Thread Rating:
  • 0 Vote(s) - 0 Average
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Dossier #16 : Le client de chez Emma
#1
Exil #16

¤


Branche : CULTURE
Rapport Intelligences-Mécaniques : Névée - Sutra - Orgon

A l'intention de : M. Jonson - Comité "Arts et fêtes".


Ecole militaire : dossier Antisthène Phonos.
Etude sur unicellulaire en milieu stérile. Recherche voie de propagation.
Client de chez Emma... comptabilité.

Préparation : plongée.
Rapport Le Tempêtueux : RAS.

Préparation : plongée.
Rapport Le Chevauche-Cyclone : ... **µ¤¤%!!!!!°°))§§§/:: !!!(-$ééùùs******........................................................................................................................................................................


.

.

.


¤


Repères exiléens universels :
SHC : 2
RUS : 6
IEI : 6
ATL : 5
Côte d'alerte : élevée.




DOSSIER #16
Reply
#2
<span style="font-family:Palatino Linotype">
EXIL

Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit

La neige scintille
Le grand froid luit
Gel sur les villes
Mondes sans bruit

Forges et Exil
Tristes jumelles
Où s'enfuit-elle
La vie si belle

Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
<!--sizec--></span><!--/sizec-->
Reply
#3
DOSSIER #16<!--/sizec-->


LE CLIENT DE CHEZ EMMA<!--/sizec-->


SHC 2 - RUS 6 - IEI 6 - ATL 5


- Je croyais que vous faisiez une allergie...
Maréchal ne répondit pas. Il avait trop froid. A cette hauteur, pas assez de fumée d'usine pour avoir chaud.
Morand tenait son chapeau haut-de-forme, qui s'était envolé au coin de la rue.
- Notez, ajouta le Scientiste, que je suis fier de pouvoir visiter ce lieu d'excellence.
Les bâtiments de l'école militaire se dressaient, charmants comme une potence aux yeux de Maréchal, derrière le grand mur d'enceinte, gardé par des plantons immobiles dans le vent.
Maréchal avançait tête baissée.
- Lieu d'excellence... Tu parles ! Une usine à formater les esprits, oui... Lobotomie de groupe !
Maréchal décida que c'en était trop. Il dévia de sa route pour entrer dans une brasserie.
- Un demi.
- Croyez-vous que ce soit le moment ? demanda Morand.
- Regardez, détective...
Il montra la bouteille de bière Maréchal qu'on venait de lui servir :
- Voilà une bière patriote, détective. Buvez pour la Cité !
Le Scientiste commanda une menthe à l'eau.
- J'ignorais que vous aviez de la famille dans les spiritueux.
- Uniquement la bière, détective. La famille Maréchal sait où il faut investir.
L'inspecteur but à la santé de son cousin Gérald.
Il y avait beaucoup de monde. La présence de Morand créait toutefois un vide sanitaire autour des policiers.
- Je sais bien que Faivre est venu hier, expliqua l'inspecteur, mais pour rencontrer les dirigeants de l'Ecole, il faut être soi-même gradé... Et encore, nous n'avons rendez-vous qu'avec le directeur-adjoint.
- C'est déjà un grand honneur.
- Non, c'est le problème de ces galonnés : c'est qu'ils croient qu'il y a des grades et des breloques partout comme chez eux. Ils doivent s'imaginer que parce que je fais office de commissaire, je suis une sorte d'amiral trois étoiles... Ce qui me ferait mal.
- Je ne comprends pas votre rancÅ“ur vis-à-vis de nos troupes, qui ont conquis en Autrelles...
- Laissez-moi rire...
Maréchal avait vu ce que c'était, l'armée exiléenne !

Ils se présentèrent à l'entrée.
La veille, Faivre avait pu visiter les lieux, obtenir une photo d'Antisthène Phonos. Ce n'était pas assez. Maréchal sut à ce moment qu'il devrait faire le déplacement.
Ils passèrent dans les couloirs aux murs ornés de médailles, d'armes et de tableaux d'officiers. Morand était impressionné. Maréchal passait le plus vite possible.
Ils furent reçus par le colonel Kotentin.
- On ne peut certes pas dire que le 2e classe Antisthène Phonos ait fait honneur à notre école.
- Pour quelle raison a-t-il été renvoyé finalement ?
- Pour plusieurs raisons, inspecteur. Pour son indiscipline, pour ses bagarres, pour ses négligences...
- Était-il content de partir ?
- Je dirais que oui.
Maréchal s'était fait apporter le dossier d'Antisthène.
- Puis-je vous demander pourquoi la police s'intéresse à lui ?
- Oh, pour son propre bien, dit Maréchal, les yeux dans le dossier. Pour le protéger, avant tout.
- Je ne crois pas qu'il ait pu bien tourner, dit le colonel. Il a un esprit d'aventurier, de voyou...
- Il avait des camarades ici ?
- Disons qu'il avait entraîné une fois un camarade à faire le mur avec lui, ainsi que quelques autres accrocs à la discipline. Le caporal Valakotsky. Qui a repris le droit chemin une fois Phonos parti.

Maréchal regardait les quelques chromatos de ce Phonos. Pouvait-il bien être Antiphon, le Prince Paon ?
Il reposa le dossier, remercia le colonel.
- Nous allons essayer de retrouver le caporal Valakotsky. Savez-vous où il se trouve ?
- Demandez à ma secrétaire, elle le retrouvera.
Ils passèrent la voir. Elle ressemblait à Clarine. Une Clarine qui n'aurait pas encore été mise en contact avec des fonctionnaires de SÛRETÉ.
- Si Clarine ne veut pas de Faivre, nous suggérons à l'inspecteur de venir tenter sa chance avec elle.
- Voilà que vous jouez les entremetteurs à présent...
Maréchal secoua la tête : aucun humour, ces Scientistes. Déjà, à l'époque, Herbert n'appréciait pas ses plaisanteries.
Ils avaient la garnison de Valakotsky : il était en poste sur une île septentrionale. Il faudrait des semaines avant de le faire revenir.

Maréchal entra dans la même brasserie. Il but encore deux bières, au grand dam de Morand.
- Comment pouvez-vous apprécier tout cet alcool ?
Le Scientiste avait une eau gazeuse, vraiment pour faire plaisir, parce qu'il trouvait absurde de s'arrêter ainsi pour boire.
Maréchal consulta son carnet :
- Nous continuons dans le beau linge, détective. Nous allons voir les Phonos.

C'était à deux pas du quartier de Leclos-Villers, un ghetto pour aristocrates richissimes. Un domestique astiquait les roues de la voiture de famille. Les chevaux remuaient dans leur box.
Le père Phonos rappela vivement à Maréchal feu le comte de Whispermoor. Un homme opposé à la modernité, détestant l'agitation, la vie bruissante de la Cité. Un idéaliste à sa façon.
Il vivait dans un environnement sombre, dans un bâtiment aux formes dures et torturées comme les aiment les Obre-Ignisses.
Maréchal s'assit dans un fauteuil bien moelleux, tandis que leur hôte était sur une chaise dure. Morand, très respectueux, restait le dos bien droit, tandis que Maréchal aurait bien fait une petite sieste. Il ne refusa pas un bon cigare et une petite liqueur qui vous mettait le feu aux joues.
- Mon fils...
Le vieux Lothar Phonos avait de la peine à commencer. Il prononçait des mots pratiquement enterrés.
- Mon fils n'a jamais été l'honneur de cette maison.
- J'ai entendu la même chose à l'Ecole militaire.
- Mon fils n'a jamais supporté la discipline. Il était rebelle, indiscipliné... Je crains de ne pouvoir vous aider, car je ne l'ai pas vu depuis sept ans.
- Depuis son renvoi de l'armée ?
- Oui... Croyez bien que j'ai fait ce que j'ai pu pour l'éduquer. J'ai pris des mesures très dures.
- D'où lui vient cette aversion pour l'ordre ?
- Je ne sais pas, inspecteur... En fait, j'ai bien peur de comprendre. Je crois que mon fils était fou.
Il n'était pas fier de prononcer ces mots.
- Fou ? Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire ce que je veux dire... Ne faut-il pas être fou pour détester ainsi sa famille ?... Oh, je sais bien que les jeunes gens ont besoin de jeter leur gourme, de faire la bringue. Mais cela n'a qu'un temps... Pas avec Antisthène.
Il était pressé de voir les policiers s'en aller.
Maréchal écrasa son mégot de cigare.
- Pourrions-voir sa mère ? Peut-être qu'elle...
Le père Phonos le coupa :
- Si vous voulez.
Il agita sa clochette. Le domestique entra :
- Allez chercher ma femme, voulez-vous ? Ces messieurs désirent s'entretenir avec elle.
Lothar Phonos meubla la conversation comme il put :
- Dans quel régiment étiez-vous ?
- 34e régiment, dit Maréchal.
- Il était important de montrer à ces orgueilleux Autrellois qui est le maître. Nous sommes encore bien généreux de leur accorder des dédommagements de guerre... Il y a encore trente ans, nous n'aurions pas eu à nous excuser de venir les soumettre.
Le domestique rouvrit la porte : la mère d'Antisthène entra. Son mari fit les présentations et dit qu'il avait du travail.
Elle ne s'assit pas sur la chaise de son mari. Elle en prit une autre. Elle était très digne, comme une veuve.
- Vous savez je pense le but de notre visite, madame, dit Maréchal.
- Oui... Notre fils.
- C'est cela.
Autant Maréchal avait eu instinctivement l'envie de "rentrer" dans le père, autant la mère lui inspirait des sentiments plus respectueux.
- Votre mari nous a dit ce qu'il savait, c'est à dire peu de choses. Néanmoins, je me suis dit que souvent, les mères sont plus proches de leur fils...
Elle eut un sourire triste. Elle ne nia pas.
- Comment votre mari a-t-il élevé votre fils ?
- S'il vous l'a dit, je pense qu'il ne vous a pas menti. Mon mari l'a élevé dans les règles. Il avait la main lourde, oh ça oui...
- Madame, je dois vous poser la question directement, parce que c'est mon métier. Avez-vous gardé contact avec votre fils ?
Elle hésita, ce qui était déjà une réponse. Elle le savait.
- Oui...
- Vous l'avez aidé ?
- Je lui ai trouvé une place comme marin... Il m'a dit que tel était son rêve... Voyager... Alors pourquoi pas.
- Le nom du navire ?
- Le Chevauche-Cyclone. Ce navire, inspecteur, a coulé peu après... C'était il y a cinq ans.
Elle était assez forte pour ne pas pleurer. Elle était devenue terne, grise, dans cette maison sombre, inhospitalière.
- Votre fils a-t-il survécu ?
- Oui... Vous le saviez ?
- Qu'est devenu votre fils ?
- Je ne sais pas bien...
- Madame, a-t-il fait partie d'une secte ?
- Je ne comprends pas...
- Une secte, précisa Morand, dont le gourou a été condamné pour atteinte à la pudeur...
Etait-ce la voix sans amabilité du détective ? L'idée de son fils complice d'un pédophile ? Elle sortit un mouchoir.
- Oui, dit-elle en écrasant une larme. Il n'a pas dû rester longtemps chez ces gens horribles, car ce pervers a été emprisonné quelques mois après que le navire a coulé... Il n'a pas dû s'écouler plus de cinq mois.
- Je m'excuse encore, madame, mais je ne comprends pas bien la rébellion de votre fils. Tout de même, les chiens ne font pas des chats... Pourquoi rejetait-il autant sa famille ?
- Il voulait être artiste, voyageur, explorateur, que sais-je... Que des rêves inconsistants, des situations impossibles... Mon mari lui disait : soldat, tu seras tout cela. Mais il ne supportait pas la discipline. Mon mari était effrayé par cette anarchie en lui. Il a décidé de briser ces espoirs délirants...
- Votre mari croyait son fils fou...
- Oui, et mon mari ne croit pas du tout à la médecine, sinon aux chirurgiens, et encore...
- Ce qui est bien dommage, intervint Morand le psychologue, car des progrès ces derniers temps...
Maréchal lui fit signe de se taire.

