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26-05-2006, 12:13 PM
(This post was last modified: 29-05-2006, 01:33 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
<span style="color:blue">La 5e Réincarnation : 19e Episode</span><!--/sizec-->
Chien 1127
L'oeil et la voix du démon<!--/sizec-->

Les bokken claquaient dans le dojo de Kitsuki Jotomon. On était à la première heure du jour. Kakita Hiruya et Mirumoto Ryu s'entraînaient avec ardeur, l'un contre l'autre, ou contre d'autres élèves du dojo. Avec l'arrivée des Dragons envoyés par Mirumoto Daini, le senseï avait dû refuser l'entrée des lieux aux hommes du peuple qui y venaient habituellement, pour ne pas choquer les nouveaux arrivants.
Kakita Hiruya, quoique très rapide et précis au sabre, ne tenait pas les reprises face aux Dragons, bien plus rapides que lui. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de s'entraîner avec son senseï, Kakita Yobe, resté dans le sud des terres du clan. Qui sait ce qu'il advenait de lui, au moment où les Crabes occupaient ces régions ancestrales ? Se battait-il contre les Crabes au sud ? Contre les Lions au nord ?
La Cité des Mensonges était en pleine agitation. Les Scorpions, les Dragons et les Licornes effectuaient des manoeuvres d'entraînement à l'extérieur des murs, tandis que dans la Cité, le peuple travaillait d'arrache-pied aux défenses et aux réserves d'eau et de blé. Plusieurs rônins qui traînaient en ville avaient été attrapés par la peau du cou et intégrés dans la troupe commandée par Ozaki. Shosuro Jocho devait être partout à la fois pour veiller à la protection de la ville et au renforcement des patrouilles de la Garde du Tonnerre.
Assis sur le pont de son navire, Yasuki Taka ne pouvait que regarder cette agitation, en restant sage, car nombreux étaient ceux qui auraient voulu l'accuser de comploter avec l'ennemi. On ne savait de quel camp il était. Plusieurs nobles avaient demandé son départ de la Cité. Mais il bénéficiait pour le moment d'une situation neutre, pourvu qu'il ne fît que du commerce.
Tôt le matin, Hiruya s'était vu remettre une lettre ; elle avait dû voyager de nuit, donc elle était urgente.
Elle venait en effet de Kyuden Miya et était de la main de Katsu-sama. Il exigeait la présence de Hiruya-sama au château de sa famille, car des bandes de monstres avaient été aperçues à proximité.
Hiruya ordonna qu'on fît seller les montures et qu'on prépare son armure.
- Shigeru, Ayame et Ikky, vous restez en ville ; Ryu, tu viens avec moi.
La samuraï du Dragon s'était remise des coups qu'elle avait pris lors de sa capture, grâce aux soins des shugenja et se sentait d'attaque. Hiruya ne voulait pas emmener Shigeru car il craignait de croiser des Crabes aux côtés des monstres annoncés...
Avant l'heure d'Akodo, les deux magistrats passaient les portes de la ville et s'engageaient sur le grand chemin de campagne du nord-ouest. Ils arrivèrent en fin de journée en vue de Kyuden Miya. Ils furent reçus le soir par Miya Katsu. Le magistrat avait rencontré le Champion d'Emeraude et maintenant, il était en pourparlers avec le clan de la Licorne pour l'envoi des fameuses Shiotome, les Vierges de Bataille, en renfort à la Cité des Histoires. Et le clan de Shinjo était des plus réticents pour envoyer l'élite de sa cavalerie défendre la ville-symbole des Scorpions. Katsu-sama pensait devoir négocier encore quelques jours avec les émissaires de la famille Otaku pour obtenir leur aide.
Il avait appelé Hiruya pour une mission plus urgente :
- Nous avons aperçu une bande monstres, dont nos shugenjas pensent qu'ils sont de l'Outremonde. Alors, Hiruya-san, vous allez prendre la tête d'une troupe de nos samuraï et allez me débarrasser la région de ces créatures !
Katsu-sama faisait un petit geste de l'éventail qui signifiait que ça devait être expéditif. Honoré, Hiruya s'inclina et jura fiérement qu'il détruirait ces monstres !
Le lendemain matin, avec Ryu, une dizaine de fantassins Miya et quatre cavaliers Shinjo, il partit vers le petit village où étaient signalées les créatures. En chemin, ils furent rejoints par cinq terribles samuraï Moto de la Garde Blanche.
Après deux heures de marche, ils aperçurent l'endroit. Quelques bâtisses en haut d'une forte butte. Des serviteurs de Fu-Leng, appelés selon les Moto, des gobelins, qui gardaient les lieux : des caricatures de samuraï, petits, verdâtres, avec des morceaux d'armures et des faux katans. Quelques gros gobelins les commandaient et il y avait en sus un imposant samuraï portant une armure du clan du Crabe. Mais ses yeux étaient noircis, sa peau était livide, sa peau trop poilue : il était gravement souillé par l'Outremonde.
Hiruya ordonna l'assaut !
Les gobelins n'étaient que de la piétaille et furent hachés menu menu par les sabres de Mirumoto Ryu. Leurs grands frères, que nos héros surnommèren "zog-zog" en raison de leurs grognements ridicules, étaient bien plus dangereux : ils valaient bien de jeunes samuraï par leur art du sabre. Kakita Hiruya en vint à bout mais il avait reçu deux entailles profondes. Les archers montés Shinjo avaient attaqué par les flancs, tandis que les Moto prenaient l'ennemi à revers ; plusieurs soldats Miya étaient tombés sous les coups des gobelins.
Après une suite d'affrontements brutaux, nos samuraï progressaient dans le village. Restait le grand Crabe. Kakita Hiruya et Mirumoto Ryu l'attaquèrent ensemble : il fut l'un des plus formidables adversaires qu'ils aient affronté. Il était animé d'une fureur surnaturelle et frappait avec une force qui n'avait d'égal que sa précision ; nos héros évitèrent la plupart de ses coups de sabre, mais ils reçurent encore plusieurs blessures qui les affaiblirent ; ils frappèrent assez le Crabe pour le tuer plusieurs fois, mais il tenait encore debout. Nos deux samuraï lui passèrent enfin leurs sabres à travers le corps et il s'écroula, en hurlant de terreur et s'abattit lourdement à terre.
Les Moto achevaient les gobelins, pendant que les soldats mettaient le feu aux bâtiments. L'endroit, souillé, ne devait plus être habité avant d'être purifié par les shugenja.
- Les monstres qui menaçaient ce château ont été chassés, dit Hiruya, en s'inclinant devant Miya Katsu.
Et il présentait à son supérieur le daisho du redoutable Crabe qu'ils avaient abattu. On reconnaissait distinctement la marque de son clan sur le saya, mais aussi des marques de glyphes démoniaques pour s'attirer les faveurs de Fu-Leng.
- Nous sommes contents de vous, Hiruya-san. Maintenant, retournez à la Cité des Histoires et que l'Empereur nous protège !
Nos héros ne repartirent toutefois pas avant le surlendemain, le temps de recevoir des soins magiques de la part des shugenja.
Alors qu'ils approchaient de la Cité, après un voyage sans péripétie, ils croisèrent l'armée de Bayushi Tomaru, qui faisait route vers Shiro Usagi, et Ozaki accompagnait cette armée avec ses hommes. Ainsi, par une ironie du destin, les ennemis d'hier allaient combattre ensemble. Tomaru expliqua rapidement à Hiruya que le Gouverneur Hyobu avait ordonné qu'on renforçât Shiro Usagi, avant que l'endroit servît de poste avancé à la Cité. Elle n'avait pas de compassion pour les Lièvres mais elle savait qu'ils pourraient prévenir de l'arrivée d'une troupe, et essuyer le premier assaut !
Hiruya salua le général. De gouverneur terne et blasé, il était redevenu général vaillant, impatient d'en découdre ! Tant pis s'il fallait faire ses preuves aux côtés des Lièvres !
Restée sagement à la Cité, Isawa Ayame s'apprêtait à passer une douce et vertueuse journée, comme à son habitude, toute de méditation et de prières. Alors qu'elle se faisait peigner par une servante en ruminant ce qu'elle avait appris dernièrement en bibliothèque, un fort courant d'air pénétra dans la pièce, se mit à tourbillonner autour de notre shugenja, de plus en plus fort, la souleva d'un coup et l'emporta par la fenêtre. La servante cria, terrorisée qu'on enlève ainsi sa maîtresse (et qu'on la décoiffe comme ça ! ) ; Ikky ouvrit le panneau et entra en courant, pour voir Ayame partir dans les cieux. Elle courut hors du palais et se précipita dans les rues : les kamikaze emmenaient la shugenja vers l'ouest de la ville. Ayame ne semblait pas affolée outre-mesure : les esprits de l'Air étaient ceux avec qui elle avait le plus d'affinités et du moment qu'ils ne la lâchaient pas au mauvais endroit !...
La course d'Ikky l'emmena au bord du fleuve. Il va sans dire que ce miracle fut observé d'un grand nombre de gens, qui virent la shugenja emportée dans le ciel bleu, auréolée de la lumière de dame Soleil, volant comme un merveilleux oiseau !
- Toi là ! je requiers ton bateau !
C'était un brave petit marchand qui vendait des légumes et des fruits aux serviteurs des quartiers nobles. Ikky sauta à bord, envoyant quelques caisses de courgettes à l'eau.
Ayame arrivait maintenant au-dessus de l'île de la Larme et s'y fit déposer en douceur.
En pleine journée, le quartier interdit n'avait rien de particulièrement attirant. Des bâtisses moins belles que celles du quartier noble, peu de monde dans la rue ; les maisons de geisha et de plaisirs, sans leur parure nocturne, n'étaient que de vulgaires bâtiments qui auraient aussi bien pu être des entrepôts de poissons !
Ayame était arrivée devant un puits, où les kamikaze s'engouffrèrent en sifflant. L'eau monta brusquement de niveau, jusqu'à ras-bord et notre shugenja eut le plaisir de voir l'image de son senseï, Isawa Akitoki, se former devant elle ! :baton:
- Ayame-san ! comment vous portez-vous ?
Ayame se souvint qu'il existait bien un tel sort pour communiquer à distance. Il ne pouvait être utilisé que sur un lieu où le shugenja s'était déjà rendu : et on était à deux pas de la Maison de l'Etoile du Matin...
- Akitoki-sama, quel honneur pour moi de pouvoir vous parler. (  )
- J'ai pris l'initiative de vous contacter par des moyens magiques ; j'espère que les kamikaze ne vous ont pas brusqués...
- Non, du tout, jura t-elle.
- Je vous contacte car j'ai appris que la situation devenait périlleuse dans votre région. Des rapports nous parviennent, qui font état de l'avancer des Crabes dans le sud de l'Empire.
