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13e Episode : Ouest, Nord, Est
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 13ème Episode</span><!--/sizec-->
Coq 402



Ouest, Nord, Est<!--/sizec-->


Samurai


1ère partie

Le chat qui aimait les femmes
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Mamoru fut descendu dans une cage en bambou suspendue au-dessus du vide.
Les cendres de la dépouille de Pureté s'envolaient vers la rivière ; notre héros voyait la carcasse putride et les habits blancs de son ancien chef partir en fumée. A la Cité de la Pieuvre, le temple des Serpents brûlait et les pompiers couraient circonscrire l'incendie. Dans le nord de l'Empire, les terres des Serpents brûlaient elles aussi, les flammes se propageant de village en village.
Dans une bâtisse isolée, le conspirateur nommé Nuage, seul dans une pièce sombre, jetait au feu des parchemins marqués du sceau de la famille Chuda.

Le gong dont les coups avait résonné dans tout l'Empire et au-delà s'était enfin tu.

Samurai

Quelques jours avant la destruction du clan, Togashi Maya, qui avait fait le chemin depuis la Cité de la Pieuvre, arrivait au château de la famille Chuda. Elle était partie quelques jours après les tensaï.
Elle revenait près des terres de la famille Mirumoto : elle n'eut cependant pas le temps de repasser dans le temple de son enfance.
Depuis qu'elle avait reçu la prophétie de la vieille femme, elle voulait en savoir plus sur la menace prédite par ce poème énigmatique :
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets

L'enfant aux trois étoiles
Frappera un gong

Le silence couvrira cinq nuits
Et l'oubli couvrira la honte"


Elle s'était ainsi mise en route pour aller chercher directement chez les premiers concernés, les Chuda. Elle fut accueillie avec révérence au château du Serpent, comme n'importe quel membre de son clan ou de celui du Phénix l'aurait été. A ce moment, les Phénix commençaient déjà leurs recherches dans les montagnes du Serpent, mais sur les frontières, c'est à dire assez loin du château ancestral du clan. La tension parmi la famille dirigeante du clan était néanmoins palpable. Ils ne devaient pas ignorer les fouilles des Shiba ; et voir arriver une Togashi comme ça, sans prévenir, n'était pas pour les rassurer.
C'était une demeure humble, mais digne. Ce soir-là, une petite réception était donnée. Maya fut invitée à la table du daimyo, Chuda Tamihei. Celui-ci, jeune, ne fut pas insensible, on pouvait s'en douter, aux charmes de l'Ize-Zumi. Il y avait chez ce jeune seigneur un air farouche, un peu dangereux, qui pouvait donner le frisson. Il fut tout à fait polie avec son hôte et lui fit indiquer sa chambre quand elle voulut aller dormir. Maya se reposa et, dès l'aube, après ses exercices, demanda à parcourir la bibliothèque, "pour y découvrir la sagesse de la famille Chuda". Personne ne s'y trompait. On la prenait à coup sûr pour une Inquisitrice qui jouait à se déguiser. Maya fut amenée dans la petite pièce où s'entassaient les documents du clan. Au passage, en écoutant les uns et les autres, notre héroïne en avait appris plus sur le daimyo : ce dernier venait de remplacer son père, Chuda Choro (le propre-petit fils d'Isawa Chuda, fondateur du clan), très malade à ce qu'il semblait. Le soir, Maya joua au go avec un vieil oncle de Tamihei et monta tôt dans sa chambre. En fait, elle y relisait ses notes de lecture de la journée.

De vieilles notes, vraiment bien cachées, ou plutôt oubliées au milieu de piles de papiers, parlaient, lors des premières nuits après la fondation du clan, de cris abominables qui avaient retenti dans la vallée.
Maya avait parcouru la généalogie du clan. Elle voulait savoir ce qu'étaient ces cris.
Elle avait appris que le fondateur, Isawa Chuda avait été Magistrat d'Émeraude. Il avait mis au jour un culte de maho-tsukaï dans la forêt Shinomen, d'où il était revenu, disait-on, fasciné par une civilisation disparue, les Nagas. C'est au retour de Shinomen que Chuda avait sauvé l'Empereur d'une tentative d'assassinat. Il avait été récompensé par la fondation du clan du Serpent.
Le fils de Chuda se nommait Yoharu. Et c'est dès cette époque où Yoharu devint daimyo que des rumeurs malsaines étaient notées dans des archives du clan. Il semblait qu'Isawa Chuda s'était retiré brusquement dans un temple, quand son fils avait pris sa suite. Avait-il senti la mort approcher ?
Le fils de Yoharu, Chuda Choro avait fait des Serpents un clan assez discret, dont certains membres avaient rejoint la Magistrature d'Émeraude. Son fils était l'actuel daimyo, Chuda Tamihei.

Le lendemain, les recherches de Maya se précisèrent. Chuda Yoharu, le second daimyo, avait été clément avec un de ses samuraï qui s'était laissé entraîner dans la maho-tsukaï. Certains avaient dit : trop faible... Et le retrait de Chuda au temple datait de cette clémence de son fils. On lisait même que c'est la propre femme de Yoharu qui aurait été obligée de puiser dans la magie du sang pour protéger le clan d'un démon. Après quoi, c'est elle qui serait devenue le démon... Les fautes de Yoharu expliquaient certainement la prudence de son fils Choro, qui n'avait pas souhaité tellement exposer son clan. Aujourd'hui, le vieux Choro était au lit, et personne ne l'approchait que le médecin et ses enfants.
Le clan du Serpent continuait-il à expier la faiblesse du grand-père Yoharu ?... Maya trouvait l'atmosphère du château trop étouffante. Elle voulut trouver l'enfant au gong dont parlait la prophétie. Elle remercia la famille Chuda et partit dans la campagne, pour faire le tour des temples. Elle remarqua que les patrouilles Phénix montaient plus haut qu'il y a trois jours. Si elles continuaient à cercler ainsi la montagne, elles viendrait fouiller le château Chuda lui-même avant deux jours !
Un capitaine Shiba salua Maya et lui demanda si elle n'avait rien remarqué d'extraordinaire.
- Non, rien...
Les Phénix passèrent leur route. Maya passa la journée à se rendre aux temples du clan. Elle passa la nuit à la frontière des terres Mirumoto. C'est le lendemain matin qu'elle trouva un temple avec un jeune garçon qui s'occupait du gong. Elle vit qu'il avait trois étoiles peintes sur le front :
- Signe d'élection par les dieux, murmura un moine.
Le garçon était sourd et muet. Il s'occupait du ménage, et devait sonner le gong quatre fois par jour pour les prières. La prophétie prenait peu à peu vie sous les yeux de Maya. Ce garçon infirme était-il capable de déclencher la menace qui pesait sur le Serpent ?
- Est-ce que des gens viennent voir cet enfant ?
- Non, Tagashi-san. Disons, très rarement. Parfois une vieille femme en haillons, l'air fou, qui parcourt la montagne, et qu'on ne voit jamais dans les villages...
- Où puis-je la trouver ?
Le moine fit un vague signe en direction des pentes de la montagne.
- Bien, j'y vais, dit Maya -comme si elle avait une indication précise !
Notre héroïne dut marcher une bonne demi-journée, avant d'apercevoir femme qu'on lui avait décrite. Elle était assise sur un rocher, et regardait le ciel. Elle n'avait pas l'air méchant ;ses yeux presque transparents semblaient recevoir en eux le ciel, et son esprit voler entre les nuages.
- Connaissez-vous le garçon sourd-muet qui est au temple ?
- Oui, oui, je le connais, dit la femme. Il est élu des dieux...
- Quels dieux ?

C'est qu'il s'agissait d'être précis !
- La Fortune de la Pitié, jeune femme...
- Pourquoi cette Fortune ?
- Car il faut une grande pitié face à une grande souffrance...
Maya repartit au temple du gong. Elle n'y arriverait que le soir. Elle croisa des patrouilles Mirumoto, et des Phénix, des éclaireurs, qui se rendaient au château Chuda.
- Que se passe-t-il ?
- Je serais vous, noble Ize Zumi, je quitterais sans tarder ces montagnes. Vous n'y trouverez pas la sagesse, si je puis me permettre !
Les Phénix montaient en courant. Des paysans descendaient, avec de misérables paquetages sur le dos, des carrioles chargées à en craquer. Des villages étaient désertés, les paysans partaient sans comprendre. Les shugenja Agasha les accompagnaient, en leur disant de se presser.

Le crépuscule couvrait les montagnes quand, au temple de l'enfant, la vieille femme entra, en pleurs. Le garçon balayait la cour, alors que le soleil brûlait d'un orange intense sur le ciel écarlate.
- Ha mon petit, mon petit...
La vieille femme se jeta aux pieds de l'enfant. Elle lui caressait le visage. Le garçon ne disait rien, ne pouvait rien dire, mais il semblait comprendre. Il se mit aussi à pleurer et la femme le serra dans ses bras.
- Allons, allons, le temps est venu...
La femme ramassa le marteau à la tête enrobée de soie et le tendit au garçon.

Samurai

Chuda Tamihei montait voir son père. Celui-ci était dans son lit, sous plusieurs couvertures. Sa fille, la soeur de Tamihei, rafraîchissait les serviettes qu'elle mettait sur le front de son père.
- Pourquoi vous acharnez-vous à me soigner, mes enfants, alors que la mort est sur moi ?...
- Père, nous vous sauverons...
- Tais-toi, mon fils... Je ne dois pas être sauvé... Je paye les fautes de mon père. Que je sois maudit pour déshonorer ainsi son nom, mais Chuda Yoharu s'est compromis avec le démon. Et ce démon ne renoncera pas à soumettre notre famille...
- Père, vous êtes fatigué. Il faut vous reposer.
- Mes enfants, prenez mes mains...
Le père et le fils se serrèrent la main, fortement, pendant longtemps. Tamihei pleurait en silence ; sa sœur avait pris l'autre main de son père et se tenait contre sa poitrine.
- Mes enfants, vous ne devez jamais pactiser avec le démon... Yoharu l' a voulu, moi dans ma jeunesse, j'ai tenté de composer avec lui, car je savais que je n'étais pas de taille à le chasser...
- Père, nous sauverons notre clan...
- S'il le faut, demandez à l'Empereur de faire disparaître le nom du Serpent, murmura Choro, très affaibli. Et retournez-vous en chez nos frères du Dragon et du Phénix. Ils vous accueilleront...

Tamihei et sa soeur sortirent en larmes.
- Il a raison, dit Chinobu, la sœur. Notre clan porte un poids trop lourd... Il faut en parler aux Inquisiteurs Asako avant qu'il ne soit trop tard. Ils comprendront... Ils feront le nécessaire... Ils peuvent abattre ce démon...
- Tais-toi, fit Tamihei, furieux. Comment peux-tu dire ça ?... Il n'est pas question de laisser le clan fondé par notre arrière-grand-père sombrer dans le déshonneur. Non, le Serpent est éternel... Je ferai, moi, en sorte qu'il soit éternel...
- Je serai prête à mourir, dit Chinobu, si cela pouvait sauver notre père et notre clan.
- Tais-toi, petite sœur... Tais-toi...