Elle sourit devant l'enthousiasme du Scientiste. Elle devenait plus vive, s'animait. Cela ne devait pas arriver souvent.
- Et vous, dit Maréchal en souriant, vous êtes allée voir un médecin ?
- Oui, dit-elle avec un début de sourire qu'elle dut regretter. J'ai consulté un spécialiste, un psychiatre...
- Vous avez son nom ?
C'était à tout hasard, pour demander un jour à Heims ce qu'il en pensait.

Et elle ! Quelle masse de vie elle avait dû enfouir pour se plier à son mari !
Il fallait que ce soit la police qui vienne s'intéresser à elle !
- Que vous a dit ce médecin ?
- Il n'a pu étudier directement mon fils. Cependant, avec ce que je lui ai dit, il m'a dit qu'il pensait à une schizophrénie. Je n'ai pas retenu les termes exacts. J'ai au moins compris que pour se protéger de son père, de la discipline des Obre-Ignisses, tout en essayant de les respecter, mon fils s'est créé une deuxième personnalité. Cela n'a pu durer longtemps. Il a fini par... par "craquer", vous voyez... On ne peut être deux personnes.
- Naturellement.
Maréchal disait cela par politesse. Parce que des gens menant une double vie, il en connaissait suffisamment pour écrire un annuaire !
- Pourrions-nous visiter sa chambre ?
- Si vous le désirez. Le domestique va vous mener.

La chambre était celle d'un étudiant. Des rayons de livres bien serrés. Rien n'avait dû changer depuis le départ d'Antisthène, il y a plus de sept ans. La mère était montée aussi.
- Il faudra que je vous montre des cartes postales...
- Il vous a écrit ?
- Oui, un peu au début... Son père n'est pas au courant.
- Je veux bien voir ces cartes. Je dirais même que je vais devoir vous les prendre...
- Nous allons vous en faire un carton.
Le domestique comprit l'ordre. Il sortit de la pièce. Maréchal fureta dans les rayons. Des classiques de la littérature lunaire. Morand regardait avec lui : ils ne voyaient rien d'intéressant. Maréchal eut l'idée de regarder dans les livres pour enfants, en bas.
- Bingo !
Il sortit un petit volume de contes : Le prince des paons.
Maréchal le parcourut : l'exemple d'un vilain oiseau, moqué par tous, qui reçoit la faveur d'une déesse et qui, paré de ses plumes, devient le plus merveilleux des princes des cieux... Les illustrations avaient quelque chose de fascinant, dans le regard flamboyant du paon, le détail de ses plumes, tous ces yeux... Maréchal imaginait facilement le jeune Antisthène regardant pendant des heures, chaque jour, les images.
- A quoi tient le sentiment du destin...

Maréchal mit le livre dans sa poche. Le domestique revenait avec les cartes postales. La mère était montée à sa chambre. Morand prit les cartes. Il les lut en vitesse.
- Regardez, inspecteur, celle-ci est datée de 207...
- Il y a trois ans ? Madame Phonos s'est bien gardée de nous que son fils avait écrit si récemment... Qui sait si elle n'en garde d'autres plus récentes.
Comme il restait le domestique, Maréchal lui posa des questions :
- Et vous ? Que pensez-vous de ce fils rebelle ?
- Ma foi, ce n'était pas un méchant garçon, mais il était tout ce que son père ne voulait... Madame était plus compréhensive. Elle ne manquait pourtant pas d'être horrifiée parfois par ses idées.
- Vous savez ce qui a pu provoquer cette rage chez le fils ? Vous le croyez fou ?
- Fou, je ne pense pas. Pas fait pour les Obre-Ignisses, ça oui. Il aurait fallu le laisser être ce qu'il voulait. Pas question de ça ici, dit-il à voix basse, en désignant du menton l'étage d'au-dessus, les chambres des parents.
- Et entre nous, il vient de temps en temps rôder dans le coin... Pauvre garçon. Son père ne veut pas le savoir...
- Quand est-il venu la dernière fois ?
- Il n'y a pas deux semaines.
L'inspecteur sortit sa carte :
- Vous m'appelez si vous le voyez traîner, hein... Discrétion assurée.
- D'accord.

C'est Morand qui dut porter la boîte de cartes postales.
- Vous rendez-vous compte, inspecteur, de la tragédie qui frappe cette famille ?
Maréchal approuva, distrait. Les bières, l'alcool du père Phonos, lui montaient à la tête.
- Vous rentrez à la maison, dit l'inspecteur. Je monte aux Célestes.

Le Scientiste partit au tramway avec son carton sous le bras. Maréchal s'arrêta pour une bière.


¤


Le gardien ouvrit la porte de la cellule de Mélian.
Faivre entra et posa ses affaires sur la table. Le prévenu avait la tête dans ses cheveux broussailleux. A peine s'il osait encore regarder les gens en face.
- La police s'intéresse encore à moi ?
- Nous continuons l'enquête, oui, dit Faivre.
L'inspecteur essayait de ne pas trop montrer sa compassion envers Mélian. Il venait comme policier et comme médecin, double raison de rester professionnel et détaché.
- Je vais avoir besoin d'une prise de sang... Relevez votre manche.
- Si cela peut suffire à prouver mon innocence.
- Peut-être pas...
- Vous y croyez encore, vous inspecteur ?
Faivre ne répondit pas. Il nettoyait le bras de Mélian et vérifiait sa seringue.
- Serrez le poing, voilà...
Il passa un coton à l'alcool et mit un pansement.
- Vous savez, même si je sortais demain, ma vie serait détruite... Qui peut se remettre d'une accusation de deux meurtres ?
- TRIBUNAL fait son travail, monsieur Mélian. Nous aussi nous sommes sur une piste... Déboutonnez votre chemise, je vais vous ausculter. Consultation sans frais, rassurez-vous.
Faivre prit sa tension, écouta sa respiration.
- Je vais faire de mon mieux pour vous aider, Mélian. Je vous demande un peu de patience.
- La patience, c'est tout ce qui me reste ici...
Faivre rangea son matériel.
- Je vous donnerai des nouvelles bientôt.

Si Mélian avait eu idée de l'ampleur que prenait l'enquête... Un lien était fait entre Antiphon et les Obre-Ignisses. De son côté, Turov contactait ses amis de DOUANE pour obtenir de plonger dans les épaves des deux navires de la corpole.
Faivre passa au quai des Oiseleurs pour examiner ses prélèvements de sang. Déjà, un examen superficiel de Mélian n'avait rien révélé de morbide. L'inspecteur mit son échantillon à la centrifugeuse, à côté d'un échantillon de son propre sang. Morand lui avait apporté le mélange des Scientistes pour détecter les unicellulaires.

Turov entrait à ce moment dans le Quai et allait à la Brigade des Rues. Il se présenta à un détective qui l'accueillit sans aucune amabilité. Il mâchouillait un cure-dents.
- Hé, inspecteur ! lança-t-il à Lanvin, encore une invasion de chez Maréchal.
- Un jour, dit Lanvin en s'approchant, je te jure qu'on va coffrer toute cette brigade de tire-au-cul. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Turov n'était pas encore habitué à l'humour particulier de l'Urbaine. C'était assez proche de l'humour marin, de l'humour docker et de l'humour char d'assaut.
- Je viens voir les anars qu'on a chopé à Rotor 32.
- Suis-moi.
Les Pandores en avaient attrapé deux. Ils passaient chacun un interrogatoire dans un bureau très serré. Turov entra dans le premier bureau.
Un jeune homme blond, assez mince mais musclé, était entouré de trois détectives.
- Je vous ai dis ce que je savais...
- Nous on veut parler à tes camarades...
- Pour la balance, vous vous trompez d'homme...
- Ton copain à côté a l'air mieux disposé à nous parler.
- Arrêtez avec vos vieilles ficelles... J'ai lu plusieurs manuels de criminologies, je connais vos techniques...
- Monsieur est un intellectuel. Mais tu vas parler, comme les autres.
L'imposant Turov entra à ce moment. L'anarchiste eut un tremblement en le voyant.
- Je viens te poser quelques questions...
- Sans blague. Et pour me derrouiller la gueule aussi ?
- Ça c'est une option...
- Je peux avoir une cigarette ?
- D'abord tu réponds, dit Lanvin.
Turov sortit une copie du chromato d'Antisthène à l'école militaire.
- Tu le connais ?
- Je ne fréquente pas les militaires, désolé.
- Antiphon...
- Lui c'est un sacré ravagé, dit le jeune homme. A côté, on passerait pour des modérés.
- Tu le reconnais sur ce chromato ?
- Oui, ça pourrait bien être lui, mais il y a quelques années...
- Cette repro date d'il y a sept ans.
- Alors oui, ça peut être lui.
Enfin une personne reconnaissant Antisthène comme Antiphon. Il en restait à interroger, comme les gens du théâtre où Antiphon avait eu son spectacle, et dans les maisons closes qu'il fréquentait.

