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28-12-2010, 02:00 PM
(This post was last modified: 28-12-2010, 02:01 PM by Darth Nico.)
Exil #17
¤
Branche : CULTURE
Rapport Intelligences-Mécaniques : Névée - Sutra - Orgon
A l'intention de : M. Jonson - Comité "Arts et fêtes".
Infection Turov : vaccination régulière Scientiste
Affaire des frigos : extension recherche -> Rotor 17
ATL Rotor 17 : temporites !
Soirées Arts et Fêtes.
Affaire Continus : manipulations d'états-civils.
Convergence des données : la Recouvrance. Cellule 912.
.
¤
Repères exiléens universels :
SHC : 2
RUS : 2
IEI : 4
ATL : 2
Côte d'alerte : moyenne.
DOSSIER #17
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<span style="font-family:Palatino Linotype">EXIL
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
La neige scintille
Le grand froid luit
Gel sur les villes
Mondes sans bruit
Forges et Exil
Tristes jumelles
Où s'enfuit-elle
La vie si belle
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit <!--sizec--></span><!--/sizec-->
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28-12-2010, 02:41 PM
(This post was last modified: 28-12-2010, 05:57 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #17<!--/sizec-->
LES FAUSSAIRES<!--/sizec-->
SHC 2 - RUS 2 - IEI 4 - ATL 2
Nelly s'était levée la première. Elle préparait le café. Maréchal sortait du sommeil en lisant le journal encore frais de la rue. La radio égrenait en sourdine un vieil opéra. Nelly laissa le café sur le feu, pendant qu'elle passait dans la salle de bains. Maréchal prit la carafe et s'en servit machinalement. Il relut trois fois le même article sans bien s'en apercevoir.
Nelly était ressortait, prête, maquillée. Ses chaussures lui faisaient déjà mal au pied. Elle avait trouvé une place à mi-temps chez Casteljac, le parfumeur.
- Tu sais que ce n'est pas son vrai nom en plus ? En fait, il s'appelle Kaasteljar, il vient d'Autrans... Il essaie de faire passer les vendeuses sous son bureau. Moi, il m'a invité l'autre jour, m'a dit que je travaillais bien. Je lui ai dit : "Merci, monsieur. -Vous avez un peu d'expérience... "- Oui, monsieur, j'ai travaillé au Baz'Mo. C'est là que j'ai rencontré mon compagnon, qui travaille à SÛRETÉ." Il a compris. Il a vu que je ne tombais pas de la dernière pluie. Je peux te dire qu'il a senti qu'il valait mieux pas qu'il m'approche.
- S'il te touche un seul cheveu, dit Maréchal, toujours dans son journal, je lui fais avaler son parfum et les Pandores le balancent à la flotte.
Nelly approuva. Elle prit son sac, fouilla dedans, embrassa Maréchal et partit au funiculaire.
Maréchal s'étira. Presque six heures trente. Il passa sous la douche et alla sans se presser au travail. Il fut accueilli dans l'escalier en fer par l'odeur du bon café de Clarine, bien meilleur que celui de Nelly.
- Bonjour, inspecteur.
Maréchal crut répondre, mais après coup, il ne fut pas sûr d'avoir prononcé un mot. Il prit le courrier, ouvrit quelques lettres au hasard. Faivre somnolait dans son bureau. Maréchal claqua des doigts plusieurs fois. Faivre sursauta :
- Oh, patron !
- Turov va mieux ?
- Pardon ?...
- Turov... Il va mieux ?
- Ah oui, il revient aujourd'hui.
- Bon.
Faivre avait passé la nuit à fumer de l'opium. Il referma un oeil, arriva à se lever de sa chaise.
Morand était à son bureau. Il arrivait invariablement le premier.
- Il ne faut pas faire de zèle, détective.
- C'est une habitude chez moi de ne pas me lever après cinq heures. Sans quoi, je suis décalé.
Maréchal maugréa quelques mots, indistincts même pour lui et alla lire son courrier avec une grosse tasse de café. Clarine alla passer le balai dans le bureau du commissaire.
Turov arriva à huit heures.
- Désolé, je viens juste de sortir. Encore quelques examens...
- Asseyez-vous, détective. J'espère que vous allez bien.
- Oui, c'est bon. Ma carcasse tient encore debout.
On sentait que la plongée l'avait secoué. On n'expliquait toujours pas comment il avait échappé à la noyade.
Maréchal n'avait pas envie d'y penser. Il se leva, appela Faivre et Morand.
- Bon, puisque tout le monde est là...
On commençait à sortir du sommeil. Les mitiers passaient éteindre les lampadaires. Un jour timide se levait par-dessus les vieux palais. Les rues étaient à nouveau vide après le passage des travailleurs.
Tout le monde s'assit devant le bureau de Maréchal.
- Ce ne sera pas de trop de faire le point, dit doucement Maréchal.
- Il faut attaquer sur les Obre-Ignisses, lança Faivre.
Maréchal le regarda sans rien dire.
- Excusez-moi, patron.
- Bien. Donc les Obre-Ignisses, commençons par eux puisque vous y tenez.
"Remontons dix ans en arrière. Nous savons que la famille Phonos, branche de cette corpole, a un fils indigne, Antisthène. Celui-ci est en rébellion contre son père. Il est envoyé à l'école militaire -il y a sept ans. Il ne tarde pas à en être renvoyé. Il erre plusieurs années. Finalement, il y a cinq ans, sa mère, en cachette du père, lui trouve une place sur un navire de pêche de la corpole, le Chevauche-Cyclone. Le bateau coule. Pas de nouvelle d'Antisthène. Mais nous avons des raisons de croire que ce dernier a survécu. Il serait bel et bien Antiphon, le Prince Paon, hypnotiseur ayant poussé le brave monsieur Mélian, cadre chez les Aussame-Nerbois, à tuer un concurrent ainsi qu'un garçon d'hôtel. Antiphon a appartenu, il y a cinq ans environ, à une secte, dissoute au moment où le gourou a été condamné pour attentats à la pudeur.
"Cette secte travaillait sur un livre, Le livre des mille étoiles. Dedans, une prophétie, sur des êtres qui viendront d'ailleurs, de la constellation de la Veuve. Antiphon, qui était le second du gourou, connaît cette mythologie.
"Dans le quartier de Rotor 32, nous découvrons, outre une bande d'anarchistes, des frigos ayant abrité des créatures atrophiées, obligées de vivre dans des combinaisons étanches. Si les combinaisons sont percées, ces créatures meurent. Les analyses de sang révèlent chez elles la présence de monocellulaires inconnus. Les frigos dans lesquels elles s'abritaient proviennent d'un navire de pêche, sans doute le Chevauche-Cyclone sur lequel a travaillé Antisthène Phonos. Voilà donc la boucle bouclée : les deux hommes n'en feraient qu'un. Le Prince Paon serait bien le rejeton indigne des Phonos, donc des Obre-Ignisses.
"Les analyses de sang de Mélian et des créatures confirment, grâce aux amis du détective Morand, la présence de monocellulaires, dont nous apprenons que ce sont des "temporites". Les créatures ont vu leur développement organique ralenti, voire empêché par ces cellules. Ces parasites ont provoqué une atrophie généralisée, des muscles, des os etc.
"En plongeant dans l'épave du Chevauche-Cyclone, le détective Turov est exposé à ces temporites, vraisemblablement contenues dans les frigos qui restaient. Il est victime d'hallucinations, un peu comme Mélian. Les temporites ont peut-être à voir avec les capacités de manipulation mentale d'Antiphon qui, en quelque sorte, pourrait les contrôler.
"Ce qui est certain, c'est que cette affaire tourne autour de la temporite et des Obre-Ignisses.
"Je vous rappelle que le procès de Mélian a lieu dans deux semaines. Si, comme l'inspecteur Faivre, nous le croyons innocent, nous devons nous dépêcher de trouver le coupable présumé, le Prince Paon.
"J'ai oublié quelque chose ?