Tamihei accompagna sa sœur à sa chambre et alla s'enfermer dans la bibliothèque, où il ordonna qu'on ne le dérange pas. Il lança au dernier serviteur qui allait partir :
- Au fait, que voulait cette petite Ize-Zumi ? Qu'a-t-elle cherché ?
- Des vieux papiers, seigneur... Je les ai laissés sur la table.
- Bien, tu peux aller...
Tamihei prit la pile de parchemins, les feuilleta ; il devenait de plus en plus furieux à mesure qu'il découvrait ce que Maya avait lu. Il jeta les papiers, comme fou. Pris de fièvre, il s'appuya au mur, avec des envies de meurtres contre cette Togashi Maya !
Il se retourna car une lumière bleutée s'était mise à briller dans la pièce. Il vit une silhouette fantomatique se tenir entre les rayons. Un homme en longue robe noire, avec un masque de cuivre qui lui couvrait tout le visage, et un nuage stylisé gravé sur ce masque.
- Vous !...
- Je vous trouve en grande détresse, Chuda Tamihei...
- Vous ne savez pas ce qui se passe...
- Si, Tamihei. Je sais tout sur votre clan. Le Shuten-Doji du Regret est bien près d'ici...
- Ne dites pas ce nom !
- Le monstre avec lequel votre clan a pactisé depuis ses débuts ne se retient plus de jubiler. Il sent sa victoire proche.
- Est-ce que c'est vous, Nuage, qui l'avait invoqué ?
- Allons, Tamihei, vous savez que votre clan n'a pas eu besoin de moi pour plonger les mains dans la maho-tsukaï. Je n'étais pas encore né que votre grand-père l'étudiait déjà studieusement...
Tamihei pleurait, de rage impuissante.
- Quelle triste fin, murmura Nuage. Oui, quelle déchéance... S'il n'y avait eu ce démon, je vous aurais bien pris parmi nous, mon cher Tamihei. Mais en l'état actuel... De plus, imaginez-vous qu'un de mes anciens amis, Lotus, s'est lui aussi laissé corrompre, et par ce même Shuten-Doji du Regret.
- Vous vous croyez meilleur, Nuage ? Au-dessus de la mêlée ?...
- Je n'ai pas de regret, Chuda Tamihei.
- J'en ai, moi, de vous avoir connu, et d'avoir appris d'où vous dirigez votre charmante petite conspiration... Mon Ancêtre Isawa Chuda a sauvé l'Empereur, vous voulez l'abattre. Je ne vois pas comment nous aurions pu nous comprendre...
Nuage ne répondit rien.
- Et maintenant ? dit Tamihei, en faisant un vague geste vers les papiers, la cour du château, les montagnes et les patrouilles Phénix qui montaient.
- Je suppose que les choses doivent suivre leur cours, Tamihei.
Le daimyo se tordit en deux de douleur.
- Je n'ai qu'à me laisser abattre comme un chien.
- Peut-être, cependant, que tout n'est pas perdu pour votre père, Chuda-san. Peut-être que votre clan ne se laissera pas faire.
- Aidez-moi à m'approprier la puissance de ce démon, Nuage ! Vous devez en avoir la capacité !
- Non, Tamihei, je vous l'ai dit : je ne peux pas, car je n'ai pas de regret...
La silhouette bleutée de Nuage disparut et Tamihei se rua hors de la bibliothèque. Il prit un poignard dans sa chambre et alla dans la chambre de sa sœur. Il ouvrit doucement le panneau. Chinobu ne dormait pas. Elle avait les yeux grand ouverts.
- Petite sœur...
- Tais-toi à ton tour, dit-elle. Sauve notre père, sauve le clan...
Un ricanement se fit entendre dans la pièce. Les larmes coulaient abondamment sur le visage de Tamihei. Il approcha du lit et brandit le poignard. Chinobu tendit la main et prit les siennes, et alla approcher le poignard de son coeur...
- Frappe de toutes tes forces...

Il frappa en plein cœur, une fois, puis trois fois, et encore et encore !...
- Allez, viens, démon, viens ! Et bois ! bois !...

Une silhouette apparaissait dans l'encadrement de la porte. Tamihei plongeait les doigts dans la poitrine de Cinobu, arrachait n'importe comment et tendait le cadeau palpitant à la créature qui attendait de s'en repaître.
- Voilà un plat pour le festin de démon...
- Je garnirai ce mets de choix des âmes de ton clan...
- Promets-moi que nous serons immortels, démons...
- Votre souvenir hantera longtemps ces montagnes.
Le démon ricana et se jeta comme un fauve sur le daimyo.

Samurai

[spoiler]Nuage rangea l'amulette dans sa manche et en sortit une autre d'un coffret. Il fit un rituel d'invocation et une silhouette en noir, semblable à lui, apparut :
- Maître Cristal... Sachez que j'en ai terminé avec le clan du Serpent... Leur destruction est maintenant une question d'heures.
Les deux hommes restèrent un temps en silence.
- Au fond, qu'est-ce qui vous a décidé, Nuage ? Leur daimyo en savait trop ?
- Peut-être... Ou peut-être bien ce samuraï du palais d'Ivoire, qui a surpris une conversation me concernant. Oui finalement, c'est à la Cité de la Pieuvre que la mort des Serpents s'est décidée...
- En parlant de cette Cité, le nouveau maître Lotus va bientôt y être choisi.
- L'ancien était un reliquat indésirable du passé. Le nouveau sera plus docile...

Les deux conspirateurs se saluèrent. Nuage rangea l'amulette dans le coffret. Il enleva son masque, son habit et sortit de la chambre.[/spoiler]

Samurai

Maya, gagnée par l'affolement général, se hâtait de descendre la pente. L'exode des paysans s'accroissait. Presque dix villages avaient été vidés. Des patrouilles allaient en un sens et un autre, des paquetages de paysans dégringolaient. C'était incohérent, tout le monde semblait avancer à l'aveugle.
Un premier coup de gong retentit. La vieille femme se tordait de douleur à terre. Le garçon avait deux orbes argentés brillantes à la place des yeux, et frappa de nouveau le gong. La femme gémit, lamentable, tendit la main comme pour attraper le château des Chuda et l'enfant frappa encore.
- Adieu, adieu ! hurla la femme.
Les moines du temple étaient là, autour de la cour, en prière.
- Regardez, cria la femme, le visage déchiré par le chagrin, regardez... "Le silence couvrira cinq nuits !..."
Le garçon murmura :
- "Et l'oubli couvrira la honte..."

Maya n'entra même pas au temple. Elle fit demi-tour avant. Elle doubla les files de paysans qui fuyaient. Une masse noire montait de la frontière. Les armées du daimyo, avec les tensaï d'Isawa Masaakira à leur tête.

Samurai

Les cinq nuits de la honte passèrent. Le grand Maître de l'Air avait jeté une chape de silence sur toute la vallée, si bien que c'est sans un bruit que la destruction des Serpents eut lieu.
Les montagnes qui fumaient ne retrouvèrent le bruit du vent qu'après le départ des derniers samuraï.
Les tensaï repassèrent devant le Conseil Élémentaire, où on leur dit juste qu'ils pouvaient retourner d'où ils venaient. Isawa Masaakira s'inclina et sortit.
- Il n'y avait nul honneur à en attendre.
- Nous le savions, senseï, dit Isawa Mizu.
Les shugenjas se mirent en route.
- Il y a plus grand, dit le tensaï du Vide. Le démon n'a pas été trouvé. Il s'est enfui avant notre arrivée.
- On finira bien par le trouver, dit Sasuke.
Sur le trajet, les tensaï croisèrent un village où on leur avait signalé des Serpents cachés dans la région. Ils durent rallonger leur route pour les trouver.
Il y avait trois Chuda, cachés dans un hameau. Les habitants avaient fui jusqu'au village voisin. Sasuke et Nobuyoshi y allèrent seuls, leurs armes magiques en main, le sabre de feu et le yari de l'Air. Ils en trouvèrent deux, serrés l'un contre l'autre au fond d'une grange.
- Allons, sortez, dit Sasuke. Nous n'allons pas faire ça ici.
Ils les emmenèrent dehors, où ils les décapitèrent promptement.
- Il en reste un troisième, dit Nobuyoshi.
Il n'eut pas fini sa phrase que le mur en torchis à côté de lui vola en éclat et un humain de presque trois mètres de haut se jeta sur lui ! Il avait une peau démoniaque, hérissée de piquants, une mâchoire énorme de requin et une crinière rouge. Nobuyoshi se débattit et parvint à le lacérer d'un coup de yari. Sasuke se précipita et trancha la bête ; Nobuyoshi l'envoya à l'autre bout de la rue d'un coup de vent violent, et Sasuke y mit le feu.
Décidément, ils prieraient que plus jamais ils n'aient à faire ça...

Samurai
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#2
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Les cendres des Serpents de la Cité de la Pieuvre furent réunies par les Inquisiteurs Kuni. Tadao fit une prière publique pour l'âme des Chuda, puis on ouvrit les urnes et les cendres s'envolèrent aux quatre vents.

L'Inquisiteur salua rapidement Matsu Mitsurugi qui assistait à la cérémonie. Il partit avec son garde du corps, Hida Goemon, dîner dans une petite auberge dans le quartier des temples.

- Nous avons un rendez-vous tard ce soir, dit Tadao, entre deux bouchées.
Goemon approuva du chef.
- Nous irons nous distraire chez "mère-grand".
- Très bien.
"Mère-grand" était la plus vieille tenancière du quartier réservé. Elle avait dépassé les soixante ans et avait toujours bon pied bon œil. Tadao allait dans son établissement avant ou après des rendez-vous importants, pour se détendre. Il y était reçu d'abord comme un prince. L'établissement ne portait pas de nom, alors on disait juste, "chez mère-grand". C'était luxueux. Il y avait quatre étages, des chambres confortables, une clientèle d'habitués et les filles les plus talentueuses du quartier. Seulement, pour aller chez "mère-grand", il fallait être recommandé par quelqu'un d'autre.
Il était déjà très tard quand les deux Crabes s'y présentèrent. Mère-grand accueillit ces deux bons clients. Ici, on était comme chez soi, on n'avait pas besoin de faire de manière. La patronne envoyait la facture discrètement à la Carapace à la fin du mois.
Goemon inspecta les demoiselles rieuses qui se présentaient devant lui et en désigna une du doigt. Il ne l'avait jamais prise avant. Tadao n'avait même pas eu besoin de demander, il rejoignait sa chambre habituelle, où les deux filles habituelles l'attendaient. Il avait besoin de son petit confort...

Une heure plus tard, la fille, en sueur, griffait les rideaux et gémissait encore sous les assauts de Goemon.
- Donne-moi tout, salaud !...
Le Crabe faisait trembler toute la charpente ! Il jetait ses dernières forces dans la bataille.
- Ha cochon, comme tu me fais du bien !

Goemon s'allongea, essoufflé.
- Ta deuxième attaque était encore meilleure que la première, lui souffla la fille.
- Attends un peu que je revienne pour la contre-offensive...