- Parle-moi de lui, dit Turov.
- C'est lui qui nous a conseillé de venir nous établir à Rotor 32.
- Pourquoi il vous fréquentait ?
- J'imagine parce qu'il partageait nos idées...
- Il faisait quoi dans l'immeuble à côté de votre terrain vague ?
- Aucune idée. C'était pas nos affaires.
- Il vous demandait quoi en échange de la planque à Rotor 32 ?
- Rien... On fonctionne pas comme ça, nous. Et on connaissait rien à ce qu'il faisait en dehors... Chaque camarade mène sa barque comme il l'entend.
- Je vais retrouver tous les gens de ton réseau... On les arrêtera, on les fera parler...
Turov perdait patience.
- Bon courage...
Il reçut une claque d'un détective :
- Dis, tu te moques de qui, là ?
Turov sortit. Ce n'était pas gagné. Si retrouver Antiphon passait par le démantèlement de tous les groupes subversifs de la Cité, cela prendrait des mois. Des années.

Faivre et Turov se retrouvèrent dans la cour. Ils se mirent au courant de leur journée.
- Avant de monter ici, raconta Turov, j'ai voulu examiner soigneusement les combinaisons étanches... Je voulais faire de "l'ingénierisme rétroactif", comme on dit. Je n'ai rien trouvé. Le modèle ne porte pas de signes reconnaissables, le tissu, la coupe, tout est standardisé. Par contre, j'ai interrogé un des anars, qui a reconnu Antiphon sur le chromato de l'école militaire.
- Je suis certain qu'on tient une piste avec les Obre-Ignisses, dit Faivre. Moi j'ai fait des examens de sang... Mélian a le sang infecté par les unicellulaires. En quantité bien moindre que les deux femmes...
- Il y aurait un lien entre ces cellules et Antiphon ?
- Ceux qui s'approchent d'Antiphon, qui sont victimes de ses illusions, semblent infectés par ces unicellulaires. Voilà tout ce que je peux dire pour le moment... Je vais continuer les examens ce soir.
Ils entrèrent dans un café, d'où Faivre appela Morand :
- Nous avons du travail ce soir, détective. Je vais avoir besoin de vous.
Il manquait peut-être de vitamines, le Scientiste, mais pas de compétences. Faivre devait compter sur lui.


Reply
#4
Raaah c'est bonbave
Reply
#5
DOSSIER #16<!--sizec--><!--/sizec-->

Faivre et Morand travaillèrent une partie de la nuit. L'inspecteur mit en milieu stérile deux prises de sang : celle de Mélian, infectée par les unicellulaires, et une de lui, saine. Il voulait voir s'il y aurait contamination de la seconde par la première.

L'inspecteur appela ensuite un ami à lui, détective privé de son état, Augustin Mechkine.
- On est en pleine nuit...
Il n'avait pas l'air de dormir.
- Je ne te dérange pas au moins ? demanda Faivre, qui savait bien que si.
Il devinait Mechkine allumant la lumière, s'asseyant dans son lit, allumant une cigarette. Et une voix enjôleuse de femme lascive.
- Tu es le fossoyeur de mes nuits d'amour, Gustave...
- J'ai un service à te demander...
- Ça va te coûter cher, Gus.
- Ecoute, j'ai besoin de toi pour surveiller des gens. Je vais te donner leur adresse. Les Phonos. Je vais t'expliquer...
- Tu as idée de mes tarifs horaires ?
- J'ai surtout besoin que tu sois discret et que tu me rapportes tout ce que tu peux trouver sur cette famille...
- Je suis censé trouver quoi ? Un cadavre dans le placard ? Dans la poubelle ?
- Un fils disparu qui rôde, par exemple.
Faivre dit le peu qu'il savait. Il entendait Mechkine griffonner, sa compagne sortir du lit, sûrement très mécontente.
- C'est tout ?
- Je te laisse continuer ta nuit.
Le détective grommela quelques mots et raccrocha.
Faivre dit à Morand qu'ils avaient bien travaillé. Et l'inspecteur alla finir la nuit chez la prostituée qu'il protégeait plus ou moins, Sélène. Ils passèrent des heures dans les vapeurs d'opium.


¤


Maréchal était passé en fin de journée aux Célestes, au théâtre où Antiphon avait eu son numéro de magie.
- Comment l'avez-vous recruté ? demanda-t-il au directeur.
- Ma foi, à l'ancienne... Il est venu un jour me montrer ses tours, il y a six mois. Je les ai trouvés intéressants, j'ai dit oui.
- Vous ne savez pas d'où il sortait ?
- Ma foi, s'il fallait aller fouiller le passé de ces gens... Je préfère me contenter de jauger leur talent.
Maréchal était rentré sans s'attarder. Il lisait au lit le Livre des mille étoiles d'un oeil distrait. A ses côtés, Nelly lisait aussi, des catalogues d'objets d'art. Maréchal n'aimait pas trop ces lectures, derrière lesquelles il soupçonnait des intentions malhonnêtes.
- Tu as entendu parler de Penthésilée depuis la fin de la guerre ? répliquait Nelly. Non ? Alors bon...
- Sache juste que ces bibelots de luxe ne sont pas dans mon budget.
- Pfff...
Ce n'était pas avec un fonctionnaire de SÛRETÉ qu'elle allait mener la vie de château !
Maréchal s'endormit sur sa page. Il ouvrit l'oeil, au bar d'Emma, au moment où celle-ci lui servait une bière. Il se frotta les yeux.
Il n'était pas "revenu" ici depuis avant-guerre.
- La bière du vétéran ! disait la patronne. Offerte par la maison.
- C'est bien aimable, dit Maréchal, le temps de trouver une contenance...
Le pianiste était à sa place, avec sa voix rauque et ses accords nocturnes hargneux. Une fille se déshabillait sans entrain sur scène. Les clients discutaient à voix basse, jouaient aux cartes, aux fléchettes.
- Ça n'a pas trop changé par ici, dit Maréchal.
Il se frottait les yeux, il se sentait bien.
- On est toujours le plus classe des claques miteux, dit Emma en crachant sur le comptoir avant de l'essuyer au torchon. C'est ça que la clientèle cherche. Ils veulent du rêve crasseux, toujours plus charmant que leur vie de bureau... Le client, il veut voir qu'il y a plus sale que son quotidien.
Maréchal sourit et reprit un verre.
Le rendez-vous des insomniaques était bien le débit de boissons le plus insolite et le plus "fermé" de la Cité. N'y accédait pas qui voulait, et on n'y arrivait pas toujours volontairement ! Les gens avaient les traits tirés. Ils étaient mieux à s'ennuyer devant un verre qu'à se battre dans leur lit pour trouver un sommeil fuyant. Un client arrivait avec son journal, s'asseyait sur le tabouret tout à gauche du zinc.
- Lève ton cul de là ! lança Emma.
Le type releva la tête, étonné.
- C'est interdit de s'asseoir sur ce tabouret, fit Emma, catégorique.
- Ah tiens et pourquoi ?...
Emma baissa les yeux. Elle alluma une cigarette.
- C'est une longue histoire...
Les gens relevèrent la tête. Certains s'approchèrent du comptoir. La fille qui se déshabillait s'appuya sur le piano et le pianiste mit une sourdine.
- Pendant la guerre, j'ai eu un déserteur, racontait Emma à la cantonade. Oui, messieurs-dames, un vrai de vrai... Il était revenu du front blessé. Hôpital. On lui a dit qu'il était bon pour le service. Il n'a pas voulu y retourner. Il a fait le mur, il a fini ici. Il avait ses bandages sur la tête. Il était à bout le pauvre... Il disait qu'il allait se faire prendre, inévitablement. Il a dit qu'il avait entendu parler de chez Emma. Il arrive, me raconte son histoire... "Pour ton dernier soir, t'aurais pu aller aux putes, non ?" je lui dis... Il me dit "C'est mieux que le bobinard ici, Emma..." Croyez-moi ou pas les enfants, j'en ai eu les larmes aux yeux. Pourtant j'en ai vu passer des poètes de mes deux, des versificateurs à trois velles, des tâcherons du lyrisme, des ivrognes de la Muse -qui m'écrivaient quelques lignes... "Oh ma jolie Emma, tu es si belle, tu es la déesse du comptoir, l'inspiratrice de mes nuits", mon cul sur la commode je sais pas quoi. Hé bien pas un de ces lourdauds n'a réussi à m'émouvoir comme le déserteur...
"Il est resté jusqu'à l'aube, et là, il est parti, tout triste. C'était un vilain matin. Ça m'a brisé le coeur, je vous le dis, comme le jour où j'ai perdu mon gosse... Il est parti, il doit être collé au poteau, fumiers de galonnés... Il était assis sur ce tabouret, donc depuis, c'est sacré ! Ordre de la patronne... Plus personne ne s'assoit dessus, non, c'est le tabouret du déserteur.