- Nous savons, dit Faivre, que SANITATION était au courant pour les créatures atrophiées. Le chef du département d'épidémiologie a eu l'ordre de dissimuler les dossiers. Je les ai exigés, et j'ai alors découvert une dizaine de cas semblables : des femmes retrouvées mortes. Toutes dans des quartiers appartenant à la corpole Obre-Ignisses.
Maréchal servit du café.
- Et pour finir, dit-il, nous avons découvert un complice d'Antiphon : Alphonse-François Continus, fonctionnaire de VOIRIE. C'est lui qui m'a averti, mais trop tard, qu'il y avait des temporites dans le Chevauche-Cyclone. Et quand nous sommes allés le voir à son bureau, nous l'avons trouvé mort.
- Tout ça prouve bien, reprit Faivre, qu'il faut s'en prendre aux Obre-Ignisses.
- La mère Phonos m'a avoué avoir eu des contacts avec son fils il y a cinq ans. Par le domestique, j'ai aussitôt appris qu'elle l'avait vu il y a quelques semaines à peine. Elle ment, donc il peut y avoir encore d'autres mensonges derrière.
- Je m'occupe des Phonos, patron.
- A l'école militaire, dit Maréchal, j'ai pris le nom d'un ancien camarade d'Antisthène, un caporal actuellement en poste dans les îles. Je désespère de le voir un jour. Tant pis, nous ferons sans lui.
- Il faudrait savoir d'où venaient les frigos de Rotor 32, dit Turov.
- Vous vous en occupez ? dit Maréchal.
- Des charges pareilles, dit Turov, ça ne se déplace qu'avec le nohodahak. On doit pouvoir retrouver quelle compagnie a transporté des frigos dans un quartier désaffecté comme Rotor 32.
- En effet, dit Maréchal. Alors, on va commencer par là. A vos parlophones, messieurs, nous contactons tous les nohos de la Cité.
On était content de rester au chaud.
Chacun prit un poste. La Cité comptait une dizaine d'entreprises de nohodahaks, ces grosses pieuvres capable de déplacer d'énormes chargements.
C'est Faivre qui trouva la compagnie qui avait amené les frigos à Rotor 32.
- Ils vont passer nous voir en fin d'après-midi.
- Morand, vous avez la réponse pour Continus ?
On attendait que les intelligences-mécaniques donnent la liste des connections chromatographiques du fonctionnaire dans les jours précédents sa mort.
- Pas encore. Cela devrait arriver.
- Vous les rappelez, vous leur dites qu'ils se pressent. Faivre, vous vous occupez de surveiller les Phonos ?
- Oui, j'ai mon idée, ne vous inquiétez pas.
¤
Faivre allait appliquer les méthodes de la Brigade des Rues.
- Tu sais, disait Lanvin, pour démanteler une bande, il ne suffit pas de les surveiller, de faire jouer les indics. C'est long, et plus tu les traques, plus ils deviennent rusés, méfiants, dangereux. Et si tu ne mets pas suffisamment la pression, tu mets en danger la vie des citoyens en les laissant courir. Alors, il faut les briser de l'intérieur. Faut foutre la merde, Faivre, taper dans la fourmilière, les pousser à bout pour qu'ils perdent leurs moyens.
L'inspecteur appela d'une cabine publique la famille Phonos. Il prit une grosse voix rocailleuse :
- Allô, bonjour, je souhaiterais parler à monsieur Phonos s'il vous plaît... Il est sorti ? Très bien, non je rappellerai, merci.
Faivre se laissa le temps de mettre au point son discours. La compagnie de déménagement arriva en début d'après-midi. On vit le gros poulpe enlacer de ses tentacules un des palais et ramper sur le quai avec son cornac en selle. Le cavalier descendit devant la Brigade. De la fenêtre, Maréchal lui indiqua la porte.
- Bonjour, monsieur.
- Bonjour, entrez, inspecteur Maréchal. Merci de vous être déplacé.
- Je prends sur ma pause, monsieur... Je vous ai apporté vos renseignements.
Le type enlevait sa casquette en voyant la secrétaire. Il entra dans le bureau de Maréchal :
- Alors voilà... Pensez qu'un tel déménagement, c'est pas si courant. Trois gros containers à transporter vers ce quartier tout désert...
- Vous avez la date ?
- Tenez, c'était il y a un mois.
- Et le chargement venait d'où ?
- Cet entrepôt, à la sortie de la Vague Noire. C'est dans un coin pour les particuliers... Quand je dis les particuliers, je veux dire surtout ceux qui peuvent se payer des bateaux de plaisance. Pas n'importe quelle clientèle.
- C'est parfait, SÛRETÉ vous remercie.
- Je ne vais pas m'attarder, j'ai deux chargements avant ce soir.
L'inspecteur le raccompagna, puis tendit la fiche à Turov :
- Le port, c'est votre terrain, détective. Allez-y avec Faivre et trouvez-moi qui a fait transporté les frigos. Je vous appelle un ballon-taxi...
Clarine décrocha le combiné et composa le numéro de l'entreprise Corben.
- Mes amitiés au patron, dit Maréchal, qui connaissait bien d'avant-guerre le vieux Théodule.
Sur le quai, les embruns se mélangeaient à la fine pluie qui trempait la Cité depuis la veille. Des cormorans picoraient des restes de poissons. Dehors, c'était vide, tandis que les bistrots étaient bondés. C'était des petites cages lumineuses, embuées, le long du port.
Les policiers trouvèrent les hangars publics à louer. Ils s'adressèrent au gardien :
- Vous savez, messieurs, des déménagements en noho, il y en a tous les jours depuis ces hangars.
- Nous avons le numéro de la section et la date.
- Vous n'avez pas le hangar exact ?
- Non, mais cela devrait suffire. C'était il y a un mois, ça doit être encore dans vos cahiers.
- Bien sûr.
La cahute sentait la cigarette, le chien mouillé, la mauvaise soupe qui restait au feu toute la journée. Il retrouva le nom :
- Antisthène, c'est ça ?
- Quel numéro ?
- Hangar 27-B.
- D'où venait cette cargaison ?
- Attendez...
Les volets à moitié fermées claquaient sur la fenêtre. La lumière verdâtre du bureau semblait mouillée.
- La cargaison venait d'un navire, le Pointe d'azur, un bateau de plaisance...
Il décrivit les caractéristiques techniques.
- Et à qui appartenait ce bateau ?
- A cet Antisthène j'imagine...
- Nous vérifierons.
Ils sortirent de la cabine, retrouvèrent le grand air et se précipitèrent dans un café alors que le vent se levait. De grosses vagues venaient s'écraser sur les jetées, éclabousser les quais.
Turov reconnut quelques anciens collègues parmi les buveurs. Il leur serra la main. Faivre commanda deux grogs.
- Et des jetons pour le parlo.
Turov appela DOUANES.
- Ils ont trouvé le Pointe d'azur. Il appartient aux Obre-Ignisses, il est à la disposition de certains de leurs hauts cadres, pour des sorties familiales.
- Encore eux, dit Faivre, satisfait.
Ils prirent un petit verre d'alcool bien serré. Ils eurent vite le rouge aux joues, dans cette chaude ambiance humaine. On ne pouvait pas se tourner les coudes, tout le monde parlait, du temps, des nouvelles, de la famille, de la mer.
Faivre finit son verre et reprit un jeton.
- Allô, mademoiselle, passez-moi la famille Phonos, quartier de Leclos-Villers.
Il toussa, reprit sa grosse voix de Pandore.
Le père était rentré.
- Oui, monsieur Phonos... Je me dois de vous annoncer une nouvelle bien pénible...
Il ménagea son effet.
- M'entendez-vous ?
- Oui, je vous entends. Parlez.
La voix était dure, coupante.
- Voilà, monsieur, je me présente...
Faivre prit un faux nom, et raconta ensuite comment il avait trouvé un jeune homme dans une ruelle, blessé à la tête. Comment le médecin était arrivé, n'avait pu le sauver.
- Oui, il a été transporté à la Morgue. Pouvez-vous passer, monsieur ? Pour l'identification ?
D'une voix dure, le père dit qu'il arrivait.
C'était cruel mais Faivre n'avait plus de patience avec ces menteurs de Phonos. Le cas des temporites et de Mélian était trop grave.
