Thread Rating:
  • 0 Vote(s) - 0 Average
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
23e Episode : Les fantômes
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Les 5 Rônins : 23ème Episode
Tigre 402



Les fantômes





C'était les nuits les plus longues de l'année. Le soleil apparaissait brièvement, frêle et pâle, pour repasser bientôt derrière la crête des immenses montagnes de l'ouest. La capitale des Crabes vivait ainsi dans une pénombre accablante pour tous. Les murs, déjà gris et humides, prenaient une teinte blafarde. Les pas étouffés dans la neige, les gens qui se pressent, qui grelottent, les claquements de dents : un étranger qui serait arrivé dans Kyuden Hida aurait pu se croire au pays des revenants.

Des serviteurs venaient régulièrement avec du bois dans le bureau de l'ambassadeur Mitsurugi. Ce dernier avait réuni autour de lui ses trois meilleurs hommes : son allié Hida Yasashiro, son compagnon de route Yojiro et la dangereuse Yatsume.
- L'incendie du théâtre n'arrange pas nos affaires, disait-il. D'abord, cela repousse de quelques jours la pièce, donc l'attaque supposée contre le Fils du Ciel. Nous devons mettre ce temps à profit. Ensuite, parce que la pièce sera présentée à l'intérieur du palais Hida, ce qui complique nos affaires. Inutile d'ajouter que ni Togashi Ojoshi ni Ikoma Noyuki ne sont au courant de ce qui se trame et il ne faut pas qu'ils l'apprennent. Vous allez vous répartir pour surveiller la ville. Nous devons voir arriver ces conspirateurs d'où qu'ils arrivent.
Mitsurugi déplia un plan devant lui :
- Yojiro, tu contacteras le clan du Loup. Certains logent dans les bas-quartiers, comme tu me l'as appris. Tu leur promettras une belle récompense, de quoi passer la fin de l'hiver à boire et à manger à s'en faire éclater la panse. En échange, ils nous serviront de milice...
"Yasashiro fera le tour des murailles, au prétexte d'observer le travail des ingénieurs qui les fortifient en ce moment.
"Et toi, Yatsume, tu surveilleras spécialement les entrées autour des logements de la cour. Tu te tiendras prête à entrer et sortir. Quelqu'un comme toi doit être capable de circuler à son aise. Au moins aussi à l'aise que nos ennemis...

Les trois samuraï s'inclinèrent et partirent chacun de leur côté. Le conseiller Sasuke, qui avait tout entendu depuis la pièce d'à côté, séparée seulement par un panneau de bois, demanda à Mitsurugi si cela serait suffisant.
- J'aurai la tête de ces conspirateurs, dit l'ambassadeur. Nous avons eu la Grue Noire. Ce n'est qu'un début. Les dieux sont avec nous. Les dieux... les lames de mes meilleurs hommes et tes pouvoirs les plus destructeurs.
- Nous n'aurons pas trop de tout cet arsenal pour venir à bout de ces conspirateurs.
- Pour les combattre, nous sommes en train de devenir nous-mêmes des conspirateurs, soupira Mitsurugi. Cela doit vouloir dire que nous sommes sur la bonne voie...
- Ils ont perdu l'Oeil de l'Oni avec lequel ils pouvaient nous surveiller en permanence. Ils sont aveugles. Ils ne sont plus que des hommes. Des hommes sans Dieu, reniés par leurs Ancêtres, abandonnés par les esprits...
- En somme, des bêtes féroces, acculées et prêtes à tout pour se défendre.
- Nous allons trouver ce Nuage, dit Sasuke. C'est lui qui dirige ces conspirateurs.
- Et son bras droit Cristal.
- Une fois que nous les aurons, les autres ne seront pas de taille. Lotus n'est qu'un collecteurs de kokus. Rêve est mort. Chrysanthème et Acier ne sont peut être pas en ville.
- Il y a aussi Saphir, le chef des assassins.
- Il ne peut pas être plus dangereux que la Grue Noire.
- Avec ceux que nous avons énumérés, dit Mitsurugi, cela fait sept.
- Ils ne peuvent pas être plus dangereux que ceux que nous connaissons. Pas plus dangereux que Cristal qui combat les ombres, que Nuage qui a fait détruire le clan du Serpent ou que Rêve qui gardait l'Oeil de l'Oni.
- Seulement, ces conspirateurs peuvent être n'importe qui. Certains sont sûrement des seigneurs bien au-dessus de nous, peut-être même des proches de l'Empereur...
- Qui soupçonnes-tu ? demanda Sasuke.
- Je ne soupçonne pas. D'après le Bouffon, Cristal est Shosuro Jotaro, le grand acteur qui aura le premier rôle dans la pièce de théâtre. Et le soir de la représentation, l'Empereur sera au premier rang.
- Je t'assure que Jotaro sera mort avant d'avoir pu ne serait-ce que frôler le Fils du Ciel.