Elle partit leur chercher à boire. Elle servit le vin pendant qu'il la caressait.
Goemon se releva et dit :
- Tu sais, tu m'as beaucoup plu. Je crois que je vais faire de toi ma favorite.
- Oh, seigneur...
Elle redevenait une petite timide.
Goemon lui mit un doigt sur la lèvre : il avait décidé. Content de lui, il sortit sur le palier, fumer sa pipe. Appuyé à la rambarde, il regardait les trois étages en-dessous de lui, voyait les clients entrer et sortir, les filles circuler.
Il entendit des gémissements dans la pièce d'à côté.
- Salaud, comme tu me griffes... Ho, le vilain...
Goemon ricana des plaisirs de ce client.
- Regarde-moi ces griffes... Fais voir ces moustaches... Oh le coquin...
On entendit un petit miaulement de satisfaction. Goemon commençait à se demander ce qui se passait là-dedans. Le panneau s'ouvrit, et il vit alors sortir un humanoïde à tête de chat !
Ce dernier, aux aguets, remettait en vitesse son peignoir et scrutait les alentours.
Goemon bourra sa pipe en surveillant ce particulier là du coin de l'œil. L'homme-chat partit sur la pointe des pattes et descendit l'escalier sans le faire grincer.
La fille qui était avec lui sortit, étourdie. Elle fit un petit clin d'œil au Crabe et s'en alla.
- Goemon, reviens... Je suis prête...
Le Crabe n'avait plus la tête à ça. Il surveillait l'homme-chat. Celui-ci avait descendu deux étages. Il arrivait au premier, et veillait à n'être vu de personne.
Au quatrième, Tadao sortit et vint prendre du tabac à son garde du corps. Goemon lui fit signe de regarder en bas :
- Quoi donc ?
- J'observe ce type-là... Il n'a pas la conscience tranquille...
Tadao le scruta, inquiet.
- C'est vrai. Tu devrais le suivre.
Goemon s'engagea lourdement dans l'escalier, lentement d'abord. L'homme-chat le vit, écarquilla les yeux et accéléra.
- Hé, vous-là !
L'homme-chat fit celui qui n'avait pas entendu ; il accéléra encore et Goemon lui courut après. Il sauta par-dessus la rambarde, impressionnant de vigueur malgré sa corpulence et se reçut juste derrière le chat. Le parquet trembla. Les serviteurs accouraient, la patronne sortait de sa chambre. Goemon et le suspect étaient au rez-de-chaussée, à quelques pas de la porte de sortie. Ils s'observèrent un moment, une lueur de folie passant dans les yeux du chat. Goemon courut, et se jeta sur l'autre, qui détala ; mais Goemon le plaqua en l'attrapant aux jambes !
Or, au lieu de s'aplatir sur lui, Goemon ne se reçut que sur un kimono vide ! En effet, l'homme-chat venait de se changer en chat ordinaire et s'enfuit dans la rue par la chatière !
- Ah ça, c'est un peu fort, cria Goemon en se relevant.
- Ah oui, c'est vrai ! firent les serviteurs, scandalisés.
La patronne arrivait :
- Je n'arrive pas à le croire !
Tadao finissait de descendre les marches :
- Où est-il, Goemon ?
- Juste comme j'allais l'attraper, il a réussi à se changer en chat, et il est parti !
Les deux Crabes ouvrirent la porte et observèrent la rue : non, pas un chat ! Il pouvait être déjà loin !
- Incroyable, murmura Tadao. Si je m'attendais à ça...
- Je suis désolé, seigneur.
- Il faudra lui remettre la main dessus, Goemon, et vite...

Les deux Crabes rentrèrent et interrogèrent quelques serviteurs. Ceux-ci n'avaient pas vu grand'chose.
- C'est quand même incroyable ! Extraordinaire ! répétait le personnel.
- Oui, ce n'est pas commun, je vous l'accorde, grommela Tadao.
- Non mais vous avez vu ça : ce type a osé partir sans payer ! Non mais c'est scandaleux !

Samurai

L'Inquisiteur et son yojimbo allèrent dans une maison isolée, en bordure des rizières, au sud de la Cité.
- Tu m'attendras dans la première pièce, dit Tadao.
Tadao ouvrit un panneau qui menait à une petite chambre. La maison était vide. Goemon attendit que son maître ait refermé le panneau, et s'approcha du mur pour y coller l'oreille. Il entendit une porte s'ouvrir dans l'autre pièce.
- L'Inquisiteur est toujours ponctuel...
Deux hommes au moins entraient.
Ils parlèrent à voix basse. Goemon ne saisissait que des bribes de phrases. Puis la discussion dut s'envenimer. Le ton montait et le yojimbo entendit nettement l'Inquisiteur dire :
- Vous pouvez aller vous faire voir chez Fu-Leng, Lotus ! Je ne céderai pas à votre chantage ! Je ferai une nouvelle expédition !
- Vous n'écoutez pas ce que dit votre famille...
- Je ne laisserai pas une bande de conspirateurs s'insinuer dans les affaires de ma famille !
- Nous n'avons donc plus rien à nous dire, Tadao. Mais vous verrez que d'autres que vous ont été moins têtus. Des gens qui eux, vous feront changer d'avis.
L'Inquisiteur se leva. Goemon recula et se rassit loin du mur, et fit mine de dormir.
- Nous partons, rugit Tadao.
Goemon le suivit sans mot dire. Il était excité et en même temps, il avait peur. Il ne savait pas à quel point Tadao était mêlé à ces conspirateurs du Lotus. Il avait compris que Tadao n'était pas prêt à plier devant eux. Mais il les connaissait, il rencontrait leur chef ! En soi, c'était déjà grave !

Samurai

Le lendemain matin devait enfin se tenir la réunion où Mitsurugi irait s'expliquer. Ce n'était pas en tant que tel un procès car il n'y aurait pas de juge face à lui, pas de chef d'accusation ; pas à se défendre, juste à s'expliquer ; c'était simplement un "arbitrage", qui devait être assuré, selon la coutume, par un personnage indépendant, dont la sagesse et l'autorité étaient reconnues de tous. Mitsurugi avait confiance : le vieux Hanteï Norio ne pourrait manquer de soutenir un Lion face à des Grues. Ce n'était pas seulement Mitsurugi contre la famille de Yagyu, c'était le combat les serviteurs inflexibles de l'Empereur face aux décadents et traîtres du Gozoku ! Voilà où étaient les vrais enjeux !
Notre héros se préparait comme avant une bataille. Il n'avait pas son ami et conseiller spirituel Matsu Sasuke près de lui, qui aurait pu l'aider par ses sages paroles de mesure ou de prudence, ou bien en lui jetant un sort qui aurait décuplé ses talents d'orateur !

Mitsurugi fit craquer ses doigts et partit, en grande tenue, au palais des Mille Nénuphars. L'ambassadeur Ikoma Noyuki l'accompagnait, ainsi que quatre soldats, tandis que Matsu Kokatsu les attendait déjà là-bas. Les Lions entrèrent dans le jardin traditionnel et prièrent devant l'autel de la famille impériale, près d'un bassin aux poissons exotiques. Ils passèrent sur le chemin de petites pierres plates, avec ses minuscules fontaines et des bassins ornés de fleurs. Ils s'arrêtèrent devant le labyrinthe tracé à terre avant le pont, passèrent le ruisseau et prirent le temps de respirer l'air frais sous les ginkgo.
Ils arrivèrent ensuite dans le pavillon de réception, devant lequel attendaient la famille de Kakita Yagyu, en compagnie de Doji Onegano et Suzume, le père et le frère de Ikue.
Noyuki passa dans la grande salle, tandis que les soldats restaient à l'extérieur. Quant à Mitsurugi, il devait attendre dans une antichambre, où se trouvait Kokatsu. Notre héros arrivait l'air confiant, presque bravache . Il déchanta quand il vit le général Kokatsu qui faisait sa mine des mauvais jours.
- Assieds-toi, Mitsurugi...
- Comment allez-vous aujourd'hui, général Kokatsu ?
- Bien...
- Pourtant vous me semblez...
- Écoute, Mitsurugi, il y a du changement.
- Quoi donc ?
- Ce n'est pas Hanteï Norio que tu auras face à toi...
Mitsurugi tiqua. Kokatsu regardait ailleurs. Il se rongeait l'ongle du pouce.
- "Ils" se sont arrangés pour choisir quelqu'un d'autre. Autant que je te prévienne dès maintenant...
Ce n'était pas trop tôt ! Mitsurugi allait être appelé d'un instant à l'autre...
- Je viens de l'apprendre, murmura Kokatsu. Celui à qui tu devras répondre se nomme Bayushi Tangen, deuxième du nom.
- Qui est-ce ? dit Mitsurugi, en parvenant à ne pas déglutir.
Kokatsu jeta un œil au panneau qui communiquait avec la grande salle.
- Quelqu'un de très important. Le Gouverneur de la Cité des Mensonges...
Là, Mitsurugi pâlit vraiment. Autant dire le plus dangereux personnage de l'Empire après le daimyo des Scorpions !
- Bayushi Tangen est gouverneur de la capitale des Scorpions en droit, sinon en fait. De ce que j'en sais, il est rarement dans sa Cité, qui est dirigée par des administrateurs. La raison de cette absence, c'est...
Kokatsu regarda encore vers le panneau.
- ... c'est qu'il a été choisi, il y a quatre ans, par le seigneur Bayushi Atsuki pour devenir son conseiller...

Kokatsu laissa à Mitsurugi le temps de réaliser ! De réaliser l'ampleur du désastre !
Bayushi Atsuki ! Le daimyo des Scorpions, l'un des trois maîtres du Gozoku !
- Par ailleurs, ajouta Kokatsu, tu as peut-être entendu parler de Bayushi Tangen, premier du nom, ancêtre de l'actuel. C'était un grand écrivain...
Non, Mitsurugi ne connaissait pas, et il ne voulait pas connaître !

Donc, quand ce panneau allait s'ouvrir, Mitsurugi allait se retrouver devant l'homme qui connaissait les secrets du Maître des Secrets ! Les secrets de chez secrets !
Pourquoi s'affoler ? Est-ce qu'un samuraï tremble face à la mort ? Face à la mort, non. Mais face au conseiller d'un maître du Gozoku ?
Mitsurugi n'eut pas le temps de se trop se poser de questions. Le panneau s'ouvrit et un serviteur le pria de le suivre. Kokatsu avança derrière lui.

- Asseyez-vous, honorable ambassadeur.
La salle était tout en longueur. A la gauche de Mitsurugi, les Lions et de simples témoins. A sa droite, les Grues, et autant de regards noirs. Doji Onegano le fixait aussi, avec une sévérité qui n'était pas hostilité, mais une incitation à ne pas faiblir maintenant, à ne pas le décevoir. Une incitation, et aussi sans doute une supplication.
Au bout de la table, face aux deux rangées, mais sur le côté, le vieux Hanteï Norio et son conseiller, Hanteï Tokan. C'était angoissant de les voir là, relégués au second plan.
Et l'homme qui présidait cette assemblée était vêtu d'un kimono noir très simple, à peine orné de quelques motifs. Son masque était petit : il allait de la moitié des joues à la moitié du front, pas plus -comme s'il ne se déguisait qu'au minimum, comme s'il signifiait à Mitsurugi qu'il était prêt à l'affronter à visage découvert. Il devait avoir une bonne quarantaine d'années, des traits ni fins ni rudes, de ceux d'un homme endurci sans être à proprement parler un guerrier. Un homme capable de s'imposer autant face à un soldat que face à un courtisan.
- Asseyez-vous, je vous en prie, seigneur ambassadeur. Je me nomme Bayushi Tangen, deuxième du nom, gouverneur de la Cité des Histoires, et conseiller de son excellence Bayushi Atsuki, daimyo du clan des Scorpions.
Il avait parlé sans prétention, poliment, sans fermeté excessive. C'était tout naturel. Cela coulait de source.
- Mon nom, lança bravement notre héros, est Matsu Mitsurugi, ambassadeur du clan du Lion auprès de la famille Hida, serviteur du puissant général Matsu Kokatsu, gouverneur de la Cité des Apparences.
C'est comme s'il avait cogné du poing sur la table. Il allait te me réveiller cette assemblée de trouillards et de haineux !