Mettre des coups dans la fourmilière, remuer la merde...
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Faivre en mode flic à la Belmondo, peu importe les méthodes, faut du résultat
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"Tu vois, poupée, les corpolitains, c'est comme les bourricots : pour les faire bouger, faut pas hésiter à y aller à coups de triques..."<!--sizec--><!--/sizec-->
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Quelle classe ce Bébel
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29-12-2010, 02:03 PM
(This post was last modified: 30-12-2010, 07:40 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #17<!--sizec--><!--/sizec-->
Faivre raccrocha, satisfait. Il n'y avait plus qu'à attendre les répercussions.
Il retourna au comptoir à côté de Turov, qui rigolait avec ses amis marins. Faivre commanda une bière. Son regard fut attiré par deux silhouettes sur le quai, qui apparaissaient fantomatiques au travers de la vitre embuée. Il tapa le coude de Turov, qui ne comprit pas sur le moment.
- Regarde...
Deux longs hommes noirs, avec des chapeaux haut-de-forme.
- Ils nous veulent quoi ces deux épouvantails ?
Faivre l'avait mauvaise : ces saletés de Scientistes...
- Tu vas voir comment ça va se passer...
Il retourna dans la cabine, demanda le poste de Pandore des quais.
- Oui, allô, je suis au bistrot L'ancre, j'ai repéré deux types louches qui traînent sur les quais... Non, pas des gens de chez nous.
Le Pandore le prenait évidemment pour un marin ou un docker. Faivre raccrocha. Il s'adossa au comptoir, en fixant tranquillement les deux Scientistes qui se trempaient sous la pluie poisseuse.
- On va rire.
Ils étaient comme au spectacle. Turov s'approcha de la fenêtre et l'essuya de son revers de manche. Trois Pandores arrivaient. Les Scientistes ne bougeaient pas. Turov dit à Faivre d'approcher.
- Que font-ils ?... Ils leur demandent leurs papiers ? Attends, essuie encore...
Les trois gendarmes vérifiaient les cartes de ces messieurs, saluaient brièvement et s'éloignaient.
- Quelle bande d'incapables !
Les Pandores entraient dans le bistrot. Les conversations s'éteignirent.
- C'est d'ici qu'on nous a appelés ? Qui c'est qui nous a avertis ?
Ils n'étaient pas contents de s'être déplacés. Le patron leur versa un verre à chacun :
- Tenez, messieurs, avec ce froid...
Faivre s'approcha, montra sa plaque :
- C'est moi, ça va...
- Ah bon...
Les Pandores s'accoudèrent et burent leur tournée.
- Ils vous ont fait quoi exactement ?
Ils avaient peur des Scientistes.
Faivre prit son verre, le vida en trois gorgées, dit :
- Viens, Turov, on s'en va.
Les deux policiers sortirent sur le quai. Ils se dirigèrent vers la station de tramway. Les deux Scientistes leur emboîtèrent le pas. Leurs pas ne faisaient presque aucun bruit. Le vent soufflait dans le dos des marcheurs, balayant des paquets d'eau. Faivre, rageur, serrait son arme. Turov serrait les poings.
- Avance, avance, disait Faivre.
Ils sentaient les deux hommes en noir approcher. L'inspecteur se tourna d'un coup, ferme, prêt au combat. Turov croisa les bras.
- Vous cherchez votre chemin ?
L'un d'eux dit, d'une voix chuintante :
- Andréï Turov, nous avons un antidote pour vous.
Ils avaient un air encore plus cadavérique que Morand. Le visage émacié, les doigts grêles.
Celui qui avait parlé sortit une sacoche en cuir.
- Ouvre ça, ordonna Faivre.
Le Scientiste obéit : à l'intérieur, sept tubes avec un produit incolore.
- C'est l'antidote, Andréï Turov. Vous avez été exposé à une substance dangereuse.
- Les temporites ? dit Faivre.
- Appelez ça comme vous voulez...
- Vous allez nous dire ce que vous savez.
- Nous ne sommes que les porteurs, Gustave Faivre.
- Il y a quoi dans ces tubes ?
- Le traitement pendant une semaine. Une injection par jour. Vous qui êtes médecin, vous pourrez le faire. Nous vous laissons le traitement.
Il tendit la sacoche de son bras raide. Faivre fit un pas en avant :
- Je vous jure qu'on vous fera cracher vos secrets.
- Nous ne sommes que les porteurs.
Faivre prit sèchement la sacoche.
Les deux Scientistes saluèrent d'un imperceptible mouvement de tête. Ils tournèrent les talons, marchèrent vers les hangars.
- Merci, dit Turov, assez fort pour être entendu dans la tourmente du vent.
Faivre examina la sacoche :
- Il peut y avoir n'importe quoi dans ces tubes. Et les seuls à savoir quoi, ce sont ces cadavres ambulants !
- On peut les croire, je pense. S'ils voulaient s'en prendre à nous, ils ne le feraient pas de manière si tordue ?
- Avec eux, on ne peut pas savoir.
Les deux policiers coururent au tramway car la pluie redoublait. Ils se serrèrent dans le wagon.
- On va passer au Quai, j'ai hâte de connaître la réaction du père Phonos.
- Et pour les injections ?
- Je vais te la faire à l'hôpital.
Ils passèrent une heure dans les transports bondés, avec la foule fatiguée de sa journée et les travailleurs de nuit qui commençaient. Le ciel était lourd et liquide au-dessus du quai des Oiseleurs. Le parquet était noirci par les grosses gouttes qui tombaient des manteaux et les marques de semelles. Des spécimens d'humanité, éberlués, attendaient sur des bancs.
Faivre et Turov descendirent à la Morgue. L'inspecteur connaissait le médecin de garde :
- Salut, comment ça va les études ?
- Pas trop mal. Que puis-je pour vous, inspecteur ?
Faivre regarda la pièce, content de sa bonne farce :
- Dis-moi, tu n'as pas reçu la visite d'un père de famille ? Un certain Phonos. Vieux, aristo, désagréable au possible.
- Ah oui, en effet. Il croyait que nous avions son fils. J'ai cru à un fou. Je l'ai gentiment éconduit.
- Gentiment, hein ?
- Oui, gentiment... Pourquoi ?
- Il est susceptible je pense. Mais c'est pas ça le plus important. C'est que c'est moi qui lui ai dit que son fils était mort.
- Vous vouliez vous débarrasser de lui en provoquant un malaise cardiaque ?
- Pas con, jeune homme. Tu as de l'avenir, toi... Bon, trêve de plaisanterie. Je surveille la famille de cet homme. J'ai voulu lui foutre les jetons. Je crois que j'ai réussi. Ces gens nous cachent des tas de choses. On va les travailler au corps pour qu'ils nous lâchent le morceau, tu vois ?
- Très intelligent.
- Méthode Lanvin, petit.
- Si je vois arriver ce monsieur sur une civière, je saurais à quoi c'est dû.
- Non, il faut le garder frais le temps qu'il parle, ce vieux salaud.
Tout en parlant, Faivre se préparait pour l'injection de Turov. Celui-ci retroussa une manche :
- Espérons que...
- Vu les effets de ces choses, Andréï, je crois qu'on ne risque pas grand'chose...
Ils attendirent un peu. Faivre bavarda avec le jeune externe.
Turov se leva.
- Ça va ?
- Oui, aucun problème.
Ils mangèrent un bout à côté du quai.
- Tu sais, dit Faivre, je me dis que toute la famille Phonos n'est pas au courant. Peut-être que c'est le père qui est au courant, peut-être la mère, ou un cousin... Ce que je crois, c'est ce que quelqu'un aide Antiphon.
- Pourquoi les Obre Ignisses feraient tout ça ?
- C'est une corpole puissante, très secrète. Manipuler la temporite leur offrirait un pouvoir immense.
- Il y a moins de danger à manipuler une grenade.
- Je suis bien d'accord. Pour le moment, c'est Antiphon qui trempe les mains dans la temporite. Mais demain, ce sont les Obre-Ignisses qui vont en profiter.
