21-12-2007, 05:43 PM
(This post was last modified: 21-12-2007, 07:50 PM by Darth Nico.)
Exil #6
- Déjà deux morts dans cette histoire : la danseuse et l’inspecteur.
- Oui et comme on a vu, les pistes pour continuer l’enquête deviennent ténues. Nos policiers savent qu’ils ont affaire à une bande organisée, et qui bénéficie de soutiens importants.
- Portzamparc s’apprêtait à rendre visite au conseiller Jaransand…
- En effet. Mais le lendemain de la soirée au manoir Whispermoor, Maréchal reçoit un appel de ses collègues de la Jointure. Ils ont réuni une belle brochette de coupables…
- Sans doute des coupables un peu trop beaux…
- Beaux n’est peut-être pas le terme approprié. Disons le genre qu’on a toujours sous la main, en cas de besoin…
- Oui, les suspects habituels...
DOSSIER #6<!--sizec--><!--/sizec-->
21-12-2007, 05:43 PM
(This post was last modified: 21-12-2007, 07:45 PM by Darth Nico.)
EXIL
Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.
Créatures, anges, gouffres, orages :
L’insondable noirceur de l’océan
Noie les explorateurs du large.
Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant.
Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses
Trams, Cité des métamorphoses industrielles.
Lune branchée à l’électricité universelle !
L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec--><!--/sizec-->
21-12-2007, 05:43 PM
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DOSSIER #6<!--/sizec-->
ELEGIE POUR UN RAT DE CAVE<!--/sizec-->
SHC 3 - RUS 3 - IEI 0
Les cinq hommes avancèrent dans la lumière crue de la pièce et s’alignèrent, certains las, certains encore sarcastiques, en tenant leurs panneau à la main.
- Bien, dit l’inspecteur Velmer, maintenant vous allez répéter l’un après l’autre la phrase suivante…
Soupir parmi les cinq personnages.
- Vous allez me dire : « File-moi les clefs du coffre, sale fils de pute ou je t’éclate la tête ! »
L’un pouffa de rire. Un autre soupira de plus belle. Deux autres regardaient ailleurs et le dernier se répétait mentalement la phrase.
- Tu me files ces clefs, sale pute, ou bien je t’éclate le coffre !
- Non, mauvais, cria Velmer, on recommence !
Ce fut long. Les cinq invités du commissariat de la Jointure y mirent de la mauvaise volonté.
Le chromatographeur arrivait et passait la tête sous son drap noir.
- Attention, on ne bouge plus !
Flash au phosphore.
- C’est parfait, merci…
Velmer alluma une cigarette.
- Les clefs, ou je te coffre, sale tête de pute !
- Non, c’est bon, on a fini, merci…
Un Pandore entra dans la pièce et fit sortir les cinq truands.
- Alors, qu’en pensez-vous ? dit Velmer en se tournant vers Portzamparc et Maréchal.
- Ma foi, dit l’inspecteur, comme ça…
- Les suspects habituels, fit Velmer.
*
Maréchal finit son café en fixant les cinq personnages.
- Bon, on va rentrer se coucher les filles, cria Velmer aux affreux !... Non, pas toi, le Notaire, on a deux mots à te dire.
L’homme en question, l’un des plus fatigués, poussa un juron. Le Pandore l’emmena dans la petite salle du fond.
Menotté, il attendit à une table, en fumant, entre les quatre murs verts hideux.
Les policiers entrèrent, des chaises à la main, et les disposèrent autour du « Notaire ». Portzamparc s’assit devant lui, à califourchon sur la chaise. Maréchal, derrière, sur la table. Velmer restait debout. Il dit :
- Enguerrand Malois, alias le Notaire. Parce que ce monsieur a une raison sociale, voyez-vous…
- Ça se voit au premier coup d’œil, plaisanta le Pandore.
Il pouvait avoir la cinquantaine. L’air las de celui qui a perpétuellement des soucis et qui ne conçoit les relations avec le monde que comme des contraintes.
- Alors, reprenons du début, dit de Portzamparc…
- Ecoutez, j’ai déjà tout raconté à ces messieurs…
- Ah mais nous, on n’était pas là. On ne sait pas encore… Donc il va falloir tout nous expliquer.
- Et puis le problème, dit Maréchal, c’est qu’un flic, c’est parfois très bête. Donc il faut bien prendre le temps pour qu’il comprenne.
- Mais on est aussi très patients, ajouta Portzamparc. Et on vit la nuit.
- Bon, ça va, ça va…
Il soupira encore plus fort.
- Je peux avoir une cigarette ?
Velmer lui en tendit une et l’alluma.
- Moi, je me contentais de vendre les mèches, commença-t-il.
- Les mèches ?
- Des mèches pour les banques, oui…
- Pour un casse, tu veux dire…
- Entre autres. Mais ça ne me regarde pas…
- Chaque corpole fait ses propres choix en matière de blindage, dit Velmer. Et la mèche du dernier casse était particulièrement adaptée pour les coffres de la Pham’Velker… Le Notaire a bien fait son travail.
- C’est à cela qu’on reconnaît l’orfèvre, dit Maréchal. Donc tu étais de la bande à Gibal ?
- Voilà, si vous voulez…
- Et il y avait qui d’autre dans la bande ?
- Vous les avez vus… Ces messieurs ont leurs noms.
- Et qui dirigeait la bande ?
- Je ne sais pas.
- Vous aviez des moyens importants, dit Velmer. Des truands de bas étage n’auraient pu opérer si efficacement. Qui a payé pour les mèches ?
- Je ne sais pas, je vous l’ai dit. Je ne m’en occupe pas. J’ai juste reçu un coup de parlophone, un jour, et on m’a fait une offre. Je n’avais pas dit oui qu’on m’indiquait déjà où je pourrais trouver une belle avance, pour m’aider à réfléchir…
- Habituellement, de quoi s’occupe son cabinet ? demanda Maréchal.
- Surtout des affaires immobilières. Mais monsieur Malois arrondit ses revenus en proposant de menus services. Comme ces commandes de mèches spéciales. Il connaît des artisans en la matière, qui en fabriquent pour l’industrie. Et lorsque le Notaire les appelle, ils en fabriquent une spéciale, selon certains critères précis.
- Je vois, dit Portzamparc. En sorte que tu te contentais de commander la mèche puis de la transmettre aux acheteurs.
- Voilà, c’est ça…
- On a retrouvé l’endroit d’où le Notaire a été appelé. C’était une petite bicoque, dans un quartier presque déserté.
- Qui a pu payer pour des mèches spéciales, capables de percer l’acier d’une corpole ?