Petits applaudissements.
Difficile de savoir si c'était un conte ou pas. Le pianiste reprit ses ballades de paumés nocturnes. La fille avait les larmes aux yeux :
- Je voudrais dédier cette danse au déserteur, dit-elle, un sanglot dans la gorge.
- Alors mets-y de la passion ! dit Emma. Tu veux pas que je le fasse pour toi... Qui voudrait voir mes roberts, non mais sans blague tiens !
Deux clients sifflèrent d'admiration.
- Vous êtes mignons, dit Emma en regardant le reste de la salle.
- Et vous avez vu de nouvelles têtes par ici ?
Maréchal se sentait bien.
- Oui, on a un petit monsieur qui vient de temps en temps... Il a une tête de célibataire. Renfrogné... Il a l'air de se plaire, il ne fait pas d'histoire.
Les clochettes de la porte tintinnabulaient.
- C'est lui, souffla Emma.
Un petit monsieur en complet noir, avec des lunettes étroites, un chapeau ramolli. Il portait un gros cartable en cuir. Une allure de petit professeur de maths.
- Il est comptable, dit Emma.
L'homme s'asseyait à une table, dans un coin. Il adressait un petit sourire timide à la danseuse qui remuait des seins dans sa direction.
Maréchal finit sa bière. Il alla s'asseoir à sa table.
- Bonsoir...
L'homme était surpris, intimidé de cette intrusion dans son territoire. Il était sur le point de sortir une liasse de son cartable.
- Maréchal... Je suis un habitué des lieux. C'est ma première fois depuis la guerre.
- Bonsoir, dit le petit homme en avalant une pastille. Continus... Alphonse-François Continus, comptable.
- Vous venez depuis longtemps ?
- Oh, ce n'est que ma troisième fois. L'endroit est agréable oui... Je dors mal, comme tout le monde ici, hein...
Il souriait, toussotait.
- C'est très gênant, car il m'est arrivé de somnoler au travail. J'ai pris du retard, cela va m'attirer des remarques, car je m'efforce d'être méticuleux, habituellement.
- Vos nuits sont plus intéressantes que vos jours...
Il posait la liasse sur la table. Maréchal regarda : des tableaux de chiffres, des graphiques.
- Vous amenez votre travail ?
- Il le faut bien. Je ne vais pas rester à rien faire alors j'ai ces heures que je suis bien obligé de mettre à profit. Au delà de l'aspect strictement financier, il y a l'ordre, la régularité des chiffres, qui ont entre eux une harmonie secrète...
- Chacun ses vices, dit Maréchal avec le geste de dire "très peu pour moi".
L'inspecteur retourna discuter au comptoir.
- Il est joyeux comme la mort, dit-il, sans se préoccuper d'être entendu ou pas de l’intéressé.
Maréchal se tourna dans son lit. Nelly dormait profondément. Il était vaguement morose d'avoir rencontré ce Continus, mais content d'être revenu dans le bistrot de ses rêves.


¤

- Un petit café, Clarine...
Faivre émergeait à peine des vapeurs opiacées qui avaient enrobé sa nuit.
- Inspecteur, dit Clarine, je vous ferai un café jusqu'à la fin des temps.
Faivre se pinça : opium ou réalité ?
- Merci, merci Clarine...
Il se ressaisit :
- Ne croyez-vous pas, chère Clarine, qu'il serait temps que notre relation évolue ?
- Que ce soit vous qui me fassiez mon café, par exemple ?
- Oh, vous êtes bien audacieuse, là... Je suis sûr que cela cache vos sentiments profonds... Laissez-les s'exprimer, timide Clarine...
- Vous avez du courrier. Je l'ai mis sur votre bureau.
Faivre soupira bien fort, comme un éconduit.
Il prit les lettres : toujours pas de nouvelle de sa demande de réaffectation à la Brigade Urbaine.

Maréchal entrait :
- Réunion dans mon bureau.

Clarine refit du café pour tout le monde. Quand elle entra dans le bureau déjà enfumé, Faivre parlait haut et fort :
- Je suis révolté, inspecteur, révolté par ce qui arrive à Mélian ! Je n'accepte pas le sort qu'on lui réserve ! Il est innocent et on prépare déjà sa corde !
Maréchal, vaguement las, l'écoutait, les mains croisées sur le ventre.
- Je suis bien d'accord, bien d'accord...
- Il est de notre devoir, j'insiste, de notre devoir de trouver le vrai coupable. Enfin, inspecteur, vous rendez-vous compte de l'injustice qu'il, qu'il...
- L'enquête continue, Faivre.
Clarine posa le plateau et sortit.
- Reste qu'il a tué, dit Maréchal à mi-voix. Je ne crois pas trop à un adoucissement de la peine...
Faivre ne pouvait rien y redire. Il déplaça sa rage sur Morand :
- Et vous, vous faites quoi ? Vous deviez mettre au travail vos amis sur les analyses de sang ! Vous êtes de la police maintenant ! Remuez-vous, merde !
Morand voulut répondre, mais Maréchal lui fit signe qu'il valait mieux ne rien répondre. Faivre se leva et sortit. Il alla sur les quais fumer une cigarette.
- Laissez passer la tempête, dit Maréchal au détective.

Turov n'avait rien dit.
- Vous êtes prêt ? demanda l'inspecteur.
- Oui, nous appareillons ce soir, dit le marin.
- J'ai des tas de dossiers à traiter ici. Ils ont la ligne sur le navire ? Vous m'appelez ou vous envoyez un télégraphe, n'est-ce pas ?
- Bien sûr.
Faivre remontait.
- Il faut qu'on y aille, dit Turov.
- Je prends mes affaires pour la nuit et on y va, grogna l'inspecteur.

Les deux hommes partaient retrouver les épaves des navires Obre-Ignisses. Ils embarquaient, grâce aux relations de Turov, sur un navire de pêche.
- Pas d'imprudence, hein, dit Maréchal. Si c'est trop dangereux, s'il y a des courants, ne vous obstinez pas...
- Je connais la manœuvre, dit Turov. Ne vous en faites pas. S'il y a quelque chose à trouver dans ces carcasses, je vous le remonterai.

Clarine appelait la compagnie de ballon-taxi Corben.
- Pour la Vague Noire, oui... Merci.
Les policiers attendirent sur le quai.
- Amusez-vous bien, dit Maréchal quand on vit apparaître le taxi.
- Ce sera bon de remettre les pieds sur un rafiot, sourit Turov, son balluchon sur l'épaule.
Maréchal ne répondit rien. Il n'aimait pas la mer, détestait naviguer et ne supportait pas les marins.
- Tenez, dit Clarine à Faivre, voici des pastilles contre le mal de mer...
- Vous êtes un ange, ma petite.
- Tout le monde à bord, décollage imminent, cria le pilote, avec ce ton habituel des fous volants qui ne savent plus parler que comme s'ils étaient en permanence dans le ciel.
L'engin décolla vers des nuages incertains.
Clarine rentra la première, frissonnant dans son manteau qu'elle avait juste posé sur ses épaules.
Maréchal alla manger un bout chez Gronski. Il resta dans ses pensées, sans lever le nez de son assiette. Le patron n'osa pas l'interrompre.
Il rentra, impatient, sans savoir de quoi et se mit à son bureau. Morand arrivait avec une caisse de livres.
- Je suis passé à la Fondation, dit-il. J'ai pris de la lecture...
Maréchal se demanda brièvement ce que c'était que cette Fondation scientiste. La Fondation des Joyeux Tortionnaires ?...
Morand ouvrit la caisse et sortit quelques volumes : des ouvrages d'occultisme. L'inspecteur y jeta un oeil distrait. Il en prit un au hasard, se fiant à son intuition, ou à sa bonne étoile.
- Les chroniques de la Cité cachée...
Il se gratta la tête, en se demandant si les contribuables seraient heureux d'apprendre qu'ils payent des fonctionnaires à lire des élucubrations pour concierges.
- Je le prends, je vais le lire si je ne m'endors pas avant...
Maréchal se cala dans son siège, les pieds sur le bureau. Il avait les paupières lourdes. Il sentait un délicieux endormissement l'engourdir. Il réussit à lire quelques pages, d'un oeil. "Je sens en moi les mille créatures microscopiques qui m'envahissent et s'agglomèrent peu à peu... Bientôt je rejoindrai la Cité cachée..."
Il se réveilla une heure après, et sortit dans le couloir en baîllant. Morand était à son bureau, comme un écolier modèle. Il rédigeait ses derniers rapports.
- Dites, ce n'était pas inintéressant... Je doute que l'enquête avance grâce à cela, mais qui sait ?...
- Il y a la suite si vous voulez.
L'inspecteur prit l'autre livre, en mauvais papier de champignon. Nouvelles chroniques de la Cité cachée. Maréchal se gratta la nuque.
- Je prends...
Il était mieux dans son bureau douillettement chauffé que ses deux collaborateurs, ballottés sur le gros navire de pêche !
Il mit la radio en sourdine pour avoir la météo marine, diffusée chaque début d'heure. Il parcourut le second volume, moins intéressant. Il baîlla, se dit qu'il avait assez perdu son temps. Il fit défiler les pages, énervé par cette sous-littérature. Il passa les pages jusqu'au troisième de couverture, sur lequel quelques mots au crayon avaient été dessinés. Maréchal se rassit d'un coup, relut. Le mot disait : "Penser à demander informations à Alphonse-François Continus. Poste IM 193-87-272."
Continus, le nom du comptable de chez Emma ! Il sortit demander à Clarine de contacter le poste indiqué.
- Trouvez avant de quoi il s'agit, dit-il, très agité ; l'indicatif 193 indique un poste de VOIRIE...
- Je cherche sur l'annuaire.
Maréchal dit à Morand de venir :
- Vous avez eu le nez creux, détective. Je ne sais pas où va nous mener cette coïncidence. C'est peut-être nous qui allons ferrer le gros poisson...
Clarine dit qu'elle avait localisé le poste de Continus.
- Passez-le moi...
- Le poste est occupé depuis tout à l'heure.
- Il a un terminal chromato ?
- Oui...
- Donnez-moi l'adresse, je vais lui écrire.
Maréchal s'installa devant la machine.
- Morand, vous me faites un café ?
- Laissez, je m'en occupe, dit la secrétaire.


¤


Les sirènes des navires retentissaient dans le port. C'était l'heure du départ pour les pêches en eau moyennes, sur un circuit balisé de deux jours.
Faivre et Turov appareillaient à bord du Repousse-Écume, vieux bâtiment qui avait ses vingt ans de service. Les hommes ne firent pas de commentaire sur la présence des deux policiers. Ils leur montrèrent leur cabine et leur expliquèrent les règles de sécurité à bord.
- Voilà le harnais, pour circuler dehors par gros temps. Vous vous attachez à la rambarde. Voilà le sifflet d'alarme, vos lampes...
Turov connaissait cela. Il rassurait les marins, qui savaient qu'il était des leurs. Par contre, Faivre avait typiquement une physionomie de terrien et personne ne s'y trompait. Le teint pâle et la démarche mal assurée. Faivre se dit même que certains reconnaissaient un opiomane. Comme si rien ne pouvait plus échapper à ces hommes à vif, habitués à braver la mort à chaque sortie.