¤
Faivre eut des cauchemars des Scientistes. Il dormit par intermittence, et arriva de mauvaise humeur au bureau. Et la première chose qu'il vit, ce fut Morand. Il le prit à froid :
- Bon, vous en êtes où avec vos camarades, détective ?
- Comment ça ?
Faivre s'assit à califourchon en face de lui.
- Ecoutez, mon petit Morand, je commence à être fatigué par les secrets de votre... Fondation, là... Vous êtes censé me trouver des explications sur la temporite, et rien ne vient.
- Pardon, mais enfin, ce n'est pas si simple et moi-même...
- J'en ai assez. Je sais bien comment ça marche avec vous les Scientistes...
- Je n'aime pas ce mot...
- Moi il me convient. Je vais vous faire cracher vos secrets. Alors vous allez dire à vos amis de venir ici, tout nous dire sur la temporite, compris ? Ils nous mènent en bateau, vous me menez en bateau vous aussi, depuis des jours !
- Pardon, inspecteur mais enfin...
Faivre se leva, définitif :
- Je vous laisse vingt heures, voilà !
Il claqua la porte du bureau.
Turov prenait un café avec Clarine. Faivre se servit :
- Je viens de lui souffler dans les bronches... Ce que je ne me permettrais jamais avec vous, mademoiselle Clarine...
- Voilà le grand fauve qui devient tout sucre et tout miel...
- Promettez-moi de ne jamais fréquenter ces odieux personnages.
- Vous voulez surveiller mes fréquentations, inspecteur ? D'abord, êtes-vous une bonne fréquentation ?
- Vos soupçons me brisent le coeur, douce Clarine.
La secrétaire décida qu'elle avait assez joué la comédie de boulevard :
- J'ai du travail, moi. Je n'ai pas le temps d'écouter les mauvais garçons qui jouent de la guitare à ma fenêtre.
Elle passa dans son bureau. Faivre la suivit et se mit à la porte :
- Pour vous, j'apprendrai n'importe quel instrument et je jouerai à n'importe quelle heure.
- Moi, dit Turov, je jouais du tuba dans le temps.
Clarine éclata de rire.
- Alors, vous donnerez des leçons à l'inspecteur. Un instrument si raffiné lui convient tellement bien !
Elle ferma poliment et fermement la porte.
Faivre dégusta son café.
- Tu sais, je ne vais plus lâcher les Obre-Ignisses...
- C'est sûr qu'ils cachent des choses.
- Je vais chercher un autre quartier où on a retrouvé ces pauvres femmes...
Maréchal entrait.
- Qu'est-ce que vous conspirez, vous deux ?
- Patron, cette fois, c'est sûr, les Phonos sont dedans jusqu'au cou !
- Vous les avez tous coffrés ?
- On y est presque.
Faivre raconta la journée de la veille.
- Vous brisez le coeur du vieil homme, Faivre.
- On sait qu'Antiphon rôde autour de sa famille !
- Sommes-nous seulement surs qu'Antiphon et Antisthène sont une seule et même personne ?
- Patron, c'est certain !
- Nous avons quoi d'Antisthène Phonos ? Une photo de l'académie militaire, il y a sept ans. Quant à Antiphon, pour le peu que nous l'avons vu, c'est maquillé au théâtre, ou vêtu dans sa tenue grotesque de Prince Paon. On est loin de la tenue de troufion pour la parade.
- Vous pensez que ce sont deux personnes ?
- Je n'en sais rien, voilà tout. On ne sait pas à quel point les Phonos nous mènent en bateau.
- C'est le cas de le dire, dit Turov.
Maréchal s'assit au bureau de Faivre :
- Tenez, rien à voir, on vient de recevoir une invitation pour aller dans le monde.
Il sortit trois cartons en beau papier finement décoré :
- Les Célestes, encore. Palais Keskonta, résidence aristocratique du troisième siècle avant les portes d'Airain. Messieurs, vous vous louerez un costume digne de ce nom pour la soirée.
- "Comité de la Culture, des Arts et Fêtes". C'est quoi ça, patron ? demanda Turov.
- Vous ne fréquentez pas les milieux artistiques, détective ? Vous n'allez pas chaque semaine à l'opéra ?... Premier devoir d'un fonctionnaire pourtant !
Maréchal sortit se faire un café.
- Il aime bien charrier le patron, dit Turov.
- Sans rire patron, dit Faivre, c'est quoi ce comité ?
Maréchal revint et dit, un ton plus bas :
- C'est CULTURE, Faivre. Si j'ai besoin de vous en dire plus, c'est que vous avez encore des choses à apprendre...
Maréchal souffla sur son café brûlant :
- J'espère qu'il y aura au moins des petits fours...
Turov et Faivre se regardaient sans comprendre.
- Que faites-vous avec les Phonos aujourd'hui ? demanda Maréchal pour changer de sujet.
- Je vais chercher un autre quartier où on a trouvé ces pauvres filles.
- Excellent.
Faivre agita ses doigts devant son chromatographe et lança ses recherches. Morand en profita pour aller dans le bureau de Maréchal :
- Qu'y a-t-il, détective ?
- Hmm, voilà, je voulais vous dire... A propos de l'inspecteur Faivre...
Morand vérifia qu'il avait bien fermé la porte et qu'il ne parlait pas trop fort.
- Il me menace, il s'en prend à moi de façon injustifiée.
- Allons bon, il vous fait des misères ?
- Inspecteur, je ne suis qu'un débutant, d'accord, mais nous sommes tout de même collègues. Il est mon supérieur, je suis prêt à écouter ses conseils, mais je ne comprends pas qu'il me rabaisse ainsi. Je tenais déjà à dire que le teint de ma peau n'a rien à voir avec un manque de vitamine. De même la pilosité...
Maréchal essayait de l'écouter sans sourire. Le pauvre garçon en avait sur le coeur. Qui aurait cru cela d'un Scientiste ?
- De plus, il exige que je mette des amis de ma Fondation à contribution. Or, si je peux leur demander un service de temps à autre, ils ne sont pas non plus tenus de tout laisser en plan pour aider SÛRETÉ. Ils ne cherchent pas à vous tromper mais ils ont leur travail, leurs recherches, et ne sont pas des membres de la Brigade Spéciale.
- Bien, bien, je vois...
Maréchal soupira. Déjà des discordes !
- Bon, j'en parlerai à l'inspecteur Faivre.
- Je vous en remercie par avance.
Morand repartit à son bureau, plus ému qu'il ne voulait le montrer. Turov, qui travaillait en face de lui, ne dit rien.
Maréchal signa ses papiers. Au bout d'un certain temps, on frappa :
- Entrez.
C'était Faivre, qui entrait comme un diable sort de sa boîte.
- Je l'ai, patron ! Regardez !... Rotor 17 !
Maréchal jeta un oeil distrait :
- Un autre quartier construit par les Obre-Ignisses. Trois cadavres atrophiées retrouvées là-bas. Je vais aller fouiller de fond en comble ! Les Obre-Ignisses vont savoir que je suis après eux...
- Bon, très bien...
- Vous ne croyez pas que c'est une bonne idée ?
- Non, il ne s'agit pas de cela... Tenez, asseyez-vous un instant.
De son bureau, Morand avait vu Faivre aller chez Maréchal. Il baissa la tête, s'absorba dans ses papiers.
- Quoi ? s'exclama Faivre, qui avait écouté le petit sermon de son supérieur, il est venu baver ?
- Calmez-vous, inspecteur... Je vous demande juste d'y mettre un peu plus les formes la prochaine fois.
- Mais ces types nous mènent en bateau, patron !
- Les Scientistes ne sont pas d'un abord facile, je le reconnais... Croyez-moi, j'en ai fréquenté.
- C'est eux qui savent tout !
- En attendant, le bizutage du détective Vinsler est terminé. D'ailleurs, nous l'appelons toujours Morand, alors que le pauvre garçon a quanême un nom de famille...
- Vinsler, c'est un nom à être méchant, grogna Faivre.
- Bon, c'est bien compris ?
- Oui.
- Revenons à votre enquête alors. Rotor 17, vous m'avez dit ?
- Oui.