- Vraisemblablement, une autre corpole, dit Velmer. Et c’est aussi pour cela que je vous ai fait venir. Pour faire le lien avec la mort de Boncousin… Là aussi, le Notaire a des choses à nous dire.
- Oh, non…
- Si. Tu vas nous parler des Donasserne.
- Ecoutez, j’ai juste traité quelques affaires pour eux. Seulement des actes tout ce qu’il y a de plus honnêtes…
- Bien sûr.
- Ecoutez, soupira Malois, je sais très bien que vous voulez que je parle d’Albin Jaransand.
Etonné, Portzamparc regarda Velmer.
- Le bruit a couru que vous vouliez lui parler, dit l’inspecteur. C’est Tircelan qui l’a entendu et qui m’en a parlé, quand il a su que nous avions le Notaire chez nous.
C’est vrai que Portzamparc en avait parlé la veille chez les Whispermoor, devant une assemblée mondaine. Tout Exil pouvait être au courant, aujourd’hui, qu’il voulait parler au conseiller de la rue Verte.
- Jaransand, récita le Notaire, a été très lié à la corpole Donasserne. Même encore aujourd’hui, quoi qu’il fasse de son mieux pour le faire oublier. Il a monté pendant des années des opérations de rachat d’immobilier pour la Pan-forgienne d’investissement, la Maison de change appartenant à la corpole. Des opérations très juteuses. Il recevait une partie des gains : souvent en titre de propriétés. Jaransand s’était spécialisé dans le rachat d’immeubles à bas prix. Ensuite, il les faisait rénover et les revendaient.
- Tu parles au passé. Il a arrêté maintenant ?
- Il doit être suffisamment riche. Et il pense plutôt à la politique désormais. Il est déjà conseiller à la rue Verte…
- Jaransand utilisait deux méthodes, qui ne sont pas nouvelles, dit le Notaire, mais il a été le premier à les utiliser à grande échelle. D’une part, il se servait de sociétés anonymes pour ses rachats (pour les dégrèvements de taxes) et ces sociétés disparaissaient peu après. Ensuite, il avait à sa main des hommes dévoués, qui se chargeaient de décider les propriétaires les plus récalcitrants. De véritables brutes, dit le Notaire en se mouchant.
- Il a quitté la Donasserne il y a combien de temps ? dit Portzamparc.
- Bientôt trois ans.
- Et il y est entré quand ?
- Je dirais une vingtaine d’années.
- Et avant, il faisait quoi ?
- Je l’ignore, dit le Notaire. Et à vrai dire, je crois que personne ne le sait.
- Tiens donc…
Les policiers ressortirent de la petite pièce envahie de fumée. Velmer les invita à passer dans son bureau.
- Vous êtes allés rue Verte ? demanda Velmer.
- C’est Jean-François qui est allé y faire un tour.
- Oui, et ma discussion avec Gaëlien de Saint-Preux, le cadre de la Donasserne, me laisse penser qu’il est surveillé de près. Il m’a adressé un message, me disant que c’est à Jaransand que je dois parler. Admettons que ce soit lui ou la Donasserne qui soient responsables de la mort de la danseuse et de Boncousin. L’inspecteur avait pu découvrir quelque chose sur les magouilles immobilières de Jaransand.
- On l’aurait tué pour cela ? dit Velmer.
- Nous savons que Boncousin avait été invité par la corpole. A un vin d’honneur. On a pu essayer de l’acheter.
- Les rachats d’immeuble par Jaransand, dit Velmer, ne semblent pas illégaux. Quant à prouver qu’il a exercé des pressions et des violences contre les plus réfractaires au rachat… Je ne vois pas comment Boncousin aurait réuni suffisamment de preuves accablantes, sur l’immobilier…
- C’est vrai…
Les policiers burent leur café en réfléchissant.
- Ou bien, il faut remonter dans le passé plus lointain de Jaransand, dit Portzamparc. Le Notaire vient de nous dire que personne ne connaît la vie du conseiller avant son entrée à la Donasserne.
- Oui, c’est plus intéressant, dit Maréchal. Boncousin a pu découvrir quelque chose de vraiment grave, datant de plus de vingt ans.
- Quelque chose de suffisamment grave, dit Velmer, pour qu’il n’y ait pas prescription.
Autrement dit : un meurtre.
- A ce moment, dit Maréchal, oui, cela expliquerait qu’on ait fait tuer Boncousin…
Les deux policiers remercièrent leur collègue pour l’entrevue avec le Notaire.
- On ne se reposera pas, dit Velmer, tant que l’assassin de Boncousin ne se balancera pas au bout de la corde.
*
De retour dans son bureau, Maréchal prit contact avec son ami de la Brigade Financière, l’inspecteur Crimont.
- Pierre-Marie ?
- Tiens, Antonin, comment va ?
- Ecoute…
- Je suis au courant de ce qui vous est arrivé. Dans le temps, j’ai un peu connu Boncousin. C’est vraiment une grande perte pour SÛRETÉ.
- On en est tous conscients… Dis-moi, je t’appelle pour te demander des renseignements sur un nom qui va sûrement te dire quelque chose.
- Je t’écoute.
- Jaransand.
- Oh là, oui !...
- Je vois que tu connais l’animal.
- Tu parles ! Des années qu’on tente de le coincer, ce gros véreux ! Il tripatouille dans l’immobilier, comme un loqueteux dans sla boue ! Mais il a des avocats qui travaillent pour lui jours et nuits. Il est « couvert ». On n’a jamais rien pu prouver sur ses magouilles…
- Je me demandais si Boncousin aurait pu mettre le doigt sur quelque chose ?
- Tu soupçonnes Jaransand ?
- Ou bien les Donasserne.
- Ecoute, je ne sais pas ce que tu as trouvé. Ce que je peux te dire, c’est que nous sommes après Jaransand depuis presque quinze ans, et il le sait. Seulement, il continue à nous défier. Et aujourd’hui, il veut se racheter une virginité, en se lançant en politique, comme défenseur du bien commun !
« Donc, sans vouloir du tout faire de tort à Boncousin, je serais étonné qu’un homme seul ait découvert des preuves suffisantes contre le « promoteur immobilier » Jaransand.
- Je vois. Je ferais donc mieux de chercher plus loin dans le temps. Avant que Jaransand n’entre à la Donasserne.
- Je consulte justement le dossier là. C’est vrai que nous ne cherchons pas avant l’année 187. C’est déjà suffisamment de travail, sans devoir en rajouter !
- Merci, Pierre-Marie.
- De rien et tiens-moi au courant.
- Promis.