- Hélas, Akitoki-sama, on peut dire qu'ils ne sont plus bien loin à présent.
- Notre région est épargnée, qu'Isawa en soit remerciée, mais nos alliés du clan de la Grue subissent la guerre à outrance des Matsu et celle menée par les Crabes. Le conseil des Maîtres siège presque en permanence.
- La situation doit être vraiment grave...
- Sans doute... J'espère que vous faites honneur à votre clan et à la magistrature d'Emeraude, Ayame-san !
- Je fais de mon mieux avec mes moyens, senseï, pour servir et conseiller le seigneur Miya Katsu.
- Bien. A cette fin, j'ai pensé qu'il était temps d'approfondir vos connaissances ! Je suis certain que vous n'avez que peu de temps à consacrer à vos études magiques...
- Hélas, Akitoki-sama, il est vrai que...
- Bien, alors je suis sûr que vous allez suivre l'exemple montré par Kogin-san...
Ayame se retint de soupirer de lassitude : allons bon ! il y avait longtemps qu'elle n'avait pas entendu parler de cette teigne de première de la classe !
- Savez-vous qu'elle a réussi en peu de temps à maîtriser des sorts très difficiles, qui me font dire qu'elle peut maintenant prétendre être initiée au troisième cercle de connaissance de notre Académie ! Et je suis sûr que vous êtes capable d'en faire autant, Ayame-san, car toutes mes élèves doivent rivaliser d'excellence !
Ayame déglutit : elle avait fortement négligé les études magiques depuis des mois et n'invoquait que très peu les kamis ; peu les invoquer est bon, car il est mauvais de trop solliciter les esprits ; mais trop peu les invoquer est mauvais, car on finit par s'en faire oublier...
- Je vous envoie donc des parchemins de sorts que vous pourrez étudier et qui vous permettront d'approfondir vos connaissances, même si je ne suis pas là pour vous diriger. C'est moi qui les ai écrits, ajouta t-il avec une pointe d'orgueil, donc vous devriez avoir toutes les facilités à les déchiffrer.
- Je vous en suis très reconnaissante, dit Ayame.
Akitoki-senseï la salua et son image dans l'eau disparut.
Ikky arrivait enfin, à bout de souffle, courbée en deux, mains sur les cuisses :
- Rien de grave, Ayame-san ?...
Notre shugenja n'eut pas droit au transport aérien pour rentrer au palais. Il lui semblait que la moitié de la ville la regardait en coin, même les Scorpions, qui se demandaient ce qui lui avait pris de se transporter en pleine journée dans le quartier interdit ! Mais c'était la magistrature d'Emeraude, alors pas question d'être désagréable !
Yogo Osako émit l'hypothèse que notre shugenja avait dû lire un sort de travers,  mais admettait qu'elle penserait à utiliser un moyen de transport si rapide et pratique. 
Après le repas, remise de ses émotions, Ayame vit arriver dans sa chambre les kamikaze, qui transportaient un sac et le déposèrent sur sa couche. Elle l'ouvrit et y trouva plusieurs rouleaux de parchemins. Akitoki-sama faisait bien les choses !
Notre shugenja les ouvrit et les lut : certains étaient relativement faciles à déchiffrer, d'autres bien au-delà de sa portée. C'est à ce moment qu'elle s'aperçut des lacunes accumulées. Il était vexant de ne pas comprendre des parchemins qui étaient maintenant à la portée de Kogin-san ! Ayame décida de s'intéresser au sort dit du Bassin Réfléchissant de P'an Ku, très facile à maîtriser.
On vint alors prévenir notre shugenja que l'honorable Yasuki Taka se présentait à l'entrée du palais. Ayame se leva d'un coup, impatiente de rencontrer enfin des informateurs sur l'affaire du Condor. Elle avait oublié cette invitation du marchand à cause d'Akitoki-sama mais maintenant, elle bouillait d'impatience.
- Dites-lui que j'arrive bientôt.
Elle se prépara à la hâte, fit venir Ikky et alla rencontrer Taka-sama. Le marchand n'avait pas voulu s'imposer dans le palais. Il attendait dans la rue, son environnement le plus habituel, à négocier (juste pour le plaisir) des babioles à un marchand. Il s'arrêta dès qu'il vit sortir les deux femmes.
- Ayame-san ! Ikky-san ! Quel plaisir, quel honneur !... En vous attendant, je faisais le tour des marchands du quartier... Dites-moi, j'ai bien cru vous voir ce matin, Ayame-san, dans les airs, au-dessus de la ville ; je venais m'informer de quand nous pourrions prendre rendez-vous mais vous aviez l'air occupé à autre chose. Rien de grave au moins, non ?... Bon tant mieux, parce que moi je ne savais pas de quoi il s'agissait, vous savez sorti des affaires terre-à-terre, le vieux Taka n'y connaît rien et la magie ça le dépasse de beaucoup donc je préfère demander directement à quelqu'un comme vous qui s'y connait bien.
Il emmenait les deux magistrates dans le quartier marchand, en continuant à bavarder avec un entrain jamais démenti. Il avait un mot à dire à chaque boutiquier un peu important de la ville.
- C'est pas au vieux singe qu'on apprend à faire la grimace, comme je dis toujours... Et je cherche pas midi à quatorze heures, ça non !... Les affaires magiques, ça me connait pas du tout ; j'ai voyagé d'un bout à l'autre de cet Empire et je pense que c'est pas ces forces mystiques qui guideront ma vie à moi... Par contre, question négociations, qualité, quantité, produits et confiance, Taka-sama est imbattable ! Pas vrai vous autres ?
Il s'adressait aux maraîchers de la petite place encombrée qu'ils traversaient.
- Oh oui, Taka-sama !
- ... bon tant mieux !
Et ça continuait, de rue en rue, dans le dédale des quartiers et des anecdotes du marchand.
- On a beau dire et beau faire, la magie, les prévisions astrales, les Fortunes, c'est réservé qu'à une toute petite élite bénie par le ciel. Et c'est pas pour Taka-sama qui, par contre, pour ce qui est de vous apportez en temps et en heure et à un prix imbattable les marchandises les plus rares, les plus précieuses, n'a pas d'égal dans Rokugan !... Pas vrai ?
- Oui Taka-sama !
- Pas vrai, toi ?
Il en désignait quatre ou cinq à la suite, qui avaient intérêt à répondre au garde-à-vous !
- Pas vrai ? hmm, pas vrai ?
Et d'un coup, il se retournait et en surprenait un, dans un coin, qui rigolait en se croyant à l'abri.
- Pas vrai, toi !
- Si Taka-sama !
- ... bon...
Et il reprenait sa marche, content d'avoir serré la vis à ces petits malins !
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29-05-2006, 02:08 PM
(This post was last modified: 06-06-2006, 05:49 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Yasuki Taka, entouré de ses gardes du corps et suivi des deux Phénix, arriva dans une petite rue du quartier des joailliers, non loin de la rue du Saphir où avait été découverte la cache du Condor.
Taka fit un petit signe à deux solides gaillards, torses nus, tatoués, qui gardaient un bâtiment imposant, coincé entre de petites échoppes.
- C'est la maison du syndicat des tailleurs de pierre, dit le marchand, comme pour s'excuser. Je vous ai dit que les gens que je pouvais vous faire rencontrer n'étaient pas des gens d'honneur, mais ils savent des choses que les samuraï ignorent...
- Entendu, fit Ayame, décidée. Je te remercie de ton aide, Yasuki Taka-sama.
- Je vous attends dehors, à la maison de thé d'en face.
Le petit homme s'inclinait en reculant. Les deux gardes s'écartèrent devant les deux Phénix et leur ouvrirent le panneau en bois.
A l'intérieur, une luxueuse pièce avec un tapis rouge, un petit autel à Daikoku et des peintures délicates de paysage, de l'époque de Hantei XXXII.
Une femme dont la jeunesse commence seulement à disparaître, avec juste un peu trop de maquillage, aux couleurs un peu trop prononcés (violet, noir, rouge), avec un collier fascinant des terres de la Licorne et quelques bagues aux pierres un peu trop grosses, et du rouge à lèvres incarnat (un peu trop de rouge à lèvres ! 
- Konnichi-wa, honorable magistrate, mon nom est Chinoko et je suis la patronne du Syndicat des Tailleurs de Pierre.
- Konnichi-wa. Mon nom est Isawa Ayame et voici Shiba Ikky, ma yojimbo. Nous venons vous voir sur la recommandation de Yasuki Taka. Le connaissez-vous ?
- En effet. Quel marchand de l'Empire n'a pas un jour traité avec lui ?
- L'honorable vieil homme nous assure que vous pouvez nous fournir des renseignements concernant une organisation appelée le Condor. Il nous dit que votre Syndicat a des yeux et des oreilles là où les samuraï n'en ont pas.
- Dans une certaine mesure, oui, honorable magistrate. Nous avons entendu parler du Condor et nous pensons qu'il s'agit d'une dangereuse société secrête. Car nous connaissons bien les autres syndicats de la ville, et les plus importants syndicats et corporations de par l'Empire, mais le Condor n'a pas de localisation précise, pas de membres reconnus, pas de patronnage spécifique. A se demander si ce n'est qu'une légende. Et pourtant, le fait est que certaines personnes se réclamant du Condor essaient, depuis quelques années, de faire chanter des gens. Les rumeurs arrivent rarement à nos oreilles, mais les bruits se précisent. Le Condor a des moyens d'action puissants, le Condor sait beaucoup de choses sur chacun de nous, le Condor vous a peut-être déjà repéré et viendra vous voir le moment venu, le Condor se dissimule pour mieux faire croire à son inexistence... Voilà quels sont les bruits qui courent.
- En somme, un syndicat qui ne se fait pas connaître des autres.
- C'est cela. Et nous savons que plusieurs incendies, meurtres, vols, ici ou là, ont pu être imputés au Condor, comme on les attribue aussi bien aux ninjas il est vrai. Explication bien commode. Toutefois, à plusieurs reprises, la marque du Condor a été vue. De plus en plus, elle est connue de mes gens et des autres syndicats. Mais qui peut se plaire ainsi à signer ses crimes ?...
- En savez-vous plus sur certaines personnes qui pourraient être membre de cette organisation ?
- J'en ai connue qui avait été "approchées", mais elles sont mortes ces dernières années. Je pourrai vous donner quelques adresses en ville, là où ces personnes ont vécu. Je puis aussi vous recommander de parler à un marchand qui va arriver en ville, d'ici peu de temps.
- De qui s'agit-il ?
- Il se nomme Jin. Il commerce sur son bateau, en navigant sur les fleuves de l'Empire. Il connaît bien la Cité des Mensonges, depuis plus longtemps que moi. Et je sais qu'il a entendu parler du Condor ailleurs qu'ici.