Sasuke avaient hésité à revenir dans la Cité. Il avait passé deux jours à méditer avec Nobuyoshi au temple. Il lui avait raconté la malédiction cachée dans les montagnes de l'ouest. Les deux tensaï étaient partis là-bas, dans l'espoir de retrouver et détruire l'Oeil de l'Oni. Ils étaient montés vers la grotte qui s'était effondrée, et s'étaient assurés qu'Akuma ne s'y trouvait plus. Ils avaient aussi cherché le conspirateur Chrysanthème, dont on avait appris, grâce à Geki, qu'il devait chercher l'Oeil.
Ils n'avaient pourtant rien trouvé. Ils étaient alors revenus au temple et Nobuyoshi avait terminé le rituel de purification de l'esprit de Sasuke. Confiant dans son ami, le tensaï du feu avait accepté de revenir en ville. Il avait brièvement raconté son expédition à Mitsurugi, sans lui dire pourquoi il n'avait pas voulu rentrer tout de suite.
- Je trouverai Chrysanthème, dit Sasuke, et les autres.

Les deux hommes s'interrompirent quand ils entendirent la cloche d'alarme qui retentissait à toute volée. Mitsurugi attrapa son katana et ils sortirent en courant, montèrent sur la terrasse du palais, où de nombreux courtisans étaient déjà assemblés, curieux et inquiets. Un officier Hida leur demandait en vain de rentrer. Mitsurugi prit des renseignements auprès de l'ambassadeur Yasuki, qu'il fréquentait depuis le début de l'hiver.
- Grande armée arrivant par le nord, murmura celui-ci, qui écoutait attentivement le battement de la cloche. Des démons...
Sasuke et Mitsurugi eurent à peine besoin de se regarder. Ils dévalèrent les escaliers et prirent des montures. Ils partirent au galop au travers des rues gelées.
- Akuma a de la suite dans les idées, dit Sasuke. On dirait que la dernière fois ne lui a pas suffit...
- Les démons ont la vie dure, c'est bien connu.

Yasashiro, qui inspectait les murailles nord comme demandé, monta aux créneaux et vit une fumée violacée, surnaturelle, sortir peu à peu des bois : des silhouettes avançant comme des pantins, portant de lourdes armures et marmonnant des borborygmes monotones. Le Crabe eut tôt fait de reconnaître l'armée des barbares des Limbes, avec à leur tête, un guerrier une fois et demi plus grand qu'un homme ordinaire, aux cheveux flamboyants, aux yeux rouge vif, aux poings incandescents : Akuma.