25-01-2008, 06:15 PM
(This post was last modified: 25-01-2008, 06:16 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #6<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal sortit de son bureau, pas tellement plus avancé et alla s’asseoir sur l’un des bureaux des détectives.
- Peut-être que Boncousin connaissait Jaransand d’avant, dit Portzamparc… Ils ont dû naître plus ou moins la même année, vers 150. Donc l’inspecteur savait peut-être des choses… Dans ce cas, Boncousin aurait aussi pu se faire payer pour son silence.
- Du calme, objecta Maréchal, on parle d’un flic !
- C’est vrai… Je cherche juste une raison valable de tuer un policier. Si Boncousin a décidé qu’il ne marchait plus.
- Oui, on y a pensé, déjà. Il faudrait savoir s’il y avait un lien entre Jaransand et la danseuse…
Rampoix entrait à ce moment, toujours aussi soucieux.
- Ce qui a pu se passer, dit-il, c’est que Boncousin poursuivait Gueule-de-Rat, juste après avoir découvert Juliana morte. Mais il s’est fait piéger et les rôles se sont inversés. Boncousin est tombé dans un guet-apens. Donc sa mort n’était pas forcément préméditée.
- On sait que Juliana avait tapé dans l’œil et de Saint-Preux et de Boncousin, dit Maréchal. Les deux hommes se connaissaient peut-être. Saint-Preux a pu se confier à Boncousin.
- Oui, dit Rampoix, pas si sûr qu’ils étaient rivaux vis-à-vis de Juliana. A un moment donné, on peut penser que les sales dessous des Donasserne devenaient plus importants que les dessous de Juliana !
- Mais pourquoi tuer la danseuse, dit Portzamparc, si c’est Saint-Preux qui a transmis des informations à un policier ? Si ces gens sont capables de tuer un fonctionnaire de SÛRETÉ, ils peuvent tuer le cadre d’une corpole ! Ce que je ne souhaite pas, évidemment…
- Ce qu’il faut, c’est fouiller à fond les papiers de Boncousin, dit Maréchal. Retourner tout son bureau. Et aussi, se renseigner pour savoir s’il avait un compte en banque. Il devait bien entreposer son argent quelque part. Et pourquoi pas des papiers importants.
C’est Portzamparc qui se renseigna sur ce dernier point.
Une demande auprès des services financiers de SÛRETÉ permit de trouver le compte de Boncousin. Il n’était pas chez les Donasserne, ni à la Pham’Velker, mais chez les Aussame Nerbois, dans un établissement des hauteurs de la Cité.
Le détective enfila son chapeau, son manteau et se rendit à la station de Mägott Zentral, où l’attendait son pilote de ballon-taxi préféré.
- On prévoit du gros temps aujourd’hui, grognait Corben en enfilant ses grosses lunettes. C’est l’époque des grandes marées et ça vous détraque le climat ça, tous les vents…
Corben mit le brûleur en route et le ballon-taxi se gonfla peu à peu, pendant que les hélices démarraient en vrombissant et que le slourte domestique s’accrochait aux cordages.
L’engin s’éleva dans les airs, ballotté d’abord puis, prenant de l’assurance, s’éleva dans l’atmosphère houleuse, dans le grand océan noir du ciel d’Exil. Les embruns fouettaient la machine et ses passagers. Le slourte, pendu par les bras, observait les flèches d’acier lointaine qui hérissaient les hauteurs de la Cité.
- Salut les richards, cria Corben, empiffrez-vous bien !
A ce moment, en effet, le ballon passait au-dessus du Zeppelin de la Pham’Velker et partait dans une masse noire épaisse, striée d’électricité. Le ballon passa au-dessus d’un gros cumulus et sembla flotter, quelques instants, dans un grand bain d’air pur, silencieux, dans le ciel argenté où perçait l’antique soleil. On aperçut Forge, puis l’engin replongea vers la Cité d’acier.
- Pas tous les jours qu’on fait un beau voyage comme ça, hein monsieur Wut ?
Le slourte, accroché aux cordages, se contenta de crisser des dents, le poil aussi hérissé que les grosses moustaches de son maître.
On arrivait en vue des hauteurs de la Cité. Corben réduisit la flamme. Son vieux tacot semblait sorti de la préhistoire, par rapport aux ballons qu’on rencontrait maintenant. Des merveilles d’engins, aux couleurs chatoyantes, avec des nacelles renforcées, des coussins et des lunettes d’observation. Tout un chapelet, disposé sereinement dans le ciel, comme un paquet de ballons d’enfants. On apercevait le Palais d’Argent et la résidence de la famille Aussame Nerbois, une flèche noire menaçante. Puis on survola le forum du Régent, où se donnaient quelques-unes des fêtes les plus spectaculaires de la Cité, puis l’Opéra Machinique, la Maison Nuage et les canaux suspendus.
- Si on fait encore le taxi pendant cent cinquante ans, monsieur Wut, on pourra peut-être se payer un placard dans ce quartier, cria Corben, hilare !
Le ballon redescendit à travers une légère brume blanche. L’air était euphorisant, à près de trois mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Tout n’était que luxe, beauté, calme, pureté…
Le quartier Primevent était situé au pied des grands Jardins de la Cité. Il se composait d’une mosaïque de petits parcs et jardins, avec des résidences propres comme des maisons de poupée. C’était un décor de théâtre, pour une haute comédie. Corben se poser au relais local, à deux pas d’une bâtisse en vieille pierre, avec de grands rideaux et des balcons en fer forgé. L’une des succursales du Crédit industriel exiléen, la maison de change des Aussame Nerbois.
L’entrée était un vaste hall où se tenaient une vingtaine de comptoirs et où s’affairaient des employés et des clients, courant après leur temps et leur argent.
Portzamparc montra sa plaque à la réception et se fit conduire devant un responsable. Il expliqua que son collègue Patrick Boncousin avait ouvert un compte dans cet établissement. Le banquier, désolé, présenta ses condoléances pour la mort de son client. Pour le moment, aucun héritier n’était venu faire valoir des droits sur le compte. Portzamparc s’était muni d’une lettre signée du commissaire Horson, l’autorisant à ouvrir le compte pour les besoins de l’enquête.
- Par contre, si vous désirez conserver des documents de ce compte, il faudra me signer une décharge, dit le sous-directeur.
Il accompagna Portzamparc dans la grande salle, où il le laissa seul, sur le beau parquet luisant comme un miroir, devant le mur de casiers. Le détective ouvrit le coffre de son collègue. A l’intérieur, une petite boîte à chaussures, remplie de papiers. Portzamparc fouilla en vitesse : des coupures de journaux, des notes personnelles, des relevés de transactions corpolitaines. Il sentait qu’il avait mis la main sur un trésor ! Des papiers anciens, des plus récents. Vingt ans de recherches de Boncousin.
