des forces de chacun ?
- Il vaut mieux, dit Sasuke, un regard non averti mais sévère et sans préjugés.
- Je suis sûr que mon maître acceptera. Je lui en toucherai un mot pendant la soirée.
- Nous vous remercions.
- En attendant, mes amis, sourit Tokan, je vous propose de profiter de cette belle soirée d'été. Je vais vous montrer votre table. J'espère qu'elle vous conviendra.
Il y avait cinq tatamis, disposés autour de celui de Hanteï Norio. Chaque tatami représentait un élément, celui du centre étant bien sûr celui du Vide.Il allait manger en compagnie du gouverneur de la Cité de la Pieuvre, du chef de la garnison, de l'ambassadeur de la famille Soshi et du terrible Otomo Jukeï.
Sasuke et Mitsurugi étaient à la même table, celle du Feu.
- J'espère que cela vous va, dit Tokan.
- Parfaitement ! affirma Sasuke.
Nos deux héros s'assirent et Tokan accompagna Ikoma Noyuki à la table de l'Air.
- Ah, le feu... Les attributs en sont la perspicacité et la maîtrise du corps , dit Sasuke.
- C'est tout toi, fit Mitsurugi, les yeux au ciel.
Nos héros regardaient la salle, qui se remplissait peu à peu. Les autres invités de la table du Feu arrivèrent : il y avait un solide vétéran de la Muraille, récemment décoré pour sa bravoure, Hida Trolemon -qui se trouvait être le cousin de Hida Goemon, le garde du corps de l'Inquisiteur Tadao.
Puis arriva une famille Doji : le père, Doji Onegano, déjà âgé, et ses deux enfants, qui ne devaient pas avoir vingt ans : l'aîné, Doji Suzume, intimidé de se trouver là, et sa soeur Doji Ikue, également timide et réservée.
Enfin, Hanteï Norio vint s'asseoir et le repas commença.
- Bon appétit, déclara Hida Trolemon, qui avait visiblement très faim.
Le viril Crabe se trouvait assis à côté de Doji Suzume qui ne devait pas être sorti souvent de son dojo.
- Excellente cette soupe, fit le Crabe.
- Oui, délicieuse, fit poliment Doji Onegano.
Les invités parlèrent de la pluie et du beau temps pendant un moment, jusqu'à ce que Doji Suzume mette un peu les pieds dans le plat.
- Vous êtes donc l'ambassadeur Mitsurugi ?...
- Mais oui  , dit notre héros.
- Alors, c'est vous qui... à la Cité des Apparences, ai-je entendu...
Nos héros et Onegano rirent pour faire comprendre à Suzume qu'il avait, comme on dit, gaffé.
- Excusez l'imprudence de mon fils, dit Onegano.
- Non, ce n'est rien, fit Mitsurugi, bravache. C'est vrai que j'étais à la Cité des Apparences !
Ce n'était pas une gêne pour lui d'en parler, puisque les Lions avaient gagné là-bas ! D'accord, au début de la bataille, il n'était pas encore Lion, mais l'histoire retiendrait qu'il avait apporté la victoire au général Kokatsu.
Sasuke rebondit là-dessus pour titiller le jeune homme, encore frais et pleins d'illusions.
- La guerre est une belle chose. Les hommes s'y révélent !
On apporta un plat de poissons. Hida Trolemon ne parlait pas tellement et en restait au terrain où il était à l'aise, la nourriture. Il avait été invité pour sa bravoure au combat, Hanteï Norio voulant honorer sa demeure de la présence d'un héros de guerre. Mais l'intrépide Trolemon était plus à l'aise pour gueuler des insanités sur des Onis !
- La guerre, dit-il, nous avons pour devoir de ne pas la perdre. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre défaite.
- J'ai connu la guerre, dit Doji Onegano. Contre les Lions, surtout.
Il le disait sans amertume, mais peut-être avec une pointe de regret pour toutes ces années enfuies, ces mois sous la tente dans des campagnes épuisantes et ces négociations ingrates, ces incompréhensions mutuelles...
- J'ai surtout essayé de négocier la paix, ajouta-t-il. Après tout, il faut bien de temps en temps se reposer entre deux batailles...
- Notre famille va se reposer cet hiver à la Cité des Apparences ! dit Sasuke.
Doji Onegano s'attendait à ce genre d'effronterie de la part d'un jeune Lion.
- Prenez vos quartiers d'hiver, oui. Mettez-vous à l'aise, car il se pourrait que nous venions frapper à la porte ce printemps.
Doji Suzume était tout excité. Des piques verbales entre son sage et civilisé père et ces terribles Lions ! Doji Ikue, elle, n'osait dire un mot.
- Quelqu'un reveut du saké ? demanda Trolemon.
Il resservit les deux Lions et remplit son propre verre.
- Et vous, mademoiselle, dit le Crabe à la timide Doji Ikue, que nous racontez-vous ? Vous plaisez-vous dans notre Cité ?
- Ma foi, oui, rougit Ikue. C'est une ville... bien différente de celle où nous avons vécu.
- Mes enfants sortent pour la première fois des terres du clan, expliqua Doji Onegano. Nous venons en avance pour la cour d'hiver, qu'ils se familiarisent avec la Cité. Il est temps qu'ils découvrent le monde.
Suzume commençait à le découvrir ! Sasuke qui parlait des batailles, puis Mitsurugi qui raconta habilement quelques histoires, avec ce qu'il fallait de forfanterie pour impressionner l'auditoire. Le récit plut à Hida Trolemon, et Doji Onegano ne s'y trompa pas : il entendait l'habile raconteur, mais apprécia son talent.
Hida Trolemon raconta quelques anecdotes, en lorgnant du côté de la petite Ikue, qui paraissait fragile comme une fleur à côté d'un rocher. Mitsurugi voyait venir le Crabe et vanta les mérites de sa famille. A la table voisine, Ikoma Noyuki entendait les deux vantards : l'ambassadeur fit un petit signe à Sasuke, en mimant des ciseaux : "dis-leur d'arrêter, ils en font trop !" Sasuke sourit.
La tentative de charme du Hida sur Ikue n'avait pas non plus échappé aux Scorpions, qui observaient du coin de l'oeil, amusés. Mitsurugi n'allait pas laisser Trolemon jouait les jolis coeurs sans réagir. Il s'efforça d'intégrer la jeune fille à la conversation, et il savait que Trolemon, objectivement, travaillait pour lui, puisque, par contraste avec lui, Mitsurugi était à son avantage !
Quant à Suzume, il avait bu plus qu'à l'habitude, et ne cessait de relancer Sasuke sur ses histoires.
- Si seulement vous pouviez venir chez nous ! lança-t-il inconscient.
Et il n'était pas assez ivre pour qu'on ne tienne pas compte de ses paroles.
- Tu vois ce que tu viens de faire, dit son père, tu viens de m'obliger à inviter ces deux samuraï chez nous.
- Mais père...
- Laissez, dit Mitsurugi, ce n'est pas bien grave.
- L'hospitalité est l'hospitalité, dit gravement Doji Onegano. Je vous annonce donc que vous serez les bienvenus chez moi au printemps.
- C'est trop d'honneur ! dit Sasuke.
Suzume se jura de fermer sa grande bouche la prochaine fois ! Il connaissait pourtant par coeur la phrase de son père :
- La grue a un grand bec. Pour peu qu'elle l'ouvre un peu, il s'ouvre tout grand !
Vers la fin du repas, il était rituel de montrer ses talents. Bayushi Kokamoru montrait à ses voisins de table son habileté à faire tourner un bol en haut d'une baguette appuyée sur un doigt. Ikoma Noyuki improvisa quelques poèmes pour résumer la soirée et flattait une vieille dame de la famille Kuni. Il s'attira un certain succès.
- Tiens, Ikue, dit Onegano, montre-nous donc...
- Oh, père...
La jeune fille n'osait pas.
"Montre-nous tes seins ?" pensa Hida Trolemon en mâchant un litchi.
Suzume réfléchit avant de parler et se dit que c'était sans risque :
- Mais si... Voyez-vous, dit-il, ma soeur est une grande artiste de l'origami. Une virtuose !
- Voyons cela ! dit Sasuke.
Elle sortit un papier de sa manche et en quelques gestes, réalisa une figure très complexe :
- C'est un porte-bonheur, dit-elle, alors je l'offre à Hida Trolemon-san, pour qu'il le porte sur la Muraille.
- Oh, merci...
Le gros Crabe ne savait pas quoi dire.
Il se sentait d'un coup tout pataud, comme un gros chien devant une petite souris. Il faillit verser une larme grosse comme un tetsubo, mais se retint à temps en se versant un verre. La vérité est qu'il garda ce porte-bonheur et le chérit chaque soir avant de dormir, bouleversé par le souvenir de cette innocente jeune fille qui avait eut la tendresse de cette attention !
Ikue fit encore quelques pliages rapides : une Grue, puis un Lion qu'elle offrit à Sasuke :
- J'espère qu'il vous conviendra... Mais il n'y a pas là grande magie.
- Très bien, dit Sasuke.
Elle parlait, encore timide mais trouvait une certaine assurance à mesure qu'elle parlait de ses pliages.
- Allons, dit son père, montre-nous donc tes tours...
Ikue soupira, fâchée.
- Ha, elle se fait prier ! sourit Sasuke.
Ikue plia une figure simple et expliqua son tour :
- Je mets ce papier dans ma main, je ferme la main. Je passe mon autre main au-dessus et... voilà !
Elle rouvrit la main et la figure avait disparu !
Trolemon regarda avec de gros yeux ronds :
- Oh, bravo !
Et il battit des mains, tout excité comme un gamin !
- Extraordinaire, hein !
Ikue refit le tour, en promettant de l'expliquer à chaque fois :
- C'est très simple, sourit-elle, amusé par Trolemon, je mets la figure dans ma main... Vous voyez ?
- Ha oui oui...
- Je passe la main, et... elle disparait !
- Mais où est-elle passée !
- Dans votre manche ! -
- Quoi ?
Et le Crabe regardait : et le papier y était !
- Mais celle de tout à l'heure ?
- Dans la manche de Matsu Sasuke.
Le shugenja sortit en effet le papier.
- Bravo, c'est incroyable !
- Elle est très forte, confirma Suzume.
-Vous avez de la chance d'avoir une fille pareille ! dit Trolemon.
Et il but à sa santé !
Le dîner se termina sur un petit discours de remerciements de Hanteï Norio.
- Je vous invite maintenant à passer au jardin, dit Hanteï Tokan.
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28-08-2009, 04:55 PM
(This post was last modified: 28-08-2009, 05:22 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Les invités profitèrent d'une nuit très agréable. Les conversations, après cet excellente dîner, étaient animées. Hanteï Norio discutait avec ses plus nobles invités pendant que plusieurs jeunes samuraï organisaient une compétition de passer de ballon : en se mettant en rond, il s'agissait de se passer une bale san la faire tomber. Ikoma Noyuki n'était pas mauvais à ce petit jeu-là, et la partie se joua entre lui et Bayushi Kokamoru. La vieille dame Kuni, qui avait un peu trop bu, voulut s'y essayer, mais elle manqua se casser la figure et on vint la chercher pour la mettre au lit.
Noyuki gagna la partie et vint voir Sasuke, qui discutait avec Suzume :
- Nous allons à "La perle de l'amour", ce soir, dit-il, tout à trac devant le jeune Grue. J'a réservé pour nous trois, avec Mitsurugi.