Les troupes des différents clans affluaient dans le désordre à la porte nord, tous réclamant le privilège de se battre en première ligne. Les sous-officiers Crabes ne savaient pas comment s'y prendre pour refuser d'envoyer ces hommes au massacre. Ils avaient normalement le droit de commander à leurs invités de rester dans la Cité mais ils avaient face à eux des seigneurs bien plus élevés dans la hiérarchie céleste.
- Nous passerons ces démons au fil de nos lames, clamait un seigneur Kakita.
- Pas aussi bien que nous, grondait en retour un officier Matsu.
C'était presque l'empoigne entre les deux clans traditionnellement ennemis. Isawa Masaakira, le puissant shugenja de l'école du Vide, arrivait avec ses élèves tensaï, Nobuyoshi, Mizu et Ichibei. Lui-même ne parviendrait pas à calmer Lions et Grues. Il leur proposa d'attaquer en commun les démons. Cela ne calma pas tellement les deux clans ennemis, qui jurèrent chacun qu'ils n'avaient pas besoin de l'autre. Les Crabes, surpris de cette attaque venue du nord, s'organisaient tant bien que mal, gênés par tous ces samuraï zélés qui ne demandaient qu'à se défouler après de longues semaines d'inactivités.
- Il y en aura pour tout le monde ! Il y en aura pour tout le monde !
Les Matsu, bouillants de rage, n'écoutèrent plus et passèrent d'autorité la porte nord. Les Kakita, pour ne pas être en reste, passèrent à leur suite et se mirent en avant d'eux sur la plaine.
- Ah les fanatiques ! cria, désespéré, un capitaine Hida, au moment où Mitsurugi et Sasuke arrivaient.
Les Crabes se mettaient en ordre de bataille, dérangés dans leur positionnement par l'arrivée des Scorpions ("il ne manquait plus qu'eux !") qui entamaient visiblement une manoeuvre de contournement -comme si c'était chez eux une seconde nature de prendre l'ennemi à revers !
- Revenez ! Revenez !... Ah, les fous, s'imaginent-ils donc pouvoir frapper un démon dans le dos !
Le capitaine Hida ne savait plus où donner de la tête. Les Dragons, en maigres effectifs, attendaient sagement qu'on leur dise où se placer, et ils énervaient encore plus les Crabes par leur immobilité insistante. Comme si un officier de la Muraille savait comment diriger ces samuraï dont la plupart des paroles sont incompréhensibles !
Un sifflement partit des bois d'où émergeait l'armée démoniaque et ce fut comme une brève éclipse dans le ciel malade. Une ombre passa au-dessus de la Cité et soudain, un des donjons du château trembla et s'effondra dans un bruit terrifiant. Un boulet venait de s'écraser dessus !
Un autre météore partit et fracassa la tour des Inquisiteurs Kuni. Trois catapultes, poussées par des créateurs inférieures aux traits grotesques ! Ces homoncules difformes raccrochaient déjà une épaisse corde et moulinaient de toutes leurs forces, pendant que des guerriers nordiques roulaient une pierre et la mettaient en place. Un officier entouré d'une aura verdâtre trancha la corde et la catapulte se détendit violemment.

- Attention !
Le hurlement collectif eut à peine retentit qu'un troisième boulet s'écrasait sur des maisons marchandes, à quelques rues du palais Hida. L'Inquisiteur Tadao et ses disciples, qui étaient sortis de leur tour avant qu'elle ne soit touchée, se mettaient en rang pour la bataille. Isawa Masaakira et ses tensaï arrivaient pour leur prêter main forte.

Le désordre régnait sur le champ de bataille, et les combats n'avaient pas encore commencé ! Le vieil Hanteï Norio arrivait sur les remparts, soutenu par son assistant Hanteï Tokan, qui lui tenait un gros manteau de fourrure sur les épaules.
- Seigneur, il faut rentrer...
- Un membre de la famille impériale... ne peut pas rester... comme un vieillard...
Il toussait, crachait. Les autres membres de la famille Hanteï, ainsi que le maître du clan du Crabe, accouraient vers lui.
- Je viens... pour que les clans s'unissent... au nom du Fils du Ciel...
Le vieil homme essayait d'avoir l'air robuste mais il faisait penser à un vieil arbre que le gel et le vent vont briser.
- Senseï, je vous supplie de rentrer...
Le jour tombait déjà et se dégraderait avec une lenteur d'agonie en une nuit noire.