- Quand sera t-il en ville ?
- Après-demain je pense. Il accostera dans la Baie, au ponton du Jais. Ce n'est pas loin d'ici.
- Alors j'irez lui parler. Je vous remercie de votre aide, Chinoko.
- C'est un honneur d'aider la magistrature d'Emeraude, dit froidement la patronne du Syndicat.
Nos deux magistrates retrouvèrent Yasuki Taka à la maison de thé, de l'autre côté de la rue. Elles burent avec lui, sans reparler de leur entretien avec Chinoko. Mais Ayame, en regardant dans le vague dans sa tasse, repensait à l'entretien ; elle était impatiente de rencontrer le marchand.
Le lendemain, Kakita Hiruya et Miya Katsu étaient de retour dans la Cité. Les deux importants magistrats réunirent les assistants pour faire le point de la situation en ville. Ayame dit qu'elle avait sans doute une piste intéressante concernant le Condor. Shigeru continuait à se faire bien voir du peuple et se créait un petit groupe d'indics fiables, fidèles au poste, quand il s'agissait de se faire offrir une petite liqueur de fruits. Et Ryu fréquentait toujours le dojo de Kitsuki Jotomon
La journée du lendemain passa bien lentement au goût d'Ayame, qui attendait qu'on lui fît signe à propos du marchand. Elle tenta de s'abstraire dans les occupations du quotidien, les prières, les lectures, les rituels, mais elle se sentait occupée uniquement par la promesse d'informations à venir. Elle reçut en milieu de journée un petit mot de Taka-sama, qui apaisa un moment sa curiosité puis en réalité l'attisa : "Honorable Ayame, Chinoko me fait dire que le marchand du fleuve accostera ce soir dans la Baie, au ponton du Santal."
Et dès le coucher du soleil, la shugenja et sa yojimbo étaient au lieu dit ; Ayame regardait la baie, impatiente, sans même se distraire pour regarder le beau et majestueux crépuscule qui s'étendait paisiblement sur l'eau. Elle scrutait chaque bateau et tâchait de reconnaître celui annoncé, "le Lamantin". 
Les deux femmes se promenèrent le long des quais, dans le nord du quartier marchand, près du pont de l'Honneur Noyé. Le fleuve qui avait dégringolé, furieux, des montagnes arrivait lentement en ville pour se déverser dans la baie, amenant avec lui des bateaux, en provenance du palais de la famille Soshi. Du sud arrivaient les bateaux des terres du Scorpion, qui passaient sous le pont du Dragon.
Les embarcations légères de la Garde du Tonnerre sillonnaient la baie, pour arrêter au hasard des navires et vérifier les cales. Il faisait bien calme, au pied des jetées. Les marins fumaient la pipe dans les maisons d'alcool ; des gamins jouaient aux osselets ; on entendait une algarade, plus loin, entre joueurs avinés, à laquelle la patrouille des pompiers venait mettre fin.
L'air du soir apportait la fraîcheur inquiétante de la nuit, celle qui annonce qu'il va falloir faire son deuil du jour et l'oublier.
Les bateaux du soir avaient généralement navigué dans l'après-midi, le moment où les taxes sont les plus basses. Il y a avait plusieurs petits ports, au sud et au nord de la Cité des Mensonges, où l'on faisait étape, de façon à payer les taxes du soir à la Cité, ce qui représentait encore une somme considérable.
Ayame vit arriver par le nord de la Baie plusieurs solides navires, sans couleur de clan. C'était inhabituel, d'après ce qu'en disait deux soldats Scorpions à proximité, car les navires du nord étaient généralement ceux de la famille Soshi.
Les deux Phénix virent s'approcher Yasuki Garou, le neveu de Taka, qui annonça que le navire du marchand Jin faisait son entrée dans la Baie et allait accoster plus au sud.
On vit les navires du nord accoster et aussitôt, on entendit, dans l'obscurité à peine éclairée par les lumières du port, une bagarre éclater, puis des cris, et la cloche d'alerte retentir. D'abord on crut à des affrontements entre équipages de marins, ou entre marins et citadins, mais le feu se déclencha en plusieurs endroits, et depuis d'un autre navire, des flèches enflammées partirent en direction du quartier des marchand, et d'un troisième, en direction du quartier des pêcheurs, juste au niveau du Pont de l'Honneur Noyé. La panique s'était déclenché : il s'agissait d'une attaque en règle de rônins !
Et au sud de la ville, l'alerte était déclenchée. Le feu avait pris dans les champs du sud et les tours de guet envoyaient le signal de l'attaque ennemie !
Ayame et Ikky ne comprenaient pas ce qui se passait, ou plutôt elles ne pouvaient se préocupper de l'attaque : Ayame VOULAIT rencontrer le marchand Jin et Ikky devait avant tout penser à protéger la shugenja. Les deux femmes quittèrent le bord de l'eau, pour éviter de prendre un mauvais coup. La Garde du Tonnerre était prise au dépourvu, en pleine nuit, malgré le renforcement d'effectif exigé par Shosuro Jocho. Les deux attaques avaient été bien combinées.
Les deux Phénix durent parcourir presque toute la longueur de la Baie, du nord au sud, pendant que les rônins se heurtaient enfin aux soldats d'élite Scorpion. Ayame suivait le navire de Jin, qui manoeuvrait au milieu de la Baie. Il était sur le point d'être contrôlé par la douane flottante, quand l'attaque avait été déclenchée. Si bien que les douaniers, pris au dépourvu, avait interdit au navire d'accoster et l'avait forcé à rejoindre le milieu de la Baie. Ayame et Ikky passèrent près d'un des navires ennemis, qui manoeuvrait péniblement pour approcher du rivage. La shugenja sortit un parchemin du Feu : Ikky lui tendit pour qu'elle le lise. Elle tendit le bras, mais il ne s'échappa de son bras qu'une petite fumerole. Sa yojimbo la regarda, dubitative, et Ayame, agacée, ordonna à Ikky de la suivre.
Elle faisait rarement appel aux Fortunes du Feu, et avec ce temps humide et le port qui était lourd... Bref, il devait bien y avoir une explication !
Après avoir encore bien couru, Ayame ressortit le parchemin. Le navire ennemi manoeuvrait encore et les douaniers ne parvenaient pas à lui mettre le grappin dessus. Elle sentait que son aide serait vraiment bienvenue, car le signal de l'attaque retentissait toujours au sud, et au nord, les combats continuaient. Même manoeuvre : Ikky tendit le parchemin, Ayame le lut et cette fois-ci, un météore enflammé partit de sa main et alla s'écraser dans la voilure du bateau. Le mât prit feu et ce fut la panique à bord.
Satisfaite, la shugenja continua. Essoufflées, les deux femmes arrivèrent au ponton du Jais. Le bateau de Jin venait d'y accoster. Deux hommes de Chinoko attendaient et servirent d'intermédiaire : les deux Phénix furent invitées à monter à bord.
Au moment où l'alerte était déclenchée au sud, les combats se déroulaient déjà au nord, mais du palais d'Emeraude, on n'entendait à peine cette première cloche. En revanche, quand celles du sud retentirent, Hiruya fut tiré de son sommeil, en même temps que Shigeru et Ryu. Il s'habilla rapidement, sans l'aide de ses serviteurs. On vint le prévenir que des créatures maléfiques attaquaient la ville !
- En nombre ?
- Une bonne troupe, seigneur !
- A quoi ressemblent-ils ?
- Qu'on amène mon armure ! Que Ryu et Shigeru s'équipent en vitesse !
Et pendant qu'il attachait ses pièces, il essayait de comprendre comment Jocho et la Garde du Tonnerre avaient pu ne pas voir arriver une troupe, même de nuit !
Dans la salle de réception du palais, il retrouva Ryu et Shigeru, équipés.
- Où sont les deux Phénix ?
- Je crois qu'elles devaient rencontrer quelqu'un ce soir, dit le Crabe.
- Ah oui, c'est vrai, soupira Hiruya. Tant pis, allons-y !
Ayame l'avait prévenu de cette rencontre. Il ordonna à cinq samuraï d'Emeraude de les suivre et ils coururent vers la porte de la ville. En chemin, il se mit au courant de la situation.
- Les cloches ont retenti quand les créatures attaquaient déjà, seigneur ! La Garde du Tonnerre n'a rien vu venir ! Les Licornes ont déployé des troupes, et Bayuchi Korechika s'est porté au premier rang de l'attaque avec ses hommes. Il est soutenu par Shosuro Jocho et la Garde du Tonnerre.
Les champs, parsemés de tours de garde, resssortaient à peine de l'obscurité nocturne. Menant sa troupe, Hiruya courut sur le chemin. C'était plus un ensemble d'escarmouches qu'une bataille rangée. Mais plus on progressait, plus les groupes ennemis devenaient nombreux, comme s'ils étaient filtrés à mesure de leur avancée. On se battait dans les rizières, dans les champs de blé. Les shugenja avaient eu interdiction d'utiliser leurs sorts de Feu pour ne pas créer un gigantesque incendie !
Enfin, les samuraï d'Emeraude se heurtèrent à une forte troupe, face à laquelle les Bayuchi et les Shosuro faisaient front commun ; les Grue prêtaient main forte, et les Licornes effectuaient des razzia à cheval.
Les créatures étaient des gobelins semblables à ceux qui avaient menacé Kyuden Miya. Ils étaient vêtus de caricatures d'armures et de mauvais sabres brisés, mais ils n'en restaient pas moins des adversaires dangereux. Ryu en détruisit un bon nombre, tandis que Shigeru avait l'autorisation de jouer du tetsubo contre eux ! Les crânes explosaient, les membres craquaient, les tripes sortaient, les têtes volaient !...
Les affrontements, larvés, durèrent une bonne partie de la nuit. Au milieu des ténèbres, les cruels petits monstres aux yeux rouges étaient dans leur domaine ; c'était comme si l'Outremonde suintait sur la Cité, menaçait de venir s'écouler en elle, charriant ses miasmes purulents !
Après avoir essuyé plusieurs mauvais coups, Ryu se retira du combat, le souffle court, vaincue par la douleur. Shigeru, enragé, continuait son avance terrifiante, se frayant un chemin parmi les gobelins à coups de tetsubo sanglant ! Hiruya menait sa petite garde, puis dut à son tour reculer. D'ailleurs, l'ennemi était en déroute : abattu par les Bayushi, frappé dans le dos par les Shosuro, pietiné sous les sabots des Licornes, c'en était fini de lui !
Les gobelins décampèrent dans la nuit, aussi vite qu'ils étaient arrivés.
Et lorsque les samouraï revinrent en ville, ils apprirent que des combats avaient eu lieu au nord : des rônins, cachés dans des navires, avaient effectué un raid en profondeur. Aucun d'entre eux n'en avait réchappé.