- Allez-y, retournez tout et ramenez-nous toutes les preuves que vous pouvez sur les Obre-Ignisses !
- Merci, patron.
Maréchal respira quand Faivre fut parti. Il avait son caractère, et Morand sa susceptibilité.
- Vous venez, détectives, nous allons déjeuner.
Les policiers prirent leur temps sur le quai. Ils regardèrent deux pêcheurs, un homme qui passait en barque pour arracher les algues, des mitiers qui allaient consolider une vieille colonne d'un des palais. Ils entrèrent chez Gronski, qui vint leur serrer la main.
Il y avait une dizaine de clients.
- Nous prendrons l'apéro.
Maréchal prit son rond de serviette dans son casier.
- Buvons un verre en attendant qu'il y ait moins de monde.
C'est la patronne qui vint leur servir un petit alcool maison.
- Il est bien légal votre alambic, là ? dit Maréchal.
La patronne se raidit.
- Je plaisante, bien sûr. Allons, goûtons cela !
- Oh, inspecteur, vous m'avez fait peur !
- Voyons, nous avons mieux à faire qu'à contrôler les honnêtes citoyens qui régalent leurs semblables.
- Nous ne faisons que quelques bouteilles par an.
- J'ai un cousin qui est dans la bière. Il faudra que je lui demande qu'il vous envoie quelques tonneaux.
- Ah oui, tiens, la bière Maréchal. Je n'avais jamais fait le rapprochement...
Tout le monde disait ça !
Les policiers dégustèrent leur petit verre. Les clients qui mangeaient en vitesse furent partis moins d'une demi-heure après.
- Alors à nous ! dit Gronski.
Ils lui serrèrent le poignet et pas la main, parce qu'il était en cuisine.
- Je vous mets trois menus du jour ?
- Avec une bière pour moi.
Maréchal allait goûter à la concurrence.
- Alors, Morand, comment devient-on Scientiste ? Si demain je me rase la tête, est-ce qu'on voudra bien de moi ?...
- En fait, c'est-à-dire qu'il faut avoir une spécialité. Par exemple, Turov aurait pu faire parti de la première branche, la mécanique.
- C'est sûr qu'ils doivent en savoir des choses...
C'était merveilleux : Morand sentait qu'il avait un public pour l'écouter !
- Alors oui, la mécanique, c'est la branche 1. Puis, branche 2, la biologie. Ce sont eux qui sont responsables de l'entretien et de l'amélioration des serres d'élevage intensif. C'est grâce à eux que tout le monde a à manger, en fait. Et la branche 3, les psychologues.
- C'est la vôtre, dit Maréchal.
- Voilà, tout à fait. C'est l'étape suivante, l'étape supérieure, on peut le dire. Parce que nous ne sommes pas que des machines ou des organismes, n'est-ce pas... Avec leur mauvaise foi, ceux des branches 1 et 2 refusent de reconnaître la supériorité de la psychologie, bien sûr.
Gronski arrivait avec des assiettes brûlantes :
- Attention devant !
Lancé, Morand continuait sur sa tirade :
- La découverte des facultés cognitives supérieures...
- Oh là, fit Gronski, ça parle de choses drôlement intelligentes, dites-moi !
- Tout à fait, la connaissance des fonctions cérébrales...
- Moi, s'il y a un truc que j'ai appris en dix ans de bistrot, dit Gronski, c'est que les clients qui parlent le plus sont ceux qui consomment le moins.
C'était la débâcle, on n'écoutait plus Morand !
- Tenez, je vais boire un petit verre avec vous...
Il s'assit et fit apporter une bouteille par sa compagne.
- Vous m'en direz des nouvelles.
- La psychologie, disais-je...
- Moi, je vous le dis, parce que j'en ai vu passer du monde : il y a plus d'intelligence dans la tête de ce garçon que dans tous les clients qui défilent ici en une journée !
- Ça doit chauffer sous sa caboche, c'est sûr, lança la patronne.
Les policiers mangèrent, pendant que Gronski faisait la vaisselle et que la patronne comptait la caisse.
Ils repartirent alors que la faible luminosité disparaissait déjà. Il faisait tout bleu sur les quais, l'air était légèrement opaque, soyeux.
- Je suis sûr que vous n'avez rien retenu, dit Morand, contrarié.
Il ne s'apercevait pas qu'il était un peu ivre.
- Mais si, voyons, dit Maréchal. Bon, je vais vous envoyer vous promener un peu vous deux. Morand, toujours pas de réponse pour Continus ?
- Non.
- Alors vous et Turov, vous retournez à VOIRIE, vous fouillez directement dans le chromato et vous appelez les IM de là-bas. On va accélérer le mouvement.
- D'accord patron.
Les deux détectives prirent le tramway. Maréchal revint au bureau et ouvrit son propre chromatographe. Il fit des recherches sur le Comité des Arts et Fêtes. Il vit un nom qui dissipa ses derniers doutes :
- Président d'honneur, M. Jonson, ben voyons...
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30-12-2010, 07:50 PM
(This post was last modified: 12-01-2011, 07:15 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #17<!--sizec--><!--/sizec-->
Rotor 17 était en pleine restructuration. Bien avant d'y entrer, Faivre entendit des martèlements. Il vit d'abord des ingénieurs avec des casques de chantier qui désignaient avec de grands gestes la structure d'un bâtiment mis à nu et les poutres entrecroisées de soutien du quartier. Des équipes faisaient des allers-retours avec des brouettes pour dégager un éboulis. D'autres apportaient des sacs de ciments, des poutrelles.
L'inspecteur interrogea les responsables du chantier.
- On est un peu comme vous, on découvre les lieux. Sauf que nous, on va tout changer ici. D'ici un mois, il ne restera rien de ce bordel. On montera une habitation à six étages.
Faivre traversa le quartier, trouva une autre équipe affairée à creuser pour des canalisations. Des mitiers faisaient des relevés topographiques.
Faivre fit le tour du quartier, qui bruissait des chantiers et des transports. Trois nohodahak travaillaient en cadence pour déplacer des briques et on entendait leurs grognements par-dessus les appels des ouvriers.
L'inspecteur vit un bâtiment à l'écart, au bord du vide. Il y avait un long couloir en bas d'une volée de marches. Au bout, une lueur bleue qui grésillait. Faivre tira son arme et avança doucement. Une porte était mal fermée, la lueur filtrait par là. Il entendait un ronronnement de tuyauterie et un bouillonnement.
Quand il entra, il vit une créature dans sa combinaison intégrale de caoutchouc. Elle était dans un bain, reliée à une machine par des tuyaux. Faivre frissonna. Elle recula vers le bord du bassin. Elle était effrayée.
- Du calme, du calme...
Il n'y avait personne d'autre. Faivre rangea son arme.
- Je suis de SÛRETÉ, je suis là pour vous aider... Vous êtes seuls ?
Il n'entendit qu'un bruit étouffé. Il vit son masque respiratoire osciller. Elle faisait oui de la tête.
- Vous comprenez ce que je dis ?
"Oui."
Elle désigna un chromatographe et demandait qu'on lui donne.
- Vous communiquez avec ça ?
Faivre, s'approcha de la machine, sans perdre la pièce des yeux.
- Comment vous appelez-vous ?
Il lui posa le chromato sur le bord du bassin et s'accroupit.
Elle tapa au clavier : "Rachel".
- Bien, Rachel, écoutez-moi... Je dois en apprendre plus sur vous... Vous avez besoin de cette combinaison pour respirer ?
"Oui".
- Vous ne pouvez vivre sans ? Non, hein ?... Vous savez ce qui vous a fait ça ?
"Temporite".
- Qui vous a donné ces combinaisons ?
"Le Prince Paon".
- Vous connaissez son vrai nom ? Non ?... Antiphon ça vous dit quelque chose ? Antisthène Phonos ?...
"Non".
- Il vous a mis dans cette combinaison pour vous protéger ?
"Oui".
- Depuis combien de temps vous l'utilisez ?
"Un mois".
Cela correspondait à la livraison des frigos dans Rotor 32.
- Le Prince Paon vous a-t-il dit quel est l'effet de la temporite ?