- Senseï...
Les Lions, qui voyaient que les Grues allaient avoir l'honneur du premier coup porté à l'ennemi, chargèrent avec les Matsu en tête et enfoncèrent un rang ennemi. Le choc fut massif. Ils brisèrent les rangs des les troupes démoniaques, piétinèrent les adversaires tombés et, avec une fureur décuplée par la victoire, arrivèrent à la première catapulte, qu'ils détruisirent promptement.
Les Crabes n'avaient pas d'autre choix que de se porter à leur secours, et les Kakita ne pouvaient qu'accomplir un exploit plus grand encore ! Seulement, en chargeant les démons, les Grues ne purent créer le même effet de surprise et virent les troupes de barbares se refermer autour d'eux. C'était la panique. Des Crabes durent venir à leur secours, divisant ainsi leurs forces.
Les Scorpions, qui avaient engagé leur attaque par derrière, tombèrent face à fort parti : les démons se moquaient bien d'être frappés dans le dos ! Leurs lourdes armures leur permirent de résister et nombre de Scorpions furent massacrés sur place. Les Kakita ne faisaient pas meilleure figure.
Les Dragons avançaient lentement, épaulés par leurs alliés naturels du Phénix, qui firent un cercle de protection devant la Cité.

C'était le grand désordre sur la plaine morne. Le vent qui hurlait, la neige épaisse, étouffaient les sons. Un observateur extérieur aurait crue à une chorégraphie très lente, presque muette, dans ce pays étouffé dans les ombres.
Le vieux Norio avait obtenu de réunir les maîtres des différents clans.
- Nous devons nous unir, lança-t-il du ton le plus solennel possible, malgré sa voix que la maladie brisait.
- Ne perdons pas trop de temps à discuter, dit le Champion d'Emeraude.
Le vieil homme fut pris d'une quinte de toux. Tokan ne soutint comme il put. Les autres attendaient poliment, très raides.
- Vos paroles sont sages, senseï, dit le Champion d'Emeraude. Mais je vous assure que nous devons partir au combat dès maintenant. L'union sacrée se fera au coeur du combat.
- C'est l'Empereur, c'est l'Empereur, toussa Norio, qui doit mener les troupes... Comme son père l'a fait avant lui, il y a trente de cela, depuis cette même ville...
- L'Empereur ? ricana alors Bayushi Atsuki, mais où est l'Empereur à cette heure-ci ? Dort-il encore ?...
- Allons, calmons-nous, dit le Scribe Shiba Gaijushiko de sa voix posée et ennuyeuse, c'est au Champion d'Emeraude de mener les troupes impériales.
- C'est un affront, éructa Norio, avant de s'étrangler à nouveau.
- Senseï, vous devez les écouter, dit Tokan.
- Alors que nous parlons, dit le Champion d'Emeraude, les troupes du shinsen-gumi sont partis à l'assaut, et vont unir les clans derrière elles.
- Non, pas eux, gémit Norio.
- Le fougueux capitaine Jukeï, dit le maître des Scorpions, attendait une occasion exceptionnelle comme celle-ci de se distinguer... Ses troupes bien entraînées et dévouées jusqu'à la mort feront merveille...