Le second s'assura que les passagers avaient tout leur confort et mit les hommes au travail. Les policiers comprirent qu'on n'aurait pas le temps de s'occuper d'eux. Faivre s'allongea. Turov fit un tour dehors. C'était bon de reprendre contact avec l'océan. L'inspecteur, lui, fut vite malade. Ballotté comme s'il était sur un radeau de sauvetage, il ne trouvait rien à quoi se raccrocher dans cette cage en métal humide. Des sifflets de vapeur, des bourrasques de chaleur remontant des machines, mêlés à des courants d'air froid du dehors, et du mouillé qui imbibe et pénètre en profondeur dans les vêtements.
Faivre passa la plus longue fin de journée de sa vie. Il crut que cela dura une semaine. Alors qu'il parvenait à trouver un peu le sommeil, il fut réveillé, bizarrement, par un soudain calme. Il toucha son lit, les murs, se leva. Le navire ne remuait plus. Il s'habilla chaudement. Il passa dans les couloirs exigus, monta sur le pont, giflé d'une bourrasque violente. Un marin qui vérifiait des cordages lui fit signe d'aller à l'avant. Turov était là, avec le second. Deux marins montaient l'équipement de plongée. La combinaison en caoutchouc et le scaphandre couleur cuivre.
Le ciel n'était presque que noir, plein d'immenses formes tourmentées. Le grand océan, sombre comme le ciel, était plat. Il y avait un léger roulis, qui comptait pour rien après les hauts et bas perpétuels pendant des heures. Faivre s'avança, appuyé sur le mur. Turov lui tendit des jumelles : Faivre ne vit rien, sinon des vaguelettes innombrables...
- Plus à gauche...
Il aperçut un petit point rouge.
- La bouée du Tempêtueux.
Plus une terre en vue, quelques rares étoiles perdues dans le noir, de vagues reflets lointains, l'immense gémissement de l'océan.
Le second récita à Faivre, comme s'il connaissait ce début de poème par coeur :
- "Perdu dans les immenses solitudes, comme un exilé..."
Faivre se souvint avoir appris ce texte à l'école. Il ne retrouva pas la fin. Il fit semblant de connaître, bien sûr.
- "Et le cosmos tout entier devint un mal de mer..."
Le marin douta alors que Faivre connût ce poème. Il n'insista pas.
Turov vérifiait les pièces du scaphandre.
La bouée approchait doucement. Cette tâche rouge était le seul signe de mouvement, entre deux tissus noirs lisses, invisibles.
- Vous savez la température de l'eau ? demanda un marin à Faivre. Je veux dire, au niveau de l'épave... Regardez.
Il lui tendit les jumelles : Faivre vit des blocs de glace dériver. Certains allaient s'écraser sous peu sur la coque. Faivre monta au poste-radio, demande à envoyer un message.
- Rien ne passe, dit le radio.
Faivre laissa un message à transmettre à Maréchal dès que possible. Quand il redescendit, un iceberg était bien visible, tout proche.
- Illusion d'optique, sourit un marin. La pureté de l'air est trompeuse. En réalité, il est au moins à deux heures de nous.

Le navire, ce n'était pas un mirage, touchait presque la bouée rouge. Turov finissait de revêtir le scaphandre. On vérifiait le casque, les câbles. Le second expliqua comment marchait la radio à Faivre. On fit des essais. Turov, dans son casque, entendait parfaitement.

Reply
#6
Quelle dévouement à la tache dans la brigade spécialebiggrin
Reply
#7
DOSSIER #16<!--sizec--><!--/sizec-->

C'était le calme plat sur l'eau. Des milliers de clapotis monotones, comme si on était sur un canal de la Cité. Turov descendit à l'échelle et se laissa tomber du troisième échelon. Il s'accrocha au filin d'acier tandis qu'un marin mettait à tourner la grosse bobine. Le scaphandrier toucha bientôt le fond.
- Je touche, dit-il dans son casque. Vous m'entendez ?
- Parfaitement, dit Faivre dans le gros parlophone portable.
Turov alluma sa lampe frontale. Des crabes s'enfuirent devant lui, plusieurs méduses et des raies dissimulées sous une fine couche de sable. Son faisceau lumineux frappa la carcasse du Tempêtueux, renversée sur son bâbord. Sur le navire, la pompe à oxygène ronronnait doucement. Les marins la regardaient fonctionner avec satisfaction.
- Parlez-lui, c'est important, dit le second. Personne n'aime être dans le noir complet.
- D'accord, dit Faivre. Allô, Turov, tu m'entends ? Décris-nous ce que tu vois...
Turov n'était pas connu pour être bavard. Il se contenta de quelques indications laconiques. Faivre alimentait artificiellement la conversation.
- J'approche de l'épave, j'y suis presque.
Le scaphandrier avait à peine le sentiment d'avancer. Il ne sentait pas la résistance de l'eau. Il se retournait tous les dix pas pour vérifier son câble à oxygène. Il devinait le gros soulèvement de sable derrière lui. Il contourna le navire par tribord, trouva l'échelle et monta.
- Je suis sur le pont.
Des poissons s'enfuyaient encore devant lui. La végétation aquatique avait fait son royaume de cette carcasse. Des algues s'enroulaient sur la rambarde, grimpaient sur les murs. Plusieurs poissons sortirent par la porte précipitamment quand Turov ouvrit l'accès aux cales.
- Je rentre, vous m'entendez toujours ?
- Oui, dit Faivre. Tu vois quelque chose ?
- Non, pas encore.
Faivre sentait qu'il gênait Turov plus qu'autre chose. Le scaphandrier fit passer son câble par la porte et en enroula une partie autour de sa ceinture. Il dut forcer pour ouvrir une porte gondolée par le choc. Il avait plusieurs outils dans une petite caisse accrochée à sa cuisse. Il prit un marteau pour débloquer une ouverture. Le coup retentit, lourd et profond. Il venait d'effrayer toutes les colonies de bêtes à cent pieds à la ronde !
- C'était quoi ce bruit ? dit Faivre.
- Je viens d'ouvrir une porte. Je continue.
L'inspecteur avait craint le pire.
- Pas d'inquiétude pour son câble à air, dit un marin. Même à coups de haches, vous n'en viendriez pas à bout.
- Tant mieux, tant mieux...
Plusieurs poulpes s'enfuyaient, brusquement réveillés par la lumière. Turov entrait dans les soutes. Il percevait de minuscules algues en suspension dans l'eau noire. Parfois, il réveillait des poissons endormis les yeux ouverts.
- Je vois les frigos.
Les containers massifs avaient l'air de dormir comme des divinités marines.
Turov se retourna, vérifia encore son câble, qui traçait le chemin parcouru, tortueux, au milieu du navire penché.
Il promena sa lumière :
- Les frigos sont tous là. Il y en a quatre.
- Alors ce n'est pas le bon navire, dit Faivre.
- Je vais en ouvrir un quand même.
Il avançait sur le sol en pente. Il fallait tourner un gros volant, rongé par le sel. Turov assura ses appuis et mit toute sa poigne. Le volant tournait, mais il ne put qu'entrouvrir la porte.
- Les gonds sont rouillés.
Turov prit une lame et gratta.
- Je réessaie.
Il perça au couteau la ventouse hermétique sur quelques centimètres, ce qui lui permit de décoller le reste et d'ouvrir complètement le frigo. Des kilos de restes émiettés de poissons lui tombèrent mollement dessus. Turov les écarta. Les poissons auraient droit à un gros festin dès qu'il serait parti !
Il examina l'intérieur de l'armoire :
- Je ne vois rien d'anormal.
Les rayons étaient vidées de leur contenu. L'indicateur de température était éteint, il ne restait que des déchets.
- Si les frigos sont tous là, inutile de te fatiguer avec les autres. Remonte.
- Oui, c'est ce que je vais faire.
Faivre était bien plus inquiet que Turov. Il entendit ce dernier siffloter machinalement.
- Je ressors de la carcasse, indiqua-t-il.
Il lâchait l'échelle et tombait sous le fond mou de l'océan. Il voyait des bancs de poissons affluer vers la carcasse, attirés par les restes qui s'écoulaient du frigo. Turov retrouva le filin et s'y accrocha. Il remonta à la force des bras, tandis qu'on enroulait mécaniquement le filin.
- Le voilà ! s'exclama Faivre en voyant la tête de Turov dans son bocal.
Il fit sourire les marins qui, eux, ne s'inquiétaient pas.
- Il a fait ça toute sa vie, dit le second.
Faivre alluma une cigarette pour se remettre de ses émotions. Turov remontait posément à bord, sorte de monstre d'acier et d'algues échappé des profondeurs. On venait lui retirer son casque.
- Tout va bien ?
- Très bien, dit Turov, la tête à l'air libre, un début de sourire aux lèvres. Je boirais bien un petit verre.
- Dès que tu seras sorti de là-dedans, dit le second, on va voir ce que le chef t'a préparé. Et j'offre le coup à tout le monde. On trinque au "voisin des fonds" !
L'équipage ne se le fit pas dire deux fois. On se retrouva autour de la table du capitaine, à déguster un vieil alcool des îles.
- En repartant, dit Turov, je suis monté à la cabine du capitaine. Mais je n'ai pas trouvé le journal de bord.
- Après cinq ans sous l'eau ou plus, dit Faivre, il ne doit plus rien en rester.
Faivre sirota son verre.
- Au fait, c'est quoi un "voisin des fonds" ?
Tout le monde sourit et échangea des regards. L'un des hommes se décida :
- Vieille histoire... On parle d'une civilisation sous-marine. On les appelle nos "voisins des fonds". On s'imagine que ce sont tous des scaphandriers ! Et on se demande si Turov ne vient pas de chez eux.
Tout le monde rit et le capitaine remplit les verres.