- Excellent ! dit Sasuke. Vous nous accompagnez, Suzume ?
- Quoi ? moi ?... jamais... mon père...
- Dommage, dommage... Peut-être une autre fois, alors !
Les deux Lions s'approchèrent de la sortie. Ils attendirent Mitsurugi, qui discutait avec un dignitaire Hida. Quand il eut fini, il vint les voir, pressé :
- Ecoutez, ne m'attendez pas. Partez devant, je vous rejoins...
- Ha, très bien, dit Noyuki. "La perle de l'amour", n'est-ce pas ?
- D'accord.
Les deux Lions partirent de leur côté. Ils remercièrent leurs hôtes. Dehors, ils souhaitèrent bonne nuit à Hida Trolemon :
- Merci. Pas le temps de folâtrer ce soir, dit-il. Je repars demain sur la Muraille alors...
Noyuki et Sasuke lui souhaitèrent la protection des Ancêtres et entrèrent en se frottant les mains dans le quartier réservé. Ils arrivèrent devant la maison la plus luxueuse de la rue :
- J'espère que Mitsurugi ne va pas traîner, car il manquerait quelque chose, c'est sûr !
Tout le personnel était déjà à genoux à l'entrée pour accueillir les deux généreux clients !
Noyuki crut peut-être que Mitsurugi restait pour traiter des affaires politiques, mais il manqua cette fois de discernement. Sasuke, lui, était assez sûr d'avoir compris : lui et Mitsurugi se connaissaient suffisamment pour qu'il n'y ait pas de mystères entre eux.
Notre ambassadeur avait trouvé, en fin de repas, une origami dans sa manche. Un Lion en papier qu'Ikue n'avait pas mentionné. Personne ne l'avait vue la plier. Elle avait dû la faire pendant que tout le monde regardait ailleurs, Sasuke ou Trolemon en retirait une de leur manche.
La jeune fille était près d'un des bassins aux nénuphars. Elle admirait les poissons.
Mitsurugi la regarda un moment en silence, puis s'approcha :
- Ikue-san... Pardonnez-moi de vous interrompre dans votre contemplation, mais j'ai trouvé ceci...
La jeune fille rougit à nouveau :
- Ho oui, j'avais oublié... J'ai été maladroite.
Ou très habile, aurait dit Mitsurugi !
- Je l'ai pliée, et puis... j'ai oublié d'en parler... Je ne sais même pas si je voulais qu'elle arrive dans votre manche... Je crois m'être trompée... J'espère que...
Mitsurugi s'approcha d'un peu plus près :
- C'est la plus belle de la soirée. Je suis honoré de l'avoir reçue...
- Ce n'est rien... Je la referais...
Mitsurugi ne dit rien. Ils regardèrent les nénuphars trembler dans l'eau.
- J'étais curieuse de voir ces bassins... C'est vrai qu'ils sont très beaux...
Ikue se troubla encore et dit à Mitsurugi :
- Allons, raccompagnez-moi au grand jardin. Mon père va s'inquiéter.
Mitsurugi s'inclina légérement et lui proposa de passer devant.
Suzume parcourait le jardin et vit sa soeur :
- Ha, te voilà ! Père nous attend pour partir !
- On se perdrait presque dans ce jardin, dit-elle.
- Ha, merci, Mitsurugi-sama, de l'avoir raccompagnée !
- Mais de rien, sourit notre héros.
Ikue s'inclina et suivit son frère.
Mitsurugi regarda l'origami et la glissa dans sa manche. Il alla dire remercier ses hôtes et partit.
Sasuke et Noyuki s'amusèrent pendant des heures, et rirent de bon coeur. La nuit était déjà avancée quand le tensaï dit :
- Allons, je dois partir ! J'ai une affaire à régler tôt ce matin !
- Entendu, vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que...
- Mais non, amusez-vous ! Je trouverai mon chemin !
- Et Mitsurugi ? Il s'est perdu ou quoi ?...
- Je n'en sais rien, dit Sasuke.
Le tensaï sortit, en se demandant ce que Yojiro allait lui raconter sur Yatsume. A quelques rues du palais, il vit Mitsurugi, qui marchait, seul, pensif.
- Alors, tu t'es perdu ?
- Ah, Sasuke...
Il semblait ravi de le voir.
Le tensaï crut qu'il avait bu une coupe de trop.
- Nous t'avons attendu ! Noyuki avait réservé la meilleure...
- Je... je regardais les étoiles, voilà, c'est tout... C'est si rare, n'est-ce pas, de...
On était au pied du palais des Grues. Depuis tout à l'heure, Mitsurugi tournait en rond et ne quittait pas des yeux la chambre où Ikue dormait.
- Il faut rentrer, dit Sasuke.
Il croyait son ami malade !
- Va, va, rentre... Je suis là...
Il tenait encore debout et il était très calme. Sasuke partit en haussant les épaules. Au palais, il donna des instructions pour être réveillé dès le retour de Yojiro.
Mitsurugi se coucha bien plus tard, alors que les oiseaux chantaient déjà dans la nuit finissante. Délicieusement ivre, envahi d'un sentiment immense, serein et apaisé, il s'endormit en revoyant le reflet fragile d'Ikue dans le bassin aux nénuphars.
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Ah l'amour !
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29-08-2009, 07:09 PM
(This post was last modified: 30-08-2009, 04:14 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yatsume tremblait encore dans son lit. Elle partit dans un mauvais sommeil.
Elle se revit, avant son arrivée dans l'Outremonde. Elle marchait. Elle n'y voyait rien. Quelqu'un la tenait par la main et la guidait.
- N'enlève pas ton bandeau, lui répétait cette personne, ou bien tu resterais prisonnière à jamais de ce monde...
Il faisait froid et on entendait des gémissements au loin. Le sol est rocailleux.
- Où sommes-nous ? demandait Yatsume.
Il lui semblait qu'ils marchaient depuis des jours mais qu'elle ne ressentait pas de fatigue.
- Nous sommes chez les morts... Avance, suis-moi... N'enlève pas ton bandeau. Les mortels ne peuvent contempler cet endroit...
La marche durait encore longtemps.
- Nous arrivons bientôt.
C'était une voix d'homme, inconnue à Yatsume.
Le chemin devenait sinueux et pentu. Bientôt, les gémissements s'estompaient enfin. On marchait dans la boue grasse. Il y eut un passage abrupte, un mur naturel de deux mètres de haut, à franchir à la force des bras. En haut, Yatsume se retrouvait dans un sable humide. L'air sentait l'oeuf pourri et la moisissure.
- Je vais te laisser là, Yatsume...
- Où sommes-nous ?
- Tu vas pouvoir enlever ton bandeau. Nous sommes dans l'Outremonde.
- Quoi ?
- La Muraille n'est qu'à quelques centaines de pas d'ici, droit devant toi. Il n'y a pas de créatures. Dépêche-toi et tout ira bien...
- Et toi ?
- Je suis un voyageur. Je trouverai mon chemin.
Yatsume n'osait enlever son bandeau. Elle commençait à marcher, de plus en plus vite. Elle se mit à courir et enleva son bandeau. Elle vit une tour noyée dans la brume et un grand château en ruines où semblait se tenir un festin de démons. Et derrière elle, sur un rocher, un chat blanc miaulait sa solitude.
Elle se réveilla. L'aube était là.
A la Cité de la Pieuvre, Mitsurugi s'endormait doucement. Hiruya ne voulait pas dormir : il se fit servir un thé noir. Il entendit du bruit dans la rue. C'était Tadao et ses hommes. Il descendit et salua l'Inquisiteur, qui était de très mauvail poil. Il lui raconta en quelques mots, à la porte du palais d'Ivoire, ce qui s'était passé : le temple en feu, pas de nouvelle de Yatsume, pas de trace du pennagolan !
Yojiro fut réveillé par les premières lueurs de l'aube. Il frappa à la porte de Yatsume.
- Repartons, pour arriver en ville avant la foule !
Ils rentrèrent par la porte de l'est et allèrent au palais d'Ivoire par les petites rues. Yatsume alla dans ses appartements et Yojiro alla faire son rapport à Sasuke. Il raconta en quelques mots ce qui s'était passé au temple.
- Tu penses que le démon est mort ?
- C'est ce que Yatsume m'a affirmé. Nous l'avons frappé mortellement, puis le feu a tout emporté.
- C'est un démon. Il peut survivre à cela...
- Je n'ai pas vu ce Yumi Iro mort. Mais Yatsume m'a affirmé qu'il l'était. C'était l'assassin de son mari. Je ne vois pas pourquoi elle aurait menti à ce sujet.
- Tu as dit à Yatsume que c'est moi qui t'envoyais ?
- Non, Sasuke-sama. Elle n'a rien demandé. Je pense qu'elle s'en doute.
- Bien, va te reposer.
Sasuke n'était pas convaincu par Yatsume. Seulement, là où Mitsurugi allait être fâché de cette histoire bancale, lui était satisfait : il tenait un moyen d'accroche sur Yatsume. Il pourrait faire pression sur elle. 
Mais il y penserait plus tard. Il alla prendre un bain froid et passa deux heures en exercices et en prières. C'était en fin d'après-midi qu'il affrontait Isawa Ichibei !
Le soleil avait grimpé bien au-dessus des arbres et des temples les plus hauts quand Mitsurugi se leva, tout guilleret. Il alla prendre un bon bain et prit un solide repas. Il chantonnait. Sasuke vint le rejoindre après sa préparation physique.
- Alors, Sasuke, la nuit a été bonne ? Vous vous êtes bien amusés ?...
- Je m'excuse si j'assombris ton début de journée, mais Yatsume est revenue du temple...
- Alors ?
Sasuke fit une grimace. Il répéta ce qu'avait dit Yojiro.
- Elle s'est moquée de l'Inquisiteur ! rugit Mitsurugi.
- Je ne serais pas étonné qu'il demande rapidement des nouvelles.
- Je vais parler avec Yatsume sur le champ !
On n'allait quand même pas lui pourrir sa journée, après une nuit si incroyable et si inoubliable ! Il ne pensait qu'à Ikue, aux nénuphars, aux étoiles...
C'est donc pressé d'expédier cette affaire qu'il reçut Yatsume :
- Bien, écoute... Ce matin, tu as de la chance, car je suis plutôt bien disposé. Et même de bonne humeur. Alors j'espère que tu vas me rassurer quant à ce qui s'est passé au temple. Tu m'as dit que tu cherchais l'assassin de ton mari... L'as-tu trouvé ? Est-il mort ?
- Oui, seigneur.
Mitsurugi avait regardé Yatsume dans les yeux pendant qu'elle répondait. Il ne savait pas si elle était sincère. Il aurait été insultant de lui demander de répéter.
- Bien, donc quand l'Inquisiteur Tadao va demander des explications pour hier soir, pourquoi tu n'es pas partie avec lui, je vais pouvoir lui dire que c'est parce que tu étais partie en avance tuer cet assassin ?
- Oui, seigneur.
Elle avait légérement hésité. Mensonge ? Enervement et fatigue bien compréhensibles ?... Mitsurugi n'allait pas chercher à trancher et se reposa sur la parole de Yatsume.
- Bien, dit-il, alors dans ce cas, tu sais ce que je vais t'ordonner, conformément à la décision que j'avais prise : à présent que l'assassin de ton mari est mort, tu quitteras le clan du Lion et tu iras te présenter devant le senseï Tange Sazen. Il décidera de ton sort.
- Bien, seigneur.