Son paquet sous le bras, Portzamparc ressortit et signa la décharge. Il alla s’installer à un café, le même que celui où Corben était venu s’accouder au zinc, un grand établissement luisant de partout, avec ses motifs baroques, sa porte monumentale, ses lampes tortueuses…
Pendant que le pilote racontait ses exploits légendaires au serveur, Portzamparc, le cœur battant, consultait les papiers.
Des coupures de journaux de l’année 180, dans un dossier au titre de Jaransand. 180 ! Or, l’actuel conseiller était entré chez les Donassernes en 187 !
C’était peut-être bien cela : Boncousin avait découvert quelque chose dans le passé lointain de Jaransand !
- Et alors, j’y dis, à ce gros colon, racontait Corben, le nez déjà rouge, qu’il a qu’à baisser son froc !
Et il partait de son gros rire, qui faisait tâche dans cet établissement respectable !
- Monsieur Corben, nous y allons ? vint dire Portzamparc, excité comme un fiancé qui vient de recevoir une lettre de son amie.
- Ah la, je vous jure, les cadences infernales !
Le pilote se fit servir un dernier verre qu’il avala d’un trait et suivit le policier qui ne tenait plus en place.
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tiens au fait c tjs bon GN pour Exil en payzannie le WE du 3 février???
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bon finalement comme tu n'as pas répondu, je me désiste, je serai pas dispo
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A Rouen pas possible de toute façon. On aurait pu éventuellement à Paris, mais c'était pas trop sûr.
On peut caler pour le 9 par contre, pour un L5R avec tout le monde.
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ui ca c bon c OK
10-02-2008, 10:09 PM
(This post was last modified: 10-02-2008, 10:27 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #6<!--sizec--><!--/sizec-->
Portzamparc posa sur son bureau la boîte à chaussures, devant tous ses collègues, fier comme pas deux. Les policiers allumèrent leurs cigarettes, impatients, pendant que le détective dépliait les coupures. Le commissaire alla remettre du charbon dans le poele, qui se mit à gronder et chuinter. Il y avait de la buée aux fenêtres, du brouillard dans les rues. On entendait les vieilles passerelles grincer, enserrées par l’air humide.
- Voilà ce que nous cherchions ! dit Portzamparc. On pourra presque remercier le Notaire de nous avoir mis sur la piste.
C’était la coupure de l’année 180. Un article sur une affaire qui avait défrayé la chronique à l’époque. La prise d’otage de l’hôtel Dioscora.
- Quel rapport avec les affaires de Boncousin ? demanda Rampoix.
- Je ne sais pas, mais lui a mis en rapport cet article avec les affaires de Jaransand.
La tuerie chez les Dioscora... Des cambrioleurs s’étaient introduits dans l’hôtel particulier de cette riche famille affiliée aux Pham’Velker. Vraisemblablement, ils venaient s’emparer d’une partie du mobilier, des bijoux et des valeurs du coffre de la famille. Seulement, une cuisinière avait réussi à s’échapper et SÛRETÉ avait vite cerné l’hôtel.
Les voleurs avaient alors pris en otage la famille.
Pour montrer qu’ils ne plaisantent pas, ils abattent un cuisinier à la fenêtre. Renforts de la police judiciaire. L’hôtel est assiégé. Les journalistes accourent. On propose une somme faramineuse aux preneurs d’otages et les moyens de s’enfuir, s’ils relâchent leurs victimes sur le champ. Mais personne n’a encore vu le visage des hommes. On pense qu’ils sont deux.
Ils refusent le compromis. Seconde exécution, chromatographiée par des dizaines de journalistes. Cette fois, c’est le fils aîné qui y passe. L’opinion publique s’affole, TRIBUNAL voit rouge… Déjà deux jours complets que la famille Dioscora est retenue, et il y a une petite fille de sept ans, deux autres adolescents, la vieille tante…
A l’aube du troisième jour, arrive un contingent de l’armée. Un ultimatum est donné. Refus des preneurs d’otages. Le maire du quartier autorise SÛRETÉ à prendre d’assaut l’hôtel. Alors que les militaires et les policiers courent à travers le jardin, ils entendent un rire dément retentir, et des coups de feu. Le corps ensanglanté de la petite fille est lancé par la fenêtre. Alors qu’on défonce la porte, les coups de feu retentissent encore. Quand les hommes prennent enfin possession des lieux, il n’y a plus un seul survivant à l’intérieur. A l’agonie, le père aura juste le temps de dire qu’ils étaient deux…
Et on ne les retrouve nulle part dans l’hôtel.
C’est un scandale dans l’opinion. Plusieurs responsables de la sécurité civile démissionnent, c’est la valse des juges. La cuisinière qui s’est enfuie n’a presque rien vu.
Le nom Dioscora est maudit. Plus personne ne veut racheter l’hôtel, qui est finalement détruit.
- Jaransand aurait pu être un des deux preneurs d’otages ? dit Rampoix, qui n’y croyait pas trop.
- Cela, au moins, dit Maréchal, justifierait qu’on n’hésite pas à tuer un policier. Si Boncousin a trouvé la preuve que c’était bien Jaransand…
- Regardez ensuite cela, dit Portzamparc.
Autre coupure de journaux, à propos d’une soirée au Pandemonium, le grand casino d’Exil. Des gains et pertes record dans la même soirée, d’un flambeur inconnu.
- Regardez la date. C’est deux semaines après la tuerie chez les Dioscora. Et regardez la trombine du flambeur.
Les policiers examinèrent de près l’image granuleuse, sur le papier jauni.
- C’est vrai qu’il pourrait ressembler à Jaransand, dit Sampieri, qui avait approché une photographie récente du conseiller.
- Les sommes dépensées sont du même ordre de grandeur, dit Portzamparc, que les valeurs prises chez les Dioscora. Sacré Boncousin, combien de temps il a pu mettre pour faire le rapprochement ? Sur une affaire vieille de vingt-sept ans !
Les policiers étaient assez bluffés. Ca pouvait se tenir.
- Resterait à savoir une chose, toussota le gros commissaire. C’est ce qui s’est passé dans la vie de Jaransand, pendant sept ans. Entre ce coup au casino et son entrée chez les Donasserne.
- C’est vrai, admit Portzamparc.