Ivres de la fureur des combats, Hiruya, Ryu et Shigeru retournèrent au palais, où on leur appliqua quelques soins magiques. Le jour se léverait bientôt.
Les deux Phénix furent amenés à la cabine du capitaine Jin. L'endroit était décoré de nombreuses armes du clan de la Mante, d'armes et d'objets inconnus à Rokugan, de cartes sur des peaux de bête, ainsi que d'une grosse sphère peinte en marron et bleu, avec des indications en langage gaijin.
Jin était un grand Rokugani, portant un mempo sans marque de clan et un kimono aussi indifférencié. Il avait les cheveux attachés en arrière et la peau bronzée.
- Vous êtes Jin, dit Ayame. Le chef du Syndicat des Tailleurs, Chinoko, m'a conseillé de venir vous voir. Il paraît que vous connaissez des choses sur la secte du Condor.
- En effet, honorable magistrate. J'ai entendu parler plusieurs fois de cette organisation, au cours de mes voyages. Je parcours les fleuves de notre Empire, surtout entre la Cité des Histoires et Otosan Uchi. Je rencontre beaucoup de mondes. J'ai les oreilles bien ouvertes quand on me raconte des choses intéressantes.
- Que sais-tu du Condor ?
- Que c'est une organisation puissante, très bien organisée, et dont aucun membre n'est connu, aucun territoire, aucune activité. Ils sont très secrets.
- Et tu connais des gens qui ont eu affaire à eux ?
- J'ai connu des gens qui savaient des bribes de choses sur eux, mais ils sont morts depuis... Et ce n'est pas une coïncidence.
- Et tu ne connais personne qui soit affilié à cette organisation ?
- J'en ai soupçonné certaines, mais elles sont mortes...
- Toutes, vraiment toutes ?
Ayame était découragé. Les portes s'ouvraient un moment, puis se refermaient aussitôt. A se demander si, pour le coup, Jin ne la menait pas en bateau !
- Je connais quelques personnes, oui, dans cette ville. Je peux vous fournir quelques adresses. Mais je pense que le Condor est trop malin et ces personnes sont sans doute mortes...
Ayame se fit écrire la liste malgré tout.
Les deux femmes revinrent à l'aube au palais d'Emeraude, alors que les combats se terminaient. C'était assez iréel de voir arriver les deux femmes, comme si de rien n'était, alors qu'on venait de repousser une avant-garde de l'Outremonde !
Néanmoins, Hiruya ne fit pas d'observation, puisque les deux femmes tenaient peut-être une piste concernant le Condor et qu'Ayame avait envoyé par le fond un navire ennemi.
A suivre...
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Ca faisait très Mr Manatane cette balade de Taka
Pas vrai, toi ?
\
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Quote:Ayame avait envoyé par le fond un navire ennemi.
Et d'une seule main !:jmekiffe:
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07-06-2006, 02:54 PM
(This post was last modified: 19-06-2006, 12:48 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Nos samouraï passèrent la journée du lendemain à soigner leurs blessures ; les shugenjas furent mis à contribution, dans chaque clan, pour aider les bushis à retrouver leurs forces.
Ayame étudia soigneusement les indications laissées par Jin le marchand. Aidée de Ryu, elle les recoupa avec celles de Chinoko : et il y avait une adresse de plus pour Jin. Or, les autres, communes aux deux, indiquaient des marchands morts ou ayant quitté la Cité.
C'est ainsi qu'en fin d'après-midi la magistrature d'Emeraude, en la personne de Hiruya-sama, Ayame-san, Ikky-san et Ryu-san, monta dans le quartier des charpentiers et se présenta devant l'atelier d'un couvreur, rue des Ormes. Et on fit sortir le maître des lieux et sa famille : ils vinrent se présenter, front à terre, devant les puissants samouraï. Il y avait un homme et ses deux enfants.
- Où est ta femme ?
- Elle doit arriver très bientôt, samouraï. Elle finit de se préparer pour être présentable devant vous !
- Ryu, va la chercher !
Notre Dragon s'inclina brièvement et pénétra dans la maison, suivie de deux soldats. A l'étage, elle entendit du remue-ménage, un meuble qui tombe : elle ouvrit le panneau de la chambre et vit la femme, pendue, les veines taillées.
Ryu coupa la corde et les deux soldats reçurent la femme. Elle venait de rejeter de sous elle un tabouret : elle vivait encore, bien qu'elle fût tombée inconsciente. Elle s'était taillée les veines avec un tanto. Ryu redescendit prévenir Hiruya en lui murmurant à l'oreille. Notre Grue ordonna une fouille exhaustive de la maison.
Ayame et Ikky montèrent dans la chambre et la shugenja procura des soins à la femme. Elle examina la pièce avec Ryu : les deux femmes ne trouvèrent pas trace de maho-tsukaï. En revanche, dans le placard de la femme, on avait gravé la marque du Condor.
Pendant que le rez-de-chaussée était retourné de fond en comble, Hiruya arrivait en haut.
- Elle s'en sortira, Hiruya-sama, dit Ayame.
- Tant mieux. Je vois que vos informations étaient exactes. Qu'on m'emmène toute cette petite famille au palais !
Le soir, il y eut interrogatoire en règle du couvreur : il en ressortit qu'il ne savait rien. Le pauvre tremblait rien qu'à voir Pitoyable approcher ses instruments du feu : on lui évita des supplices corporels, car il était sincère. Il passa dans le cercle magique d'Ayame sans difficulté : il n'était pas porteur de la Souillure de l'Outremonde.
Les enfants ignoraient tout autant ce qui se passait. Le couvreur tomba au dernier degré du desespoir en apprenant que sa femme, sa petite femme si paisible et si douce, était liée à une secte d'adorateurs du Dieu Maudit !
Et une fois de plus, le Condor avait eu l'oreille et l'oeil : il avait ordonné à sa complice de se suicider au moment où la magistrature d'Emeraude arrivait pour l'arrêter. Mais cette fois, c'était un peu tard, pas comme pour la veuve Mayo. Donc le Condor avait été pris de court : il n'était donc pas tout-puissant. Il avait dû agir dans l'urgence.
L'interrogatoire de la femme amena des informations intéressantes : comme les autres, comme Daidoji Unoko, elle était terrifiée par la voix du Condor et par son oeil qui voit partout, qui espionne en permanence. Elle n'était pas entrée dans cette secte de plein gré, au contraire. Alors qu'elle était partie, plusieurs années auparavant, avec d'autres femmes prier dans un temple à quelques lis de la ville, elle avait été capturée sur le chemin du retour. Ses ravisseurs l'avaient assommée et baîllonnée en début de nuit ; toute la nuit, ils l'avaient torturée, jusqu'à ce qu'elle prête allégeance au Condor. Au matin, elle acceptait enfin.
Elle revit d'autres fois ses bourreaux, qui achevèrent en quelques "séances" de briser sa volonté. Ces fois-ci, elle avait été convoquée (sous peine de mort pour elle et sa famille si elle n'y allait pas) dans un discret bâtiment... rue du Saphir ! A l'époque où la boutique était inoccupée, en pleine guerre de l'opium.
Ainsi cette cave avait servi à Dajan, à Nakiro et aux autres, de lieu de rendez-vous et de torture pour leurs nouvelles victimes.
Ayame lui fit mettre un pied dans le cercle magique : aussitôt, les flammes surgirent et la femme eut la jambe brûlée, juste avant qu'on ne l'en retire. Elle était souillée. Le Condor avait dû la forcer à prêter allégeance au Gaki, comme les autres. Et pour un tel crime, elle devait mourir.
Elle put apprendre à nos magistrats une autre information : la première fois qu'elle avait eu affaire au Condor, cela ne s'était pas passé dans la cave rue du Saphir, mais dans une cabane, à la sortie de la ville, dans les bois.
Nos magistrats se promirent d'aller visiter l'endroit aussi vite que possible.
L'après-midi, Hiruya avait assisté à une assemblée extraordinaire au palais du Gouverneur. Shosuro Hyobu-sama avait réuni les dirigeants de famille pour parler de l'attaque de la veille : elle dut remercier Licornes et Grues pour leur aide ; elle félicita Bayushi Korechika pour sa bravoure, ainsi que Bayushi Tomaru, revenu en début de journée : lui et les rônins d'Ozaki avaient repoussé une attaque d'une avant-garde du clan du Crabe. En revanche, Shosuro Jocho fut publiquement réprimandé, avec une dureté qui était autant celle du Gouverneur que celle de la mère.
Il fut accusé d'avoir mal défendu la ville, de n'avoir pas vu venir l'attaquant, d'avoir mal organisé la Garde du Tonnerre. En conséquence de quoi, il se voyait pour le moment retirer le commandement de la Garde, qui passait sous les ordres de Korechika-sama. Ce dernier salua respectueusement le Gouverneur. Et on évita dès lors de regarder Jocho, humiliée. Seul Hiruya, qui éprouvait une certaine sympathie pour lui, se promit de faire, dès qu'il le pourrait, un geste en sa faveur.
Le lendemain, nos héros partaient en campagne, à la recherche de la cabane indiquée par la femme du couvreur.
C'était au sud de la ville, à moins d'une demi-journée de marche. Renseignés par les bûcherons, qui suaient en ce début d'après-midi pour avoir du bois pour l'hiver, nos magistrats s'aventurèrent dans le bois déjà dépouillé de la plupart de ses feuilles. Il s'y trouvait en effet une petite cabane, abandonnée. On aurait pu croire qu'elle servait de refuge aux chasseurs, mais ce n'était pas le cas. Elle avait mauvaise réputation dans la région : on disait que des démons dormaient dedans ; on avait déjà entendu leurs cris... Nos héros pénétrèrent dans cette bicoque fragile et grinçante. Elle était vide.
Mais au premier coup d'oeil, Ryu jugea qu'elle avait été déménagée il y a peu. Les meubles avaient laissé des marques claires sur les murs.
Ayame fit amener de l'eau du puits et la versa dans un petit bol qu'elle transportait dans son furoshiki [sac en tissu]. Puis elle fit découper un morceau de latte en bois du plancher et le plongea dedans. Grâce au rituel magique dit de P'an K'u (dont Akitoki lui avait envoyé le parchemin), elle put "lire" ce dont cet objet avait été témoin : des injures, des coups, des cris, du sang versé, des sévices...
C'était donc bien là que la femme du couvreur avait été emmenée, et certainement d'autres victimes du Condor.
Nos héros décidèrent de passer la région au peigne fin : la bande ne pouvait pas être loin et elle ne pouvait pas passer inaperçue !
Renseignements pris au village voisin, une bande de rôdeurs était passée à proximité de la rivière voisine, la veille. Ils avaient tout l'air de brigands : ils étaient partis dans la forêt. Nos héros suivirent cette piste. Au bord d'une rivière, ils se séparèrent : les deux Phénix remontant le courant, Hiruya et Ryu le remontant, de façon à trouver au plus vite un pont.