Ce fut tout.
En fin de mâtinée, Yatsume rendit ses insignes et prit de vieux habits, quelques pièces d'armures, son daisho et de l'équipement de voyage. Elle franchit sans se retourner la porte du palais. Elle traversa la cour, sans baisser la tête, sans honte ni fierté.
Elle vit alors à la porte que Sasuke l'attendait, un petit sourire en coin :
- Il vaudrait mieux, Yatsume, que tu ne sortes pas tout de suite. Certains pourraient vouloir te faire parler, tu ne crois pas ?
- Mais, Sasuke-sama...
- Je te propose de rester au palais jusqu'à ce soir. Nous aurons à parler avant que tu ne partes.
- Mais Mitsurugi-sama m'a...
- Il t'a renvoyé du clan. Mais moi je te demande de rester au palais. Et de ne pas trop te faire voir.
Sasuke, comme il l'avait déjà fait à la Cité du Levant, avait installé ses quartiers dans une aile du palais. C'est là qu'il avait plusieurs rônins de confiance à son service, qu'il recevait des informateurs, tous gens guère soucieux de respecter le code du bushido. Sasuke fit donner une chambre à Yatsume et s'assura qu'elle serait bien traitée.
Mitsurugi avait parlé, maintenant il prenait la situation en main !
L'ambassadeur était d'ailleurs déjà à la porte du palais pour accueillir l'Inquisiteur Tadao, mal rasé et malaimable comme dans les grands jours !
Sasuke assista à l'entretien : Mitsurugi affirma que Yatsume avait tué le coupable. Elle était partie en avance pour être sûr qu'il ne s'enfuie pas.
- J'aurais souhaité lui parler, dit Tadao.
- Elle a quitté le clan il y a quelques heures.
- Puis-je vous demander pourquoi ?
- Une affaire d'honneur sans rapport avec celle qui nous occupe.
- Bien, grogna l'Inquisiteur, puisque j'ai votre parole, je m'incline.
Sasuke se retenait de sourire.
L'Inquisiteur avait à peine franchi le seuil du palais d'Ivoire qu'il dit à Mamoru :
- Tu vas me mettre la main sur Yatsume, par Kuni ! Elle ne doit pas être bien loin !
Mamoru s'inclina.
- Voilà une bonne chose de faite, dit Mitsurugi, soulagé.
Il ne voulait plus y penser maintenant ! Finie de couvrir les agissements de Yatsume !
Il allait se pomponner pour l'après-midi et proposer une petite promenade à Ikue !
- Mais j'y repense, c'est cette après-midi, Sasuke ?...
- Oui, fit le tensaï, confiant. J'espère pour Ichibei qu'il est prêt !
- Avant de partir, hier soir, j'ai parlé à Hanteï Norio-sama, qui nous fera l'honneur d'arbitrer la rencontre !
- Merveilleux. Tu n'as parlé qu'à lui avant de partir ?
Mitsurugi sortit sans répondre, en chantonnant. Il déclara le branle-bas de combat chez les coiffeuses, costumières et maquilleuses du palais ! Pendant qu'il se faisait bichonner, il allait écrire un petit mot galant pour inviter Ikue à assister au duel en sa compagnie. Ce serait du meilleur effet !
Doji Ikue était avec ses dames de compagnie. Elle se faisait peigner, pendant qu'elle chantonnait et qu'elle pliait, rêveuse, des origamis. Il y en avait déjà une dizaine qui jonchaient le sol.
- Penchez un peu la tête, ma dame, que je termine votre tresse.
- Ne serais-je pas mieux les cheveux déliés ? soupira Ikue.
- Oh, ma dame, voyons, vous n'y songez pas. Ce n'est pas du tout la mode ! Vous passeriez pour une femme de basse extraction.
- Tant pis...
Une autre servante, qui faisait un ourlet au luxueux kimono, dit :
- Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire...
- Veux-tu te taire, vilaine, dit Ikue, tu ne sais pas ce que tu dis...
- Bien sûr, pour ce que j'en dis...
Le panneau s'ouvrit et Suzume entra, énervé. Ikue s'approcha du miroir pour se mettre du fond de teint :
- N'as-tu pas appris, mon cher frère, qu'on frappe avant d'entrer, surtout chez une femme ?...
- Une femme, parlons-en, tiens ! Est-ce vrai ce que père me dit ? Que tu vas voir le duel ? Et que tu y vas avec Matsu Mitsurugi ?
Les servantes eurent un petit rire mutin.
- Et quel mal y a-t-il à cela, Suzume ?... Aurais-tu préféré que j'y allasse avec le tendre Hida Trolemon ?
Elle pencha la tête pour que la servante lui passe une aiguille dans la coiffure.
- Il ne s'agit pas de cela ! Ou plutôt si, mais pas seulement !... Crois-tu que ce soit un spectacle pour toi, hein, deux shugenjas qui se battent ?
- Cela doit faire un joli feu d'artifice.
Elle avait souri à ses servantes, qui rirent. Suzume devint tout rouge :
- D'accord... Et ton "cavalier" ?
- Un samouraï accompli, un parfait homme du monde, honnête et d'une conversation agréable...
- Ah oui, et sais-tu où il passe ses nuits avec ses amis ?...
Suzume savait qu'il marquait un point. Ikue prit sa brosse à cils.
- Peu importe, puisque je ne sors pas avec lui la nuit.
- Et je peux voir le mot doux qu'il t'écrit ?
- Est-ce que je lis ton courrier, moi ?
Leur père, Doji Onegano entra.
- Père, dites quelque chose !
- Oui, j'aurais aimé lire ce mot, Ikue.
Ikue soupira et réserva à son miroir le regard noir qu'elle aurait lancé à son frère. Elle fit signe à une servante de le passer.
Onegano le prit et lut.
- Qu'est-ce que cela dit ? demanda Suzume.
Onegano sourit.
- J'ai rarement vu un Lion écrire si correctement et avec une écriture si soignée.
Onegano sortit avec son fils.
- Père, vous ne pouvez pas...
- Du calme, Suzume... Ta soeur ne part pas à l'aventure. Je te rappelle que nous y serons, nous aussi, à ce duel. Matsu Mitsurugi nous accompagnera, voilà tout. Je te rappelle que nous sommes venus ici pour vous sortir des jardins du clan. Ce n'est pas pour que je vous cloître dans ce palais.
Suzume s'inclina devant la décision de son père.
Toute l'après-midi, Isawa Ichibei pria les Fortunes de la Terre en compagnie de son maître, Isawa Masaakira. Il s'était entraîné pendant la mâtinée et ne perdit à aucun moment sa concentration. Les Phénix auraient été étonnés d'apprendre que pendant ce temps, son adversaire Matsu Sasuke n'était pas précisément en transe de méditation !
Mamoru passa l'après-midi à traverser la Cité de long en large, à la recherche de Yatsume. Yojiro s'en doutait et aurait aimé avertir son ami. Seulement, il était en-dehors de la Cité pour quelques heures. Pendant que Yatsume était cloîtrée au palais. Sasuke vint lui rendre visite, deux heures avant le duel.
La rônin était assise, immobile, ni contente ni fâchée.
- Je suis ici pour t'aider, Yatsume.
- Que pourriez-vous pour moi, seigneur ?... Dès que vous me laisserez partir, j'irai voir Sazen, et il y a bien des chances qu'il veuille ma tête.
- Revenons un peu sur la nuit dernière... J'ai écouté ce que Yojiro m'a dit. Je crois que ce maho-tsukaï, Yumi Iro, a très bien pu survivre à l'incendie. Je me trompe ?
Yatsume ne dit rien.
- J'ai, comme tu sais, des pouvoirs suffisants pour détruire ce genre de créatures. J'en ai déjà affronté des pires... Je crois que tu es quelqu'un de valeur et je m'en voudrais que nous te perdions, même si tu es désormais une rônin. Cela n'empêche pas que tu puisses travailler pour nous. Nous avons plusieurs rônins à notre service, comme tu sais.
- Pourquoi faites-vous cela pour moi, seigneur ?
- Si je t'aide aujourd'hui, c'est aussi pour que je puisse compter sur ton aide demain... Il y a des gens qui nous ont fait du mal, à Mitsurugi et moi. Nous finirons par les retrouver. Ce jour-là, nous aurons besoin d'alliés sur qui compter, car nous affronterons une très forte opposition.
- Seigneur, je suis prête à vous aider, car je sais que vous êtes honorables...
- Alors, c'est convenu. Pour commencer, je t'accompagnerai lorsque tu iras au clan du Loup.
- Mais vous ne pouvez pas vous opposer à Tange Sazen... Il a le droit d'exiger réparation pour ce que je lui ai fait !
- Je ne me mettrai pas entre le vieux senseï et toi.
Yatsume accepta.
- Si seulement je savais où est Sazen, dit-elle.
- Nous le saurons bientôt. J'ai envoyé Yojiro se renseigner auprès de nos informateurs dans les villages voisins. Nous partirons demain.
- Bien.
Sasuke la laissa et partit se préparer pour la grande rencontre !
Ce serait l'attraction de cette fin d'été. L'annonce de ce duel n'avait été faite que la veille au soir, parmi les courtisans réunis chez Hantei Norio ; depuis le matin, toute la Cité était au courant. Les Yasuki avaient fait aménager le terrain au nord de la ville pour recevoir le gratin des samouraï. Les tribunes avaient été nettoyées et réparées, les places attribuée selon les rangs. C'était un cauchemar d'organisation pour le Gouverneur, qui devait composer avec les rivalités et les jalousies des uns et des autres afin de placer le public.
Dès le début d'après-midi, le peuple accourait, contenu à grand peine par les soldats. Les marchands affluaient, installant une véritable foire aux alentours du terrain. Dans la ville la plus commerçante de l'Empire, on ne raterait aucune occasion de faire de l'argent.
La phrase qui se répandait, c'était : "Et nous ne sommes pas encore à la Cour d'hiver !..."
- Cela promet un hiver agité, disaient les Scorpions.
Les Hida permissionnaires étaient trop heureux d'aller assister à un duel si rare et si riche en démonstrations spectaculaires. Doji Onegano arriva, très digne, avec ses deux enfants et l'ambassadeur Matsu Mitsurugi, qui marchait galamment à côté de Doji Ikue. On jasait déjà sur ce couple, là encore grâce aux Scorpions, qui ne se privaient pas de répandre et d'amplifier les ragots.
Aux abords du terrain, alors que le soleil s'éloignait sur l'horizon, c'était la cohue. Les soldats du Gouverneur avaient aménagé un couloir de passage, tandis que le peuple agglutiné se rinçait les yeux à voir défiler toute l'aristocratie de la Cité. Mitsurugi et Ikue firent une forte impression : le solide et rayonnant Lion à côté de la fragile petite Grue !
On recula prudemment quand Otomo Jukeï et ses gardes du corps de la famille Seppun ouvrirent la marche pour les familles impériales, surtout pour l'arbitre du duel, Hanteï Norio.
Quand on entrait dans les tribunes, on était impressionné par ce grand terrain désert où soufflait un vent de mort. Mitsurugi s'assit à côté de Doji Ikue, en bordure de la tribune des Grues. De l'autre côté du terrain, derrière les tribunes, dans une petite chapelle, les tensaï Phénix méditaient ensemble. A l'autre bout, en bord de terrain, les Lions étaient là, autour de Sasuke. Notre héros était agenouillé, et priait les Fortunes. Ikoma Noyuki et le troisième des ambassadeurs Lion étaient à ses côtés. La rumeur s'amplifiait à mesure que les tribunes se remplissaient. Le vent du crépuscule se faisait plus cinglant. Les samouraï faisaient le tour de la piste pour rejoindre leurs places. Il était en effet interdit de fouler le sol de l'affrontement. Des shugenjas Kuni récitaient des prières et des moines chantaient des mélopées en jetant du riz pour bénir le terrain.