"Maladie grave, qui vous détruit l'organisme".
- Depuis combien de temps êtes-vous malade ?
"Trois ans ?"
Faivre entendit du bruit dans le couloir. Il dit à Rachel de se taire, tira son arme. Il s'adossa au mur près de la porte. Il entendit quelqu'un rire. Il se jeta devant la porte. Il avança pas à pas.
- Qui est là ? SÛRETÉ ! Arrêtez !
L'homme s'en allait. Il ricanait toujours. Faivre pressa le pas :
- Stop ou j'ouvre le feu !
Pas de réponse, ce ricanement encore...
Faivre mit en joue, visa et tira. Il entendit un bruit sec, un cri étouffé. La silhouette s'écroula. Faivre courut et s'accroupit : l'homme était tombé face contre terre. Il le retourna et se releva d'un coup, terrifié : c'était Maréchal !
Faivre contempla l'homme, incapable d'y croire. Non, c'était bien Maréchal !
Il entendait le tintamarre des chantiers. Il voulut sortir pour appeler à l'aide. Il courut vers la sortie. Le sol était boueux. Il courait, s'embourbait de plus en plus. Il en avait jusqu'aux chevilles. Il avait dû se prendre dans des branches, il était coincé. Il dégagea sa jambe et vit que la sortie était loin.
Le couloir avait pris une forte pente. Faivre se retourna : le corps de Maréchal avait disparu, mais il y avait une centaine d'hommes indistincts appuyés au mur. Faivre reprit sa course, les murs se liquéfiaient, le plafond coulait comme une boue épaisse, le sol remontait peu à peu ; Faivre, pris au piège comme une taupe dans un glissement de terrain, asphyxiait. Il tendit la main vers le dehors, sut qu'il était sur le point de sortir... Un vague de fond le prit et l'emporta dans un reflux trop puissant et il disparut dans la coulée de boue.
Faivre rouvrit les yeux ; il s'agitait dans le vide, à moitié aveugle. Il se battait contre des ennemis imaginaires. Il était à la sortie du couloir. Il ressortit son arme, furieux, traversa le couloir : il y avait encore les installations mais Rachel n'était plus là. Faivre frissonna : il allait devoir retraverser le couloir !
Il courut ventre à terre et arriva dehors sans problème. Il grelottait et il tremblait de rage en même temps. La suite fut plus confuse. Il criait sur les ouvriers, sur les ingénieurs. Il se jetait sur des ouvriers qui creusaient, il attrapait une pioche, menaçait les gens. Il se voyait comme dans un rêve. Des porteurs de sacs de ciment lâchaient leur charge et arrivaient pour le maîtriser. On l'attrapait, on le plaquait par terre, il se débattait ; on lui passait ses propres menottes. Les Pandores arrivaient, il les insultait, il prenait des coups, était emporté comme un sac de patates, finissait en cellule de dégrisement, cogné de partout.
- Tu vas dormir maintenant, compris, si on viendra t'y aider !
Vaincu par cette voix, et par la douleur, il s'allongea sur le banc. Il se tordait en deux, la tête dans les mains.
¤
Cette même après-midi, Turov et Morand allaient au bureau de VOIRIE et s'installaient au poste de Continus. Le Scientiste fit craquer ses doigts. Il fouilla dans la mémoire de la machine ; il y cherchait les dernières demandes faites. Les connexions avec les Intelligences-Mécaniques prenaient du temps. Personne ne regardait les deux policiers dans la salle ; chacun s'absorbait dans son travail. Le chef de salle, perché sur sa chaise haute, jetait des regards farouches vers ces deux intrus.
- C'est vraiment long, soupira Morand.
- Tu n'as pas un accès privilégié ?
- En tant que policier, je pourrais en demander un pour ce poste, mais cela prendrait des heures je crois.
L'heure tournait, les recherches n'avançaient pas. Turov alla voir le chef, lui murmura quelques mots ; une heure après, un employé, content d'être distrait de sa routine, arrivait pour aider. Il eut un sursaut en voyant le Scientiste. Il se mit quand même au travail, inquiet de savoir dans quel quoi il venait de mettre le doigt.
Une autre heure passa.
- Demandez à ces IM aux indicatifs commençant par 347, ce sont les plus douées souvent.
- Je l'ignorais, dit Morand.
Turov s'ennuyait sur sa chaise.
- Maréchal va nous attendre, dit-il.
Morand se frotta les yeux :
- Vous feriez mieux d'y aller sans moi. J'en ai encore pour longtemps.
Turov n'attendait que cela. Il était pressé d'aller manger et boire à l'oeil. Il monta par le tramway et un grand ascenseur aux Célestes.
Maréchal l'attendait au Grand siècle. Il y avait pris ses habitudes.
- Faivre n'est pas avec vous ? demanda l'inspecteur.
- Ah non, j'étais avec Morand.
- Que peut-il bien faire ? Il est l'heure...
- On boit un verre ici ?
- Non, on boira là-bas...
Turov regarda avec regret les mille bouteilles colorées derrière le comptoir.
Maréchal marchait les mains dans les poches, pressé. Turov se sentait détendu. Il n'était pas un habitué des Célestes, bien au contraire, mais il trouvait amusant toute cette folle agitation, cette débauche de costumes.
- Et Morand ? demanda l'inspecteur.
- Il travaille encore.
- Vous savez où nous allons, là, détective ?
- A une fête pour les gens de SÛRETÉ ?
- Une "fête", ricana Maréchal.
Ils arrivaient devant le palais, où des gens déguisés faisaient la queue. C'était à qui aurait la parure la plus extravagante.
- C'est par ici que vous avez failli avoir le Prince Paon, non ?
- Oui. Mais ce n'est pas le sujet ce soir. Ce qui m'inquiète, c'est l'identité de notre hôte. Maréchal présenta son carton d'invitation : ils coupèrent la queue. Il ne s'en trouvait pas tellement fier, sachant ce qui l'attendait à l'intérieur.
Une très grande salle, avec une piste de danse au milieu. Des tables regorgeant de plats et de boissons tout autour, des tables dans les coins. Un bruit de halle de marché, avec ces dizaines de gens qui bavardaient dans cette pièce spacieuse. Des corpolitains, des ingénieurs, de hauts fonctionnaires, côtoyaient des petits nobles en mal de reconnaissance mondaine. Il devait y avoir un certain nombre de pique-assiettes, et puis plein de gens du monde du théâtre qui venaient trouver des mécènes.
Turov s'approcha du buffet et se fit servir un bon verre de mousseux. Maréchal et lui trinquèrent :
- Nous ne sommes plus en service, après tout...
Turov but, se fit resservir et prit une assiette de légumes et de charcuterie.
- J'ai les crocs...
Maréchal l'avait repéré : l'homme en costume bleu marine, au milieu de vieilles mondaines attifées comme de jeunes cocottes, qui jouait à l'ami de ses dames. Il parlait élégamment, et les trois vieilles dames pas si dignes gloussaient et avalaient de travers. Puis il passait à un autre groupe, serrait des mains, très poli, très élégant. Maréchal le regardait, méfiant, renfrogné. Turov mangeait sans s'inquiéter.
- Regardez, dit l'inspecteur, qui ne pouvait plus reculer le moment de couper l'appétit de son détective. Vous voyez ce type là-bas ?...
L'homme serrait la main à un quarteron de jeunes officiers, qu'on avait lourdement décorés pour avoir pris une déculottée sur Autrelles.
- Si je ne me trompe pas, il doit s'appeler M. Jonson.
- Vous le connaissez ? demanda Turov, la bouche pleine.
- Dans ce comité Arts, Fête et Culture, ils s'appellent tous M. Jonson. Mais ils ne sont pas tous frères.
- C'est une énigme, votre histoire là...
- Ce comité dépend directement, comme son nom l'indique de CULTURE. Ça ne vous dit rien ?
- Euh, vous savez...
Il allait dire "moi et la culture"...
- Je ne parle pas d'opéra, Turov.
Maréchal baissa la voix.