La campagne était froide, déjà hostile, sauvage. Nos héros étaient dans une zone marécageuse, où les joncs frissonnaient et les arbres se dénudaient à chaque tremblement de leurs branches dans le vent aigre.
Après une bonne heure de recherche, lassante, nos magistrats continuèrent leur chemin, par le pont en amont du courant. Ils passèrent la nuit au prochain village, où ils demandèrent au guide le plus sûr de la région de les accompagner.
Encore une journée de marche et un nouveau village. Plus aucune nouvelle de la bande qu'ils suivaient. Le soir, saoulés par l'air de la campagne et usés par leurs recherches qui piétinaient, nos magistrats s'endormirent rapidement, dans la meilleure auberge du petit village. Ils vivaient à la dure, à peine mieux que des paysans, mais il fallait abandonner ses goûts de luxe quand on poursuivait des criminels du Condor ! Miya Katsu était bien au chaud dans son palais, mais c'était à nos héros de s'user les semelles sur les chemins. Du reste, sans troupe pour les accompagner, sans étendard, les magistrats d'Emeraude perdaient beaucoup de leur superbe : les villageois ne se rendaient pas bien compte de qui ils étaient, eux qui vivaient dans cette arrière-pays reculé, coincé entre des marécages et la rivière et qui n'avaient guère de contacts avec le monde extérieur que par le collecteur d'impôts, une fois l'an.
Le lendemain matin, après une bonne nuit et une solide collation à base de bouillie de légumes et de millet (tout ce que les pauvres villageois avaient à offrir), les samouraï reprenaient leur traque. Ils firent appel à un nouveau rabatteur, qui leur permit de ressortir de cette région perdue, pour retrouver les grands chemins de terre sèche des Shosuro. Ils étaient soulagés de quitter ce pays humide habité par ces vilains paysans miséreux !
A la mi-journée, ils arrivèrent en vue d'une haute bâtisse en pierre, qui se trouvait être la tour Nihai, le principal poste d'observation des Scorpions dans la région. Et si un des complices du Condor, voire le dernier Condor lui-même, avait pu s'y réfugier ? Il n'était pas impossible que le possesseur de la dernière poupée, grâce à ses pouvoirs, ait senti l'arrivée des magistrats. Ce que craignait nos héros, c'est que ce Condor fût un membre éminent du clan du Scorpion : auquel cas, il aurait pu se faire inviter pour la nut à Nihai. Mais pour ce qui serait de l'arrêter, ce serait une autre paire de manches.
Kakita Hiruya dit qu'ils iraient au village voisin, qui était au bout de la piste qu'ils suivaient. De cette façon, ils seraient de retour à la Nihai à la tombée du jour et il n'y aurait rien de suspect à ce qu'ils y demandent l'hospitalité.
Le dernier hameau de la route était composé de quelques batisses disséminées autour du chemin. Ce village était sous la protection des Soshi. Il était commandé par un samouraï de petite naissance, qui fit de son mieux pour honorer la venue des nobles magistrats assistants.
- Des bandits ? oui samouraï. Il en est venu hier. Une bande d'une dizaine d'individus. Nous avons été avertis de leur approche par la tour Nihai. Nous avons un code pour communiquer, à l'aide de drapeaux. En les voyant claquer au vent hier, j'ai mis mes yorikis sur le pied de guerre et nous avons su les recevoir, ces bandits, par Bayushi ! Nous les avons abattus dès qu'ils ont pointé le bout du nez.
- Tous ?
- Oh que oui !
- Pouvons-nous voir les corps ? dit Ayame.
- Si vous le désirez. Ils sont chez les etas, je vais les faire apporter.
Les hinin apportèrent sur des civières les corps et le village entier put assister à cette macabre procession. Nos héros y jetèrent un oeil rapidement : ils ne reconnaissaient personne. Ils firent remmener les cadavres, que le responsable du crematorium les fasse partir pour de bon en fumée.
- Retournons à Nihai. J'ai le sentiment que nous trouverons plus de choses là-bas.
- Si le dernier Condor est un samuraï, dit Ikky, il a pu abandonner ses complices à une mort certaine, et aller dormir à Nihai, comme si de rien n'était.
Comme prévu, alors que le soleil rouge disparaissait à l'horizon de la campagne, les Magistrats d'Emeraude arrivaient au pied de Nihai. On vint aussitôt leur ouvrir la porte et le taisa [capitaine] les accueillit dans ses appartements.
- Nous enquêtons au nom de Miya Katsu-sama, Magistrat d'Emeraude de la Cité des Histoires, expliqua Hiruya. Nous étions à la poursuite de bandits, mais les Soshi les ont abattus avant que nous ne les rattrapions nous-mêmes. Et maintenant, nous nous sommes laissés surprendre par la nuit.
- Au contraire, ce sont les dieux qui vous envoient, disait le taisa, car notre tour peut ainsi s'honorer d'accueillir la magistrature d'Emeraude ! Soyez les bienvenus parmi nous. Vous mangerez à mes côtés bien sûr !
Ainsi, le soir, dans la salle réservée aux repas des officiers, nos héros prirent place pour déguster leur meilleur repas depuis trois jours. Ils étaient contents de retrouver du poisson, des condiments, du riz digne de ce nom, des légumes bien préparés à la vapeur et cuits à points !
Ils mangèrent avec appétit, en dévisageant l'assistance, sous prétexte de les saluer.
Le repas fut agréable : les hommes de cette tour menaient une vie rude, avec de rares permissions et passaient beaucoup de temps en manoeuvres dans la région. Avec la menace des Crabes, cette tour prenait enfin tout son sens. Nos héros racontèrent quelques-unes de leurs enquêtes. Ils firent en sorte de rester les derniers, même après le repas, à discuter avec le capitaine. Ayame fit semblant de jeter une bénédiction sur la salle puis nos héros descendirent dans leur chambre, dans la partie du bâtiment la mieux chauffée, celle réservée aux officiers.
En réalité, ils ne se mirent pas au lit. Ils étaient sûrs qu'un complice du Condor avait trouvé refuge dans cette tour. S'il se savait poursuivi, il contacterait peut-être son maître. Ainsi, Ayame avait lancé un sort sur la salle commune, qui lui permettait d'écouter ce qui s'y passait, même en son absence. Les Fortunes de l'Air l'avertiraient de ce qui s'y disait. Pendant un bon moment, il n'y eut que le silence. Ayame, nerveuse, continuait à psalmodier son sort, afin de se concilier la patience des Fortunes.
A côté d'elle, les autres magistrats attendaient, tout aussi impatients.
Ayame dut reprendre le sort depuis le début, car les Kamikaze se dispersaient déjà. C'était rageant, car si le complice arrivait pendant ce temps... Pendant que Hiruya et Ryu faisaient de leur mieux pour masquer leur nervosité, la shugenja refit l'incantation. Quand les Fortunes vinrent à nouveau murmurer à son oreille, elle dit aussitôt :
- Des pas dans la pièce !... on ouvre une fenêtre !
Aussitôt, les autres samouraï s'approchèrent, comme s'ils allaient mieux entendre !
Mais les esprits ne parlaient qu'à la shugenja. Elle répétait ce qu'elle entendait.
- Une voix grave, une voix d'homme, caverneuse : "Alors misérable, quelles nouvelles m'apportes-tu ?"
- Une autre voix, obéissante, servile : "Maître, ils me poursuivent !...
- "Les magistrats d'Emeraude !
- Ils sont dans la tour ?
- Oui... [voix pleurnicharde]
- Et tes complices ?
- Morts, tous morts... J'ai prévenu la famille Soshi, lors de mon tour de garde. Ils les ont tués sans discuter.
- Ca ne suffit pas ! Tu as la magistrature aux trousses ! Que comptes-tu faire à présent ?
Ayame sentait les Fortunes se retirer à nouveau. Et pourtant, elle sentait qu'on arrivait au moment crucial.
- Alors quoi, que disent-ils ?
Hiruya ne tenait plus en place : le Condor, le dernier complice de Dajan, était dans la pièce, juste quelques étages au-dessus !
Ayame, prise de panique, lut une troisième fois son parchemin : elle bredouillait, sautait des phrases, reprenait. Il n'était pas bon d'abuser des esprits, mais pas bon non plus d'abuser de la patience de Hiruya-sama !
La shugenja dut y mettre toute sa concentration, puisant dans la force du Vide pour appeler à nouveau les Fortunes. Elle entendit, soulager, la conversation continuer..
- La voix du complice : ... je n'échouerai plus à présent !
- Le Condor : ... tu m'as mis en danger ! Par ta faute, tu entends, par la faute de tes indiscrétions et de tes maladresses, "ils" ont envoyé la Grue Noire me tuer !
Hiruya trembla en entendant ce nom. S'il pouvait s'y attendre ! Les autres repensèrent au criminel d'Heibetsu, qui avait causé le deshonneur de Hida Sotan, mais ils ne connaissaient rien de ce qui s'était dans la Vallée des Cloches de la Mort.
- Le complice : "Mais qu'allons-nous faire !"
- "Pour le moment, tu vas te tenir à carreaux ! Je veux en terminer avec cette ville à présent et les Crabes seront mes meilleurs alliés ! Puissent-ils la raser entièrement !
- Quand devrai-je attendre vos ordres ?
- A l'heure où j'inviterai le Lièvre !
- Bien maître !" J'entends la fenêtre qui claque, dit Ayame. Ils se séparent.
- Allons-y !
Hiruya n'y tenait plus. Suivi par Ryu et Ikky, il se précipita dans l'escalier en colimaçons, quatre à quatre et ouvrit à toute volée le panneau de la grande salle.
Dans les ténèbres nocturnes de la pièce, sous la lueur de la lune dans son premier quartier, le complice, un samouraï Bayushi, hurla sa terreur et dégaina son sabre. Il recula, ses genoux prêts à se dérober sous lui.
Ryu et Ikky, qui entraient juste après, entendirent les pas précipités de Hiruya sur le parquet, son sabre qui sort, un coup dans la chair, un cri de douleur, puis un corps qui tombe à terre de tout son long. Gémissements de douleur.
Les deux femmes s'avancèrent, sabres en main. Hiruya, haineux, dominait le misérable qui se tordait de douleur. Il avait pris une profonde entaille dans l'épaule. Hiruya rengainait posément.
Les deux femmes allèrent à la fenêtre. Ayame arriva : on jeta un oeil par dehors : y avait-il quelqu'un d'accrocher au mur, au-dessus ou en-dessous ? Un ninja, tapis dans l'ombre ?
Non personne.
- Où est ton maître ?
- Parti...