Turov but et mangea, puis il alla dormir.
Le bateau reprit sa route, lança ses filets. Les hommes travaillèrent avec acharnement pendant des heures. Faivre les observait, au chaud dans le poste de pilotage. Il essayait d'obtenir une communication avec la Cité. La houle reprenait. On annonçait un fort vent de nord-est.
- On vous fait perdre beaucoup de temps sur votre parcours, dit Faivre.
Le radio retira son casque, fatigué, et alluma une cigarette.
- On risque d'être en retard par rapport aux autres compagnies, c'est sûr, dit-il. Vous savez, c'est la course... On se connaît tous, mais c'est quand même à qui sera rentré le premier les cales pleines pour vendre la marchandise la plus fraîche.
- Votre compagnie va demander des dédommagements ?
- ADMINISTRATION nous remboursera le manque à gagner, oui.
- Tant mieux.
- Vous cherchez au quoi au juste dans ces épaves ? Un trésor ?
- Si seulement, soupira Faivre. Non, c'est une enquête et c'est une vieille histoire... On cherche une cargaison illégale, disons...
- C'est ce que je disais, dit le radio avec un clin d'oeil, un trésor.
Faivre ne répondit pas. Tacitement, ils se mirent d'accord sur cette version. C'était plus beau de rêver...
Le radio s'acharnait sur son poste.
- Bon, c'est pas rare non plus, hein... Une fois sur trois, les communications sont bloquées... Si seulement on avait du matériel neuf... Tout ça date d'il y a presque vingt ans. Sur les Léviathan, ils communiquent sans problème avec la Cité depuis les portes d'Airain, vous imaginez ! Ils sont cinq fois plus loin que la Cité que nous et ils se parlent comme au parlophone... Je vous jure. Les compagnies rognent de plus en plus sur les budgets... Ceux qui sont bien équipés, c'est ceux qui ont fait du transport de troupes. Là, l'armée leur a payé du matos flambant neuf... Vous avez fait la guerre, vous ?
- J'ai surtout fait le stalag, soupira Faivre.
- Comme un peu tout le monde, non ? Enfin, il paraît qu'on a gagné, c'est l'essentiel, hein...

Ils ne dirent plus rien pendant longtemps. Faivre s'assit et s'assoupit, bercé par le roulis et le grondement. Le radio le réveilla au bout d'un temps indéfini.
- Ça y est, ça passe enfin...
Le jeune gars était content de lui.
- Si je ne suis pas un as du bricolage ! J'ai un cousin, Linus, c'est les chromatos ! Moi c'est les communications !
L'inspecteur se frotta les yeux et prit un casque. Le radio réglait la fréquence.
- Névise, c'est bien votre quartier ?
- Oui, c'est ça...
Il y avait beaucoup de fritures sur la ligne, mais la voix de Maréchal passa au travers de la "crasse".
- Pas trop le mal de mer ?
- Nous avons inspecté l'épave du premier navire, vous m'entendez ?
Il fallut de part et d'autre répéter à plusieurs reprises.
- Bien compris, dit Maréchal. Vous serez bientôt à la seconde épave ?
"Dans trois heures" fit le radio d'un signe de main.
- Dans trois heures, dit Faivre en remerciant le jeune homme.
- J'ai une piste de mon côté...
La communication coupa.

Maréchal n'arrivait pas à contacter Continus. La journée de travail se terminait. Il eut un responsable qui lui dit que Continus était de l'équipe de nuit.
- Vous voulez que j'y aille ? demanda Morand.
- Pas pour le moment... Je préfère ne pas éveiller de soupçons. On va parler à ce Continus gentiment. Ne pas effrayer les braves employés de VOIRIE.
Sous quelle prétexte la police se déplacerait-elle ? Parce que le nom de Continus était dans un livre d'occultisme bon marché ?
La radio grésilla.
- Inspecteur ?...
- Faivre, je vais vous rappeler dès que je pourrai, cria Maréchal... Faivre, vous m'entendez ?
Plus de bruit. L'inspecteur n'insista pas.


¤


La bouée du Chevauche-Cyclone fut annoncée vers 3 heures du matin. Turov avait réussi à dormir, Faivre accusait la fatigue. Le roulis permanent, le souffle de l'océan et les machines vrombissantes, c'était assommant. Il ne pouvait rien avaler et buvait du gros alcool pour se tenir chaud. Il sentait à peine l'ivresse dans cet air froid, humide. Turov fit quelques exercices. Il était quand même courbaturé. Les hommes avaient lancé une deuxième fois les filets. La seconde équipe prenait la relève et les autres allaient s'endormir, abrutis par l'effort.
Les icebergs avaient disparu.
- Il fait quand même encore plus froid, grommela Faivre. Il descendit du perchoir-radio.
Turov enfilait sa combinaison.
- J'ai parlé à Maréchal, dit l'inspecteur. Il est sur un gros coup, il a dit.
La Cité semblait si loin, la voix de Maréchal avait paru tellement irréelle. L'acier, la vapeur, ce n'était plus que le navire, une cité miniature sur cette eau noire écoeurante.
Turov était prêt. Derniers essais de radio, puis il put descendre.
Faivre le salua, plus confiant.
Turov disparut peu à peu dans l'eau et se retrouva dans le grand silence. Il suivit le filin, toucha le sol mou, vaporeux. Il vit quelques méduses danser et s'enfuir. L'épave du Chevauche-Cyclone était enfoncée par l'avant dans le sable. Elle était bien plus abîmée que celle du Tempêtueux. Les lourds pas de Turov résonnaient dans son casque, peut-être directement dans son crâne.
- Le vent se lève, dit Faivre par radio. On ne va pas pouvoir rester aussi longtemps.
- D'accord, je vais faire vite.
Turov ne se rendait compte de rien. Il était dans le calme plat, tout était épais, vivait au ralenti. Il approchait de l'épave, il avait le sentiment drôle qu'il allait se présenter à la cousine de l'épave précédente. Les deux se ressemblaient, non ?... Il rendait une petite visite amicale.
Il grimpa sur le pont et le remonta. La pente était forte, il progressa en s'agrippant aux trous des hublots. Il parvint à une porte arrachée par le choc. Il entra dans le couloir, en apesanteur, se tenant à la main courante. Il n'entendait plus le grésillement de la radio, que sa respiration régulière. Il entra dans les soutes, qui lui parurent très grandes. L'eau était légèrement phosphorescente.
- J'approche des frigos.
Il entendait Faivre très indistinctement.
L'inspecteur vit le radio qui gesticulait depuis son poste.
- Turov, ça doit être Maréchal, je reviens.
Faivre courut sur le second pont. Il s'assit maladroitement, il ne s'apercevait pas qu'il titubait. Il mit le casque et cria :
- Allô ?
Maréchal éloigna le combiné de son oreille.
- Vous me crevez les tympans, Faivre ! Allô ?...
- Je vous écoute !
- Vous m'entendez ?
- Mais oui !
- Ecoutez moi ! Où est Turov ?
- Il est dans l'épave !
- Faivre, dites-lui de remonter immédiatement ! Immédiatement !
- Quoi ?
- Pas de discussion ! Dites-lui de remonter !

Morand et Clarine étaient derrière Maréchal et ils avaient aussi peur que lui.
A Névise, l'inspecteur-chef avait réussi à obtenir le poste de Continus et lui avait parlé par chromato.
- Monsieur Continus ?
- ...
- ...
- ... Etes-vous allé sur bateau ?
- Non, mes collègues y sont.
- ... Votre numéro Lixe ?
- N'en ai pas...
- Danger !! Pas aller sur bateau ! Annuler immédiatement !
- Quel danger ?
- ...
- Extra-lunaire ?
- ...
- Quel danger ?
- Les temporites !
- Communication coupée.


Maréchal avait bondi sur la radio, l'avait suppliée de fonctionner. Par chance, la communication était passée tout de suite.
Faivre s'était relevé. Il trébucha, cogna la porte. Le radio se leva, Faivre grogna qu'il n'avait pas besoin d'aide. Il dégringola l'échelle, courut sur le pont. Une vague l'aspergea, il la maudit, injurieux, descendit l'autre échelle et attrapa la radio du scaphandre :
- Turov ? Remontez... Je vous expliquerai... Turov ?
Pas de réponse.

Mort de peur, Faivre attrapa un marin par le col et lui dit, d'un ton d'ivrogne mauvais :
- Dites-lui de remonter, vous m'entendez !
- S'il ne vous entend pas, il ne m'entendra pas !
- J'ai dit : dites de remonter ! C'est un... ordre, oui compris ?
Deux marins s'interposèrent.
- Du calme, la mer n'est pas dangereuse. Pas de risque pour nous.
- ... pour lui, imbéciles...
Faivre titubait, il cherchait son arme... Il l'avait laissée dans sa cabine. Il reprit la radio et hurla à Turov de remonter.
- Remontez-le ! Vite !
Faivre alla sur la bobine et la fit tourner à la main, ce qui était dérisoire. Un marin actionna le mécanisme. Le filin du scaphandre se renroulait.
- Il se renroule vite, non ? murmura un des hommes.
- Plus vite ! cria Faivre.
Le fil remontait de plus en plus vite. Faivre se pencha par-dessus la rambarde et hurla à Turov de revenir.

Le scaphandrier avançait dans la soute, vit de la lumière dans un des frigos.
- J'en vois un qui est éclairé de l'intérieur. Je vais ouvrir...
Il ne se rendait pas compte que Faivre n'entendait plus. Il prit le volant en main, le fit tourner.
Il n'avait pas vu que son câble radio venait de se rompre. Il tourna. Ce fut difficile pour les deux premiers tours, puis le mécanisme se derrouilla au troisième.
- Ca vient, ça vient, dit Turov, de plus en plus excité.
Il donna un dernier coup. Il sentit les protection hermétiques se relâcher. Il agrippa la porte et tira. Il n'avait pas vu que son fil à air avait cassé au détour d'un couloir.

A la surface, le filin achevait de remonter. On arriva au bout, et il n'y avait personne au bout du câble. Ce fut une vision d'horreur.
Les marins restèrent immobiles, voyant le pire se réaliser -une fois de plus. Faivre mit plus de temps à l'admettre. Il fut paralysé et d'un coup, voulut se jeter à l'eau pour obliger l'eau à recracher son collègue. Les marins le ceinturèrent. Faivre voulut cogner, mais ses jambes l'abandonnèrent.
- Vous avez trop bu, lui souffla-t-on alors qu'on le tenait par les épaules.
Le filin était complètement remonté. Tout l'équipage arrivait sur le pont comme un seul homme, affolé. On appelait le capitaine. Celui-ci avança, sans un mot, vit la bobine, n'ajouta rien. Il regarda, les yeux vitreux, l'étendue noire, impitoyable. Il le maudit, cet océan, ce dévoreur...
Lentement, il retira sa casquette, imité par tout le monde.
Faivre hurlait, se débattait.