- J’ai fouillé les dossiers de Boncousin. Il s’était renseigné sur les affaires immobilières de Jaransand. Il a réuni les noms de plusieurs victimes de ses rachats massifs. Et regardez ça, souligné par Boncousin lui-même, sur plusieurs témoignages de ces victimes devant SÛRETÉ. Là où ils parlent des hommes de main de Jaransand… Regardez, cela revient plusieurs fois : l’un des exécutants des basses œuvres avait une sale gueule de rat…
- Merde, fit doucement Rampoix.
- Ce salopard de Jaransand, conclut Maréchal, connaît bien la Gueule de Rat, le tueur de la danseuse et de Boncousin !
Les policiers se regardèrent, les envies de meurtre dans les yeux. Que n’auraient-ils pas donné, à ce moment, pour tenir devant eux la Gueule de Rat !
- Messieurs, dit Horson, j’ai appelé mon collègue le commissaire de la Rue Verte. Il accepte que nous rencontrions Jaransand, mais il m’envoie certaines mises en garde.
Et le commissaire regardait surtout Portzamparc et Maréchal, puisque c’est eux qui allaient se rendre chez le conseiller.
- Vous savez que monsieur Jaransand reste lié à la Donasserne, qui a d’importants intérêts dans la rue Verte. Donc au nom de la Concorde sociale et dans l’intérêt aussi des employés de la corpole, il faudra veiller sur vos questions.
- Naturellement, dit Portzamparc.
- Nous n’avons pour le moment rien de solide contre Albin Jaransand, il faut nous en souvenir. Toutefois, ajouta le commissaire, il y a un policier mort dans cette affaire, ce qui justifie amplement votre démarche, messieurs.
- Entendu, commissaire.
*
Les deux policiers avaient reçu le message. Y aller prudemment devant le conseiller, mais lui faire comprendre les agents de SÛRETÉ ne vont pas baisser leur froc, comme dirait Théodule Corben, devant un politicien des beaux quartiers !
Corben, qui fit encore un voyage ce soir-là, en direction de la Rue Verte.
- Et voilà, messieurs.
- Merci, dit Portzamparc en glissant un pourboire à son pilote.
Et il fit craquer ses doigts. E Ils remontèrent la rue Verte, puis l’avenue Marthuis, en passant devant chez Saint-Preux et tournèrent dans la perspective Névée. Au 34 se trouvait l’hôtel Amarcord, où résidait Jaransand. Un hôtel particulier.
n chemin, les deux policiers avaient préparé leur interrogatoire.
Ils entrèrent, leur chapeau à la main, accueillis par la gouvernante.
- Si ces messieurs veulent bien se donner la peine.
- Avec plaisir…
A première vue, le détective et l’inspecteur étaient plein de bonnes intentions, et se sentaient gênés de déranger un honorable conseiller municipal.
Jaransand avait une bonne cinquantaine d’années. Une constitution robuste, les mâchoires carrées, des favoris épais, il ne rougissait pas de sa réussite sociale. Il avait plusieurs tableaux de maître au mur, des statuettes plus ou moins lascives et des rayonnages de bibliothèque bien garnis. Par la fenêtre, on apercevait, derrière les fins rideaux, le petit jardin de l’hôtel.
- Asseyez-vous, je vous en prie, dit-il en coupant un cigare.
Maréchal entama la discussion :
- Monsieur Jaransand, nous sommes venus à cause d’une enquête qui, vous vous en doutez, nous tient particulièrement à cœur. L’assassinat de notre collègue, l’inspecteur Boncousin.
- J’ai bien sûr entendu parler de ce crime.
- Nous nous permettons de vous déranger car, en vertu de votre position dans ce quartier, vous pourriez nous être d’une grande aide pour nous conseiller.
- Conseiller, c’est mon métier, dit-il en allumant son cigare, l’air très satisfait de lui.
- Voilà, dit Portzamparc. Nous savons que notre collègue se rendait souvent dans un cabaret de notre quartier et qu’il y fréquentait une petite danseuse. Et cette jeune femme avait aussi attiré un habitant de la rue Verte, cadre chez les Donasserne. Gaëlien de Saint-Preux. Peut-être le connaissez-vous ?
- De nom. Il est assez jeune, je crois.
- La danseuse a aussi été assassinée. Et nous sommes presque sûrs que c’est la même personne qui a tué cette femme et notre collègue.
- Vous vous inquiétez donc aussi pour le sort de Saint-Preux ? dit Jaransand.
- Oui, et non. Nous essayons de comprendre ce qui s’est passé. Nous savons que l’inspecteur Boncousin avait des liens avec les Donasserne. C’est à eux qu’on en revient à chaque fois. Donc, nous nous sommes demandés si cette corpole aurait pu acheter le silence de Boncousin…
- Téméraire de dire cela, ricana Jaransand, étonné qu’on ose proférer une telle énormité. Bien téméraire, oui !... N’oubliez pas, messieurs, que nous parlons d’une respectable corpole, pas d’une bande de malfaiteurs !
Jaransand tira sur son cigare, en regardant les policiers comme deux amateurs, pour qui on va devoir reprendre les explications les plus élémentaires.
- Je dirais que les Donasserne ont pu faire appel à l’inspecteur, dans le cadre de certaines recherches. On parle d’enquête dans l’intérêt des corpoles, voyez-vous, fit Jaransand, comme le maître qui récite son cours d’arithmétique. Ce genre de contrat est assez courant. Les Donasserne ont pu choisir un policier comme l’inspecteur Boncousin pour son ancienneté, et parce qu’il n’était pas du même quartier. Ce qui évitait certains conflits d’intérêt.
Les deux policiers étaient au courant de ce genre de contrat. Ils n’étaient pas légalement reconnus mais, quand ils étaient en bonne et due forme, les signataires n’étaient pas inquiétés. Un policier faisait juste des heures supplémentaires au service de la corpole.
- L’assassin, selon nous, aurait aussi pu travailler chez les Donasserne, dit Portzamparc, en bon flic qui ne démord pas de son idée. Il aurait pu être embauché pour les protections de fonds, ce genre de choses… Il faut bien protéger l’argent qui circule. Et on ne regarde pas toujours autant qu’il faudrait le passé de ce genre de personnel de sécurité…
- Sans doute, non, concéda Jaransand, sans quoi l’argent aurait mille fois le temps d’être volé.
- Donc Boncousin a pu découvrir des détails gênants sur l’un de ces employés…
- Je ne vous suis pas, coupa Jaransand. Dans ce cas, autant le signaler discrètement à la corpole, qui se serait défait d’un ancien criminel, si c’est ce que vous voulez insinuer, en le livrant à SÛRETÉ. A quoi bon s’encombrer, surtout s’il s’agit de petit personnel ? Vous vous rendez compte, s’il fallait fouiller le passé de tous les membres d’une maison de négoce ou de change !