Ikoma Noyuki fit alors un nouvel arrivant entrer : Matsu Kokatsu ! Le gouverneur de la Cité des Apparences !
Mitsurugi ne put manquer son arrivée car les Grues faillirent se lever comme un seul homme, pour conspuer leur vainqueur ! Il leur était déjà pénible de tolérer la présence de Mitsurugi, mais cette arrivée imprévue, donc spectaculaire, de Kokatsu, c'était la goutte d'eau !
L'aîné des ambassadeurs de la Grue jeta un regard terrible à ses "troupes", et ceux-ci se rassirent dignement. Le petit groupe de samouraï Phénix était le plus digne : ils priaient silencieusement pour Isawa Ichibei.
Les deux seuls représentants du clan du Dragon étaient les deux Ize-Zumi matérialistes, Togashi Ojoshi et Maya. Ils étaient à côté des Phénix et se tenaient en retrait. Les membres de familles impériales, très dignes, étaient raides comme des piquets et immobiles comme des pierres.
Par contre, dans la tribune des Crabes, c'était la fête : on riait, on chantait en choeur des hymnes de bataille et des chansons paillardes, on criait, on se tapait dans le dos. Les Yasuki ramassaient les paris à droite et à gauche, dans les tribunes, à l'entrée. Il étaient une dizaine, parchemins en main, qui notaient les mises et les noms des parieurs qui leur criait le nom de leur champion ! Les Hida, les Kaiu et les Hiruma allaient y faire passer leur solde !
Les Grues trouvaient cette pratique scandaleuse, les Phénix et les Lions de même.
Quant aux Scorpions, ils ricanaient : ils avaient mis au point leur propre système de paris clandestins !
Matsu Kokatsu s'approcha des deux ambassadeurs : ceux-ci saluèrent respectueusement le général. Sasuke était toujours en transe et n'avait pas entendu son supérieur arriver.
- On dirait que j'arrive à temps, dit le terrible Lion en prenant un siège. Mais où est donc Matsu Mitsurugi ?
Noyuki toussota et fit un petit signe vers la tribune des Grues.
- Tiens donc, en voilà qui n'oublie pas de vivre !...
- Ils se sont rencontrés hier. Mais ils sont juste amis, fit Noyuki.
- Bien sûr, grogna Kokatsu en prenant un siège. Explique-moi plutôt la raison de ce duel.
Comme pour répondre au général, Hanteï Norio se leva et descendit cérémonieusement sur le terrain. Le silence tomba d'un coup, et l'on entendit plus que le souffle de l'air qui soulevait la poussière du terrain. Mitsurugi descendit de sa tribune et alla s'agenouiller devant Kokatsu, puis Sasuke se leva et Mitsurugi marcha à ses côtés, avec Isawa Noyuki à deux pas derrière, qui venait comme témoin. A l'autre bout, symétriquement Isawa Ichibei s'avança, Isawa Masaakira à ses côtés, Isawa Nobuyoshi derrière.
Hanteï Norio parcourut du regard toute les tribunes, et les derniers bavards se turent bien vite. Il parla d'une voix grave et mesurée :
- Puisque j'ai l'honneur d'arbitrer ce duel, il me paraît nécessaire d'en rappeler la raison. Matsu Sasuke a accusé Isawa Ichibei d'avoir mis en danger nombre de samouraï le mois dernier en abusant de ses pouvoirs. Sasuke-san a ajouté qu'Ichibei n'était pas capable de maîtriser ses pouvoirs. Matsu Mitsurugi, acceptez-vous ce duel ?
- Je l'accepte.
- Isawa Masaakira ?
- Je l'accepte.
- Isawa Nobuyoshi et Ikoma Noyuki seront les témoins.
Les deux hommes s'inclinèrent.
- Matsu Sasuke, maintenez-vous votre accusation ?
- Oui, dit notre héros, très sûr de lui.
Les deux supérieurs et les deux témoins se retirèrent.
- Que le jugement des dieux tranche ce litige.
Hanteï Norio recula de quelques pas. Il s'assit. A ses côtés, Hanteï Tokan tenait un chiffon rouge qui claquait au vent.
Les deux adversaires se mirent à une quinzaine de pas de distances. Le silence dans les tribunes était complet ; c'en était même angoissant, ce silence collectifs de centaines d'hommes.
Norio fit un petit signe du menton et Tokan lâcha le chiffon, qui alla virevolter et s'enrouler follement sur le terrain.
On ne vit d'abord rien que deux adversaires immobiles, qui se regardaient droit dans le blanc des yeux. Ils n'étaient pas à distance pour s'affronter.
Certains craignirent alors un affrontement sans effet, sans un mouvement, un pur duel intellectuel et abstrait. Les Crabes s'ennuyaient déjà.
Des flammèches apparurent autour de Sasuke, qui crépitèrent comme un feu de bois et tournoyèrent lentement autour de lui. Le sol se mit à frémir tandis que Isawa Ichibei se concentrait.
- Remboursez, baîlla un Hida.
Une secousse plus forte le réveilla !
Des craquelures apparaissaient sur le sol près du Phénix. Les flammes grossissaient autour de Sasuke et tournoyaient de plus en plus vite. Bientôt, ce fut une aura enflammée ; autour de Ichibei, la terre se craquelait, se gonflait, tremblait et ses vibrations se propageaient de plus en plus loin autour de lui.
Soudain, des flammes jaillirent encore plus fortes autour du Lion : on crut qu'il allait se transformer en torche vivante ! Les flammes au-dessus de lui étaient plus grandes qu'un homme et plus voraces que des prédateurs enragés ! Elles continuaient de grossir, tandis que les secousses sismiques atteignaient les tribunes en bois ! Il y eut un début de panique et plusieurs Yasuki décampèrent aussitôt. Les secousses s'amplifiaient : des dizaines de samuraï sortirent en vitesse. Les Crabes, fascinés, étaient debout et criaient leurs encouragements.
Sasuke doubla encore la taille de ses flammes et, parmi les courageux qui étaient restés, ce fut le délire : tout le public était debout et on scandait le nom des deux shugenjas ! Ichibei répondit à Sasuke en faisant jaillir des colonnes de terres en file et en créant un véritable tremblement de terre autour de lui. L'aura autour de Sasuke était devenue énorme ! Les Fortunes du feu accouraient pour s'agréger : le tensaï aurait brûlé en quelques minutes un bâtiment avec un incendie pareil !
Des fissures de trois pas de large apparaissaient dans la terre, des golems sortaient de terre autour d'Ichibei, tandis que Sasuke paraissait maintenant entoure d'une véritable nuée d'oiseaux de feu ! Des ailes de Phénix lui avaient poussé, des geysers ardents partaient en tous sens. Plus de la moitié du public était parti, sans parler du peuple, qui avait créé un véritable mouvement de panique.
Les deux adversaires étaient au moins d'accord pour en mettre plein la vue au public !
Ichibei fit jaillir deux immenses créatures de rochers à ses côtés et engendra une déflagration qui fit s'écrouler les premiers rangs de la tribune des Yasuki, heureusement désertée. Hantei Norio et Tokan avaient reculé. Sasuke renforça encore sa concentration et, en plus des flammes, un gigantesque Phénix crachant du feu vers les cieux naquit au-dessus de lui et explosa en dix gerbes éblouissantes. Le tremblement de terre allait attaquer toutes les tribunes : les fragiles bâtiments en bois tremblaient et allaient s'effondrer !
Voilà le public qui s'enfuit jusqu'au dernier ! Les tribunes croulent tout entières. Les bâtiments sont par-terre et au travers des ruines, on aperçoit des explosions en chaînes, qui éclatent comme autant d'incendies qui se propageraient ! Des créatures titanesques apparaissent et disparaissent ; la terre tremble de plus en plus fort. Chacun des adversaires pousse un long cri de rage continu ! Ils sont entièrement possédés par les puissances de leurs esprits, qui en font, pour quelques instants, des demi-dieux ! Un véritable mur de flammes jaillit autour de Sasuke et le terrain commence à s'affaisser ! Un cratère est en train de se former, qui achève de saper les derniers bâtiments autour. C'est une vision en avance de la fin du monde !
Soudain, les flammes retombent, les phénix s'évanouissent, les geysers disparaissent. Le sol reprend son calme et les fissures se referment. Le terrain continue de glisser mais le cratère ne s'agrandit plus. Autour des deux hommes, il n'y a plus que des décombres. Leurs pouvoirs ont disparu : ils sont face à face, haletants dans ce décor ravagé !
Lentement, les samuraï enjambent les planches de bois et les restes des marches. Soutenu par Tokan, Hanteï Norio s'avance. Alors que les tribunes menaçaient de tomber, Mitsurugi était revenu près de la douce Ikue. Elle s'est agrippée à son bras puis elle ne l'a pas quitté quand ils ont dû sortir du terrain. Ils reviennent tous les deux. Ikue doit lâcher Mitsurugi et se réfugie dans les bras de son père. Fiérement, un pied sur un empilement de planches, Mitsurugi contemple le champ de ruines. Kokatsu aussi s'avance, comme le vainqueur d'une bataille face aux morts.
Il n'y a plus guère que le quart du public de départ à oser approcher des deux duellistes, épuisés.
Norio attend que tout monde ait formé un cercle en bas du cratère noirci par les flammes :
- Bien...
Il s'éclaircit la voix. Il doit y avoir une cinquantaine de personnes tout au plus, fascinés par ce qu'ils viennent de voir, qui sont descendus sur le terrain encore fumant :
- Bien, chacun de vous a fait démonstration de ses pouvoirs...Comme aucun de vous deux n'a su, à mes yeux, prouver sa supériorité, je vous déclare ex-aequo. L'accusation de Matsu Sasuke ne tient donc pas.
"A présent, puisque vous êtes de valeurs égales, je vous invite à vous réconcilier, comme le font les ennemis après la bataille, quand ils sont devenus des frères d'armes.
Les deux shugenjas se saluèrent poliment mais sans fraternité et se tournèrent le dos. Ils partirent sur les hourrah et les applaudissements des Crabes.
- Moi qui croyais qu'on allait assister à un concours de récitations de prières !
Une servante amena un linge à Sasuke, qui était en sueur. Kokatsu lui donna une bonne tape dans le dos :
- C'est bien, Sasuke. Tu as montré que tu n'as pas du jus de navet dans les veines !... Hanteï Norio n'a pas voulu vous départager dans le but d'apaiser les tensions entre nos clans. C'est tout à son honneur d'avoir tranché si impartialement.
- Oui, Kokatsu-sama.
Sasuke s'inclina : en réalité, il était deçu de lui. Il savait qu'il aurait pu faire mieux. Il lui en restait dans les chaussettes mais il n'avait pas réussi à tout donner !
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30-08-2009, 05:52 PM
(This post was last modified: 02-09-2009, 04:02 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
2ème partie : Les routes brûlantes<!--sizec--><!--/sizec-->
Sasuke passa la fin de journée à se reposer et à prier les Esprits. S'il n'avait pas gagné, il avait montré de quoi il était capable ! Il se coucha tôt, non sans avoir fait dire à Yatsume qu'ils partiraient le lendemain très tôt avec Yojiro.