Le trompette arrivait, raide. Il fixa l'océan, le capitaine lui fit signe. Tout le monde baissa la tête et le musicien joua la sonnerie aux morts. On emmenait Faivre, hors de lui, dans sa cabine. On observa une minute de silence, la porte des cabines se referma. Faivre fut jeté sur son lit. Il se releva, courut à la porte, qu'on venait de bloquer. Il tambourina, désespéré, frappa à s'en saigner les poings et s'abattit, de pesantes gouttes lui sortaient des yeux, coulaient, irrésistibles.

Sur le pont, le capitaine remit sa casquette.
- Il savait les dangers qu'il encourait en y allant. L'eau a encore fait une prise, messieurs. Nous savons que c'est le destin des travailleurs de l'océan.
Les marins observèrent encore un moment de silence, puis il fallut se remettre au travail, la mort dans l'âme. Dans sa cabine, de rage, Faivre s'était à moitié assommé en se tapant contre la porte. Il s'abattit sur son lit, prostré, pressé de dormir pour échapper à ce cauchemar.


¤


La porte du frigo s'ouvrit en entier. Une lumière éblouissante jaillit. Aveuglé, Turov recula. Il perdit l'équilibre. Il tomba à la renverse. La tête lui tournait. Mille lucioles s'échappaient dans l'atmosphère. Il se releva péniblement. Une sonnerie de trompette lui parvenait. Il distingua la sonnerie aux morts... Il se rassit, vaincu par le poids de son scaphandre. Ses yeux s'habituaient à la lumière. Les lucioles voletaient.

La pièce était éclairée par la lumière, qui venait de se rétablir dans les soutes. Turov ouvrit grand les yeux, pour s'apercevoir qu'il n'y avait plus d'eau.
La soute paraissait immense et elle était à sec.
Des gouttelettes se détachaient du plafond. Elles rendaient un beau son cristallin. Turov vit son câble d'air brisé. Le frigo devant lui était vide, tout blanc. Turov se releva. Les autres frigos étaient grand ouverts. Il avait très chaud, il haletait. Il agrippa son casque et le retira.
Il absorba des bouffées d'air frais. Il pouvait à peine marcher dans son scaphandre. Il se rassit, s'adossa à un mur et retira déjà ses semelles de plomb puis dut s'extraire de son armure de métal. Il y parvint maladroitement, accablé par ce poids, par l'épuisement.
Le navire grinçait, tremblait ; dans cette chambre vide, l'écho était extraordinaire.

Le capitaine frappait à la porte de Faivre :
- Ecoutez-moi...
- Je voulais plonger ! hurla l'inspecteur.
- Le temps de vous équiper, vous ou n'importe qui, et de plonger, il vous aurait fallu une demi-heure ! Personne ne peut tenir tout ce temps sans air !
On avait laissé à Faivre une bouteille d'alcool. Il prit une dernière gorgée et la lança sur la porte. Elle se fracassa, Faivre regarda les morceaux de verre s'écraser, les gouttes collantes couler lentement.

Les grincements avaient cessé. Un grand silence se fit, serein. L'air était irisé.
Turov finit d'enlever les pièces de son scaphandre. Il lui restait sa combinaison en caoutchouc. Il prit son couteau de chasse et avança vers la porte de la soute. Il se mit en garde, écouta. Il percevait un murmure lointain. Il passa dans le couloir, arriva dans "l'usine", la pièce où on descendait les filets après la prise. Il chercha la sortie vers le pont. Il tourna en rond.
Il entendait des violons, un orchestre, comme une musique diffusée par une radio en sourdine. Il traversa un autre couloir, très long, arriva devant un sas. Il l'ouvrit doucement. Il ouvrit l'autre porte hermétique.
Derrière, il faisait sombre. Il fit quelques pas.
Il marchait sur une épaisse moquette. Ça sentait le vernis. Il entendit un grondement derrière lui. Il n'eut que le temps de se retourner, une vague déferla, violemment l'emporta. Il coula, se débattit et quand il sortit la tête de l'eau, il arrivait au pied de la scène d'un grand opéra. Le public se levait. L'enthousiasme était délirant, mille ombres applaudissaient. La salle était en fait vide ; Turov se hissa sur la scène pour échapper à l'eau. D'autres vagues venaient s'écraser contre les sièges. Le niveau montait rapidement. Des morceaux de planches tombaient, les sièges se décrochaient. Le perchoir craquelait, l'eau jaillissait, furieuse entre les planches du sol. Turov dut reculer contre le rideau. Des brèches parcouraient les murs, les deux balcons supérieurs venaient de s'effondrer. Des cascades dégringolaient du plafond, deux puis cinq et dix. Turov s'accrocha au cordon ; il dut grimper quand la scène fut submergée par des vagues qui ressemblaient à des gueules.

La scène était cassée en morceaux, l'orchestre invisible partait à la dérive sur un radeau de fortune et entamait le dernier mouvement d'une symphonie héroïque. La coupole chuta et fit se gondoler l'eau énormément, tandis que les sièges s'en allaient en une farandole dispersée. Turov venait d'attraper une loge, il s'y hissa ; l'eau le rattrapait déjà. L'opéra pencha et il fut rejeté dans l'eau ; affolé, dans ce bain grondant, il nagea pour attraper un siège, s'accrocha, et alla frapper contre la scène. Le grand rideau se décrochait dans un crissement déchirant, s'effondrait, tortueux puis partait à son tour, aspiré vers le dehors. Le plafond éclata, l'opéra se disloquait. Turov, à plat ventre sur un siège, vit une falaise de glace immense, pure et scintillante. C'était un iceberg gigantesque ou peut-être un continental glacial. L'eau avait creusé un fjord qui aspirait à lui les débris énormes d'opéra. Turov y était emporté par un courant de plus en plus puissant. Il but la tasse plusieurs fois, son siège craqua et fut submergé. Il attrapa quelques planches, se maintint sur le dos. Une vague le renversa et au fond du fjord, il vit une forêt, même une jungle luxuriante où retentissait des cris d'oiseaux et de primates. Les falaises de glace vibraient, craquaient à leur tour, d'énormes blocs se fracassaient sur les arbres. L'eau devenait tiède et même chaude, les falaises fondaient et partaient aussitôt en de gigantesques nuages de vapeur.

Reply
#8
DOSSIER #16<!--sizec--><!--/sizec-->

Faivre entendit frapper à la porte. Le sommeil lui avait fait oublier sa colère. Il eut du mal à se réveiller. Il revit le fil avec rien au bout, se leva.
- Ici le capitaine... Etes-vous décidé à vous calmer ?
Faivre baissa la tête. Il s'approcha de la porte et dit que oui.
- Bien, alors je vais ouvrir.
Le loquet se releva. Aussitôt, Faivre se précipita dehors, pour sauter à la gorge du capitaine. Il fut arrêté par deux solides hommes, qui le ceinturèrent aussitôt.
- Vous m'aviez donné votre parole ! grogna le capitaine.
Faivre se débattait avec l'énergie du désespoir.
- Si on ne peut plus se fier à un fonctionnaire de police...
Le capitaine fit un geste du menton.
Les marins traînèrent cette fois Faivre vers la cale et l'y enfermèrent, avec une ration de pain et d'eau.
- Ne comptez plus sortir avant notre retour à terre.
Ce n'était pas les mauvais gars. Ils voulaient juste ne plus avoir ce furibard dans les pattes. Ce n'était pas le moment d'aggraver l'ambiance déjà sinistre.

Dans les bureaux de Névise, Clarine recevait le message du Repousse-Ecume. Elle eut un sursaut d'effroi. Elle devint toute pâle. Morand vint la voir :
- Que se passe-t-il ?
- C'est affreux, lisez...
Morand parcourut le télégramme des yeux. Il eut une inspiration plus forte que la normale. Maréchal sortait de son bureau :
- Des nouvelles ?
Il vit la tête que faisait Clarine et s'empara du papier. Il dut s'asseoir.
Les trois policiers se regardèrent, avec la même idée en tête : ils n'avaient recruté ce pauvre Turov que pour l'envoyer à la mort le jour même... En fait, c'était Maréchal le responsable au premier chef.
- Ils rentrent demain en milieu de journée, dit Clarine. Ils nous renverront un message en arrivant au port.
- Pauvre gars, dit Maréchal, qui ne pouvait croire ce qui se passait.
Faivre l'avait sauvé d'un marécage d'Autrelles et il venait d'assister à sa noyade. Maréchal ne savait pas trop quoi dire :
- Il avait de la famille ?
Personne n'en savait rien.

Faivre finit de se saouler pour de bon. Il s'endormit en gémissant de vagues insultes. Il avait déjà peur de se réveiller. Il partit dans des hallucinations effrayantes, indistinctes, des morceaux de spectres l'assaillaient et il ne pouvait pas se réveiller. Au bout de trois scènes de ce genre, il eut la gorge tellement serré que le besoin de respirer l'éveilla en sursaut.
- Debout, debout...
Deux marins le secouaient. Ils le levèrent et l'assirent. Comme prévu, Faivre avait un épouvantable mal de crâne. Et il avait la mort de Turov partout sous la peau. Les marins lui apportaient un repas et un petit verre d'alcool.
- Nous avons des choses à vous dire, de la part du capitaine.
- Que voulez-vous que ça me fasse ?... Ramenez-moi à terre, c'est tout.
- Lisez ce télégramme, on vient de le recevoir.