Tokan dut emmener Norio dans la pièce à côté, plus au chaud. Il fit accourir des médecins et des femmes soignantes. Le vieil homme consentit à s'allonger.
- Mes jambes ne me portent plus... Mon souffle, il est glacial... C'est la mort qui est sur moi...
- Senseï, je vous en supplie, ménagez-vous.
- Ce Jukeï ne mène pas des samuraï mais des mercenaires sans honneur...
- Tout bras est bon à prendre contre ces démons.
Norio prit de grandes inspirations.
- Tokan, regarde par la fenêtre... Dis-moi comment se déroule la bataille...
On lui mettait des couvertures, on gavait la cheminée de bois, on lui posait des linges brûlants sur le front, on lui préparait une infusion bien épaisse. Tokan sortit et regarda les troupes de Rokugan avancer en désordre contre la masse monolithique des démons.
- La bataille continue, senseï... Nos troupes avancent...
Elles avançaient, oui, mais lentement, à gauche et à droite, en une danse pataude, une vulgaire bousculade de rue marchande.
Longtemps, Tokan se souviendrait de ce jour -le jour où il vit, de ses yeux, l'effet de la décadence qui gangrénait l'Empire depuis plusieurs années. Oui, c'était à compter de ce jour que Tokan vit réellement que ce n'était plus l'homme sur le trône d'Emeraude qui dirigeait l'Empire, que la sédition, l'anarchie, tenaient lieu de règle de conduite, que les charpentes de l'ordre céleste étaient vermoulues. C'était un spectacle effrayant, car les troupes unies, comme elles l'avaient été sous feu Hanteï V, auraient déjà écrasé depuis longtemps l'armée d'Akuma. Mais aujourd'hui, ces démons trouvaient face à eux des guerriers malhabiles, désordonnés, braillards, vaniteux... Rien ne fonctionnait. Trop d'hommes tombaient pour chaque démon abattu. La victoire était malgré tout acquise mais son prix serait presque pire que celui d'une défaite.

- Que vois-tu, Tokan ?
- Je vois que la victoire est pour bientôt, senseï... Pour très bientôt...
Tokan regarda encore, blêmit en découvrant que les armées de Rokugan ressemblaient de plus en plus à des spectres hurlants. Il rentra, dit au senseï qu'il pouvait se reposer. Les troupes d'Akuma étaient enfoncées. Il n'y en aurait plus pour longtemps, mais avec cette bataille, Tokan le voyait, affligé, l'Empire s'enfonçait dans d'épaisses ténèbres...
- Les guerriers les plus braves accomplissent des prouesses, senseï. Je ne sais pas s'ils à la hauteur des hommes qui accompagnèrent le vieil Empereur mais je sais que nous pouvons être fier d'eux...
- Des âmes nobles oui, murmura Norio, mais noyés parmi des décadents, des courtisans gras, des soldats paresseux...
- Senseï, il n'y en a plus pour longtemps...
- Non, plus pour longtemps... Je crois, dit Norio pour lui-même, que la vue du pays des morts sera plus douce que celle d'un Empire qui n'est plus que le souvenir de lui-même...

Mitsurugi et Sasuke s'étaient lancés au milieu de la cohue. Ils avaient atteint une catapulte, qu'ils détruisirent rageusement avec les troupes Matsu de l'ambassade et les Inquisiteurs menés par Tadao. Yatsume envoyait de grands coups vengeurs de yaris sur les troupes des Limbes, avec Yasashiro et Yojiro, plus batailleurs que jamais. La neige glacée craquelait sous le piétinement des centaines d'hommes englués. Les nuages d'hivers passaient en se déchirant et les arbres de la forêt morte ployaient sous le vent. Le vent propageait les cris d'agonies et les râles, les lourds nuages s'accumulaient, menaçants, comme pour écraser les combattants.