Matsu Kokatsu s'installa au palais d'Ivoire. Il n'indiqua pas les raisons de sa venue. Il ne venait pas reprendre en main l'ambassade du Lion. Non, il s'installa dans une chambre à l'écart et laissa les ambassadeurs vaquer à leurs occupations. Fatigué par son voyage, il ne fit même pas de remarques à Mitsurugi sur ses nouvelles fréquentations.
D'ailleurs, dans les jours qui suivirent, il ne se fit pas spécialement remarquer, ce qui était surprenant quand on connaissait le personnage, qui avait l'habitude de s'imposer partout où il passait.
Mitsurugi reçut un message de Doji Onegano qui l'invitait à venir prendre le thé après le repas du soir. Notre ambassadeur avait quitté poliment Ikue et sa famille après le duel. Il n'avait pas joué les fanfarons face aux autres Grues, il n'avait pas eu une attitude inconvenante. Il n'avait sûrement pas commis de faute d'étiquette -sinon Kokatsu lui aurait fait remarquer, n'est-ce pas !
C'est donc serein qu'il se rendit à la maison de thé, comprenant que l'heure était venue d'avoir une discussion avec "beau-papa" !
Doji Onegano était arrivé avant lui. Il se faisait servir une tisane avec des petits gâteaux : il invita aimablement Mitsurugi à s'asseoir.
- Le duel a été au-delà de tout ce qu'on pouvait attendre...
Il fit des compliments sur les deux combattants, et les deux hommes échangèrent des politesses et des considérations sur la vie comme elle va, sur l'ambiance dans la Cité et sur l'annonce étonnante que la cour d'hiver se tiendrait cette année chez les Crabes.
Puis Onegano dirigea la conversation sur la soirée de la veille chez Hanteï Norio :
- Nous avons passé un excellent dîner en votre compagnie. Vous avez remarqué que vous avez fait forte impression sur mon fils Suzume. J'espère que son impatience ne vous a pas exaspérés...
- Du tout, voyons ! Il est encore jeune, c'est bien normal ! J'étais pareil à son âge !...
- Oui, nous en sommes tous passés par là... Sauf que, comme je vous l'avais dit, mes enfants ont eu une vie très protégée, contrairement à moi, qui suis parti jeune à la guerre, avant de rejoindre le corps de nos ambassadeurs.
Il raconta combien il regrettait de n'avoir pas aguerri plus tôt ses enfants.
- Nous ne savions pas que la cour d'hiver aurait lieu chez les Crabes, en partant. De ce fait, nous resterons plus longtemps que prévu... Nous venions ici pour prier des Ancêtres à nous, qui ont combattu jadis aux côtés du clan du Crabe. Nous voudrions leur rendre hommage, et en même temps, découvrir l'Empire...
Mitsurugi dit qu'il en était ravi !
- Seulement, dit Doji Onegano, je n'aimerais pas qu'il y ait des malentendus entre nous, Mitsurugi-san.
Notre héros serra les dents.
- Voilà, en tant que père, je suis bien sûr flatté qu'un samuraï honorable comme vous se trouve, disons, charmé par ma fille -on peut le dire comme cela ?
- Oui, fit Mitsurugi, qui souriait jaune.
- Bien, je préfère prendre les devants, car il serait mauvais que je me taise, et que je vous permette de nourrir de faux espoirs... Voilà, car cela tient en deux mots : ma fille... Doji Ikue... est déjà promise à un autre.
Mitsurugi fit un effort violent pour rester stoïque et finir sa tasse.
- Ce mariage a été prévu peu après sa naissance, afin d'unir ma famille à une maison prestigieuse qui, depuis, n'a cessé de faire montre de son excellence.
- Quel honneur pour votre fille... et pour votre famille ! articula Mitsurugi, qui aurait préféré en ce moment discuter poésie lyrique avec un maho-tsukaï plutôt que d'écouter Onegano.
- Oui, mon futur gendre se nomme Kakita Yagyu. Il est encore jeune, mais il a obtenu l'autorisation d'ouvrir son propre dojo... Figurez-vous que c'est un virtuose du sabre, dans la grande tradition de sa famille. Il est promis à un avenir glorieux.
- Oui, fit notre héros, qui perdait peu à peu contenance, les Kakita... assurément... sont les duellistes les plus réputés de l'Empire...
Il s'écoutait parler, comme s'il n'était plus qu'un fantôme détaché de ce monde.
- Doji Ikue est consciente de la chance qui lui est faite. Elle le sait depuis qu'elle est toute petite... Par ailleurs, je dois dire qu'elle vous apprécie. Et à ce sujet, j'ajoute que mon invitation tient toujours. Si vous désirez venir, l'été prochain, chez nous, vous serez le bienvenu.
Pour tenir la chandelle à Ikue et son mari, bien sûr !
Mitsurugi sentait qu'il aurait pu, en cet instant, s'effondrer.
- Je vous... remercie, pour votre franchise, Onegano-sama. Et pour l'invitation aussi... Je vous ferai savoir...
Il ne savait plus quoi dire pour s'en tirer dignement. Si des etas avaient voulu le traîner dans la boue, il n'aurait peut-être pas vu la différence. Il remercia encore pour le thé et dit qu'il était tard.
Onegano le regardait d'un air qui signifiait que, sans s'apitoyer sur lui, il comprenait le mal qu'il lui faisait. Mais Ikue n'était pas promise à un ambassadeur Lion, si brillant soit-il, mais à la crème de l'élite des Kakita !
Notre héros s'en alla sans savoir s'il allait tenir debout.
Il arriva au palais, blême et monta les marches, écoutant chacun de ses pas comme si ce n'était plus les siens.
Il n'était plus rien ! Rien !...
Et surtout, quel imbécile, mais quel imbécile il avait été ! Quelles illusions !...
En si peu de temps ! Il s'y voyait déjà !... Il s'était monté la tête comme un gamin !
Même Doji Suzume aurait pu rire de sa naïveté !
Il voyait les gens autour de lui, du samurai au mendiant, et il était sûr qu'ils se moquaient de lui sous cape ! Oh oui, comme ils devaient rire !... Accablé, honteux, abattu, il s'était enfermé dans sa chambre, pas sûr de pouvoir encore se regarder dans un miroir ou de croiser le regard de quiconque !... Kokatsu pourrait se rassurer ! Finie la romance, adieu !...
Il remua pendant des heures dans son lit. C'était trop... Il y avait tellement cru, et plus dure était la chute ! Il était aussi imbécile de s'être raconté des histoires qu'il était stupide maintenant d'en souffrir autant !... Il avait deux fois tort ! Pour le coup, il était prêt à se punir en invitant tout le clan du Scorpion à rire, mais à rire de lui tant qu'ils voudraient !
Et ce Kakita Yagyu ! Il le détestait déjà ! Il rageait d'impuissance ! Socialement, Mitsurugi lui était inférieur, et au sabre, il n'aurait pas une chance contre un duelliste virtuose !... Si jamais les dieux l'accablaient en l'obligeant à rencontrer ce bellâtre, il n'aurait qu'à s'aplatir devant lui en lui faisant des compliments sur ses talents de bretteur et sur sa magnifique future femme !
Le coup de grâce décoché par Onegano avait été la nouvelle suivante :
- Nous célébrerons bientôt les fiançailles d'Ikue. Comme nous restons pour l'hiver, c'est Kakita Yagyu qui fera le déplacement. La cérémonie aura lieu non loin d'ici, au temple de Megumi, la Fortune qui guide les héros...
Avait suivi une explication dont Mitsurugi n'avait suivi un traître mot.
Il était déjà en train de retourner dans sa tête des plans dérisoires pour empêcher ces fiançailles : demander à Sasuke de brûler le temple, puis finir comme rônin et aller se pendre ?... Prier pour que Yagyu attrape la petite vérole ?... Se contenter de devenir l'amant de Ikue, donc la déshonorer, se déshonorer et se suicider avec elle ?
Il y avait tant de solutions, toutes plus reluisantes les unes que les autres !
Non, raisonnablement, c'était sans issue.
Mitsurugi finit par s'endormir, en espérant qu'à son réveil, il aurait tout oublié !
L'aube était à peine là quand Sasuke, Yatsume et Yojiro quittèrent la Cité de la Pieuvre par la porte du sud-est. Ils traversèrent plusieurs hameaux dispersés dans la campagne, où Yojiro retrouva des informateurs. Ils finirent par trouver le lieu où le clan du Loup avait établi son refuge. Ils étaient dans un village perché sur une colline, à l'entrée d'une étroite vallée dans laquelle aucun chemin ne menait. De ce village, ils pouvaient voir venir au loin et pouvaient s'éclipser rapidement sans laisser de traces.
C'était une région sauvage, rocailleuse, à la végétation rare. Pas de cours d'eau, des terrains valonnés, arides. Même des bandits ne pouvaient y trouver refuge.
Ce qu'ils ignoraient, c'est que Mamoru, tenace, était toujours à la recherche de Yatsume. Dans la matinée, il eut vent du départ du groupe de Sasuke et se lança sur le chemin du sud-est.
Le soir tombait sur la colline quand le guetteur des Loups signala l'approche de trois samuraï. Le chef, Juro, que nos héros avait connu à la Cité du Cri Perdu, reconnut sans peine Sasuke.
- J'ignore ce qu'ils nous veulent. Laissons-les approcher.
Nos trois samuraï entrèrent dans le village, surveillés par une dizaine de rônins aux mines farouches. Juro les attendait de pied ferme, au milieu de la route :
- Que nous vaut le plaisir, Sasuke-sama ?
Il s'inclina brièvement devant lui.
- Nous venons pour Yatsume, dit notre héros.
- Où sont passés ses insignes de clan ?
Yatsume s'avança :
- J'ai été déchue pour mon acte de trahison envers vous.
- Ce n'est là que justice, affirma Juro. Je vois que Matsu Mitsurugi a encore de la considération pour nous.
Il paraissait loin maintenant, à nos héros, le temps où ils erraient sur les routes comme de véritables rônins.
- Heureusement qu'il y a encore des samuraï comme vous, dit Juro. Car le chien de chasse du Gozoku, le capitaine Otomo Jukeï, n'a pas renoncé à voir un jour nos têtes au bout d'une pique !... Mais ne restons pas ici, entrez...
C'était un petit village, où ne vivaient qu'une dizaine de familles. Il y avait un puits, un peu de gibier dans les environs, et plusieurs potagers, entretenus à grand'peine. Les Loups avaient fortifié le village et découragé une bande de pillards de venir accabler les paysans. Un des hommes de Juro préparait une grosse marmite de soupe pour tout le monde. On s'assit autour du feu et on passa une écuelle à nos héros :
- Vous ne devez plus être habitués à ce genre de nourriture.
- Nous nous en contenterons, dit Sasuke. Je vois que tu as recruté du monde...
Lorsque les Loups avaient quitté la Cité du Cri Perdu, ils ne devaient pas être plus d'une vingtaine. Le combat contre le Lotus Noir et le Lotus Blanc avait décimé leurs troupes. Puis, quand le Gozoku les avait retrouvés du fait de la trahison de Yatsume, ils avaient encore perdu des hommes.
- Depuis que nous avons quitté l'île, dit Juro, nous avons longé les terres de la Grue. Nous sommes passés près d'Otosan-Uchi, et nous y avons vécu quelques semaines.