Qu'est-ce que Faivre pouvait bien en avoir à faire ?... Il le prit quand même, puisqu'il ne pouvait rien arriver de pire. Cela venait d'un autre navire, le Brise-Lame, qui avait lancé ses filets à peu près en même temps que le Repousse-Ecume. Ils avaient repêché un corps, un homme en sous-combinaison de scaphandrier.
Faivre releva les yeux sur le capitaine. Il ne comprenait pas.
- Le message a été envoyé à tous les navires... J'ai appelé le Brise-Lame, ils m'ont fait une description de l'homme.
Le capitaine la répéta de mémoire.
Faivre resta silencieux. Le portrait correspondait à Turov.
Le capitaine s'assit sur une caisse devant l'inspecteur et lui tendit son paquet de tabac.
Faivre commençait à se reprendre :
- Mais alors, il faut, il faut...
- Nous faisons route déjà. L'homme n'a pas repris connaissance. Tout correspond.
- C'est incroyable !
Faivre voulut se précipiter dehors pour voir le navire.
- Attendez, je ne vous ai pas tout dit...
Le capitaine prit le temps de bourrer sa pipe.
- Pas la peine de courir dehors. Vous aurez le temps de prendre froid avant que le Brise-Lame soit en vue.
- Comment ça ?
- Nous ne croiserons pas sa route avant au moins cinq heures.
- Pardon ?
- Le Brise-Lame est encore à 150 miles de nous. Il en était à plus de 200 quand il a recueilli l'homme.
- Alors, ce n'est pas lui !
Faivre était désespéré, exaspéré. A quoi jouait le capitaine ?
- C'est lui, affirma-t-il.
- A 200 miles de nous ? hurla Faivre.
- Vous, les terriens, vous ne savez pas ce qui se passe au large...
Voilà, il allait lui parler des superstitions de marins, des phénomènes inexpliqués...
- Les choses sur l'eau ne se passent comme dans la Cité.
- Vous allez me dire que Turov a réussi à nager de plus de 200 miles en quelques minutes, ou que les courants ont été assez rapides pour le transporter eux-mêmes ?
- Vous avez besoin de vous calmer, inspecteur.
Faivre se demanda s'il était réveillé, s'il était sorti des hallucinations de l'ivresse.
Le télégraphiste entra timidement.
- Excusez-moi, capitaine...
Il tendait un autre papier.
- Le Brise-Lame, souffla le jeune homme.
Le capitaine lut et le tendit à Faivre.
- "L'homme a repris connaissance, a dit s'appeler Andréï Tarov, ou Turov." Vous vous fichez de moi !
Faivre serrait les poings. La haine lui remontait dans le nez. Le capitaine le regarda, inébranlable. Deux forts marins se tenaient derrière la porte.
L'inspecteur eut un haut le coeur. Encore le roulis, et la fatigue, le vin mauvais. Il courut dehors et se pencha par dessus-bord.
- Dans cinq heures nous serons fixés, dit le capitaine. D'ici là, allez dormir, c'est un ordre. On va vous donner des pastilles contre le mal de mer.
Faivre obéit et s'endormit de plus belle.
- Vous y croyez, vous, capitaine, à un truc pareil ?
Le capitaine montait avec le télégraphiste au poste radio. A ce moment, cet homme fort, rude, eut une moue de faiblesse, de regret, d'amertume, peut-être bien de peur. Il se reprit vite. Le télégraphiste préféra n'avoir rien vu.
- Toi aussi tu peux aller dormir, fiston.
Le second montait à son tour :
- Excusez-moi, capitaine...
Le télégraphiste sentit que c'était important. Il s'apprêtait à partir.
- Capitaine, les hommes demandent des explications.
- Je viens.
Des explications, c'était bien naturel qu'ils en veuillent.
De là à pouvoir leur en offrir...


¤


Les côtes d'Exil étaient en vue quand le Repousse-Écume mit une barque à l'eau. Faivre se pressa d'y descendre. Il sortait du poste de radio, où il avait eu Maréchal, qui commençait sa journée.
- C'est à n'y rien comprendre, je vous dis ! Rien ! Que voulez-vous que je vous dise ! Turov disparaît sous l'eau et on le retrouve 200 miles plus loin !
- Vous êtes certain, demanda Maréchal, que c'est Turov qu'on a repêché ?
- Je vais le savoir sous peu. Le navire est en vue. Je vous rappelle de là-bas.
- Oui, dès que vous pouvez...
Maréchal était sceptique. Il se demandait en fait ce qui se passait chez ces fous de marins. Dans quel état il allait retrouver Faivre après un tel voyage ?

La barque se colla contre la coque. Faivre attrapa l'échelle et monta vivement. Le capitaine l'accueillit, pressé de se débarrasser de cette affaire. Les hommes du bord regardaient l'inspecteur avec un mélange d'espoir et de crainte. Ils voyaient en lui un policier, un médecin, mais aussi un sauveur qui allait éclaircir ce mystère. On était aussi pressé, à bord du Repousse-Écume, de connaître le fin mot de l'histoire. Faivre savait que c'était sur lui qu'allait reposer l'explication de cette téléportation. C'était la médecine rationnelle contre les superstitions de l'océan !
Le médecin du bord serra la main de Faivre en collègue. Ils descendirent dans la petite infirmerie. Le médecin ouvrit la porte. Faivre entra, tendu. Le rescapé dormait sous de grosses couvertures.
C'était bien Turov.
Faivre put respirer. Il s'approcha, lui toucha le front, le palpa.
- Il dort profondément.
- Coma ?
- Sûrement. Il s'est noyé, n'oubliez pas. Il a craché de l'eau plusieurs fois et il était frigorifié.
Ils restèrent en silencieux. Faivre examinait avec précaution Turov, c'était insensé. C'était bien lui. Il y avait plus de six heures depuis que le message était arrivé sur le Brise-Écume. Six heures que Turov était sur ce navire !
- Qui t'a transporté ici ? murmura Faivre. Qu'est-ce qu'il y avait dans cette épave ?...
- Je lui ai fait des piqûres. Il était déshydraté, paradoxalement, comme après un effort intense.
Faivre osait à peine imaginer la réaction de Turov en voyant son arrivée d'air brisée. La panique, la lutte effrénée contre ce scaphandre qui allait devenir son cercueil, au fond de cet épave... Des noyés ressortaient de ce genre d'épreuve à l'état de légumes.
- Pour le moment, on ne peut rien faire de mieux.
- Je le crois aussi, dit Faivre.
Un marin du Brise-Lame attendait dehors. Tout le monde attendait d'ailleurs, le verdict de Faivre.
- C'est... c'est bien lui, dit-il. Tout va bien, donc...
- L'océan nous l'a rendu, murmurèrent les hommes, stupéfaits.
- Je vais rester ici, dit Faivre. Retournez sur le Brise-Lame et avertissez le capitaine.
La crainte superstitieuse qui pesait sur Turov se reportait sur Faivre, qui venait d'accréditer le pouvoir mystérieux du grand océan.
- Je peux utiliser votre radio de bord ?...
- Suivez-moi, dit le capitaine.
Les hommes jetaient des regards inquiets en direction de l'infirmerie.
- Il va bien, je lui ai administré un traitement pour le garder jusqu'à notre arrivée.
Le médecin de bord voulait rassurer, rationaliser ; il ne faisait que renforcer ce sentiment d'un caprice, ou d'un don, des eaux, qui avaient relâché leur proie...

Faivre mit le casque. Les côtes fumantes et brumeuses de la Cité approchaient. La communication passa bien.
- C'est lui, inspecteur, c'est bien lui...
- J'attends de lire votre rapport, croyez-moi.
- Je suis impatient de l'écrire, répondit Faivre, perplexe.
Le policier regarda le navire, le Brise-Lame qui reprenait sa course.
- Vous pourriez me laisser seul un moment ? demanda-t-il au télégraphiste. Affaires policières.
- Oui, bien sûr, monsieur.
Faivre le regarda descendre, parler aux hommes.
"Il a dit qu'il veut être seul."
L'inspecteur ferma la porte et remit les écouteurs. Maréchal s'impatientait :
- Vous êtes toujours là ?
- Excusez-moi, patron. Je m'isolais... Je viens de penser à une chose.
- Dites-moi tout.
- Je vais demander la mise en quarantaine des deux navires.
- Comment ça ?
- Voyons, patron... Vous croyez que c'est le Grand Esprit de l'océan qui a transporté Turov ?
- Je n'en sais rien, inspecteur, demandez-Lui !
- Patron, vous avez bien été averti par ce Continus ?
- Oui. D'ailleurs, nous allons le voir aujourd'hui. Je vous avoue que nous étions un peu secoués hier...
- Ecoutez, ce truc est lié aux saletés qui infectent le sang. D'une façon ou d'une autre !
Maréchal réfléchit.
- Ce Continus a parlé de "temporites".
- Ça colle complètement ! Turov a été transporté dans le temps !
- Holà, dit Maréchal, vous ne croyez pas que vous allez un peu vite !
- Patron, je vous le dis !
- Le grand air ne vous réussit pas.
- Je mets ces navires en quarantaine. Qui sait si l'infection ne s'est pas répandue !
- On n'a pas de preuve que c'est contagieux. C'est d'ailleurs vous qui me l'avez dit, avec vos boîtes de Pétri et le sang de Mélian.
- C'est vrai, c'est vrai, mais un fait si inexplicable... Vous vous rendez compte !
- Oui, ça n'arrive pas tous les jours. Je serai impatient de savoir ce que Turov va nous dire. Il est dans quel état ?
- Il dort profondément.
- Nous allons appeler l'hôpital.
- Je vais appeler les services de DOUANES, patron. Mise en quarantaine.
Maréchal soupira :
- Allez-y. Vous allez vous faire des amis chez les marins. Toute leur pêche va être foutue...
- C'est bien plus grave si on laisse une infection entrer dans la Cité. Je vais parler au capitaine.
- Tâchez de vous montrer ferme. Le marin est ombrageux à son habitude... Votre double autorité de médecin et de policier...
- ... ne sera pas de trop, oui.

Faivre sortit de la cabine.
- Capitaine, je peux vous parler ?
- Bien sûr, passons dans ma cabine.
Faivre baissa la tête en passant devant les marins. Il avait déjà pris sa raclée sur le Repousse-Écume. Il serait heureux s'il échappait à un lynchage sur celui-ci !
Reply
#9
Quote:**µ¤¤%!!!!!°°))§§§/:: !!!(-$ééùùs******

Il était puissant celui-là.
Reply
#10
Suite dans le message au-dessussmileTurov rescapé des eauxwink
Reply


Forum Jump:


Users browsing this thread: 1 Guest(s)