Les présentations étaient faites. L'affrontement allait pouvoir commencer.

Samurai

- Je tiens tout d'abord, déclara posément Bayushi Tangen, à expliquer les raisons de ma présence à cette place. Ayant l'honneur d'être invité à la cour d'hiver, je fis étape voici cinq jours par la Cité de la Pieuvre. L'honorable Hanteï Norio me fit l'honneur de me recevoir chez lui, et me parla de l'affaire qui l'occupait. Il me fit alors l'honneur que je ne mérite certainement pas de me demander de prendre sa place pour cette délibération. Devant son assistance, je n'ai pu refuser, car, disait-il, il souhaitait quelqu'un d'indépendant pour juger -lui-même connaissant les protagonistes tant Lions que Grues craignait de voir ses sentiments personnels troubler son jugement.

Un poème ! Une ode !
Un tissu de mensonges, surtout... La vérité c'est que les Scorpions avaient réussi à faire pression sur un des plus hauts membres de la famille de l'Empereur !
- Voici donc pourquoi je suis ici, dit Tangen.
"Venons-en au fait, connu de tous, et que je ne rappelle que pour la forme : Matsu Mitsurugi a fait irruption au milieu de la cérémonie de fiançailles du senseï Kakita Yagyu et de la jeune Doji Ikue. Il a accusé Yagyu-san d'être un imposteur. Puis Ikue-san a couru vers Mitsurugi. Tout le monde est alors sorti du temple. Mitsurugi-san et Yagyu-san se sont battus en duel. Matsu Mitsurugi a vaincu son adversaire, puis il est parti avec Doji Ikue.
"Ai-je déformé les faits ?
- Absolument pas, fit Mitsurugi.
Face à Hanteï Norio, la partie aurait été trop simple ! Notre héros sentait qu'il accusait le coup. Il encaissait sans broncher, mais il fallait serrer les dents.
- Bien, alors j'aimerais vous demander, Mitsurugi-san, pour quelle raison, au juste, vous avez interrompu ces fiançailles.
- J'avais senti un signe des Ancêtres : ils me disaient que Kakita Yagyu n'était pas le duelliste honorable qu'il prétendait être. Dès lors, je ne pouvais pas laisser la très honorable Doji Ikue s'unir avec un samurai indigne de sa pureté.
Question ! Réponse !
- Vous avez voulu mettre au jour une imposture, d'accord. Mais impliquez-vous que les sensei qui ont permis à Kakita Yagyu d'ouvrir son dojo se seraient trompés sur son compte ?
- Non, certainement pas. Jamais je n'oserais mettre en doute le jugement des très honorables sensei de la famille Kakita. Ce que m'ont signifié les Ancêtres, c'est que Kakita Yagyu avait dû trahir la voie du sabre après l'ouverture de son dojo. En ne vénérant plus assez les Ancêtres et en négligeant son entrainement. Ce que j'ai prouvé.
Du culot, du culot et encore du culot !
- Il paraît toutefois étrange, vous en conviendrez, que les Ancêtres choisissent un samuraï du clan du Lion pour une question d'honneur impliquant... les Grues. J'allais dire : comme par hasard du clan du Lion...
- J'avoue que j'ignore les raisons de ce choix. Je crois que c'était sans doute pour que la défaite de Kakita Yagyu soit plus éclatante, non face à quelques grands duellistes de la Grue ou du Phénix, mais de la main d'un humble duelliste Matsu...
Mitsurugi sentit des Grues s'étrangler de rage.
Mais c'était vrai... Mitsurugi n'était pas un duelliste réputé. La preuve, c'est que face à Juro, quand il s'était battu devant la maison de jeu de Patron-san, il avait perdu !
Par contre, il avait déjà abattu quelques démons dans l'Outremonde (mais pas en duel, donc ça ne comptait pas).
- Je n'étais pas présent à ces fiançailles, poursuivait Bayushi Tangen, mais nombre de témoins m'ont affirmé que votre action était plus guidée par la passion pour Doji Ikue que par le souci de l'honneur. De plus, nul ne peut nier que Doji Ikue vous a montré des signes d'affection à la cérémonie... Encore une fois : elle s'est jetée dans vos bras.
On était au cœur de la bataille. Bayushi Tangen décochait ses flèches les plus acérées. Il ne montrait aucun signe de nervosité, ni d'impatience, ni de victoire prématurée. Il jouait son rôle de juge impartial, méthodique, exhaustif. Et pourtant, on aurait pu jurer qu'il aurait écrasé Mitsurugi, comme ça, dans son poing. On aurait juré aussi que Mitsurugi ne se serait pas laissé écraser sans mordre !
- Je le répète, Tangen-sama, je ne pouvais pas laisser Doji Ikue se marier avec un imposteur. Les clans du Lion et de la Grue ont souvent été ennemis, mais l'honneur était en jeu, et je me devais d'intervenir. Doji Ikue a senti la vérité dans mes paroles et a montré une effusion certes déplacée en public, mais bien naturelle. Elle a surtout voulu fuir le personnage qui allait s'unir à elle.
- Mitsurugi-san, je me permets d'insister : n'avez-vous pas agi davantage par passion que par honneur ?
- Bayushi Tangen-sama, je suis persuadé d'une chose, c'est qu'on ne saurait juger un samuraï sur ses intentions, mais seulement sur ses actes.

Mitsurugi tenait bon. Il pouvait apercevoir les poings de Kokatsu, qui se crispaient ou se détendaient. Pareil pour ceux de Noyuki. Ils essayaient de le regarder d'un air neutre, mais Kokatsu, par des plissements à peine perceptibles, faisait signe à Mitsurugi que c'était bien, qu'il fallait continuer à répliquer au coup par coup, ne rien lâcher.

- Il reste une petite difficulté sur laquelle je souhaiterais insister, dit Bayushi Tangen. Pourquoi, après avoir blessé Kakita Yagyu au point de lui faire perdre conscience, ne l'avez-vous pas achevé, étant donné que le résultat des armes prouvait que vous aviez raison ? Il y a là une faute par rapport à l'honneur, qui voulait que vous lui épargniez des souffrances inutiles. En effet, étant donné les accusations que vous aviez portées, il ne pouvait être question d'autre chose que d'un duel à mort entre vous. Je crois que ce point a été clair pour tous dès que vous êtes ressortis du temple.
- J'ai peut-être fauté par miséricorde. Devant l'ampleur de l'imposture de Kakita Yagyu, qui a souillé le nom de ses Ancêtres, je me suis dis que si je ne le tuais pas, et lui laissais le reste de sa vie pour se repentir, peut-être pourrait-il laver en partie son Kharma, avant sa prochaine vie.
- La suite de sa vie aura été courte, toutefois. J'ai appris qu'il avait succombé à ses blessures hier.

Et on avait pas prévenu Mitsurugi pour qu'il aille fêter ça comme il se doit ?
- Bien, vous avez attaqué Kakita Yagyu et votre victoire en duel a prouvé votre supériorité. Mais si je vous suis, ce n'est pas pour Doji Ikue que vous avez agi, mais plus généralement pour le bien de sa famille et de son clan.
Là, Mitsurugi sentit le dard du Scorpion s'enfoncer. Cela dut se sentir à un relâchement, qu'il maîtrisa vite mais qu'il ne put dissimuler entièrement.
- Oui, j'ai fait ça pour l'honneur avant tout... Mais toutefois, je ne peux pas nier que le destin d'Ikue ne m'était pas indifférent. Oui, je sentais un lien kharmique entre nous, lien que les Ancêtres avaient perçu, puisqu'ils m'avaient désigné pour démasquer Kakita Yagyu.
- Bien. Je vous remercie pour vos réponses.

Cela s'était arrêté net. Tangen était un habile orateur, et cela voulait dire qu'il ne disait pas un mot de trop. Et qu'il ne laissait pas à son adversaire deux chances de s'expliquer.
Il y eut comme un soupir dans le public. Les gens osaient à nouveau respirer, s'agiter un peu, après avoir été figés comme des statues pendant cette longue confrontation. Kokatsu regardait Mitsurugi : "c'est bien petit, tu n'as rien lâché. Tu vas les voir repartir la queue entre les jambes, ces misérables..."

Un assistant de Bayushi Tangen fit un petit signe que le silence devenait revenir. Le public s'immobilisa complétement.
- Bien, après vous avoir entendu, Mitsurugi-san, voici mes conclusions...
On aurait pu voir les oreilles se tendre. Notre héros s'attendait à une sanction exemplaire, voire sanglante.

- Tout d'abord, je tiens à dire que votre victoire sur Kakita Yagyu est incontestable. Vous n'avez fauté qu'en étant trop miséricordieux, défaut qui n'est, au reste, pas si fréquent dans votre famille... Ensuite, il reste regrettable que la passion se soit mêlée à une affaire d'honneur. Or, je n'ai pas à juger ici de l'intensité d'un amour. Voilà donc ce que je décide : vous avez pris Doji Ikue à Kakita Yagyu. De par le fait, vous lui êtes déjà fiancé, bien qu'il faudra une cérémonie pour officialiser ce lien. Toutefois, et c'est plus essentiel, Mitsurugi-san, vous n'épouserez Doji Ikue qu'après un temps raisonnable, pour respecter le deuil de celle-ci. Chacun conçoit bien à quel point la mort de Kakita Yagyu a pu affliger une jeune personne comme elle. Disons donc, ambassadeur, que vous attendrez, pour les épousailles, jusqu'au printemps.
Mitsurugi s'inclina.
Les traits de Bayushi Tangen ne trahissaient rien.
Rien ou presque.

Le Scorpion se leva, et tout le monde l'imita. Hanteï Norio passa au jardin pour y recevoir ceux de ses invités qui souhaitaient rester. Notre héros alla présenter ses respects au maître des lieux mais ne traîna pas. Les Lions quittèrent les lieux sans se retourner.
Mitsurugi mit du temps à revenir sur terre. Il entendait, comme au loin, Matsu Kokatsu qui disait :
- Jusqu'au printemps !... Ambassadeur, attends-toi à vivre une cour d'hiver mouvementée !

Samurai
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#3
La tragédie des Serpents, les soirées de l'Inquisiteur Tadao, Mitsurugi face à Bayushi Tangen (merci Mamar pour les notes dessus)<!--sizec--><!--/sizec-->, c'est en live sur le flux RRS* du Mamarlandbiggrin


*Rich Résumay SummaryNerd
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#4
[Image: mitsu.gif]
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#5
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

La bonne nouvelle, c'est que Mitsurugi pouvait maintenant revoir Doji Ikue !