Le mot se finit en gémissement plaintif. Hiruya le souleva par le col :
- Où est ton maître !
- Parti ! envolé !...
Le Bayushi était mort de peur.
- Il me contacte toujours comme ça ! Je ne l'ai jamais vu ! Il me parle à distance !
Hiruya jeta un oeil à Ayame.
- Oui, c'est possible. Mais cela signifie que son maître est shugenja, et qu'il est puissant.
- C'est vrai, ça, que c'est un shugenja ?
- Je ne sais pas !
Hiruya soupira et le laissa tomber à terre.
Le capitaine et ses hommes entrèrent à ce moment dans la pièce, des lampes à la main.
Hiruya s'avança, s'inclina, prêt à fournir des explications :
- Au nom du Champion d'Emeraude, j'arrête cet homme !
Stupéfait, le capitaine eut le réflexe de s'incliner légérement, tout en fixant le misérable que ses hommes étaient en train de relever.
- Qu'a t-il fait ?
- Peut-être préféreriez-vous, taisa, que nous en parlions à part.
- En effet, honorable magistrat.
On attacha solidement le Bayushi, pendant que nos héros se rendaient dans les quartiers du taisa.
A suivre...
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09-06-2006, 06:17 PM
(This post was last modified: 19-06-2006, 12:57 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Hiruya ne se sentait pas d'humeur à y aller par quatre chemins. L'influence de Ryu ?
- Votre soldat fait partie d'une secte d'adorateurs de démons. Son maître est un dangereux shugenja voué aux pouvoirs des kansen. Il est capable d'invoquer la Souillure de l'Outremonde sur nous tous !
Et il n'hésitait pas à en rajouter, car il estimait que le taisa ne l'avait pas volé, parce que le Condor venait à nouveau de lui échapper et qu'il en avait assez de découvrir les saloperies des gens, toute cette lâcheté finalement impossible à dissimuler !
Après l'attaque des gobelins, le magistrat Yogo Osako avait mené des investigations. Elle pensait qu'on avait utilisé de la magie pour dissimuler la troupe de l'Outremonde. Ayame n'y avait pas trop cru : elle voyait bien que les Scorpions cherchaient à disculper Shosuro Jocho !
A présent, si le dernier Condor était bien un shugenja, il n'en allait plus de même. Puisqu'il voulait la destruction de Ryoko Owari, il avait très bien pu aider l'Outremonde.
En sortant de chez le capitaine, Hiruya résuma la situation :
- Le Condor sera bientôt à notre merci. Plusieurs de ses complices sont morts et nous venons d'attraper son bras droit. A force d'erreurs, nous finirons par le découvrir. Ce n'est qu'une question de temps.
- Oui, dit Ayame, il a eu chaud aux plumes ce soir !
Nos héros interrogèrent une première fois le samuraï, qui se nommait Bayushi Mito. Puis le lendemain, ils quittèrent la tour Nihai et rentrèrent à la Cité des Histoires avec leur prise. Le complice du Condor passa entre les mains de Pitoyable et de ses interrogateurs. Les informations qu'il avait à révéler étaient des plus intéressantes.
Il servait de complice au Condor depuis qu'il avait été enlevé et torturé dans la Cité, sans doute dans la sinistre cave de la rue du Saphir. Depuis, sous-officier à la tour Nihai, il avait plusieurs fois envoyé quelques signaux quand le Condor lui avait demandé. Dernier crime en date, il n'avait pas donné l'alerte lors de l'approche de la troupe de gobelins, ce qui leur avait permis d'arriver pour ainsi dire aux pieds de la Cité. Et Mito pensait que son maître avait usé de magie pour dissimuler les guerriers de l'Outremonde. Voilà qui innocenterait - en partie - Jocho.
Ensuite, il avait aidé, à la fin de la guerre de l'opium, des complices du Condor à quitter la Cité, de nuit, en leur fournissant des passeurs. De même, à l'époque où il avait été affecté à la surveillance du fleuve, il avait fait passer des navires contennats de l'opium, toujours pour le Condor.
Pour une telle trahison, il méritait cent fois l'exécution sommaire. Hiruya décida que c'était au chef de famille, Bayushi Korechika d'en décider. Il le rencontra, sans tambour ni trompettes, pour le mettre au courant de l'ignominie de ce Mito. Accablé sans doute, Korechika-sama prit note des révélations du magistrat d'Emeraude. Il promit les pires supplices au traître, puis une mort et un oubli définitif. Le Magistrat s'inclina, d'accord avec ce châtiment.
Restait une dernière information, crachée sous la torture par Mito : il avait aidé une troupe de Crabes à s'infiltrer dans la région, non loin des marais où nos héros avaient pataugé quelques jours avant. La troupe était allée se dissimuler dans la région du vallon qui chante, à moins de deux jours de la Cité. Le Condor servait donc désormais d'agent infiltré aux Crabes.
L'heure était venue de faire un geste pour Shosuro Jocho, occupé à superviser les travaux de fortifications de la ville, pendant que SA garde du tonnerre était commandée par son rival, Korechika-sama.
- J'ai une grave nouvelle à vous apprendre, Jocho-san.
Mais le fils du Gouverneur ne fut pas si accablée de cette nouvelle. Il ne put dissimuler sa reconnaissance envers Hiruya. Grâce à lui, il redorerait son honneur, mis à mal après la dernière attaque.
- La Garde du Tonnerre accompagnera votre Garde d'Emeraude, Hiruya-san. Ensemble, détruisons nos ennemis !
- C'est bien ainsi que je l'entendais, Jocho-san. Mettons-nous en route demain.
Le soir, Hiruya fit le point avec ses assistants et le lendemain, Hida Shigeru ainsi que Mirumoto Ryu étaient en tenue de guerre, à la première heure du jour, et les troupes de Jocho-san rencontraient celles de Hiruya-san.
Sous le soleil du matin, l'armée se mit en route. En milieu de journée, notre Magistrat vit arriver un éclaireur qu'il avait envoyé la veille.
- Hiruya-sama, comme vous me l'aviez demandé, je me suis rendu au Vallon qui Chante. Ils sont bien là-bas !
- Tu les as vus ?
- Non, mais j'ai vu des gens du village voisin inquiets, porter de la nourriture vers ce Vallon. Ils prétextaient des offrandes aux divinités de la Forêt, mais ce n'est pas des sacs de riz qu'on offre généralement !
- Très bien, en avant !
En milieu d'après-midi, les éclaireurs spéciaux de la famille Bayushi approchaient du Vallon et lorsque l'armée de Jocho et Hiruya passa à l'attaque, surprenant les Crabes dans le creux où ils avaient leur campement, plusieurs arbres vinrent rouler dans les jambes des Crabes et l'eau de la rivière leur faisait maintenant cracher leurs tripes !
Mais en dépit de l'effet de surprise, les Crabes furent de terrifiants adversaires ! C'était comme affronter des montagnes !
Au plus fort de la bataille, Jocho-san était prêt à mourir pour faire oublier ses erreurs et son ardeur décupla l'ardeur de ses guerriers. Il fut pour beaucoup dans le retournement du sort des armes : les lignes de défenses des Crabes furent enfoncées grâce à ses instructions. Hiruya, en première ligne, trancha plusieurs officiers ennemis puis recula après avoir subi plusieurs vilaines blessures ; il croisa Ryu qui remontait des dernières lignes et au même moment, au milieu de la bataille, ils décapitèrent deux officiers qui venaient de les défier en duel !
La bataille se termina au soleil couchant, dans ce Vallon qui fut la dernière demeure de cette avant-garde du Grand Ours. A la nuit tombante, les cadavres refroidissaient ; et le soleil ayant disparu, les fossoyeurs s'aventurèret dans les bois, pour venir chercher ces énormes corps mutilés, semblables à des arbres abattus.
L'armée de la Cité perdit ce jour-là la moitié de ses effectifs, tombée à la bataille ou morts après. Et quand Jocho et Hiruya arrivèrent à la Cité, la nouvelle de leur triomphe était déjà arrivée : on leur fit des ovations et on les célébra durant toute une journée !
Pour glorifier notre Magistrat, l'abbé Okawa fit ériger un autel à la famille de Hiruya dans le temple de Daikoku. Jocho retrouva sa position de capitaine de la Garde du Tonnerre. La victoire du Vallon qui Chante avait fait oublier la bataille des champs.
Nos héros passèrent plusieurs jours à se reposer, dans la quiétude qui suit la bataille. D'abord contents de n'avoir plus de tâches urgentes, Hiruya se mit à trouver le temps long. Il avait pris l'habitude de s'agiter en permanence, de courir d'un bout à l'autre de la ville ou de l'Empire. Il lui paraissait anormal de pouvoir rester au palais sans rien faire d'exceptionnel.
Il repensait au Condor. Ce dernier avait commis des erreurs et nombre de ses complices avaient été arrêtés. En restaient-ils encore ? Il se sentait bloqué. Plus aucune piste pour le moment. Et pendant qu'il se reposait, son ennemi continuait à fourbir des plans diaboliques pour s'en prendre à la Cité.
Mais après la défaite des Crabes, l'arrestation de Mito, de quels ressources le dernier complice de Dajan pouvait-il encore disposer ?
Ayame repensait aux nuits passées dans la campagne marécageuse misérable. Le second soir, alors que les Magistrats desespéraient de retrouver la bande, elle avait été réveillée par un ricanement caractéristique, qu'elle aurait reconnu entre milles.
- Votre enquête piétine, je me trompe ?...
Il était assis sur le bord de la fenêtre, éclairé par le rayon lunaire, son visage émacié, souffrant, son sourire distordu : l'homme qui rit, Nakiro !
Ikky dormait à poings fermés.
- Que faites-vous là ?
Tout juste si Ayame ne lui reprochait pas d'abord de la réveiller à une heure pareille !
Mort-vivant soit, mais importun plus encore !
- Ah, je suis bien seul, Ayame, coincé entre les morts et les vivants, quelle tristesse !...
Il venait en somme pousser sa complainte de ténébreux inconsolé. Il avait besoin de réconfort !
- Nakiro, j'ignore comment vous êtes sorti de votre damnée grotte de chez les Faucons, mais j'aurais préféré que vous y restiez...
Notre shugenja grinçait des dents devant le tsukaï souriant et casse-pieds.
- Je me languissais de venir vous taquiner.  Moi, vous savez, je sais très bien qui est le dernier Condor ! C'est moi qui ai participé à son recrutement...
Ayame savait qu'il était inutile de demander de qui il s'agissait. Nakiro n'aurait pas répondu et plus encore, il aurait été... déçu. Ce n'aurait pas été élégant...
- Le dernier complice de ce salopard vous déteste. Il a juré de détruire cette ville, maintenant qu'il se sait condamné. Il n'est pas aussi puissant que moi, mais il peut vous donner du fil à retordre...