- Bien sûr. On ne peut pas fouiller le passé de tous les membres…
- A mon avis, messieurs, dit Jaransand en appuyant ses mains sur le bureau, le meurtre de cette danseuse relève du règlement de compte sordide. J’ai bien peur que votre collègue ait été pris dans un règlement de compte parfaitement crapuleux. Inutile d’impliquer une corpole dans l’affaire !
Jaransand leur faisait presque la morale, comme s’ils avaient oublié ce qu’on leur avait appris à l’école de la police ! Les deux policiers soupiraient, gênés, vraiment gênés...
- Nous avons cherché dans les dossiers de Boncousin, raconta Portzamparc. Nous avons trouvé de vieux papiers, des coupures de journaux, des affaires non élucidées… C’était vraiment quelqu’un de tenace, de dévoué, et c’est dégueulasse que ça se termine comme ça !
- Et c’est vrai qu’étrangler une danseuse et buter un flic, ce ne sont pas les méthodes d’une corpole, admit Maréchal. Plutôt d’individus isolés, aux abois. Pour tuer de façon aussi… malpropre, presque à l’improviste, il faut vraiment être traqué, en danger…
- Oui, dit Portzamparc, nous allons continuer à fouiller dans ce que Boncousin avait trouvé. Parfois, il faut chercher loin l’explication de meurtres non élucidées. Tant pis si on doit remonter, vingt, trente ans en arrière. Tant pis…
En quelques phrases, l’atmosphère avait changé. Maintenant, c’est Jaransand qui en oubliait de fumer son cigare et qui se sentait aussi peu à l’aise à son bureau que s’il était menotté à un radiateur !
- Allons, nous ne vous ferons pas perdre plus de temps, monsieur le conseiller, dit Maréchal en se levant.
La gouvernante apportait les chapeaux et les manteaux.
- Je suis désolé que vous soyez venus pour rien, messieurs…
- Du tout, dit Maréchal. Au contraire, cette entrevue nous a permis de nous mettre les idées un peu plus au clair…
Les deux policiers s’en allèrent sans se presser. Jaransand les regarda partir, de sa fenêtre. C’est seulement quand ils eurent tourné au coin de la perspective qu’il ralluma son cigare.
17-03-2008, 12:56 PM
(This post was last modified: 17-03-2008, 01:06 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #6<!--sizec--><!--/sizec-->
Depuis le lever aux aurores pour se rendre à la Jointure, la journée avait été bien remplie. Maréchal repassa quand même au commissariat, pour passer un dernier coup de fil à Crimont. Il savait que son collègue de la Financière travaillait tard le soir.
- J’aurais aimé que tu me renseignes sur l’argent de Boncousin. S’il y a des irrégularités sur ses livrets de compte, des virements réguliers mais injustifiés…
- Je vais regarder, dit Crimont, en baillant.
Il avait dû passer la journée entre ses piles d’épais dossiers, à fumer et à boire du café.
De son côté, Portzamparc laissa une demande chez les Pandores, pour que le lendemain ceux-ci aillent « cueillir » à leur travail d’anciennes victimes des opérations immobilières de Jaransand. Des témoins directs qui pourraient reconnaître des hommes de main de l’ancien cadre des Donasserne.
C’est Rampoix et Sampieri qui prenaient le relais pour la nuit.
Le lendemain matin, rasés de près, Maréchal et Portzamparc arrivaient alors que le café n’était pas encore près et qu’il ne restait que le vieux fond de celui qui avait fait la nuit.
- Jaransand, dit Rampoix, si c’est bien lui le flambeur du Pandemonium, a été pendant sept ans connu sous le nom de Flavien Malpierre. Entre 180, date de la tuerie de l’hôtel Dioscora, et 187, date de son entrée chez les Donasserne, sous son nom actuel : Albin Jaransand. Resterait à prouver que lui et Malpierre ne sont qu’une seule et même personne. Et pas un frère jumeau, un cousin ou un sosie…
- Plus rien sur ce Flavien Malpierre après 180 ?
- Non, il a disparu en mer, à bord de son voilier. Il était en vacances sur l’île du Songe-Creux et une tempête l’aurait emporté…
- Un peu trop facile ça, monsieur Jaransand, murmura Maréchal.
- Comment Boncousin a-t-il pu faire le rapprochement ? Simple hasard ? se demandait Sampieri.
- Il a pu consulter les journaux de l’époque, dit Rampoix. Lire les évènements de l’année 187, puis remonter dans le temps. En étant minutieux, en fouillant dans les affaires de cette époque…
- Il faudrait savoir si cette disparition de Flavien Malpierre était bidon ou pas, dit Maréchal. Je vais envoyer une demande auprès des archives et rappeler la Financière. Un flambeur de casino, ils doivent pouvoir en retrouver la trace.
Les policiers burent le café du matin dans le bureau du commissaire, qu’ils mirent au courant de l’avancée de l’enquête.
- Il n’est pas sûr que nous soyons en mesure d’inquiéter Jaransand, dit Horson. Il a beaucoup d’appuis. S’il avait dû tomber pour ses affaires chez les Donasserne, cela aurait eu lieu depuis longtemps. En revanche, il nous faut l’assassin de Boncousin.
- Lui, c’est sûr, nous l’aurons, dit Portzamparc. Quoi qu’il arrive, on l’enverra se faire pendre !
On entendit le parlophone de la réception et Priscilla vint frapper, pour dire qu’on demandait Portzamparc.
Cela devenait rituel et le commissaire ne comprit pas pourquoi tout le monde souriait.
- Et on n’est que le matin ! plaisanta Rampoix.
Maréchal leva les yeux au ciel et s’alluma une cigarette.
Portzamparc prit le combiné.
- Jean-François…
Sa femme était en pleurs.
- Quoi ? Qu’y a t il ?
- J’ai besoin que tu rentres, Jean-François… J’ai besoin… tout de suite…
Elle pleurait à chaudes larmes, secouée par le hoquet.
- Que s’est-il passé ?...
Portzamparc ne respirait, ne vivait plus !
- Jean-François… Après ton départ, ce matin… j’ai voulu faire le marché. Et on m’a suivi… Il y avait encore du brouillard. Un homme avec un cache-nez… Il m’a suivi, de plus en plus près… J’ai accéléré.
Elle hoqueta.
- Et ensuite ?
- Ensuite, en arrivant devant l’immeuble, il m’a frôlé. J’ai hurlé, il a reculé… Son cache-nez est tombé… Quelle horreur !
- Quoi ?