Otosan-Uchi n'était plus la capitale de l'Empire. Depuis l'avènement du Gozoku, une autre ville avait été mise en chantier : la Cité de Bakufu. C'était un projet gigantesque, de faire sortir de terre une capitale à partir de rien. Le triumvirat ne reculait devant rien pour montrer sa puissance et magnificence.
Otosan-Uchi était donc devenue une Cité de bien moindre importance, quoique l'Empereur y vécût toujours, dans la Cité Interdite.
- Là, nous avons vu beaucoup de samuraï sans clan se joindre à nous. Nous avons continué à suivre les exigences de Manji : je ne recrute que des hommes honorables. Je ne veux pas de crapules plus sales que des chiens. Je veux des guerriers qui croient encore à des mots comme la droiture, la compassion, le dévouement...
- Alors pourquoi m'acceptes-tu parmi les tiens ?
Celui qui avait parlé venait d'entrer dans la pièce ; et c'était Tange Sazen !
Yatsume eut un frisson dans la nuque. Le vieux senseï borgne et manchot n'avait pas perdu son entrain. Il s'assit parmi les convives et se servit généreusement.
- Figurez-vous que Juro me prend pour l'autorité morale de son groupe ! Allez savoir pourquoi ! Avec le passé que je traîne derrière moi, comme un chien traîne ses casseroles !
- Parce que je préfère, dit Juro, un homme d'honneur qui essaie de passer pour une canaille, que le contraire.
Sazen sourit :
- Bien répondu.
Et il se resservit !
- Pourquoi venez-vous donc visiter notre belle région ?
- Nous sommes en chasse, dit Sasuke.
- Vous traquez du gros gibier ?
- On peut dire ça, oui, dit le shugenja en soufflant sur sa soupe.
- C'est un maho-tsukaï, dit Yatsume.
- Vous croyez qu'il est parmi nous
? dit Sazen.
Yatsume répondit simplement :
- Je connais sa tête. Je l'aurais déjà reconnu.
- Ah, si c'est une vieille connaissance à vous.
Yatsume s'inclina devant le vieux samuraï et répéta les ordres donnés par Mitsurugi. Elle avait pour Sazen un véritable respect, auquel s'ajoutait une culpabilité non feinte.
- Mitsurugi a dit que je devais décider de ton sort ?... Tu me prends de court, là, jeune fille. A mon âge, on n'a plus les idées aussi vives que le noble ambassadeur Mitsurugi !
- Si c'est elle qui nous a vendus, maugréa un rônin, le châtiment est tout trouvé.
Juro lui intima l'ordre de se taire.
- Yatsume est venue nous voir de son propre chef aujourd'hui, dit Sazen. Rien ne l'empêche de repasser plus tard. Quand sa chasse sera finie... Nous pouvons attendre, pas un maho-tsukaï.
- Vous n'avez pas entendu parler de lui ? demanda Yojiro.
- S'il traîne dans la région, répliqua Juro, nous mettrons la main sur lui. Demain, deux de mes éclaireurs partiront avec vous. Nous avons des contacts dans les villages voisins...
- Sois-en remercié, dit Sasuke.
- Hé bien les enfants, dit Sazen, ce n'est pas que je m'ennuie avec vous mais je vais aller me coucher !
Les autres ne tardèrent pas à l'imiter, y compris nos héros, qui préféraient prendre des forces pour le lendemain.
Ils étaient en route avant le lever du soleil. La campagne était encore perlée de rosée et gris bleu.
- Ça va encore être le cagnard aujourd'hui, dit un des éclaireurs.
Ils passèrent la journée à écumer la campagne à l'est de la Cité de la Pieuvre. Ils passèrent interroger les gens dans une dizaine de villages. Ils durent faire une pause aux heures les plus chaudes car c'était vraiment intenable. On aurait pu cuire du riz sur les rochers ! Ils se remirent en route alors que le sol était encore chaud sous les semelles.
La végétation était racornie. Quelques insectes osaient sortir de terre pour braver le soleil.
Ils s'arrêtèrent dans un village pour y refaire leurs provisions d'eau. Ils entrèrent dans la taverne où les habitants, après une journée aux champs, aimaient se retrouver.
Mamoru était au comptoir.
Il les attendait. Il les avait vus arriver.
- Que fais-tu là ? demanda Sasuke.
Mamoru salua le shugenja, ainsi que Yojiro et Yatsume, mais sans amabilité.
- Nous devrions sortir pour en parler.
Ils allèrent à la sortie du village. Sasuke dit juste :
- Nous t'écoutons.
- Je suis envoyé par l'Inquisiteur Tadao pour retrouver Yatsume.
- C'est fait. Et je t'annonce qu'elle est pour le moment sous mes ordres.
- C'est une affaire grave, Sasuke-sama.
- Tiens donc...
- L'Inquisiteur pense que le sorcier n'est pas mort, Yatsume ! Il veut te voir pour en parler ! Et pour savoir ce que tu avais de si urgent à lui dire à ce sorcier !
- Silence, Mamoru, répliqua Sasuke. Mesure tes paroles, car si tu insultes un de mes rônins, tu m'insultes indirectement... Toi ou l'Inquisiteur êtes-vous prêts à cela ? Je ne crois pas.
"Bien. Parlons la tête un peu plus froide. Je te certifie personnellement que Yatsume a tué ce maho-tsukaï. Ma parole suffira-t-elle ? Oui ? Bien. Il se trouve que nous sommes en campagne parce le sorcier n'était pas seul. Il a au moins un complice, que nous voulons retrouver. Puisque l'Inquisiteur a le devoir de trouver ce genre de créatures, je pense qu'il ne verrait pas d'inconvénient à ce que tu nous accompagnes dans notre chasse !
Calmé, Mamoru s'inclina et accepta.
- C'est parfait. Alors, pour fêter nos retrouvailles, je paye ma tournée !
Mamoru partit devant et Sasuke fit un petit signe affirmé de la tête, qui signifiait "Et tout ça en improvisation !"
Cette rencontre aigre-douce fut vite oubliée après deux bières et c'est avec un rônin en plus que le groupe de Sasuke repartit en direction du prochain village.
Le soleil tombait à nouveau sur Rokugan. Les ombres s'allongeaient et la terre refroidissait lentement. Quelques chiens sauvages osaient sortir de leurs terriers. Les six samuraï du groupe de Sasuke entrèrent dans un village dit "des pierres rouges", en raison des falaises d'ocre à proximité. La terre était elle-même rousse aux abords des maisons. C'était une bourgade un peu plus grosse. Les travailleurs extrayaient de gros blocs de pierre qui seraient réduits en poudre pour faire de la teinture.
Des soldats Yasuki surveillaient la carrière d'ocre. Des paysans menaient de gros troupeaux de bovins à l'étang et une vingtaine de familles se courbaient pour travailler à la rizière. Nos héros montèrent dans les rues étroites de cette cité construite sur une colline et s'arrêtèrent pour dîner dans une auberge.
C'était encore Sasuke qui régalait.
Alors que nos héros avaient le nez dans leur bol de riz, plusieurs personnages entrèrent, salis par la poussière du chemin. Des rônins. Sasuke leur jeta juste un regard, puis reprit des légumes. Yatsume les vit et laissa tomber ses baguettes. L'homme qui la regardait, accoudé au comptoir, et qui enlevait son grand chapeau, n'était autre que Yumi Iro !
C'était le pennagola, dans un nouveau corps ! Notre héroïne fixa le maho-tsukaï, fascinée. Celui-ci but un verre avec ses hommes et repartit.
- C'était lui, Sasuke-sama !
- Quoi ? Le sorcier ? Tu plaisantes !...
- Non, je l'ai reconnu.
Nos héros sortirent de l'auberge : Yumi Iro et ses hommes avaient disparu.
- En tous les cas, tu as bien fait de ne pas te jeter sur eux. Ils auraient pu déclencher un massacre.
Les travailleurs rentraient chez eux, fatigués et une patrouille de yorikis passa près de nos héros.
- Ils ont fait exprès de se signaler à toi, dit Sasuke.
Sasuke emmena les rônins à l'auberge. Ils se couchèrent tôt, avant même le coucher du soleil.
Pkusieurs heures passèrent. Yojiro finit par rouvrir les yeux, agacé. Il lui semblait, dans son sommeil trop léger, qu'il faisait plein jour. Il avait déjà eu cette sensation dans les nuit de pleine lune, quand le ciel est trop clair.
Il n'y avait pas de lumière dans la pièce ; en revanche, à travers le rideau, il vit une lueur laiteuse. Il ouvrit la fenêtre : c'était l'intérieur du bois, tout proche, qui brillait. Yojiro réveilla Sasuke, puis Mamoru. Yatsume était déjà debout. Nos héros s'habillèrent en vitesse et descendirent dans la rue. Ils traversèrent la ville au pas de course et entrèrent dans le bois sans hésiter.
Les rônins tirèrent leurs armes. Ils approchèrent de la lumière lunaire logée dans le bois.
Ils découvrirent d'immenses toiles d'araignées brillantes, qui enserraient tout le bas des arbres. Elles étaient comme d'immenses draps déchirés pendus entre les clairières et les branches. Sasuke fit signe à Mamoru et Yojiro de partir de leur côté trouver l'origine de ces toiles. Lui allait dans la direction opposée, avec Yatsume. Même face au surnaturel, il ne perdait pas le nord...
Mamoru passa en premier : il écartait les toiles d'araignée avec son tetsubo. Il se sentit soudain agrippé à la cheville : une toile s'y était enroulé !
Il fut entraîné en avant, vers une grosse masse blanchâtre qui tremblait déjà de l'engloutir. Yojiro évita l'attaque d'un jet de toile et courut après son camarade. Celui-ci fit ligoté en enserré fermement, prêt à être étouffé ; Yojiro trancha ses liens et l'aida à se débarrasser des derniers morceaux. Une créature sortit des buissons et entra dans le halo de lumière crue qui irradiait la clairière. Il était coiffé d'un grand chapeau blanc, aux bords duquel était attaché un drap blanc qui lui recouvrait tout le corps.
- Salutations, Yasashiro...
Mamoru, appelé par son prénom de samuraï de clan, reconnut alors la voix de l'ancien sergent de son groupe, Hida Eizan ! Il n'apparaissait plus comme un samouraï spectral, entouré d'une aura verdâtre mais sous son vrai jour, sa nouvelle forme depuis qu'il avait succombé à la souillure de l'Outremonde.
- Je m'appelle Pureté... Et toi, soldat, quel sera ton nom quand tu nous rejoindras ?
Mamoru reprit en main son tetsubo et se mit en garde :
- Je ne vous rejoindrai pas ! Tu n'es plus un samuraï mais un monstre que je dois combattre !
Pureté sortit son sabre et se mit en garde. Mamoru savait que son sergent avait toujours été le plus doué du groupe ; un des meilleurs duellistes du clan du Crabe à l'époque.
- Je suis toujours ton supérieur, Yasashiro. L'honneur commande que tu m'obéisses...
C'était abject d'entendre parler cette créature d'honneur. Mamoru brandit son tetsubo et se prépara à charger.