Mitsurugi vit que le général Kokatsu était parvenu à unir les troupes Matsu sous son commandement. Il reçut l'ordre d'attaquer un pont par lequel arrivaient des renforts pour les troupes d'Akuma. L'ambassadeur ordonna aux hommes autour de lui de le suivre : Tadao et ses hommes, des Phénix, beaucoup d'Akodo et de Matsu, des rônins. Cette troupe, galvanisée par le prestige de l'ambassadeur courut vers le pont et engagea un âpre combat contre les renforts d'Akuma. Les démons, tranchés les uns après les autres, chutèrent dans l'eau glacée. Mitsurugi hurlait des encouragements, et une nouvelle percée fut fatale aux renforts. Sasuke dit qu'on pouvait poursuivre en revenant par le flanc, vers la dernière catapulte. Mitsurugi vit alors que le général Kokatsu lui ordonnait, par éventail, le retrait.
- Retrait ? demanda Sasuke.
- Je ne sais pas pourquoi, mais il confirme l'ordre !
Mitsurugi mit ses troupes en défense et les samuraï, la mort dans l'âme, durent accepter de perdre leur précieux avantage, au moment où ils pouvaient redonner de l'espoir à toute l'armée. Ils revinrent au pied des remparts à reculons, sans fléchir face à la contre-percée des barbares. Mitsurugi étouffait sa colère avant de se présenter devant le général. Comment Kokatsu avait-il pu ordonner ?...
C'est Sasuke qui comprit alors ce qui venait de se passer : le daimyo du clan des Lions, maître de la famille Akodo, gisait dans la boue, l'oeil transpercé par une flèche ! Son corps était entouré des plus féroces quêteurs de mort Matsu, qui protégeaient sa dépouille.
- Retrait, retrait ! ordonnait de toutes parts les Lions.
Le bruit de la mort du daimyo fit le tour du champ de bataille. Bientôt, cette nouvelle désespérante accabla l'armée, et tout le monde se mit retrait désordonné, alors que les troupes d'Akuma se reformaient.
- Il est mort ! s'exclamèrent les samuraï qui passaient près de la dépouille.
Des Matsu se jetaient à terre, suppliant qu'on leur accorde le droit de s'ouvrir le ventre. Même les Kakita ne se réjouissaient pas. On fuyait devant ce corps étendu là, on n'osait pas le regarder.
- Que se passe-t-il, Tokan ?
- Nos troupes reviennent en ville. Akuma recule.
- Ce n'est donc pas fini...
- Pas encore, senseï... Mais il est sûrement plus prudent d'attendre...
Norio sentait que Tokan lui mentait mais il n'avait pas la force d'en demander plus. L'infusion qu'on lui avait servi faisait son effet, il glissa dans un pénible sommeil.

Avec l'énergie du désespoir, les samuraï rentraient dans la Cité. La dernière catapulte lança un dernier boulet, qui s'écrasa sur le quartier des etas. Pris de panique, les Lions furent les premiers rentrés, suivis de près par les autres clans. Les membres du shinsen-gumi fermèrent la marche.
Depuis le balcon du palais, Hanteï Tokan vit entrer la dépouille du maître des Akodo, portée par dix hommes, entourée d'une centaine, tous accablés par le vent gémissant.
- Que les dieux nous protègent, murmura Tokan.
Il se retourna et vit la silhouette obèse et difforme de Yoriku, le Bouffon impérial.
- Tu étais là, toi ? dit Tokan.
Le grotesque personnage était connu pour circuler partout où bon lui semblait. Aujourd'hui, il grimaçait et ce n'était pas un jeu : il était sincère dans son affliction.
Les troupes rokugani rentraient derrière le daimyo tué, en un long cortège funèbre chamarré.
Les portes nord se refermèrent lourdement, tandis que les démons refluaient dans la forêt et qu'Akuma lançait mille malédictions sur ses anciens frères humains. Ses cris se perdirent dans l'obscurité qui montait déjà du ciel et couvrit bientôt la fragile petite capitale, perdue au milieu des contrées enneigées, figées.
- Ce soir, dit le Bouffon, même les cieux s'affligent...
Une giboulée tomba, des grêlons mêlés de neige. Etait-ce déjà la dernière neige ? La première pluie de printemps ? Cette neige et cette pluie mauvaise rendrait le sol boueux, mou, froid et traître.
- Les démons sortent au solstice, c'est bien connu, dit Tokan.
Reply
#2
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Une veillée mortuaire fut organisée pour le daimyo des Akodo. A la lueur des mauvaises bougies que le vent menaçait à tout moment de souffler, des centaines de samuraï défilèrent devant le corps. Il semblait que les flammes vacillantes révélaient les vrais sentiments que ni le maquillage ni l'habitude de l'hypocrisie ne pouvaient plus cacher chez les courtisans. Il avait été décidé dans l'urgence que ce serait le daimyo des Ikoma qui prendrait la tête du clan, d'ici à ce qu'un nouveau Akodo soit choisi. Le daimyo Ikoma refusa cependant et laissa sa place au daimyo des Kitsu, qui était un vieillard paisible, très étranger à la guerre. Cette solution convint pourtant à tout le monde car Kitsu Itsoji ne ferait aucune difficulté pour passer la main. A ce moment, les Lions étaient loin de se douter de ce qu'allait, plus tard, leur coûter le choix de ce vieil homme...