- Il avait une sale tête, c’était affreux…
- Une gueule de rat ?
- Oui ! cria-t-elle avant de s’effondrer en pleurs.
- J’arrive !
Portzamparc raccrocha. Il était blanc comme un linge.
Sa femme ! sa propre femme !
Il retraversa le commissariat et balbutia une explication en enfilant son manteau.
- Tout le monde ! cria-t-il en partant, comme possédé par le démon, il faut prévenir tout le monde ! Retourner le quartier ! Prévenir les Pandores ! Et les poivrots… et les putes !
Les 3 P !
Il piqua une course effrénée jusqu’à son immeuble, passa devant la concierge et monta quatre à quatre les marches. A bout de souffle, il frappa. Sa femme avait fermé les trois loquets.
- C’est moi…
- Jean-François ?
- Oui, c’est moi…
Il entendit les loquets tourner et il ouvrit enfin la porte. Sa femme lui tomba dans les bras. Il la serra fort et lui murmura à l’oreille des paroles réconfortantes.
- Je vais m’en occuper maintenant… Mes collègues sont prévenus. On va l’avoir… C’était sa dernière erreur…
Elle était choquée. Le détective la mit au lit, en lui faisant promettre de se reposer. Il parla à la concierge, qui promit de lui tenir compagnie.
- Tout va bien aller… Tu ne risques plus rien. Je vais envoyer des gens te protéger… On va y aller, et on va lui faire la peau…
- Sois prudent !
- Ce n’est pas prudent d’aller affronter un type comme lui, mais c’est nécessaire… Je ne serai pas seul…
Quelques minutes plus tard, Maréchal arrivait en bas de l’immeuble, avec son arme de service et celle de Portzamparc.
- On y va, détective ?
- Volontiers, inspecteur !
C’était encore une mâtinée glaciale, mais à Mägott Platz, la température venait de monter de plusieurs degrés.
*
Dans le quartier, le Vice-versa était connu pour être le lieu de rencontre de tous les invertis des blocs environnants.
- Salut les filles !
Maréchal entrait à grand fracas.
Il bouscula au passage un couple de marins qui s’enlaçaient lascivement. Portzamparc, lui, parcourait déjà la salle du regard. Il cherchait quelqu’un…
On sentait l’atmosphère électrique. Les deux policiers avançaient, comme deux requins au milieu d’un banc de poissons rouges.
- Quoi je t’excite ?
Le petit homosexuel baissa le regard devant Maréchal, et rougit.
- Remonte ta braguette, toi, dit Portzamparc.
Ça y est, il l’avait trouvé !
Il attrapa par le col une petite tante qui se curait les ongles négligemment en feignant de ne pas le voir, et il l’emporta violemment, à travers toute la pièce, vers les toilettes. La vieille porte à la peinture décrépie s’ouvrit sur une pièce lugubre.
Des murs nus, avec son antique trône, sa chaîne et sa cuvette fixée par trois vis rouillées au plafond.
La petite tante se fit plonger la tête la première dans la cuvette ; Portzamparc activa la chaîne et attendit que l’eau ait bien fini de couler jusqu’à la dernière goutte, avant de le remonter à la surface, haletant.
- Ta gueule !
Maréchal arrivait à son tour avec un « protégé » qui eut droit au même traitement.
Une bonne entrée en matière, comme disait toujours Boncousin, avant un petit interrogatoire « à la papa ».
- Bon, les deux tafioles…
En l’occurrence, les deux malheureux n’en menaient pas large, assis par terre, coiffés comme des brosses à cabinet, dans cette pièce qui ressemblait à une antichambre de laboratoire Scientiste !
- Vous répondez, maintenant, ou on vous offre une deuxième douche ! déclara Portzamparc.
On devinait les clients du bar, l’oreille à la porte. Maréchal montra la photo de Gueule de Rat.
- Où est ce type ? Vite !
- Ça va, on parle, on parle…
- J’aime mieux, oui…
- Il est passé par ici, il n’y a pas une heure ! Il partait vers la place des Loges !
Les deux policiers ressortirent, en bousculant les clients attroupés.
- On se sépare, les tatas, c’est pas encore l’heure de la partouze !
Les deux autres ressortaient des toilettes, éberlués. Dans l’assistance, certains pleuraient. Ils avaient eu droit à tous les noms d’oiseaux !
*
Place des Loges, il n’y avait qu’un seul établissement d’ouvert, le Crachoir. Au passage, Maréchal jeta un coup œil vers les immeubles en face. Il vit nettement que l’impasse Montmort n’était pas « ouverte »…
Portzamparc entra en premier au Crachoir. L’établissement accueillait généralement des ivrognes de la pire espèce, et les clients qui ressortaient du bordel voisin.
- J’avais oublié à quel point c’est le palace de l’élégance ici !
Dans un décor de théâtre à l’abandon, une danseuse finissait de se rhabiller, des clients décuvaient péniblement. Un serveur passait la serpillière sur du vomi.
Les policiers bousculèrent deux clients, firent asseoir le patron qui avait les yeux plein d’alcool.
Devant un endroit si laid, qu’il en devenait injurieux, les deux policiers eurent une poussée de haine bien coriace. Ils balayèrent d’un revers de main les verres alignés sur le comptoir, qui s’écrasèrent en un bel ensemble. Un type maigre comme un haricot hoquetait, dégrisé, les larmes aux yeux.
- Voilà celui qu’on cherche ! cria Maréchal en brandissant le portrait de Gueule de Rat. Et on va avoir besoin d’une réponse très rapide !
Portzamparc renversa une table pas encore desservie et envoya valdinguer par terre un poivrot qui ricanait bêtement au comptoir.
- Je… crois… bégayait quelqu’un.
Aussitôt les deux policiers furent sur lui. Les autres clients remerciaient le ciel que ça ne soit pas tombé sur eux mais plaignaient le malheureux.
On le fit s’asseoir et Maréchal lui jeta un verre d’eau à la tête pour lui remettre les idées à l’endroit.
Un traitement de faveur.
- Il est passé ici… cherch-er un compli-ce…
Manque de chance, ce devait être vrai un bègue !…
- Un type… qui est res-té ici… quelques heures… Au comptoir, immobile… Je crois… qu’il a brisé la main de quel-qu’un… qui lui posait des qu-estions… Il était bl-essé… je l’ai vu… la chemise rou, rougie…
- Il ressemblait à quoi ?
- Grand, cos-taud… chauve… le bagnard, quoi…
Le bègue faisait vraiment des efforts. Malgré ses airs, iI n’était pas si bête ni aussi lâche que les autres : il ne suait pas la peur. Du coup, les policiers se montrèrent mieux disposés à son encontre.