Yojiro entendit derrière lui un entrechoquement, comme celui d'une mâchoire qui claque... Il se retourna et vit un monstrueux humanoïde, obèse et à la tête d'araignée, avec des morceaux d'armures, ce qui en faisait une caricature hideuse de samouraï. Le monstre cracha sur le rônin un jet de toile tranchante comme une lame, mais Yojiro se jeta de côté. Il trancha les toiles qui le gênaient à côté de lui, tandis que son adversaire sautait de tout son poids juste devant Yojiro. Le rônin se mit en garde ; le gros monstre allait l'attraper pour lui sectionner la gorge avec ses mandibules mais le rônin fut plus rapide et trancha dans sa graisse puante. Un geyser de mauvais sang brun en jaillit et le monstre recula en poussant un hurlement déchirant. Il cracha un gros filet, et Yojiro dut reculer. Le monstre en profita pour s'enfuir vers les hauteurs, porté par ses toiles.
Pureté et Mamoru s'étaient toisés un instant : puis les deux hommes avaient chargé l'un sur l'autre. Pureté entailla profondément Mamoru, mais le rônin était tout sauf douillet : excité par la douleur, il fracassa la poitrine de Pureté d'un coup de sa masse à pointe et lui renvoya un second coup en travers du visage, faisant littéralement éclater le corps du monstre. Il avait déchiré l'habit impeccable de son adversaire et découvrit en-dessous un corps atrophié, avec littéralement de la chair sur les os, une chair morte et puante, dont la vue et l'odeur étaient dissimulées par cet habit de mort (le blanc était la couleur de la mort à Rokugan).
Dégoûté, Mamoru fracassa le crâne de son ennemi. Il retrouva Yojiro et les deux rônins sortirent de la clairière.
Sasuke et Yatsume étaient partis dans la direction opposée, dans la forêt obscure ; des branches craquèrent et une silhouette apparut derrière nos deux héros. Il avait les yeux qui luisaient comme des émeraudes : Yumi Iro !
Yatsume se mit en garde face à lui :
- Nous allons en finir sur-le-champ !
- Je pensais que tu venais pour discuter...
- Pourquoi discuter avec celui qui a fait de moi une veuve !
- Alors tu n'es pas prête à entendre la vérité...
Sasuke fit signe à Yatsume qu'il valait peut-être mieux qu'elle écoute. Après tout, si ce maho-tsukaï avait voulu la tuer au temple, il l'aurait déjà fait...
- Ton ami est plus raisonnable que toi, fit Yumi Iro, haletant, une bave haineuse aux lèvres.
- Alors crache ton histoire et finissons-en !
Sasuke avait déjà la main droite en feu, prêt à accélérer les confessions du sorcier.
- Tu te méprends sur moi, Yatsume... D'abord tu as raison, c'est moi qui ai appris à ton mari à se servir de la magie du sang. Mais c'est lui qui m'a invoqué ; allais-je refuser de satisfaire les désirs d'un homme curieux et avide de pouvoirs ?
- J'ai dû le tuer, dit Yatsume, les larmes aux yeux, le tuer avant qu'il ne devienne un monstre comme toi... Grâce à moi, son esprit n'a peut-être pas été englouti par le dieu maudit !
- Haha, c'est là que tu te trompes, chère Yatsume !...
La rônin n'y tenait plus : elle rêvait d'empaler pour de bon ce sorcier et de voir Sasuke brûler son corps.
- Tu n'as pas tué ton mari !...
Yatsume faillit laisser tomber son naginata.
- Quoi ?
- Haha, ton diabolique clan te l'a laissé croire car tu étais la coupable idéale. Tu as voulu le tuer, et il s'en est fallu de peu que tu ne le tues ! Mais quelqu'un d'autre est passé à l'acte avant toi !
- C'est faux !
- Faux ? Alors est-ce faux que tu es devenue folle de douleur après sa mort ? Folle au point de croire que tu l'avais vraiment tué ! Les shugenjas de ton clan n'ont guère eu de mal à te suggérer cette idée, tellement tu étais proche de le faire ! Et tu as été envoyée dans un asile ! Je me trompe ?...
C'était vrai. Yatsume avait passé presque un an dans le grand asile de la Cité des Mensonges, avant de s'enfuir ; elle avait recouvré peu à peu la raison et elle était devenue rônin, en se jurant de retrouver le sorcier Yumi Iro.
- Ton clan t'a fait porter la responsabilité de sa mort !
- Mais pourquoi ! Et si ce n'est pas moi, qui l'a fait ?... Non, tu mens !
- Je mens, hein ?... Alors tu ne me croiras pas si je te dis que j'ai été capturé par ton clan ! Ils auraient pu me rôtir à la broche mais ils ont préféré me garder en vie ! Tu ne me croiras pas si je te dis que j'ai été emmené dans le château de la famille Yogo où, pendant des mois, j'ai été torturé continuellement pour me faire dégorger tous mes secrets ! Tes sinistres camarades de clan s'y entendent quant aux sévices à infliger pour faire parler, crois-moi !... Et ensuite, tu ne me croiras pas quand je te dirai, enfin, qu'après ces mois chez les Yogo, j'ai été emmené en cage loin de ton clan, à travers tout votre Empire jusqu'à la côte, puis par un navire de contrebandiers, sur une île au large du clan du Phénix !... Haha, je connais bien ma géographie n'est-ce pas !
Sasuke avait frissonné : une île !... Une île !...
- Tu écoutes plus attentivement, shugenja, lui dit aussitôt Yumi Iro, hein... Tu n'as pas tort ! Tu vas sans doute me croire davantage que ton amie !... Écoute plutôt : j'ai été mis entre les mains d'un homme qui se nommait Cristal ! Cristal, retiens bien ce nom !
Nos héros ne le voyaient pas mais des silhouettes noires frôlaient les arbres et s'approchaient silencieusement.
- Ce Cristal s'y connaissait aussi bien que les Yogo pour ce qui est de la torture ! Il m'a fait redire tout ce que j'avais dit aux Yogo !... Mais si toi, Yatsume, tu ne me crois pas, ton ami va me croire, quand je dirai que nous étions dans un fortin sur une île... Un fortin gardé par des samuraï du clan de la Tortue !... Que ce fortin a, un jour, été découvert par une troupe de samuraï Phénix dont Cristal a ordonné aussitôt l'exécution !
- Qui est ce Cristal ? rugit Sasuke.
- Haha, il était masqué... Je ne l'ai jamais su... Par contre, grâce à toi, shugenja, et à tes amis, quand vous êtes arrivés sur l'île et que vous avez mis le feu au fortin, j'ai pu m'enfuir ! Ha ha ! C'était parfait ! j'ai rampé jusque sur la plage et je me suis emparé du corps d'une des victimes, et je me suis caché jusqu'à votre départ !... Qu'en dis-tu !
Yatsume ne comprenait pas... Sasuke en était terrifié.
- Où est Cristal maintenant ?
- Il n'était pas là le jour où vous êtes venus ! Mais il vous connait nécessairement ! Il sait qui vous êtes ! Il vous fait surveiller !
Yatsume s'approcha du sorcier, l'arme en main :
- Pourquoi as-tu été capturé ? Que te voulaient-ils ?
- Ils me voulaient, Yatsume, parce que je suis le seul témoin du meurtre de ton mari... C'est moi qui connais le véritable assassin...
- Qui est-ce ?
Les silhouettes noires se dressèrent d'un coup, à quelques pas derrière le sorcier et lancèrent sur lui trois éclairs obscurs. Yumi Iro fut jeté à terre, et son corps humain brûlé... Il hurla à la mort, brûlé par les flammes noires... Il put s'extraire misérablement avec ses poumons et ses viscères de son enveloppe, déchiré par les éclairs.
- Qui est-ce ? Qui l'a tué ?...
Yumi Iro fit un geste desespéré du menton vers les silhouettes. Mais elles étaient à peine visibles, et Yatsume n'aperçut que des ombres.
Le pennagolan se tordit encore de douleur et expira. Ecoeurés, nos deux héros reculèrent. Ils restèrent sur leurs gardes : mais les tueurs du pennagolan avaient disparu. Ils n'attaqueraient pas ce soir.
- Il en a déjà beaucoup dit.
- Oui, Sasuke-sama, mais pas suffisamment.
- Viens.
Ils repartirent vers l'orée du bois et retrouvèrent les rônins.
- Notre chasse est terminée, dit Sasuke. Nous pouvons rentrer.
Ils rentrèrent en ville. Les bois avaient perdu leur lueur surnaturelle : ils étaient redevenus sombres et paisibles.
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31-08-2009, 03:05 PM
(This post was last modified: 03-09-2009, 07:07 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Ils passèrent le reste de la nuit dans l'auberge de la ville des pierres rouges.
Yatsume repartait dans ses souvenirs. Elle voyait une immense plaine, jonchée de corps, sous un ciel rougeâtre parcouru d'éclairs blancs au loin. Elle suivait un chat blanc dans une grotte. A l'intérieur, il faisait frais et on n'y voyait presque plus rien.
Elle entendait le chat lui dire dans sa tête :
- Déchire une partie de ton habit pour t'en faire un bandeau. Tu t'en couvriras les yeux et tu ne l'enléveras pas tant que je ne te l'aurai pas dit. Nous entrons dans le monde des morts. Si toi, une mortelle, regarde cet endroit, tu ne pourras plus en ressortir.
Elle fit ce que son guide lui demandait et finit de passer dans la grotte à tâtons. Le chat la guidait à chaque pas : elle descendit une volée de marche. Elle sentit alors le vent lui fouetter le visage, et entendit un immense gémissement de fond qui emplissait l'air autour d'elle.
Elle se mit en route et suivit le chat durant des heures ou bien des jours.
Maya put obtenir enfin une entrevue avec l'Inquisiteur Tadao. Elle avait dû attendre deux jours que celui-ci soit de retour de voyage. Cette fois, elle n'avait pas eu à "passer" par Hida Goemon -au grand regret de ce dernier.
Elle montra l'énigme de la liseuse de rune à Tadao. Celui-ci lut le texte, circonspect.
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets
L'enfant aux trois étoiles
Frappera un gong
Le silence couvrira cinq nuits
Et l'oubli couvrira la honte"
- Vous avez eu raison de venir me trouver, Maya. Je crois comprendre de quoi il s'agit. Cependant, avant de me prononcer, je vais demander l'avis d'un autre connaisseur de la chasse aux démons : Isawa Nobuyoshi.
Il n'était pas orthodoxe de faire appel à un étranger au clan ; cependant, avec l'Outremonde, le clan du Crabe ne prenait aucun risque : les inquisiteurs Kuni n'avaient pas la fierté mal placée de vouloir tout faire par eux-mêmes. Le tensaï de l'Air l'avait déjà aidé à la Nécropole et il avait une réputation solide de tueurs de monstres.
Maya, l'Inquisiteur et Goemon allèrent au temple des Phénix et y rencontrèrent Nobuyoshi.
- Ma foi, à lire cette prophétie, je crains que nous ne soyons face à une menace d'envergure. Je ne comprends pas qui est cet enfant aux trois étoiles. Je ne sais pas qui le nuage et la cendre désignent. Par contre, je serai assez affirmatif quant au regret et à la honte. Pour moi, cela évoque ces créatures démoniaques que sont les Shuten-Doji...
- Vous devriez expliquer pour Maya, dit l'Inquisiteur.
- Les Shuten-Doji sont des créatures modelées par le Dieu maudit lui-même, à partir de passions négatives élémentaires : la peur, le regret, le désir. Ce sont ces passions qui nous attachent au monde et nous font souffrir, comme nous l'a appris Shinseï. Prenant le contre-pied de cette sagesse, le Dieu de l'Outremonde a forgé ces créatures. Les trois Shuten-Doji majeurs, et plusieurs mineurs, dont le Shuten-Doji de la Honte.