- Vous êtes fou, Nakiro...
Assez fou pour l'être encore, même une fois mort !
Le tsukaï s'était éclipsé en esquissant un petit geste de la main.
Deux jours après la bataille contre les Crabes, Ozaki arrivait à la Cité des Mensonges. Miya Katsu l'avait convoqué, car l'heure de briser le procès contre sa famille approchait. Yasuki Taka continuait à surveiller sa boutique et se tenait à la dispostion de la Magistrature pour revenir sur son témoignage.
Le soir, on retrouva un corps dans la Baie de l'Honneur Noyé. Hiruya envoya Shigeru s'informer.
- Il s'agit d'une servante du palais Shosuro, rapporta le Crabe. Elle se nommait Vigilante.
Et la première réaction d'Ayame et Hiruya, en choeur :
- Vigilante ? pas assez !
- Je crois qu'elle était au service de la famille Soshi. Les Scorpions semblaient vraiment embarrassés par sa mort.
- Bah, ce n'est qu'une servante, conclut Hiruya. Il se fait tard, allons dormir.
Le lendemain, un serviteur de Kitsuki Jotomon vint se présenter au palais : on avait profané le dojo du senseï !
Las, Hiruya envoya Ryu voir de quoi il retournait.
On montra à l'enquêtrice le portail en bois, sur lequel, à la peinture rouge, on avait tracé de grands traits vengeurs.
La marque du Condor.
Ryu interrogea les gens du voisinage : nombre d'entre eux parlait de ninjas, venus du palais Shosuro pendant la nuit.
- Des ninjas, honorable Hiruya-sama.
De mauvaise humeur, le Magistrat congédia Ryu, lassé d'entendre parler de ces légendes pour la énième fois !
Le Condor continuait dans la provocation. Qu'on nettoie le portail du senseï pour le moment et voilà !
En début d'après-midi, notre Magistrat reçut Ozaki, pour régler quelques détails formels pour la cérémonie de révision du procès.
- Je ne sais comment vous remercier, Hiruya-sama !
Le Lièvre s'inclinait bien bas.
- Tu n'as pas à me remercier, Ozaki. Je ne fais qu'appliquer la justice et réparer les torts, selon la volonté de l'Empereur.
- Que les Fortunes vous protègent ! J'accourrai dès que vous le désirerez. Cette après-midi, je me rends au palais Shosuro, car le clan Scorpion veut aussi mettre au clair les rapports entre eux et mon clan.
- Très bien.
Hiruya regarda partir le rônin vers le palais.
Il se souvint alors de ce qu'avait dit le Condor à Mito, à la tour Nihai : "... à l'heure où j'inviterai le Lièvre..."
C'était le moment désigné par le Condor pour sa prochaine action.
Las, Hiruya se dit que Mito ayant été arrêté, cette histoire était caduque. Il se sentait les épaules lourdes, agacé aussi de ne rien pouvoir faire pour le moment.
Il passa l'après-midi plongé dans le Tao, puis alla au dojo du palais répéter quelques mouvements de sabres.
Isawa Ayame et Shiba Ikky, sur l'invitation du magistrat Yogo Osako, s'étaient rendues au palais Shosuro, pour parler de parchemins et de collaboration en vue de la guerre contre les Crabes. La shugenja devait être contente de pénétrer enfin dans l'un des endroits les plus secrets de Rokugan.
Amusé, Hiruya continua ses katas de kenjutsu, seul contre plusieurs ennemis imaginaires.
Peu de temps après, on entendit un grand-remue ménage du côté du palais Scorpion. Hiruya sortait du dojo, mécontent : il s'était mal concentré, il ne sentait pas le Vide en lui. Il s'essuyait le visage quand on vint le prévenir qu'Ozaki demandait de toute urgence à le voir.
Inquiet, pressentant le pire, Hiruya se rendit dans la salle de réception.
- Qui ya t-il ?
Si Hiruya était en sueur, Ozaki était en nage. Le souffle court, il pouvait à peine parler.
- Hé bien quoi donc ? parle !
- C'est abominable, magistrat !... Comme vous le savez, je me rendais...
- Oui, au palais Scorpion !
- J'y ai été reçu par Bayushi Korechika et alors !...
Hiruya blêmit : les idées se bousculèrent dans sa tête. Korechika, le dernier complice du Condor ?! Le patron presque officiel du trafic d'opium ! Avait-il aussi des pouvoirs magiques, conférés par le Condor ?
Au palais des Scorpions, Ayame et Ikky prenaient le thé en compagnie de Yogo Osako. La shugenja était très polie mais intérieurement elle bouillait d'impatience de rentrer dans le vif du sujet : découvrir les bibliothèques du lieu !
- Il serait bon de mettre en commun nos connaissances, comme vous l'aviez si intelligemment suggéré, Ayame-san. Et à propos, je vous remercie pour l'arrestation de ce Bayushi. Ses révélations ont aidé à faire oublier les torts de Shosuro Jocho-san.
- Je vous en prie, Osako-san, la Magistrature ne fait que son devoir.
Les deux femmes échangèrent encore quelques politesses.
- Il serait bon de réunir d'autres shugenjas de votre clan, dit Ayame.
- Pourquoi pas, sourit Osako, je pense que l'honorable Soshi Seiryoku serait intéressée par nos discussions.
- Seiryoku-sama ? sourit Ayame, j'ignorais qu'elle était senseï shugenja.
Du couloir vinrent alors des pas précipités, plusieurs hommes, et d'autres, dans l'autre sens ; d'autres encore, qui couraient et criaient des ordres. Des sabres qui sortent, des menaces, des ordres de passer à l'attaque !
Yogo Osako, inquiéte, pria, aussi aimablement qu'il était possible, ses invitées de ne pas se faire de mauvais sang et elle partit s'informer. Les deux Phénix attendirent. Ikky n'était pas à l'aise : elle n'avait pas son sabre.
Les bruits continuaient. On aurait cru une véritable révolution de palais !
Des corps tombaient à terre, d'autres samurai criaient. On s'affrontait au sabre et à mort !
Les deux femmes virent entrer Bayushi Otado, le fils de Korechika. Leur premier mouvement fut de recul : Otado-san tremblait de colère.
Il lança les daisho des deux femmes :
- Nous courons un grand danger, samuraï-ko, alors défendez votre vie !
Et il referma la porte et on l'entendit partir en courant !
Ikky ne se fit pas prier :
- Suivez-moi, Ayame !
Elle mit son daisho au saya, ouvrit le panneau et jaugea la situation : dans le couloir, plusieurs morts. Des serviteurs, mais aussi quelques jeunes samouraï.
Elle avait repéré le chemin à l'aller et emmena Ayame au pas de charge vers l'escalier. En chemin, un samouraï Yogo voulut leur demander de s'arrêter.
- Ecarte-toi !
Ikky était furieuse. Elle avançait.
- Qui êtes-vous ? Arrêtez !
- Ecarte-toi !
L'autre mit la main au katana et reçut un coup de celui d'Ikky en travers du corps. Il s'écroula à terre.
Peut-être ne voulait-il pas de mal aux deux femmes, peut-être était-il préocuppé de la sécurité du palais, mais tant pis pour lui !
- J'étais chez Korechika-sama, qui m'a reçu aimablement et m'a dit qu'il souhaitait voir nos deux clans entretenir, à l'avenir, de bonnes relations.
- Très bien et ensuite ?
Ozaki reprenait péniblement son souffle.
- Ensuite, on est venu me dire que l'honorable senseï Soshi Seiryoku désirait me parler aussi. Ce qui n'était pas prévu.
- Que s'est-il passé ?
- Au début, elle m'a dit qu'elle respectait beaucoup mon clan, cette sinistre femme, puis ses propos sont devenus de plus en plus confus. Elle devenait effrayante. Elle disait qu'elle ne redoutait pas les Crabes, qu'elle souhaitait leur venue ! qu'elle maudissait cette Cité, que mon clan aurait dû être détruit jusqu'au dernier, que maintenant tout était trop tard !
"Elle m'a alors jeté au visage une poupée grimaçante, regardez !
La dernière poupée ! Elle se nommait : Discrétion.
- Elle avait retiré son masque, qu'elle porte tout le temps : elle était hideuse, les traits déformés, un vrai démon !
Hiruya, furieux, lança qu'Ozaki n'avait pas à en dire plus. Il cria à toute la Garde d'Emeraude de se tenir prête à partir au combat !
Soshi Seiryoku, le dernier Condor ! Celle qui possédait la 6e poupée, après Matsu Bashô et avant Asako Nakiro !
En peu de temps, le palais d'Emeraude était sur le pied de guerre.
Vingt-cinq hommes étaient prêts à combattre. Hiruya, Shigeru et Ryu finissaient d'enfiler leurs armures et la troupe se mit en marche, accompagnée d'Ozaki.
Elle traversa tout le quartier noble, Hiruya en tête, le sang bouillant, écartant tous les gêneurs sans ménagement.
La Garde du Tonnerre, ahurie, voyait passer la garde d'Emeraude.
- Suivez-moi, lançait Hiruya, impérieux. Suivez-moi j'ai dit !
Certains hésitaient, ne répondant que devant Jocho-sama. D'autres se joignirent à la troupe.
Hiruya se présenta devant la porte du puissant palais :
- Ouvrez, au nom du Champion d'Emeraude ! Ouvrez ou je fais enfoncer la porte !
On entendait des bruits de combat dans le palais ; les portes s'ouvrirent en grinçant et la troupe traversa la cour du palais. Il y avait des morts, des chevaux tués, des seaux renversés, des serviteurs égorgés.
Jocho accourut, à la tête de plusieurs soldats :
- Hiruya ! Les Soshi nous ont trahis !
Il avait hurlé.
- Je sais. Suis-nous et rameute tous tes hommes !
La troupe progressa et s'engagea dans les couloirs. Hiruya ordonnait à tous ceux qui se battaient de rejoindre ses rangs. On traversa le labyrinthe entrelac de couloirs, jusqu'à l'aile de la famille Soshi. On avait croisé les deux Phénix, Ikky en tête.
- Emmène Ayame en sécurité.
- Haï Hiruya-sama !
Hiruya ouvrit la porte qui menait vers les appartements de Seiryoku.
A terre, un cadavre, carbonisé. On reconnaissait Yogo Osako.
Encore une pièce, un panneau.
Kakita Hiruya, Shosuro Jocho, Mirumoto Ryu et Ozaki entrèrent dans la chambre de Seiryoku. Celle-ci, à genoux, toisait les arrivants, mains sur les cuisses, grimaçante de haine. Elle n'avait presque plus de traits humains : les pouvoirs du Shimushigaki, dont elle était la dernière porteuse, l'avaient défigurée.
- Soshi Seiryoku, au nom de l'Empereur, vous êtes en état d'arrestation.