- CULTURE est la branche d'ADMINISTRATION qui, outre qu'elle s'occupe des artistes, est chargée de vérifier la conformité des productions artistiques avec la doctrine de la Concorde Sociale. Raison pour laquelle certains parlent plutôt de CENSURE... Vous voyez où je veux en venir ?
"Cet homme que je vous désigne nous a vus dès que nous sommes rentrés. S'il nous a invités, ce n'est pas pour avoir notre avis sur le drame lyrique. Il fait partie de l'organe de contrôle de nos services. Ce qu'on appelle familièrement OBSIDIENNE.
La fin de la bouchée de Turov fut plus dure à avaler. Maréchal se sentait d'humeur carnassière. Il se fit servir une grosse assiette. Il laissa son collègue, alla faire un tour dans la salle. Jonson finissait de serrer des mains.
Maréchal revoyait les deux précédents, qui avaient fini englués au pied de l'hôtel du Saphir [voir #13]. Il y eut un petit manège entre l'inspecteur et l'agent de CULTURE. Ils évoluaient parmi les groupes. Jonson avait quelques amabilités pour chacun, il promettait une réunion bientôt, de venir à une première... Maréchal finissait son verre. Jonson bifurqua nettement de sa trajectoire mondaine. Il redevenait visiblement ce qu'il était vraiment. Il passa près de Maréchal et lui dit :
- Nous avons à parler. Montez me voir au deuxième.
Maréchal finit son verre. Jonson refit un tour de salle, s'excusa terriblement d'être complètement pris par ses charges.
- Quel personne charmant...
- Et si modeste...
- Si disponible à la fois.
- Si tous les employés d'ADMINISTRATION pouvaient être aussi dévoués que lui à leur mission de service public...
- Savez-vous qu'il m'a promis une aide pour mon club de loto de charité ?
- Une crème je vous dis...
Maréchal prit une poignée de petits fours et deux pâtisseries bien grasses. Il mordit dedans et dit à Turov de le suivre.
Ils se dirigèrent vers le bout de la salle, où un vigile les arrêta, leur demanda de poser leurs armes. Il ouvrit une porte matelassée, derrière laquelle s'ouvrait un petit couloir et un ascenseur. Ils montèrent au deuxième étage. Là-haut, ils furent fouillés à nouveau.
- Arrêtez votre cirque, lança Maréchal.
- Des ennemis de la Concorde Sociale pourrait s'en prendre à nous...
- Vous craignez une attaque de vieilles perruches à coups de tubes de vert à lèvre ?
On terminait de les fouiller.
- Vous pouvez entrer.
Le vigile ouvrit une autre porte matelassée. Maréchal la tapota :
- C'est plus confortable pour les gens que vous collez au mur.
Jonson attendait à l'intérieur, devant une baie vitrée qui donnait sur la grande salle. Les glaçons finissaient de fondre dans son verre.
- Asseyez-vous donc.
Un ton poli avec une nuance cassante. Maréchal se sentait encore plus effarouché que lorsqu'il avait été fait prisonnier chez ces foutus Autrellois.
- Pour une telle réception, je ne pouvais pas manquer d'inviter les clowns de la Brigade Spéciale.
- Trop heureux d'être chez les polichinelles, dit Maréchal.
- Je me demande finalement à quoi sert votre brigade. Vous poursuivez des fantômes. Et quand vous courez après cet Antiphon, il vous échappe et tous les habitués des Célestes rient de SÛRETÉ.
- Vous en savez tellement sur lui, vous l'avez sûrement déjà arrêté. Vous nous invitez pour nous l'annoncer.
- Cet homme est une menace pour l'ordre public. Si cela continue, c'est à dire si vous continuez à lui courir après pour rien, je vais lancer la brigade des rues après lui.
Maréchal aurait considéré comme une humiliation de voir l'Urbaine se mêler à cette traque. Jonson le savait.
- Où en êtes-vous exactement ?
- Nous avons un complice, dit Maréchal, de mauvaise grâce. Il est mort.
- Donc, en somme, rien ?
- Nous avons un homme, Mélian, que TRIBUNAL va déclarer coupable.
- Vous êtes dans la tête des juges ?
- Il va leur falloir un coupable. Or, un de mes inspecteurs croit qu'il est innocent.
- Il a bon coeur. Ce n'est pas une qualité requise pour entrer à SÛRETÉ.
- Si vous n'avez rien pour nous aider, on va vous laisser. On s'en voudrait d'incruster plus longtemps votre soirée...
- Vous allez attraper Antiphon, et vite. D'autant que la vie d'un innocent est en jeu, si j'ai bien compris.
- Vous vous souciez de lui ?
Ils se répondaient du tac au tac. Ils rendaient coup pour coup. Jonson, c'était son travail ; quant à Maréchal, c'était un reste de l'armée, de la captivité. L'habitude d'un climat hostile.
- Ecoutez, Maréchal...
Jonson s'assit d'une jambe sur la table.
- Vous avez une position privilégiée au sein de SÛRETÉ. Néanmoins, vous n'êtes qu'un rouage. Nous ne sommes que des rouages. Nous sommes une pièce au sein de la machine la plus complexe de l'univers. Si nous faillons, la Concorde Sociale est menacée, c'est tout la Cité qui sera "grippée"...
- ... et c'est le chaos, qui menace...
Maréchal l'avait dit ironiquement. Mais il l'avait dit et Jonson en était satisfait.
L'inspecteur se leva, mit son chapeau. Turov le suivit. Ils prirent leurs armes à la sortie et sortirent sans plus un regard à la réception mondaine.
Maréchal alluma une cigarette, une des plus amères depuis longtemps.
- Où est Faivre, enfin ?... Il va m'entendre celui-là !
Les deux policiers prirent un ballon et n'échangèrent pas un mot avant de se saluer sur le quai de Névise.
¤
Maréchal, éreinté, tourna la clef dans sa serrure. Nelly était déjà au lit. Elle lisait un catalogue de meubles anciens. Maréchal regardait ces lectures d'un mauvais oeil. Il la soupçonnait de préparer un mauvais coup.
- C'était bien ta soirée ?
- Merveilleux, dit l'inspecteur en enlevant ses chaussures. J'aime de plus en plus les mondanités.
Nelly regardait attentivement le catalogue, prenait des notes.
- Je regarde pour des ventes aux enchères...
Maréchal se servit un verre. Il avait la tête en coton. Il regarda l'eau qui s'écoulait lentement sur le canal principal, les plantes grimpantes qui frissonnaient dans le vent. Il ouvrit la fenêtre.
- Ferme, il fait froid, dit Nelly, dérangée dans sa concentration.
Deux silhouettes noires attendaient au pied de l'immeuble. Maréchal s'appuya sur le rebord, amusé, les regarda hésiter, se tourner à droite à gauche pour trouver leur chemin.
- Allez vous-en, leur lança-t-il, ou j'appelle la police.
Les deux hommes levèrent les yeux : c'était Morand et son père, le professeur Vinsler. Que faisaient ces deux épouvantails dehors à une heure pareille ?
- Pouvons-nous vous voir ? demanda le détective.
Maréchal referma la fenêtre.
- J'ai du monde.
- C'est une heure pour tes enquêtes ?
- SÛRETÉ n'a pas d'horaires.
Maréchal rangea le séjour. Il ouvrit la porte. Les deux Scientistes retiraient leur chapeau.
- Merci de nous recevoir, dit le professeur.
C'était pour l'inspecteur un plaisir de recevoir ces deux échappés de la tombe !
Il aligna des verres sur la table.
- Que puis-je vous servir ?
- De l'eau pour moi, dit le père.
- Pour moi aussi, dit le fils.
Maréchal les regarda une second avec un petit sourire et alla prendre de l'eau dans la cuisine. Il ouvrit ensuite son placard et en sortit sa bouteille préférée.
- Mettez-vous à l'aise.
Est-ce qu'un Scientiste peut (a le droit ?) d'être à l'aise ? Ne risque-t-il pas une cruelle punition s'il n'est plus raide comme un manche ?