Étrangement, il redoutait ce moment. La folie du premier jour était retombée. Il se demandait vraiment s'il avait bien fait ; le souvenir de son acte lui faisait mal, comme une blessure la première nuit après le combat. Il se rendit à la maison qu'occupait la famille de Doji Onegano ; il était dans ses petits souliers. C'était la veille qu'il s'était défendu face à Bayushi Tangen. Il avait passé une mauvaise nuit, à se refaire la rencontre. Il avait peur soudain, et il comprenait l'audace, l'aveuglement même, qu'il lui avait fallu pour répondre avec une telle assurance à un conseiller du Gozoku ! C'était tout bonnement insensé !
Tangen l'avait fait danser sur la corde raide, et Mitsurugi avait tenu bon. Un simple Matsu aurait eu une défense brutale, maladroite. Tangen n'aurait pas eu de mal à le prendre au piège, à le retourner, comme un chat qui joue avec une souris. Un Phénix aurait eu une attitude trop guindée, trop froide, pas assez à l'attaque.
Mitsurugi avait trouvé le point d'équilibre : la fougue du Matsu, la finesse d'esprit des Shiba ! Lion et Phénix à la fois : griffon ! (Avec la férocité du Loup aussi !wink
Et Mitsurugi savait que le Scorpion avait apprécié son talent. Ce qui n'impliquait pas qu'il en ait été dupe une seule seconde. Il avait vu clair dans le jeu du Lion. Or, socialement, Mitsurugi avait su se défendre, Bayushi Tangen ne pouvait rien y redire. Il avait essayé de le piéger et le Lion s'en était sorti, phrase après phrase.

C'est Doji Onegano lui-même qui ouvrit la porte à notre ambassadeur.
- Entrez, soyez le bienvenu chez moi...
Le vieil homme était attristé.
- Autant ne pas vous le cacher, Mitsurugi-san, vous arrivez dans un moment difficile...
- Que se passe-t-il, Onegano-sama ?
- Ha, c'est Suzume, soupira le maître de maison... Je savais que ce garçon aurait des ennuis... Allons, venez...
Doji Ikue était en pleurs. Elle sécha ses yeux et salua Mitsurugi. Elle attendait dans la pièce de thé. Elle avait autour d'elle des dizaines de petites origamis, qu'elle pliait machinalement. Mitsurugi devait comprendre qu'Ikue passait littéralement ses journées à plier des papiers. C'était une manie, un besoin, à tout moment, dès qu'elle avait les mains libres. Pendant une conversation, elle créait des petits animaux en papier, sans du tout se distraire de ce que disait son interlocuteur. Ses mains travaillaient seules.
Mitsurugi salua très respectueusement Ikue.
- Je vais vous dire ce qui se passe, dit Doji Onegano. Si Doji Suzume ne vient pas vous saluer comme il le devrait, c'est que je l'ai consigné dans le pavillon des Ancêtres. Ce matin, en effet, il a provoqué en duel un Bayushi qui l'avait insulté.
- Suzume ?... Si je le connais un peu, je dirais qu'il a fallu que l'injure soit très grave...
- Ho, c'est bien simple, dit Ikue, ce fielleux personnage a carrément dit à mon frère que ses paysans à lui étaient mieux vêtus que mon frère !
- Vous vous rendez compte ? dit Onegano.
- C'est vraiment de la dernière grossiéreté, confirma Mitsurugi, qui se retint de sourire.
Quand on avait rencontré Suzume, on comprenait... Il était très négligé quant à son apparence extérieure. Lui qui appartenait au clan le plus riche de l'Empire, aux samuraï les plus élégants, il s'habillait presque comme un moine, avec un kimono décoloré.
- Combien de fois lui ai-je dit de soigner ses vêtements ? Que cela lui jouerait des tours... Rien à y faire... Il se croyait plus malin que son père. Voilà où il en est...
- Qui est ce Scorpion ?
- Ho, ce n'est qu'un jeune soldat de l'ambassade, qui était en permission... Il a dû trouver très amusant d'insulter Suzume pour se trouver un duel. Encore un que le besoin de jouer du sabre démange, et qui trouvera toutes les occasions.
- Vous avez parlé avec son supérieur ?
- Oui, et j'ai été mal reçu, dit Doji Onegano. Les Bayushi n'ont rien voulu entendre. Ils soutiennent leur homme. Donc il y aura duel... Et Suzume sait à peine tenir un sabre.
- Vous exagérez, père, dit Ikue. Il s'y est mis tard mais depuis plusieurs années, il a fait de grands efforts pour rattraper son retard.
- Ce que j'en dis, c'est qu'il n'est pas à la hauteur.
- Ce Bayushi est un duelliste réputé ?
- Non, pas à ma connaissance. Juste un jeune imbécile qui a trouvé une proie facile... Mais Suzume n'est pas habitué à se battre.
- Il aurait juste besoin de quelques conseils avisés, dit IkueAloy

Mitsurugi les voyait venir, le père et la fille...
- Je pourrais peut-être, si vous le permettez, commença prudemment Mitsurugi.
- Oh, vous accepteriez, dit Ikue ? arrêtant même pour le coup son origami en cours !
- Je ne suis pas senseï, dit Mitsurugi, j'ai juste une petite expérience...
- Écoutez, dit Doji Onegano, nous ne voulons pas vous forcer la main. Je vous propose, si vos charges à l'ambassade ne vous retiennent pas, d'aller en parler dans une maison de thé que nous apprécions. Je ne veux pas vous retenir dans une maison trop triste.
- Avec plaisir, Onegano-sama.
- Suzume restera là pour méditer sur ce qui l'attend. Allons, Ikue, va te préparer.
Elle ne mit pas plus d'une heure !
Mitsurugi et son futur beau-père (normalement !wink eurent le temps de déguster des petits gâteaux autour d'un thé noir.
Ikue arriva enfin, maquillée, apprêtée, comme une poupée, charmante et belle à ravir.

En ville, les trois samuraï firent leur petite sensation. L'ambassadeur Matsu qui marchait avec Doji Onegano et sa fille, qui ne craignait pas de s'afficher avec eux... Avant de partir, Ikue avait dit :
- A propos, vous ai-je montré, Mitsurugi-san, le petit chat que j'ai adopté ? Je devrais dire que c'est lui qui m'a adoptée, car je l'ai recueilli, le pauvre mimi...
Elle revint avec un chat tigré dans les bras, déjà adulte, et qui avait l'air vraiment perdu...
- Je l'adore, figurez-vous ? Est-ce qu'il n'est pas trop craquant ?
Mitsurugi eut immédiatement l'impression que ce chat était un escroc... Il avait joué les malheureux pour se faire adopter, car il avait vu une belle maison et avait senti qu'il serait bien nourri. Mais sous ses airs, ce devait être un malin. Mitsurugi le caressa pour la forme.
Bien évidemment, il avait fallu qu'Ikue emmène le matou avec elle, à la maison de thé ! Dans la rue, elle le portait dans ses bras. La brave bête ronronnait. Elle voyait bien que Mitsurugi essayait d'approcher Ikue, mais il avait l'intention de défendre son territoire. Il avait déjà trouvé ses aises, le félin !
Bref, Mitsurugi sentait que ce chat était de trop. Or, voilà que sur le chemin, arrive, déambulant l'air sûr de lui et inébranlable, Hida Goemon, garde du corps de l'Inquisiteur Tadao. Le gros Crabe s'arrête pour saluer Mitsurugi ainsi que les Grues. Il s'incline. Soudain, il aperçoit le chat dans les bras d'Ikue. Il se souvient que l'Inquisiteur l'a envoyé en mission retrouver cet homme-chat qui s'est enfui du quartier interdit. Et là, Goemon saisit le chat par le col et commence à l'inspecter. Ikue, affolée, pousse un petit cri et va fondre en larmes. La pauvre bête crache et se débat, essaye de griffer le gros Goemon. Mitsurugi s'interpose avant qu'un drame n'éclate :
- Goemon-san, que faites-vous ?
- Il faut que je prenne ce chat.Troll3
- Allons, vous délirez ! Que vous a-t-il fait, ce chat ?...
- Mon maître veut le voir.
Il n'a pas l'air saoul.
- Ecoutez, c'est un malentendu ! Goemon-san, je vous somme de rendre ce chat immédiatement.
Goemon reste planté au milieu de la rue. Derrière son air placideKneu, il semble réfléchir. Puis, mécaniquement, il redonne le chat à Ikue. Celle-ci se blottit contre son père, et vérifie que le chat va bien.
- Me direz-vous enfin ce qui se passe avec ce chat, Goemon ?
Mitsurugi essaie de se contenir, mais là, le Crabe a passé les limites. En plus, ce n'es pas le jour, car notre héros est obligé de faire le beau devant sa belle-famille !
Voilà que Goemon s'incline devant Ikue :
- Je vous prie de m'excuser. Je me suis trompé et je suis infiniment confus...
Ikue pleure et regarde haineusement le Crabe.
- Allons, l'incident est clos, décrète Doji Onegano. Crabe-san a avoué qu'il s'est trompé.
Il commence à y avoir un attroupement. Mitsurugi embroche les gens du regard, et le petit peuple se disperse avant d'avoir des ennuis. Hida Goemon s'excuse encore et reprend son chemin, droit devant lui.Troll2
Mitsurugi s'essuie le front. Il va demander des comptes à l'Inquisiteur pour cet incident !

Samurai

Doji Onegano fit servir un thé importé des terres de son clan.
- Ces marchands sont étonnants, nota-t-il. Pourquoi les Yasuki ont-ils quitté notre clan ? Ils sont chez les Crabes, ils continuent leur commerce, et importent dans toutes les provinces de l'Empire les produits les plus chers, même ceux venus de loin. C'est ainsi que j'ai déjà pu boire, à la dernière cour d'hiver, un thé du sud de notre côte, alors que nous nous trouvions au palais Mirumoto !
- C'est une histoire de taxe, je crois, dit Mitsurugi, qui, normalement, ne se serait pas tellement intéressé à ces histoires de marchands, mais qui, comme on sait, connaissait l'implication du Lotus.
- Oui, les taxes... J'ignore si les Yasuki ont moins de droits à payer chez les Crabes. Ici, ils doivent soutenir l'effort de guerre permanente sur la Muraille.
Onegano resta songeur.
- Allons, voilà que je me mets à parler de politique !...
Doji Ikue ne disait rien. D'une main, elle pliait machinalement ces papiers, et gardait un Å“il sur son petit chat. Le serveur apporta un bol de lait pour le pauvre félin, qui avait eu une sacrée frousse quand le Crabe l'avait saisi dans sa grosse poigne.
- Le pauvre minou a été très courageux... Qu'est-ce qui a pris à ce Hida ?...
- Je le connais, dit notre ambassadeur, c'est Hida Goemon. Il est un peu impulsif, mais dans le fond pas mauvais.
- A-t-il cru qu'un petit chat si mignon pouvait être dangereux ?
- Les Crabes ont tendance à voir le mal partout, dit Doji Onegano. C'est aussi leur tâche, ne l'oublions pas.