- Je suis content que vous pensiez comme moi, Nobuyoshi-san. Car j'avais envoyé naguère le futur ambassadeur Mitsurugi et ses amis chez les Scorpions, dans la Vallée de la Honte. Ils ont détruit en partie la créature qui avait jeté une malédiction sur cette région. Elles avaient divisé son pouvoir entre six samuraï dont elle avait possédé l'esprit. Mitsurugi et ses hommes en ont détruit trois. Les trois autres parties ont quitté la Vallée et se sont réfugiés non loin au-delà de la Muraille, dans la tour des gémissements. Là-bas, le Shuten-Doji de la Honte s'est reformé à partir des trois esprits.
- La mention de la honte et du regret ne peut pas tromper, confima Nobuyoshi. Ce sont bien les Shuten-Doji qui sont prêts à se réveiller.
- Alors plus à hésiter ! Nous savons où se trouve celui de la Honte. Nous irons à la tour des gémissements le chercher !
- On le détruira, dit Goemon.
- Non, ricana Tadao. Nous allons faire mieux : nous allons le capturer ! Et nous le ferons parler pour trouver le Shuten-Doji du Regret !
- C'est ambitieux, fit Nobuyoshi.
- Nous devons courir ce risque... La prophétie mentionne une menace contre un "serpent". Vous n'aurez pas à suivre mon regard bien loin pour comprendre qui est danger dans cette Cité...
Dans la cour, les shugenjas de la famille Chuda sortaient de leur temple.
- Pourquoi seraient-ils menacés ? demanda Nobuyoshi.
- Nous irons le demander au Shuten-Doji.
L'Inquisiteur rencontra Mamoru deux jours plus tard, quand celui-ci rentra avec Sasuke et Yatsume. Le rônin raconta leur voyage à l'est de la Cité.
- J'ai la parole de Sasuke que le maho-tsukaï que cherchait Yatsume est mort au temple de la fortune du nord-est, dit Tadao, donc je ne chercherai pas plus loin de ce côté. Cette Yatsume a retrouvé l'assassin de son mari et un sorcier complice. Bien.
Durant ces deux jours, l'Inquisiteur monta une expédition dans l'Outremonde. Il avait recruté les soldats les plus endurcis qu'il pourrait trouver. Matsu Sasuke annonça qu'il se joindrait à lui, avec Yojiro et Yatsume. Hida Goemon en serait bien sûr, ainsi que Mamoru. Maya dit qu'elle viendrait, à la grande fierté de Togashi Ojoshi, qui en était également.
Sasuke préparait ses parchemins. Mitsurugi vint le voir pour lui souhaiter bon courage. En tant qu'ambassadeur, il n'avait pas le droit de mettre sa vie en danger, fût-ce contre l'Outremonde.
L'armée de Kuni Tadao, forte d'une cinquantaine d'hommes, traversa la Cité du nord au sud, acclamée par la population et saluée bien bas par les samuraï qu'elle croisa.
- Ce n'est pas tous les jours que l'on part capturer un tel gibier, répétait-on dans ses rangs.
L'Inquisiteur fit arrêter ses hommes devant les murs de la Cité et tout le monde s'agenouilla pour prier les Ancêtres et Osano-Wo, Fortune du Tonnerre et protectrice des bushis. Ils arrivèrent le lendemain soir au pied de la Muraille. Ils prirent une bonne nuit de sommeil et partirent le lendemain matin. A chaque fois que l'Inquisiteur passait le Mur, il se disait que c'était peut-être pour la dernière fois, et la plupart des Crabes se le disaient aussi. Les rônins avaient eu droit à une armure complète pour remplacer leurs bouts de métal de bric et de broc.
Les sentinelles sur les chemins de garde saluèrent la troupe et reprirent leur veille, tandis que les courageux samuraï partaient sur les sentiers disparaissants, et disparaissaient à leur tour derrière l'horizon.
Mitsurugi était à peine sorti depuis sa soirée avec Doji Onegano.
Il savait, pourtant, que c'était ridicule d'en faire une jaunisse ! Il se répétait que même un gamin aurait dû le voir venir ! Bien sûr que Doji Ikue était déjà promise ! Comment aurait-il pu en aller autrement ?...
Ikoma Noyuki était venu lui remonter le moral.
- Une de perdue, Mitsurugi... une de perdue ! D'accord !... Mais quelle folie, aussi... Vous vous imaginiez, marié avec une Grue, si charmante soit-elle ?... Les femmes sont une perte pour l'homme ! Oui, un vrai sentier de perdition... J'en sais quelque chose. J'aurais pu devenir un poète de cour, un artiste. Et à cause de mon aveuglement, je n'ai pas su voir que courtiser cette dame serait ma perte. A présent, je suis chez les Crabes. Mais j'en ai tiré les leçons. Profiter de la vie, profiter du jour. Pourquoi se soucier du lendemain ? C'était une erreur, bien sûr, de vous attacher ainsi à elle, comme ça, en une soirée. Le désir est le père de la déchéance... Qui ne fait pas d'erreur, hein ? Même les plus grands sont faillibles !... Vous oublierez, allons !
Il lui proposait une bonne nuit à s'amuser à la Perle de l'amour, mais Mitsurugi n'en avait plus le goût. Plus le goût du tout. Il ne voulait plus entendre parler des femmes !
Il n'avait plus d'appétit, plus envie de jouer les jolis coeurs...
- Vous n'allez pas vous faire moine !
Noyuki ne trouvait pas les mots pour le tirer de son apathie. Mitsurugi ne voulait pas s'avouer vaincu et il sentait que c'était aller vers une défaite encore plus cuisante. L'acharnement dans l'erreur !
Il voulait encore y croire... Ce n'était pas possible que, comme ça, d'un coup...
- J'ai mis du temps à l'accepter moi aussi, disait Noyuki.
Mitsurugi sentait qu'il mordait la poussière, et à pleines dents !
Le lendemain soir du départ de l'Inquisiteur, il dînait avec Matsu Kokatsu. Ils parlèrent de choses et d'autres, de quelques intrigues à la Cité de la Pieuvre, des autres clans. Puis, au milieu du repas, Kokatsu lui dit :
- Je dînais hier soir au palais impérial... Nous avons parlé de toi.
Il y avait dû à voir des gorges chaudes !
- J'ai entendu comment tu étais allé compter fleurette à cette Doji Ikue. Sans parler de la manière dont tu t'es montré à son bras au duel...
Mitsurugi baissait la tête. Allez, c'était au tour de son supérieur de l'enfoncer un peu plus ! Il croyait avoir touché le fond, il allait creuser !
- Elle est fiancée à un noble et jeune senseï, dit notre héros, sur le ton du constat.
- Oui, dit Kokatsu. Ils vont se fiancer dans deux jours.
Mitsurugi accusa encore le coup. Kokatsu voyait son samuraï accablé, qui luttait tant qu'il pouvait pour garder bonne figure. Il avait de la peine à le voir ainsi, mais il ne pouvait pas le montrer.
- Je n'aurai pas cru cela de toi, dit le général.
Il allait, c'est sûr, lui annoncer la punition qu'il subirait pour s'être ridiculisé dans cette histoire. Quelques jours à aller remuer le fumier chez les etas, pour se passer le goût des amourettes ?...
- J'irai assister à ces fiançailles, dit Kokatsu. J'y ai été invité.
Voilà : l'humiliation dernière arrivait : le général allait lui ordonner de venir !
Il faisait à peine semblant ; il n'avait plus envie de cacher son desespoir. Kokatsu fronçait les sourcils et soupira.
- Tu n'iras pas toi ?
- Si vous désirez que je vous accompagne, Kokatsu-sama, j'irai... bien volontiers.
- Allons donc...
Kokatsu finit son plat et se resservit un verre. Il allait le porter à ses lèvres, et le reposa, fâché. Mitsurugi ne voulait donc pas réagir !
Notre héros tressaillit face à la colère rentrée du général, colère qu'il n'avait pas pour habitude de contenir !
- Mitsurugi !
Le général avait du mal à trouver ses mots. Il aurait bien attrapé Mitsurugi par les épaules pour le secouer comme un prunier !
- Vas-tu !... vas-tu enfin !...
Mitsurugi s'était redressé, face à ce terrible général mortellement déçu du comportement d'un de ses hommes.
- Toi, un Lion ! ambassadeur ! représentant de notre clan !...
- Cela n'arrivera plus, je...
- Par les Ancêtres, Matsu Mitsurugi !
Kokatsu s'était levé, tout rouge.
- As-tu du jus de navet dans les veines, Matsu Mitsurugi !...
- Non, Kokatsu-sama !
- Un Lion a-t-il à un quelconque moment reçu l'ordre de baisser les bras face à l'adversité !
- Non, Kokatsu-sama !
- Vas-tu donc te laisser faire par ces fillettes du clan de la Grue qui prétendent se mettre en travers de ton chemin !
- Non, Kokatsu-sama !
Notre héros ne savait plus ce qu'il disait ! Il répondait, c'est tout !
- Ce qu'un Lion désire, Mitsurugi, dit Kokatsu le poing serré, par Akodo-le-Borgne, il ne le quémande pas : il le prend !... Entends-tu !
- Oui, Kokatsu-sama !
- Tu iras au temple dans deux jours, Mitsurugi... Et tu arrêteras cette mascarade ! Si tu veux cette femme, tu la prendras de force, et elle sera à toi, tu comprends !
- Oui, Kokatsu-sama !
- Le désir détourne un temps le samuraï de son devoir, mais le regret le ronge toute sa vie !... Je ne veux pas de cela pour mes hommes ! Je veux que leur volonté s'impose, et qu'elle soit crainte ! Est-ce un gamin de la famillle Kakita qui va se mettre en travers de ton chemin, toi le vainqueur de la Cité des Apparences !... Toi qui porte l'insigne de la famille Matsu !
- Non, Kokatsu-sama !
- Tu viendras à ces fiançailles, Matsu Mitsurugi !...
"Dans ton sabre, il y aura ton courage, dans tes cheveux le vent... dans tes yeux, la mort !
- Oui, Kokatsu-sama !...
Le général se rassit et but son verre.
Très calme, il ajouta :
- Bien, ce sera tout. Tu peux aller.
Mitsurugi salua très bas et sortit.
Il avait le vertige !
Il trébucha deux fois avant d'atteindre sa chambre, les oreilles chauffées au rouge, la poitrine pleine de peur et de colère. Il s'assit et sortit de son placard une bouteille de saké, dont il se versa une solide rasade. Il la but, en prit une deuxième et s'allongea, son cœur qui battait le pas des armées du Lion avant la bataille !
"Dans ses yeux la mort !..."
C'était tout simplement de la folie ! Il aurait face à lui un duelliste Kakita ! Même s'il était jeune, il n'aurait aucun mal à vaincre notre héros !
Il courut aux bains et s'aspergea le visage d'eau glacée. Le saké lui remontait sur le cœur !
Il fit convoquer deux rônins qu'il avait à son service. Des honorables, pas ceux de Sasuke !
- Vous allez me trouver Tange Sazen, ordonna-t-il, et au pas de course ! Sinon vous irez trouver votre pitance ailleurs !
Il alla s'enfermer dans son bureau et ordonna qu'on ne le dérange pas de la journée.
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Kokatsu-Sama est définitivement le meilleur supérieur hiérarchique que j'ai jamais connu
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