Vinsler posa son manteau sur le dos de la chaise. Il sortit machinalement de son gousset une montre semblable à celle de Maréchal. Ce dernier ne fit pas de remarque, se contentant de sourire pour lui-même. Il se servit un verre. Il remarqua que Vinsler sortait une petite antenne téléscopique du cadran. L'inspecteur n'avait pas cette antenne !
La montre fit quelques tics-tacs. Que cherchait-il ?
- Morand, vous avez votre montre ?
- Oui, père.
- Faites voir...
Maréchal s'en serait voulu de les déranger. Il alla prendre des glaçons. Il n'était pas impressionné le moins du monde.
- Ce n'est pas votre montre que je détecte, dit Vinsler, intrigué. Il y en a une autre dans les parages.
Innocent, Maréchal trinqua :
- A la santé des buveurs d'eau.
- C'est vous qui possédez une montre ?
- Comme tout le monde, non ?
- Puis-je la voir ?
Vinsler avait parlé comme un professeur à un élève. Maréchal dit, poliment, comme une évidence :
- Non.
Vinsler se souvint qu'il n'était pas dans son laboratoire.
- Vous avez une montre "particulière" ?
- Particulière, c'est le mot, dit Maréchal.
Vinsler replia l'antenne. Maréchal nota que sa montre avait quatre cadrans.
- Vous vouliez me parler de quelque chose, ou vous passiez juste boire un verre d'eau ?
Peut-être une coutume Scientiste ? Le verre d'eau à l'improviste !
- Morand m'a parlé de l'enquête que vous menez...
- Oui, elle a notamment trait aux temporites.
Autant aller droit au coeur du problème.
- Vous êtes sûr que vous ne pouvez pas me laisser voir votre montre ?
- Elle a moins de cadrans que la vôtre.
- Je suis étonné que vous en ayez une.
- Une sorte d'héritage.
- Vous savez utiliser cette montre ?
Maréchal vida son verre et dit, avec un large sourire :
- Je sais détecter le syndrome d'hypersensibilité chronique, les remodelages urbains de votre "Fondation" et l'intrusion d'anomalie extralunaires, oui.
Vinsler ne dit rien, mais on le sentit un peu dérouté. Il devait être très méthodique, patient, et Maréchal courait le train.
- Je vois, dit-il.
Dans sa tête, il ne vivait pas encore à l'ère des trams, de l'électricité pour tous, de la vitesse, des journaux, de l'agitation et du progrès !
- Que savez-vous des temporites ?
- Rien, ou si peu, dit Maréchal. Ce que votre fils nous a appris, en fait. Ce sont des monocellulaires qui infectent le sang et provoquent une dégénérescence de l'organisme tout entier.
- C'est déjà bien.
- D'où viennent ces temporites ?
Vinsler marqua une pause et dit :
- Morand, voudriez-vous m'attendre dehors ?
Le garçon mit son chapeau et se leva :
- Allez vous faire offrir un coup chez Gronski, dit Maréchal, c'est encore ouvert.
Morand sortit à regrets. Maintenant qu'il était sorti, l'inspecteur se demanda si Vinsler allait boire un vrai verre.
¤
Il n'en fit rien.
- Vous connaissez donc les trois indicateurs de votre montre. Je me demande bien qui vous a appris cela...
Vinsler n'attendait pas de réponse de Maréchal. Il comptait trouver seul.
- Si j'ai bien compris, il y a trois branches chez vous les Scientistes, dit Maréchal.
Vinsler tiqua au mot de "Scientiste", mais laissa dire.
- Il y a les mécaniciens, les biologistes et les psychologues.
C'est Morand qui avait raconté cela quand il était revenu presque ivre de chez Gronski.
- C'est exact.
- Chaque branche correspond à un des indices. LE SHC pour les psychologues, le RUS pour les mécaniciens, le IEI pour les biologistes. Seulement, vous, vous avez un quatrième cadran à votre montre. Qui est cette branche 4 ?
- D'abord, dit posément Vinsler, il n'y a pas de branche 4.
Maréchal sourit et se resservit.
- Pas de branche 4, hein ? dit-il.
- Non.
Il n'en fallait pas plus pour que le policier fût persuadé de son existence !
- Ecoutez, inspecteur, puisque votre travail vous oblige à affronter les temporites, il est de mon devoir de vous aider. Contrairement à certaines légendes, nos Fondations ont pour but d'aider la Cité.
- Je n'en doute pas, dit Maréchal.
- Bien. Je vais vous aider à repérer la temporite. Je vais vous donner une nouvelle montre, mais j'ai besoin de l'ancienne.
Maréchal posa son verre.
Sa montre... Compagne de ses aventures dans les profondeurs ! Confidente de ses secrets ! Témoin de son passé ! Guide infaillible dans les méandres de la Cité !...
Il la sortit de sa poche, triste. Il la regarda, la serra dans son poing comme un enfant rageur qui ne lâchera pas son jouet. Il regarda résolument Vinsler.
Puis, il se calma et dit, négligent :
- Allez, tenez...
Il la tendit à Vinsler, qui la fit disparaître dans son manteau. Il en prit une autre et la tendit à Maréchal. Elle était un peu plus grosse. Elle avait déjà servi, ce qui lui donnait le charme des objets patinés. Elle n'était pas clinquante comme un bijou neuf. Elle avait du métier, elle en avait vu d'autres...
Elle plut donc à Maréchal.
Il l'ouvrit, comme un gamin ouvre une boîte de chocolat et admira les quatre écrans. Les trois qu'il connaissait déjà, et le quatrième : ATL.
- Réflexion fait, dit Vinsler, je ne dirais pas non à un verre.
- Mais comment donc !
On allait trinquer à ce troc !
Maréchal observait les cadrans, la prenait en main, la soupesait.
Il servit un verre à son hôte et trinqua. Vinsler but son verre.
- ATL ? demanda Maréchal.
- Anomalie Temporelle Localisée.
Les yeux de l'inspecteur brillaient.
- C'est l'effet provoqué par les temporites. Elles brouillent les repères spatio-temporels.
- D'où viennent ces temporites ?
- Elles voyagent sur des courants entropiques.
- Pardon ?
Vinsler soupira. Comment s'exprimer plus clairement ?
- Des perturbations... Comme des courants marins ou aériens. Ces courants traversent notre Cité, notre planète entière. Dans certaines conditions, les temporites, qui voyagent sur ces courants, se matérialisent.
- Certains individus peuvent manipuler ces courants ?
- Vous allez vite en besogne.
- Antiphon en est capable.
- Je ne sais pas qui c'est.
- Tiens donc...
Le Prince Paon était typiquement le genre de personnage sorti du cerveau (et du laboratoire) d'un de ces émules de Heindrich.
- Nous pensons que des courants entropiques puissants sont en approche de la Cité. Ils arriveront avec la prochaine tempête.
- C'est la branche 4 qui les a détectés ?
Les Météorologues de la Temporite ?
- Il n'y a pas de branche 4, dit Vinsler, vous perdez votre temps.
Il n'y en avait peut-être pas, mais Maréchal allait la trouver quand même !
- Il y avait ces courants entropiques dans la carcasse du Chevauche-Cyclone ?
- Je ne connais pas ce navire.
Vinsler se leva et mit son chapeau.
- Le cadran ATL vous permettra de trouver la temporite. Aidez-vous de l'antenne, qui se mettra à vibrer.
Cette montre n'était pas tombé dans les mains d'un manchot !
Vinsler remit son manteau.
- J'espère que vous en ferez bon usage.
Vinsler serra la main de l'inspecteur et descendit. Maréchal le regarda partir sur le quai, faire un signe à Morand qui se réchauffait chez Gronski.
- Il voulait quoi, alors, ton épouvantail ? demanda Nelly.
- Il m'apportait un cadeau...
Maréchal eut un coup de fatigue. Il eut une nuit sans rêve, une nuit de sommeil pur pourrait-on dire, un tunnel noir ininterrompu. Il se réveilla le lendemain, et réalisa alors seulement qu'il s'était endormi d'un coup la veille.
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10-01-2011, 09:54 PM
(This post was last modified: 10-01-2011, 10:30 PM by Darth Nico.)
Suite : sympathique réception chez M. Jonson  et petit verre du soir avec les Scientistes
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