Pour une jeune femme comme Doji Ikue, c'était à peine compréhensible, bien sûr.
- Savez-vous, monsieur l'ambassadeur, que nous allons nous rendre à la Vallée aux Esprits ?
Mitsurugi cligna des yeux. C'est à peine s'il avait entendu parler de cet endroit. C'était il y a très longtemps, au dojo Shiba, peut-être bien, quand il devait réciter par cÅ“ur les lieux sacrés de l'Empire... A l'époque, ses camarades pensaient plutôt à tirer sur les couettes des filles, et Mitsurugi à regarder sous leurs jupes...
Si, il se souvenait maintenant. La Vallée aux Esprits était située au nord-ouest de la Cité, à l'ouest de la forêt Shinomen. C'était peut-être le coin le plus perdu de l'Empire, le plus loin de tout. On prétendait que c'était un lieu intermédiaire entre le monde des vivants et celui des morts, que les Ancêtres s'y manifestaient souvent. Un lieu de recueillement et de retrait spirituel. A peu près l'inverse des lieux que Mitsurugi aimait fréquenter, pour ne pas parler de Sasuke !
- C'est très bien, fit notre héros, diplomatiquement.
- Mes enfants n'ont encore jamais eu l'occasion d'y aller, et moi-même je n'y suis pas allé depuis presque dix ans. Nos Ancêtres vont se sentir négligés si nous n'allons pas là-bas. Je crois que c'est important, avant la cour d'hiver, d'aller méditer là-bas quelques jours.
Mitsurugi hésita un peu (pas beaucoup) et dit :
- La route n'est pas sûre, paraît-il.
Mitsurugi l'ignorait, mais c'était faux. Le chemin de pèlerinage jusqu'à la Vallée était surveillé par de nombreuses troupes Crabe, car c'était une route empruntée par des samuraï de tous les clans.
Doji Onegano, qui était décidément d'un naturel bon, répondit :
- C'est possible. Il y a si longtemps que je n'y suis pas allé...
- Je pourrais vous accompagner, proposa Mitsurugi, qui n'allait pas non plus tourner autour du pot cent-sept jours.
- Pourquoi pas, dit Doji Onegano.
- Vous pourriez en profiter pour donner quelques leçons à mon frère.
- Bien sûr. Et j'en profiterai pour aller prier mes propres Ancêtres...
Voilà, comme ça, c'était dit. Mitsurugi n'avait pas encore réfléchi à ce que ses Ancêtres diraient de son changement de clan... [Image: icon2.gif]
- Nous partons dans trois jours.
- Je serai prêt.

Samurai

A la "Carapace", la nouvelle de l'incident provoqué par Goemon était allée plus vite que ce dernier. L'Inquisiteur Tadao l'accueillit sèchement :
- Peux-tu me dire ce qui s'est passé avec ces Grues ?
- Seigneur, je crois avoir fait une erreur.
- Je le crois aussi. Pourquoi t'en es-tu pris à ce chat ?
- Vous m'aviez dit de chercher...
- Oui, ce bakeneko [chat-démon] que nous avons vu l'autre soir. Mais sur les milliers de chats de la Cité, il a fallu que ce soit celui-là que tu inspectes en premier !
- Il m'avait semblé...
- Je te conseille de reprendre tes recherches un peu plus sérieusement. Je ne crois pas que la fragile Doji Ikue adopterait un bakeneko assez lubrique pour aller s'amuser chez "mère-grand"...
Au fond, Tadao souriait et Goemon le sentit. Il aurait bine voulu voir la tête de la pauvre Ikue ! Si ce n'avait été que pour les Grues... Non, ce qui le gênait, c'était d'avoir mis Matsu Mitsurugi dans l'embarras. C'était un allié de valeur, et il aurait pu se sentir froissé.
- J'ai entendu dire, Goemon, que plusieurs de nos hôtes les Grues vont aller avant la cour d'hiver à la Vallée aux Esprits. Je serais surpris si le très pieux Doji Onegano n'y allait pas avec sa famille -et son futur beau-fils !
- Pour me faire pardonner, je pourrais les guider.
- Tu m'as compris. Seulement, il ne faut pas que ta présence devienne embarrassante. Tu tâcheras donc de présenter poliment ta demande.
- Bien, seigneur.

Doji Onegano eut du mal à ne pas sourire quand il vit arriver Goemon avec ses gros sabots, qui présenta respectueusement ses excuses. Derrière ses airs mal dégrossi, le Crabe était plus fin qu'on ne croyait. Notamment, ses bonnes manières n'étaient pas si forcées qu'on aurait pu croire. Il ne faisait pas semblant. Doji Onegano accepta, et se dit honoré qu'un garde du corps d'Inquisiteur ait cette attention pour lui.
Le surlendemain, les tensaï d'Isawa Masaakira revenaient à la Cité. On ne leur posa aucune question. Ils se contentèrent de retourner dans leur temple pour prier, et n'en sortirent pas pendant près d'une semaine. Matsu Sasuke était content de retrouver le confort du palais d'Ivoire, et les festivités nocturnes de la Pieuvre. Il avait besoin de boire pour oublier. L'ambassadeur Ikoma Noyuki et le conseiller Hanteï Tokan étaient tout prêts à l'aider dans cette tâche !
- Je pars à la Vallée aux Esprits, lui déclara Mitsurugi, tôt le matin, alors que Sasuke rentrait à peine d'une soirée inoubliable (mais déjà en partie oubliée).
Le shugenja avait une muraille dans la tête ! Il se leva en se tenant la tête et alla tirer la langue devant sa glace.
- Vous partez quand ?
- Dans une heure.
- Tu vas prier ?
- J'accompagne Ikue.
- Bon, attends-moi, je viens.
- Tu vas prier ?
- Je t'accompagne...

- Quelle troupe ! sourit Doji Onegano. Je remercie les dieux d'envoyer un puissant Crabe et deux nobles Phénix pour veiller sur mes deux enfants et moi !
Sasuke était "noir". Il sourit poliment, son esprit voguant encore quelque part entre Rokugan et le monde de l'ivresse.
- Vous n'avez pas vu Maya, au fait ? demanda Mitsurugi.
- Non, pourquoi ?
- Je l'avais envoyée après vous. Elle se rendait au même endroit que vous.
- J'ai cru la voir, à un moment, à l'autre bout de la vallée.
Si ce souvenir n'était pas tellement sinistre, Sasuke aurait souri.
- Elle est repartie après nous, je crois... Elle devrait bientôt rentrer, fit le shugenja.
- Alors il est vraiment temps de partir, dit l'ambassadeur.
C'était comme un dicton : quel que soit l'endroit où on se trouve, c'est toujours pire si Maya est là !

Samurai
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#6
Mitsurugi For The Win:jmekiffe:!!§

Triple ban pour le Gronico !Applause²
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#7
La classe impériale ce Mitsurugi.
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#8
Suite : salon de thé et départ pour la Vallée aux Esprits.
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#9
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


2ème partie

La chute du Raja
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Il pleuvait sur les Royaumes d'Ivoire.
Yatsume portait Yojiro, épuisée. Elle avait traversé un torrent boueux et ressemblait plus à une créature démoniaque, à un esprit tourmenté, qu'à un être humain. La pyramide d'Akuma était derrière eux et l'on entendait encore les cris de guerre des indigènes soumis par l'ancien capitaine Yasuki. Il était déjà impensable qu'ils soient ressortis vivants. Yatsume ne comprit pas non plus comment elle atteignit l'avant-poste de la Ki-Rin. C'était un déluge, le ciel se vidait d'une eau qui avançait comme une armée. Tout devenait liquide, le sol n'était plus qu'une coulée, les arbres ployaient, la palissade en bois du fortin craquait...
- Ho, de la garde !
Le bruit assourdissant de l'eau couvrait les cris de Yatsume. Enfin, le soldat vit les deux silhouettes tordues qui émergeaient à peine de la boue et tendit sa maigre torche. Yatsume criait encore à l'aide. Le soldat appela au secours et plusieurs samuraï sortirent, croyant à un esprit malfaisant, pendant que deux autres se tenaient prêts avec leurs arcs.
A bout de force, Yatsume tomba à genoux, Yojiro allongé à côté d'elle. Ses cheveux pesaient lourd, ses membres étaient engourdis, elle ne pouvait plus avancer d'un pas. Elle ignorait si le rônin était encore en vie. Les samuraï Ki-Rin éclairèrent son visage à la torche, car par ce temps, la crasse du ciel était si épaisse qu'il aurait pu faire nuit. Ils la soulevèrent et la portèrent à l'intérieur.

Yatsume ne se réveilla que le lendemain.
Elle grelottait. Elle n'entendait plus la pluie. En même temps qu'elle grelottait, elle suait dans une couverture. Elle se leva brusquement. Une servante indigène entra et se précipita pour lui dire de rester couché. Elle demanda tout à trac combien de temps elle avait dormi, si Yojiro était encore en vie. La servante lui dit que oui, oui, et la pria de se recoucher. Yatsume ne savait pas si l'autre avait compris sa réponse, mais, vaincue, elle se rendormit.
Le lendemain, elle rouvrit un œil, péniblement. Elle avait très faim. La servante lui apportait une soupe épaisse.
Un samuraï barbu entrait, trempé.
- Ton ami va mieux aussi. Il se repose dans la cahute d'à côté. Tu as de la chance, nous sommes amis avec des indigènes de cette jungle ; ils connaissent les plantes pour guérir.
- Akuma... Akuma...
- Tu as de la chance d'être ressortie vivante de l'antre de ce démon, rônin. Les dieux t'ont épargnée...
- Je dois... retourner...
- Pas maintenant.
Un sourire passa sur les lèvres encore pâles de Yatsume :
- Vous irez ?...
- Pas maintenant, t'ai-je dit.
Le samuraï ressortit. Yatsume fut plus raisonnable et mangea sa soupe. Elle eut droit à un bain bien chaud. On lui prêta des habits. Elle put enfin sortir.
Le ciel était encore gris, immensément gris, avec des nuages tourmentés et des débuts d'orage qui crépitaient au loin. Il faisait lourd. Des oiseaux criaient dans les branches. Un bruissement continu émanait de la forêt, un chant immense, étrange.
Yojiro était devant une bâtisse en bois où s'affairaient des indigènes presque nus, à la peau décorée de motifs barbares. Ils avaient des yeux très noirs, entourés de maquillage vert, qui leur donnait des allures de hiboux hypnotiques.
Yojiro s'appuyait sur une béquille. Il sourit à Yatsume et s'avança dans la cour. Ils marchèrent le long de la palissade.
- Nous sommes sauvés, dit-il. C'est inespéré... Mais je n'ai pas fait honneur à mes Ancêtres...
- Et moi donc... Je t'ai emporté, mais j'ai fui. Mamoru est resté là-bas.
Ils regardèrent en direction de la colline couverte de végétation menaçante. La pyramide était dissimulée dans ce couvert.
- Les Ki-Rin m'ont dit qu'ils nous accompagneront si nous y retournons, dit Yojiro.
- Tu en es sûr ? Pourquoi feraient-ils cela ?
- Ils n'ont pas oublié ce que c'est que l'honneur, étonnamment. L'un d'eux m'a dit qu'il était de leur devoir de combattre un démon allié à l'Outremonde, même en-dehors de Rokugan. Puisque Shinjo les a emmenés hors de l'Empire...