- Il est reparti avec Gueule de Rat ?
- Oui ! voi-voilà !...
- Par où ?
- Vers la passerelle désaffectée !
Il avait dit toute cette phrase d’un trait ! C’était miraculeux !
Les deux policiers repartirent sans attendre et le bègue ressortit du Crachoir, euphorique.
La passerelle désaffectée était interdite à la circulation depuis des lustres. La date de sa fermeture se perdait dans le temps, comme la passerelle se perdait dans la brume. Les mitiers en parlaient souvent. Ils désespéraient d’obtenir un ordre de VOIRIE pour aller la réparer. En attendant, ils n’en approchaient pas.
Du coup, se trouvait coupé le principal chemin entre Mägott Platz et le quartier voisin, Karel-Kapek.
Maréchal et Portzamparc s’arrêtèrent devant la barrière en bois barrée d’une interdiction d’aller plus loin. La passerelle s’élançait gracieusement et plongeait dans un brouillard inquiétant, d’où sortaient des grincements pénibles et des cris de choucas.
Les deux policiers se consultèrent du regard. Bien sûr, ils étaient prêts à y aller.
Un mitier descendit d’une plateforme de station-radio.
- Dites-moi, lui dit Maréchal, la passerelle a été empruntée récemment ?
- Pas vu, monsieur, désolé… Je viens de prendre mon service ! Et en plus, c’est interdit !
- Il y a d’autres passages pour aller à Karel-Kapek ?
- Oui, mais c’est bien plus long !
Il le disait d’un ton qui signifiait qu’il était le premier à le déplorer.
- Merci…
Les deux hommes réfléchirent.
- Il n’a pu que passer par là, dit Maréchal. Il faut y aller, sinon il va prendre des heures d’avance sur nous… Tandis que là, il est blessé…
- D’accord.
Les Pandores arrivaient.
- Vous tombez bien, dit Portzamparc. L’un de vous va nous suivre. L’autre va aller demander que deux d’entre vous aillent surveiller mon domicile !
Dans ses moments, le détective avait ses airs de petit chef, voire de tyran local, qui lui promettaient de ne pas rester trop longtemps au bas de l’échelle de SÛRETÉ !
*
Le Pandore passa devant les deux agents, sur la passerelle particulièrement glissante. On se tenait au garde-fou. Le vent secouait la frêle structure.
- Tenez, regardez, dit Maréchal.
Des tâches de sang.
Les trois hommes avançaient au ralenti, sachant que le prochain pas pouvait être celui de trop, qui déstructurerait la passerelle et les enverrait au fond du gouffre brumeux.
Quand le Pandore mit pied sur le sol ferme, ce fut un soulagement. Les deux policiers sautèrent sur les vieux pavés et reprirent leur course. Le vent soufflait de plus belle et la passerelle murmurait un grincement d’adieu !
Les policiers ne connaissaient pas les plaques citadines noires de Karel-Kapek, un bloc dédié aux usines, dépendance d’une immense zone industrielle appelée le Dévoreux.
C’est de ce bloc, disait-on, qu’étaient sortis les premiers androïdes, du laboratoire de celui qui avait donné son nom au quartier, l'ingénieur Karel Kapek.
Il y avait encore des tâches de sang au sol.
Dans le petit matin, l'heure où les travestis vont se rhabiller, on entendait la marche de centaines d’ouvriers, dans une artère voisine, qui se rendaient au travail en envahissant brièvement les débits de boissons. Le martèlement de leurs grosses chaussures faisait trembler tout le bloc. Dans leur ruelle à l’écart, les trois policiers tâchaient de se repérer.
Ils arrivèrent devant l’entrée du tramway souterrain. Station Candélabres.
Ils descendirent la volée de marche de pierre et constatèrent que la station n’était pas encore ouverte au public. Son accès n’était barré que d’une bande jaune. Des ouvriers qui travaillaient demandèrent aux trois hommes ce qu’ils venaient faire là.
- SÛRETÉ !
Maréchal avait crié et sa voix résonnait dans le hall vide. Il avança et demanda si on avait vu passer un homme blessé.
- On vient d’arriver ici, monsieur, mais c’est vrai qu’on a vu des tâches de sang, pas loin d’ici.
- Et vous n’avez averti personne ?
- On veut pas d’ennuis ! On a prévenu la direction, c’est tout !
Maréchal n’avait pas de temps à perdre. Il fit signe à Portzamparc et au Pandore de le suivre. Ils coururent sur le quai, qui était encombré de matériel de chantier, avec son éclairage incertain, sa poussière de plâtre, ses murs à nu. Et les deux bouches d’ombre du tunnel.
- Par où on va ?
Maréchal descendit sur les rails et il écouta attentivement.
Le blessé devait avoir perdu presque toute son avance. Vraisemblablement, Gueule de Rat n’était pas du genre à l’attendre, donc il devait avoir continué.
Le Pandore allait dire un mot, mais Maréchal l’arrêta d’un geste. Il tendait l’oreille.
- Par là !
Il désignait sans hésitation l’entrée de gauche.
- La prochaine station est loin ? cria-t-il à l’intention d’un ouvrier qui arrivait sur le quai.
- Non, pas loin, monsieur !... Par là-bas, ce sont les abattoirs !
Ils empruntèrent des casques avec des lampes et partirent dans le tunnel. Après une course dans l’obscurité qui parut interminable, ils arrivèrent dans une station fantomatique. Aucun éclairage. On devinait les lieux uniquement aux faisceaux lumineux des casques Ce n’était que de la pierre. Personne n’y travaillait. Mais au mur, on avait déjà cloué la pancarte : « Abattoirs. »
On entendait le halètement d’une quatrième personne, qui remontait avec peine les escaliers.
Les trois policiers sortirent leurs armes et montèrent les marches. Les tâches de sang étaient de plus en plus nombreuses.
Dehors, le vent chargé de pluie fouettait le visage. La cohue d’ouvriers était maintenant passée. En haut d’un mirador, trois lampes brûlaient.
Les policiers étaient ressortis entre les grandes usines de mort. Un coup de feu retentit et on entendit une chaîne tomber.
Maréchal passa devant. Le temps de contourner le bâtiment et nos policiers trouvaient une porte secouée par les courants d’air. Elle ouvrait sur une pièce sombre.
Une rafale passa et ouvrit grand la porte. Les policiers reprenaient leur souffle. Ils enlevèrent un instant leur casque, le front en sueur.
- Bon, il est là-dedans, murmura l’inspecteur. Vous le Pandore, vous allez garder l’entrée. Détective, nous on y va.
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