Derrière le Magistrat, les autres samuraï avaient tiré leurs sabres.
- L'Empereur n'est plus mon maître depuis longtemps. Le Condor a fait de moi sa créature ; le Condor est mort maintenant. Désormais, mon maître est Fu-Leng !
Elle s'était levée, sabre à la main.
Hiruya se mit en garde, main sur son fourreau, de même que les autres samuraï.
La Soshi poussa un feulement sauvage, inhumain, comme sorti moins de sa gorge que du Puits Suppurant et se précipita sur nos héros.
Hiruya avança d'un pas : elle dégaina la première ; notre Magistrat évita son coup et lui trancha la poitrine de son sabre. Les autres samuraï frappèrent mais manquèrent leur coup.
Seiryoku cracha une épaisse giclée de sang et Hiruya la trancha en deux, du crâne au bassin. Elle s'écroula en poussant un cri démoiaque, écho lointain de l'agonie du Gaki dans la Vallée des Cloches de la Mort !
Notre Magistrat secoua son sabre et rengaina.
C'en était fini pour de bon du Condor.
La fouille des appartements Soshi permit de tout expliquer.
Emmenée elle aussi dans la cabane par les hommes du Condor, torturée par Nakiro et Dajan, elle avait lié son nom au Gaki. C'est elle qui avait maudit les poupées en les renommant. Elle avait gardé la 6e, Discrétion, pour servir d'oeil et de voix au Condor dans la Cité, même après la fin de la guerre de l'opium. Elle avait ruiné sa famille pour enrichir la conspiration de Dajan. Mais jamais elle n'avait pu identifier le Maître Condor responsable de sa déchéance, non plus que ses complices.
Après la mort du Gaki, elle avait compris que sa fin était proche. La lente agonie du démon l'emporterait avec lui : elle avait peu à peu perdu ses pouvoirs et sa décrépitude s'était accélérée. Lorsque nos héros étaient arrivés, elle avait commencé à éliminer ses complices, non sans essayer de tuer Miya Katsu avant.
D'abord Kuni Isao, ignorant presque entièrement tout de la conspiration. Ensuite le cousin qui avait mis le feu à la maison, puis la veuve Mayo et la femme du couvreur ; puis, après la mort de Bayushi Mito, elle avait fait noyer sa servante, Vigilante. Son suicide était entamé, elle le ménerait jusqu'au bout.
Elle avait décidé d'en terminer en révélant tout à Ozaki, dont le Condor avait détruit le clan car il avait appris des choses sur la conspiration, par l'intermédiaire de Tomoe, la soeur d'Ozaki.
Jubilant, exultant, elle avait manqué s'étouffer de rage en étalant son ignominie. Le Lièvre s'était enfui par les toits et, bondissant de bâtiments en bâtiments, avait rejoint le palais d'Emeraude.
Sa dernière victime avait été Yogo Osako, venue gentiment lui demander de participer à une discussion entre shugenja. N'y tenant plus de rage, elle lui avait fait goûter au sort du Coeur de l'Enfer.
Elle eut enfin droit, pour sa sortie, au plus beau doublé de sabre de la carrière de Hiruya : deux coups fulgurants, dont chacun aurait mis par terre un Matsu en pleine charge !
Nos samuraï possédaient donc un dossier complet, exhaustif, sur les activités de la secte du Condor. Miya Katsu serait satisfait. De la destruction du clan du Lièvre à la complicité avec l'Outremonde en passant par l'invocation d'un immense gaki de Iuchiban, cette secte avait fait son temps !
- Finalement, tout est bien qui finit bien, avait dit le vieux Taka, content d'apprendre la nouvelle.
Les dirigeants de la famille Soshi, à ce moment, accomplissaient leur seppuku, tandis que les membres moins gradés rejoignaient d'autre famille. On se souviendrait que c'était Kakita Hiruya qui avait pour ainsi dire abattu une famille entière de la ville !
- Non, tout n'est pas bien qui finit bien, Hiruya-sama, murmurait Ayame après le départ du vieux marchand. Nous savons que nous n'étions pas seuls à lutter contre la secte du Condor. D'autres personnes étaient au courant, qui ont envoyé la Grue Noire en ville. Qui sont ceux qui sont derrière cela ?...
- Chaque chose en son temps, Ayame, chaque chose en son temps...
Et la shugenja ne partageait pas l'esprit de réjouissance et de victoire du moment.
Du reste, elle n'avait pas tout dit à Hiruya. Pouvait-elle avouer que, la nuit d'avant la profanation du dojo de Kitsuki Jotomon, elle s'était rendue sur l'île de la Larme, dans sa maison d'opium habituel ? Oui, à la limite.
Elle avait consommé sa pipe, en compagnie de Shosuro Kimi, qui l'avait aussi remerciée.
Puis, dans la nuit, alors qu'elle s'était endormie, on était venue la réveiller.
Quelqu'un voulait lui parler, dehors. Lui parler d'un oiseau dangereux.
- Ikky, réveille-toi.
Les deux femmes étaient sorties : on les avait accompagnées jusqu'aux jardins du bout de l'île, au bord de l'eau, à quelques mètres au-dessus du fleuve. Ikky avait attendu à l'entrée et Ayame s'était avancée.
Elle avait reconnu une silhouette familière, une silhouette qu'elle n'avait pas vu depuis bien longtemps.
Bien sûr, elle ne la croyait pas vraiment morte, bien qu'elle ait été frappée par Hiruya, dans la maison de Gempachi, le passeur. Car Hiro non plus, cette fois-là, n'était pas mort.
- Nahoko...
L'ancienne shugenja Dragon était là. La mauvaise conscience d'Ayame.
- J'ignore si j'avais hâte de te revoir, avait-elle dit.
Puis, elle avait raconté son histoire.
- Quand tu es venue à Heibetsu, l'année dernière, pour les fêtes des vendanges, une peur ignoble m'a saisie. J'ai cru que tu venais pour moi. J'étais persuadée que tu ne tarderais pas à me démasquer. Avec mon maître, la Grue Noire, j'ai organisé ce piège contre toi. Ces faux parchemins de maho-tsukaï. Nous nous sommes enfuis par les montagnes. J'ai dû trainer mon maître, blessé, dans les montagnes. Et nous sommes partis vers l'est, vers les terres de ton clan. Nous étions traqués par Kitsuki Hanbei. Mon maître, pour semer la terreur, à commencer à laisser sur nos pas des poèmes de la Novice. Moi, j'étais déjà possédée par cette Chose Sans Nom. La peur, le regret, le désir ne cessaient de m'assaillir. Les trois pêchés qui ont créé le monde. Mon maître avait ordre de m'amener j'ignore. On voulait me connaître, m'étudier, pour mieux savoir ce qu'était l'Ombre.
"J'ai dû aller jusqu'à Mirokage Toshi. J'ai voyagé en compagnie du criminel Hiro. Lui n'était pas comme moi. Il n'était plus humain. C'était un monstre sans âme, qui ne se réincarnerait jamais. J'étais terrorisée. J'ai compris que, pour tromper vos recherches, l'Ombre avait créé des doubles de nous deux. Et grâce à Gempachi, je pris la mer avec mon maître, qui chassa Hiro et lui promit la mort pour bientôt. Nous sommes partis sur l'océan, sur des îles lointaines.
"Je croyais ne jamais revoir Rokugan. Mais il y a peu, la Grue Noire m'a dit que nous devions nous rendre à la Cité des Mensonges et que je t'y rencontrerais...
Le coeur d'Ayame battait la chamade.
- La Grue Noire est en ville ?
- Oui, mon maître cherche le dernier Condor. Il le trouvera peut-être avant vous, qui sait... Qu'importe ! je tremble de froid été comme hiver et je sens un monstre m'épier de l'intérieur. Et toi, toi qui plonges dans des secrets maudits, tu seras bientôt comme moi !
- Que sais-tu de moi ?
- Ne fais pas l'innocente, Ayame ! Dévorée que je suis par les ténèbres, j'entends certaine chose, dès que tu les murmures ou que tu ouvres des parchemins maudits. Ce nom, par exemple, Goju !
Ayame tremblait.
- Goju, les Agonies Célestes ! Tu as ouvert ce parchemin, tu as inscrit le nom de ton amie intime qui te suit en permanence ! Et maintenant, tu connais cet ouvrage maudit ! Alors maudite sois-tu ! Et tu as appris aussi que le premier gouverneur de cette Cité était Goju !
Nahoko riait, contente de la déchéance d'Ayame, à l'imitation de la sienne.
- Goju, oui... Et pourtant, ce n'est pas ce nom que tu dois chercher... Un autre t'intéressera plus...
- Si tu connais ce nom, tu dois me le dire, Nahoko !
- Bien sûr, ironisa t-elle, pour le bien de l'Empire, n'est-ce pas !... Si je te dis ce nom, malheureuse, tu ne connaîtras plus de repos ! Et pire encore : non seulement ce nom sera ta perte, mais encore à cause de lui, tu détruiras l'honneur de grands seigneurs et peut-être même de familles entières ! Tu ne trouveras jamais ce nom nulle part en bibliothèque, ni ailleurs !
Elle criait presque et pourtant, Ikky ne se retournait pas, comme si les sons étaient étouffés.
- Dis-moi ce nom...
Ayame serrait les dents. Elle savait qu'elle avait tort, qu'elle saignait à nouveau son honneur pour plonger dans de tels secrets, mais la tentation était trop forte.
- Ce nom, Ayame, le voici, pour toi.
"Ninube.
Nahoko riait, comme une enfant malade. La nuit était profonde, et le fleuve grondait, sourd, poursuivant son cours, ses flots giclants et bondissant quand ils se heurtaient à l'île.
- Et maintenant, puisque tu l'as voulu, sois donc maudite !...
Ayame avait cru au début que Nahoko était le dernier membre du Condor. Mais c'était encore pire en un sens.
Il n'y eut aucun signe de la Grue Noire et nos héros trouvèrent en premier le dernier Condor.
Ce soir là, le nom de "Ninube" semblait rebondir de vagues en vagues, et se perdre dans un écho de plus en plus assourdi et qui n'a pas de témoin.
<span style="color:green">FORCE ET HONNEUR, SAMURAÏ !<!--sizec--></span><!--/sizec-->
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Suite et fin.
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Brrr tout cela est bien effrayant, qui donc peut vouloir connaitre ce genre de chose
On peut dire qu'on aura fait un vraie petite campagne dans la citée des mensonges qui roske sévèrement
Force et Honneur Samuraïs<!--sizec--><!--/sizec--> et un peu de Savoir aussi gnignigni
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Ayame Wrote:L'honneur ne rapporte pas d'informations.
Ikky Wrote:Les informations ne rapportent pas d'honneur.
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A chacun ses petites priorités hein
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