Les indigènes s'accroupissaient sous une tente pour allumer un feu avec quelques brindilles.
- Comment font-ils ? dit Yojiro. Tout est humide... Et regarde-les, ils parviennent à obtenir des flammes.
Trois d'entre eux, des vieillards chantaient un chant plaintif, tandis que les plus jeunes mettaient des aliments à cuire. La servante des Ki-Rin venait les aider. Des samuraï passaient en se frottant le ventre.
- Ils ne parlent pas la même langue qu'eux, dit Yojiro, mais quand on parle de bouffe, tout le monde se comprend !...
Par contre, quelle tête ferait les dignes courtisans de Rokugan s'ils voyaient des descendants des dieux partager leur repas avec des sauvages !

Samurai

Il pleuvait à torrents sur la forêt tropicale. Les gouttes s'accumulaient sur le toit percé de la cage en bambou et finissaient par tomber, lourdes, sur le plancher grinçant. La cage se balançait au-dessus du vide, attachée par une maigre corde qui aurait pu céder à tout moment et envoyer Mamoru dans le torrent gonflé qui rugissait au bas de la falaise.
Il y avait trois jours qu'il était dedans. Les indigènes lui apportaient à manger une fois par jour, en descendant un maigre bol, sur lequel Mamoru se jetait, affamé.
Plusieurs fois, la silhouette de Yasuki Kuma était apparue au bord de la falaise, floue dans la pluie. Il n'y avait pas de tonnerre, rien que le déluge monotone. D'autres fois, Mamoru voyait d'autres silhouettes inquiétantes. Le chapeau conique de Chair, le moine corrompu, ou bien l'énorme Mygale, boursouflé. Une fois, il avait aperçu celui qui était devenu Bunraku, un tronc d'homme enfermé dans une armure animée par des runes maudites.
Le corps putréfié de Pureté avait fini de brûler depuis longtemps, ses derniers lambeaux d'habits blancs étaient partis en cendres.
Mamoru grelottait. C'est après une nuit horrible, dans l'angoisse de sa vie qui ne tenait littéralement qu'à une corde, après des heures à ne pas trouver de sommeil ni plus aucun coin sec dans sa cage, que l'aube était enfin arrivée. Et c'était à peine un soulagement. La mauvaise grisaille valait à peine mieux. Le rideau de pluie ne se déchirait pas.
Mamoru sentit la cage trembler. Il crut que la corde allait céder. Encore quelques secousses, un grincement du palan de bois, et un ahanement d'indigènes. La cage remontait. Elle s'arrêta juste en-dessous du bord. Akuma était assis en tailleur, son crâne luisant sous la pluie. Les silhouettes de ses nouveaux acolytes apparaissaient derrière lui.
- Un mot de vous, Hida Yasashiro, et vous pourriez sortir de cette cage...
- Je ne suis plus Yasashiro. Je ne suis que Mamoru le rônin.
- Vous n'avez perdu votre nom que pour me retrouver, puisqu'indirectement, je suis responsable de la mort de vos camarades. Or, je suis là, donc vous n'avez plus besoin de ce sobriquet. Et vos amis ne sont pas morts, ils ont trouvé la vraie vie avec moi. Pourquoi vous entêtez ?... Ne suis-je pas votre capitaine ? Vous vous êtes déjà battu dans mon armée, par le passé. C'est moi que vous veniez chercher lorsque je suis parti dans l'Outremonde... Qu'attendez-vous ?
- Vous n'êtes plus le capitaine que ma famille connaissait. Vous n'êtes plus qu'un spectre, l'ombre de ce héros glorieux...
- Ce sont les gens de cet Empire qui ne sont plus que de pâles imitations de samuraï. Ils ont été trop faibles. Quand j'étais encore le maître du Lotus, je voulais régénérer ces guerriers fatigués, leur insuffler l'ardeur de vaincre, de détruire l'Outremonde. Mais nous avons perdu le château Hiruma. Si nous continuons ainsi, nos autres châteaux tomberont. La muraille s'écroulera, l'Empire ne sera qu'un champ de ruines.
"Nous nous sommes trompés, Yasashiro. L'Empire s'est trompé. Ce n'est pas l'Outremonde qui est une menace. C'est l'Empereur et tout l'Ordre Céleste qui n'est qu'une mascarade.
Mamoru aurait préféré qu'on lui arrache les oreilles plutôt que d'entendre une hérésie aussi noire.
- L'Empereur n'est qu'un pantin que les gens du Gozoku manipulent à leur gré. L'heure est venue de couper les ficelles de cette marionnette. Quand la pourriture envahit le membre, il faut trancher pour sauver le reste.
- Je ne vous suivrai jamais...
- Alors c'est vous que je laisserai pourrir dans cette cage. Si vous n'êtes pas du côté de ceux qui régénéreront dans le sang cet Empire malade, vous serez du côté des morts. Vous n'êtes déjà plus que poussière face aux hordes qui sortent du Puits Suppurant. Je marcherai en tête de ces légions...
"Le pouvoir du Shuten-Doji du Regret m'est acquis. A l'heure où nous parlons, le clan du Serpent est détruit. Le Démon a fait son œuvre. Mon vieil ami Nuage a dû en terminer avec eux.
- C'est Nuage qui a invoqué ce démon ?
- Non, les Serpents étaient vraiment corrompus, depuis le début. Nuage n'a fait qu'obliger les Serpents, et le reste de l'Empire, à voir la vérité en face. Seulement, je n'épargnerai pas non plus Nuage et sa clique. Ils se sont rangés du côté de cette humanité pathétique qui prend le pouvoir de Fu-Leng pour une "souillure", alors que c'est le pouvoir qui nous transformera, et qui ne détruira que les faibles déjà voués à périr.
- Je ne vous suivrai pas, répéta Mamoru, épuisé.
Akuma se releva lentement, et hocha la tête, déçu.
- Vous serez le premier à connaître le vrai pouvoir de notre dieu Fu-Leng... Remontez-le vous autres.
Deux paysans crachèrent dans leurs mains et tirèrent sur la corde. Chair, Mygale et Bunraku entouraient Akuma. Ils regardaient leur vieux camarade remonter, misérable. Mamoru n'osait pas imaginer quel sort l'attendait entre les mains de ces monstres. Il réunit ses dernières forces, dans un acte de folie, qui, en cette situation, était son seul et mince espoir de salut. Il s'adossa à des bambous solides, et frappa des deux pieds le mur en face. La cage était presque en haut. Mamoru, tremblant de colère et de peur, frappait et frappait encore, pris de panique. Le bambou se tordait et ne rompait pas. Mamoru se jeta sur les tubes, les secoua, tapa dedans du poing, encore du pied, et les fit craquer enfin. Il tapa du coude et se fit une ouverture, juste comme on allait reposer la cage sur la falaise.
Akuma ne bougeait pas. Il regardait Mamoru de son regard vide. Les autres non plus ne firent pas un geste. Un paysan s'avança pour empêcher Mamoru mais il faillit tomber. Notre rônin s'accrocha au plafond de la cage, et passa le buste. Les courants d'air torturés qui remontaient du gouffre lui frappèrent le visage. La gorge serrée, le rônin jeta un regard au torrent, si loin en-dessous. Puis il recula, prit son élan et sauta dans le vide. Il tomba dans un bref cri. Les bras croisés derrière le dos, Akuma ne le regarda même pas chuter. Il tourna le dos et rentra dans sa pyramide. Chair le moine maléfique jeta un œil, méprisant, et suivit son maitre.

- Nous partons bientôt, dit Akuma, une fois à l'intérieur. Chair, tu prépareras la glyphe de transport. Nous rejoignons Banshee qui est avec le Shuten-Doji.
Des cris d'indigènes alertèrent les samuraï corrompus. Un indigène, excité, arriva et balbutia qu'une armée attaquait. Bunraku se releva et descendit en trois sauts les marches de la pyramide. Quand il était encore humain, il avait été ingénieur sur la Muraille. Il alla aux installations de défense, et vit que la pluie avait abîmé les épieux. Mygale arrivait. De ses huit gros yeux globuleux, il scruta la forêt et vit des cavaliers qui traversaient la rivière.
- Les Ki-Rin, articula-t-il.
On entendit alors des barrissements énormes, qui firent trembler les feuilles et s'envoler les oiseaux. Des éléphants royaux avançaient en arrachant les petits arbres de leurs trompes.

C'était bien les samuraï de l'avant-poste qui chargeaient la pyramide, aux côtés de l'armée du Raja Avishnar !

Samurai

Les samuraï de la Ki-Rin avaient tenu leur promesse d'attaquer le démon qui logeait dans la forêt. Quant à Yatsume, elle avait employé les grands moyens !
- C'est de la folie, lui avait dit Yojiro. Tu perds la tête !
- Il ne peut rien me refuser, avait dit Yatsume, très sûre d'elle.
- Rien, pourvu que tu acceptes de rester sagement enfermée dans son harem !
- Je lui promettrai de revenir chez lui une fois qu'on aura détruit Akuma...
- Si tu approches de lui, il ne te laissera pas repartir ! Et pour tes beaux yeux, il n'ira pas chasser un démon, comme ça...
- Tu sais peut-être mieux que moi ce qu'il est prêt à faire pour moi ?
- C'est de la folie, conclut Yojiro.
Yatsume, remise sur pied, remercia les Ki-Rin et leur dit qu'elle reviendrait bientôt.
- Le pire, dit Yojiro en la regardant partir, c'est qu'elle serait fichue de vraiment revenir.

Et elle revint !
Elle commença par repartir au Palais de Marbre. Elle se voyait vraiment se jeter aux pieds d'Avishnar, le supplier puis le convaincre d'aller venger un ami sûrement mort, avant de promettre de revenir bien gentiment après. Elle n'eut pas à retourner au palais. En chemin, elle sentit le sol trembler et ne tarda pas à voir arriver une quinzaine d'éléphants avec des troupes, avec le Raja sur l'animal de tête. Yatsume se dit que c'était aussi rapide... Seulement, une fois la surprise passée, le jeune Raja eut l'air tellement en colère que Yatsume crut qu'elle allait finir sous les pattes des grosses bêtes.
Avishnar trépigna de colère quand il entendit ce que son interprète Ki-Rin traduisait de la demande de Yatsume. Il accepta d'aller tuer ce démon. Mais il jura de lui faire subir mille tortures raffinées inspirées par les dieux les plus sanguinaires si elle ne revenait pas immédiatement après au harem. Yatsume promit...
Pour le moment, on se contenta de la ligoter et de l'allonger près d'un cornac, sur le deuxième éléphant de l'armée. Puis le Raja ordonna à sa troupe de se remettre en marche. De leur côté, les samuraï du fortin de la Ki-Rin n'avaient pas attendu un très improbable retour de Yatsume pour lancer l'attaque sur la pyramide. C'est ainsi que les deux armées, les cavaliers des montures du désert et les guerriers sur leurs éléphants, se rencontrèrent sur la piste avant l'épaisse jungle où se trouvait Akuma.

Les deux troupes firent leur jonction et, après un bref salut, Avishnar ordonna aux Rokugani de le suivre. La montée de la pente fut difficile mais il n'y eut pas de résistance en face : les indigènes, effrayés, reculaient devant les éléphants furieux qui trompetaient comme pour la fin du monde. Quand ils arrivèrent au pied de la pyramide, il y eut soudain des dizaines d'indigènes fanatisés, hurlant à la mort, qui se jetèrent sur eux, mais les fiers guerriers des Royaumes d'Ivoire, et les samuraï qui avaient affronté les monstres du désert lointain, les taillèrent en pièce et les piétinèrent sans pitié. Yatsume et Yojiro étaient à l'avant et remontèrent les marches de la pyramide. Ils virent alors tomber sur eux l'obèse Mygale et le grand Bunraku. Yojiro vit Mygale lui cracher dessus une épaisse toile blanchâtre et l'attirer à lui pour lui sectionner la gorge à coups de mandibules ; le rônin se fit entraîner, mais il avait pointé son sabre en avant, et il éventra le gras abdomen du monstre. Quoiqu'enserré, Yojiro frappa encore et trancha un des quatre bras du monstre. Il sentit le filet de bave solidifiée le prendre à la gorge mais il trancha les mandibules de Mygale, et du jet verdâtre gicla ; Yojiro l'acheva par une décapitation.
De son côté, Yatsume, qui avait emprunté à Avishnar une lance, évita Bunraku qui avait voulu l'écraser dans sa chute. Elle frappa les jambes mécaniques ; Bunraku se rattrapa de peu et abattit son no-daishi (sabre de combat à cheval) mais Yatsume s'était glissée entre ses jambes et l'empala par le dos. Bunraku tomba à la renverse et Yatsume lui trancha la nuque.
Elle et Yojiro se regardèrent, contents et finirent de monter les marches. Ils coururent dans la pyramide, où il n'y avait déjà plus personne dans la chambre de Lotus. Les troupes d'Avishnar détruisaient le village, jetaient les indigènes fous à bas de la falaise et brûlaient les idoles barbares dédiées aux démons.
Yojiro attrapa un des fous, et lui cria de lui dire où était Mamoru. Un Ki-Rin s'approcha et traduisit : l'autre ne savait pas !
Yojiro, furieux, en prit un autre et lui ordonna de parler, avec le sabre sur la gorge.
- Il dit que votre ami a été enfermé dans la cage là-bas, lança le samuraï.
Yojiro haletait... Il alla à la cage et menaça les deux hommes qui s'étaient cachés là-bas, dans un buisson sur la falaise. Ils gesticulèrent comme ils pouvaient et Yojiro comprit : Mamoru, enfermé dans cette cage, avait réussi à la briser et il avait sauté dans le vide !
Terrifié, Yojiro contempla le gouffre et le torrent qui rugissait au fond.
- Il s'est jetée là-dedans, murmura un samuraï.
- Je vais le chercher ! dit Yojiro.
- Quoi ?
- Arrête, c'est de la folie, dit Yatsume.
- C'est bien toi de me dire ça !...

Yojiro prit une corde et s'agrippa au bord pour atteindre la pente escarpée qui menait au torrent.
Yatsume ne put le suivre : les gardes d'Avishnar s'approchaient d'elle et lui ordonnèrent de laisser tomber son arme. Notre héroïne avait déjà oublié sa promesse à son Raja chéri ! On la ligota fermement et on la remonta sur un éléphant.

Les gardes du Raja finissaient de décocher des flèches de feu et durent reculer quand la pyramide en pierre s'embrasa entièrement.

Samurai

Yojiro descendit au torrent, risquant dix fois une chute mortelle. Un espoir insensé le poussait à continuer. Mamoru avait survécu à son séjour chez Akuma... Pouvait-il survivre à une chute pareille ?
Quand le rônin arriva au bord de l'eau, il ne vit aucun corps. Il suivit le courant impétueux, oscillant entre désespoir et courage... Il était incapable de croire que ça pouvait en être fini de son frère d'armes, de leur amitié, de la BEC ! Il descendit pendant presque une heure le long du torrent, dans cette jungle inconnue, très chaude malgré la pluie, avec ses milliers de bêtes qui bruissaient sans cesse. Alors qu'il allait rebrousser chemin, se résigner, il aperçut un corps inerte sur la berge en face. Le rônin, le cœur battant à tout rompre, lança une corde et réussit à l'enrouler autour d'un rocher. Elle était solidement attachée. Yojiro serra les dents et il se lança dans l'eau féroce, serrant la corde à s'en déchirer les paumes. Il avança, étouffé par l'eau, dangereuse comme une horde de bêtes ; il faillit plusieurs fois lâcher prise et partir se fracasser le crâne sur un rocher. C'est après bien des efforts douloureux qu'il atteignit la rive, le souffle court. Il buvait l'air saturé de senteurs moites, entendait les oiseaux crier, le torrent gronder. Il se releva et approcha : c'était Mamoru !
Il ne bougeait pas, il était blessé à la tête.
Yojiro ne voulait pas y croire ; il ne pouvait pas être mort, pas après avoir survécu à l'Outremonde, à Lotus, à sa chute et sa dégringolade dans ce torrent !
Yojiro le secoua, lui jeta de l'eau au visage, cria, affolé. Il réussit à se calmer, écouta le cœur de son ami, et l'entendit battre, le secoua encore. Mamoru entrouvrit un œil, grogna, fut pris d'une quinte de toux, et se mit à vomir de l'eau, par la bouche, par le nez... Yojiro le soutenait comme il pouvait.
- Je vais te sortir de là, mon vieux ! Tiens bon ! Tiens bon !...

Il le chargea sur ses épaules. Il avait tout à remonter... Heureusement, les Ki-Rin, qui avaient admiré son dévouement, avaient envoyé deux de leurs éclaireurs. Ils aidèrent Yojiro à monter un brancard, puis à le soulever pour remonter en haut de la falaise. Une fois en haut, les samuraï quittèrent les ruines brûlantes de la pyramide et du village.
De retour à leur fortin, ils confièrent Mamoru à la même vieille qui s'était occupée de Yatsume. Quant à Yojiro, il se jeta sur sa couche et dormit tout de suite. Avant de chuter dans le monde des rêves, il eut une petite pensée pour Yatsume.
Il sourit en l'imaginant de retour dans le harem. Elle s'y ferait... Elle serait heureuse là-bas, avec son beau Raja...

Samurai

Yojiro dormit une journée d'affilée. A son réveil, le soleil était revenu. Dans les arbres, les oiseaux étaient à la fête. D'abord ébloui, Yojiro se fit peu à peu à la lumière intense. Il baîlla et regarda le décor autour de lui.
Des samuraï fumaient paresseusement avec les aborigènes. D'autres se prélassaient dans des hamacs en regardant les petites indigènes dénudées qui se promenaient sans gêne. La vieille femme faisait des incantations devant Mamoru endormi. On avait l'impression que c'était une autre voix qui sortait de sa gorge, pendant qu'elle répandait de la fumée autour du rônin blessé.
Quand Yojiro approcha, elle sourit, lui prit les mains et parla de Mamoru avec un ton favorable. Le rônin ne comprenait pas ce qu'elle disait mais il devinait.
- Courage, vieux, dit Yojiro, le plus dur est passé. Tu vas te reposer encore un peu et on rentrera chez nous.
Un délicieux fumet sortait d'un pot qui cuisait au centre du fortin. Les indigènes préparaient de la soupe à l'ananas. Une charmante indigène remplissait déjà les écuelles.
- Merci ma mignonne, disaient les samuraï.
Il fallait souffler sur la soupe car elle était brûlante.
- Hé, viens nous rejoindre, camarade...
Yojiro s'assit et prit une écuelle.
- Elle a l'air bonne cette soupe...
- Délicieuse...
Les samuraï mangèrent avec de gros bruits de succion.
- A propos, rônin, dit un officier, la vieille m'a demandé si tu comptais te marier avec une de ses filles...
Interloqué, Yojiro ne porta pas sa cuillère à sa bouche.
- Comment ça ?
- Tu sais, nous, on est tous "mariés" avec une de ces indigènes... Et il en reste pour toi.
Les autres souriaient d'un air entendu. Des femmes passaient, regardaient Yojiro et s'en allaient en riant.
- Tu vois, qu'est-ce que je te disais...
- Écoutez, c'est bien aimable, dit Yojiro, mais je dois rentrer à Rokugan.
- Pour y faire quoi ? Tu n'es pas heureux ici ?
- Je ne sais pas, dit Yojiro, je vous remercie, mais...
Il était gêné.
- Je viens de là-bas...
- Allons, si tu en es parti, c'est que tu n'y étais plus le bienvenu, non ?...
- Vous vous trompez, dit Yojiro, qui rougit de colère et de honte. Je ne suis pas un paria. J'étais en chasse d'un démon...
- Ton démon est parti, nota un autre samuraï.
- Il ne doit pas être loin, dit le rônin.
L'indigène resservit tout le monde.
- Pendant que tu descendais la falaise, nous avons trouvé une glyphe. Notre shugenja nous a dit que c'était un sort de transport. Ce démon peut être à l'autre bout du monde, à l'heure qu'il est.
- Je crois qu'il est plutôt revenu à Rokugan, dit Yojiro. Raison de plus que je retourne les prévenir de ce danger.
- Comme tu voudras... Et excuse-moi si je t'ai pris à rebrousse-poil.
- Je vous en prie...
Yojiro comprenait que ces samuraï étaient vraiment autant gaijin que Rokugani. Ils avaient beaucoup perdu des bonnes manières.
- Et vous, demanda le rônin, vous ne regrettez pas l'Empire ?
- Nous ne l'avons jamais connu.
- Vous servez l'Empereur tout de même ?
- Oui, nous servons le Fils du Ciel, parce que toutes les terres sont à lui. Aussi loin que nous puissions aller, nous sommes sous sa protection.
- Est-ce que vous reviendrez un jour ?
- Nous reviendrons quand nous estimerons que nous servons mieux l'Empereur en étant proche de lui.
- Et lors de vos voyages, vous avez découvert d'autres Empires semblables au nôtre ?
- Semblable, non. D'autres empires oui. Mais des empires de barbares, sans foi ni loi, qui vénèrent des divinités grotesques.
- Nulle part ailleurs il n'y a des hommes comme nous ?
- Non, ils sont très différents. Ils ont la peau très noire... Aucun ne parle notre langue et aucun ne connaît le divin Fils du Ciel. C'est sans doute pour cela qu'ils vivent dans un désert infini... Ils ne peuvent rien connaître de la vie du samuraï et de ce que c'est que de servir les dieux. S'ils ont des villes, des États, ce sont des villes et des États d'hommes parfois francs, mais sans vraiment de notion d'honneur.

Yojiro resta songeur. Ces histoires ne lui donnaient pas envie de voyager. Il se sentit un moment comme le garçon qui écoute les histoires des anciens à la veillée. Seulement, ces histoires ne le faisaient pas rêver. Il imaginait des peuplades frustres, misérables.
Il finit son écuelle et partit faire la sieste. Il passa le reste de la journée à se reposer et le soir il dormit d'une traite. Il fut réveillé tôt par Yatsume.
- Hé, pstt, Yojiro, debout...
- Hmm, encore un peu...
Le rônin ouvrit les deux yeux :
- Yatsume !
C'était bien elle !
- Il faut qu'on parte...
Yojiro faillit tomber de son hamac.
- Mais que fais-tu là ?...
- C'est un peu long à expliquer.
Yojiro vit alors un autre homme des Royaumes d'Ivoire, qui attendait dans la cour du fortin, un grand sabre courbe à la ceinture.
- Et c'est qui, celui-là ?
- Tu ne le reconnais pas ?
Yojiro se frotta les yeux.
- Bon alors, je t'explique en deux mots...

Samurai
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#10
Quelle orgie de texteaime
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