Hanteï Tokan se présenta au nom de Hanteï Norio devant le cercueil du successeur d'Akodo le Borgne. Le capitaine Jukeï était là aussi, auréolé du peu de gloire que la dernière victoire contre Akuma lui avait apportée.
Les Akodo annoncèrent qu'ils respecteraient au moins une journée de trêve. Iks ne pouvaient faire moins, même en considérant l'urgence de la situation. Dans des circonstances normales, ils auraient exigé au moins une semaine de recueillement et de trêve. La menace étant si grande au nord ou au sud, ils étaient prêts à repousser au printemps les véritables célébrations de la mort de leur chef. Ainsi donc, si les Akodo ne se battaient pas, c'était presque tout le clan du Lion qui se retrouverait paralysé. Plusieurs Grues ricanèrent, et durent en rendre compte en duel. Quelques Scorpions aussi moquèrent cet attentisme. L'ambiance devenait de plus en plus lourde.
Le gros juge Otomo Kempô, qui était secrètement réputé pour sa lâcheté physique (il était toujours entouré d'une soldatesque impressionnante dès qu'il sortait hors des quartiers nobles) suait malgré le froid, répétant :
- Ah, que cette cour d'hiver se termine bientôt !
- Nous allons honorer jusqu'au bout l'Empereur et sa venue ici, lui répondit son ami le maître de cérémonie Seppun Tokugawa, mais oui, vivement que nous retrouvions la Cité Interdite !

Hanteï Tokan discutait avec l'Inquisiteur Tadao, et lui glissait :
- Regardez tous ces lâches qui prendraient leurs jambes à leurs cous s'ils en avaient l'occasion ! Ils détaleraient comme des lapins, prêts à traverser vos terres de jour et de nuit, sans arrêt, pour s'éloigner le plus possible de la Muraille.
- J'espère que certains reviendront plus aguerris de cette cour, grommelait l'Inquisiteur Tadao. Mais je dois déjà ceux qui n'en reviendront que plus lâches.
- Ce ne sera pas le cas du jeune Doji Suzume, dit Tokan. On dit qu'il a le shinsen-gumi après lui, après s'être enfui de chez son père.
- Ils se sont réconciliés, et je crois que pour le moment, le shinsen-gumi est prêt à oublier cette affaire, dit Tadao. Même ces mercenaires sont prêts à comprendre que le combat contre les démons est plus important que de s'en prendre à un jeune samuraï honorable. A propos, des nouvelles de sa soeur ?
- Non, dit Tokan. Mais tous les bruits courent à son sujet. D'aucuns disent qu'elle n'est pas partie mais qu'elle a été mise au secret par le capitaine Jukeï. Les mêmes disent que c'est une ruse du capitaine, pour attirer Mitsurugi dans un piège.
- Il irait délivrer la belle et se ferait attraper, hein ?... Décidément, je préfère combattre les démons. Avec eux, au moins, il n'y a pas d’ambiguïté. Ils ne font pas semblant de défendre l'Empereur... L'avez-vous récemment d'ailleurs ?
- Pas depuis quelques jours, à la vérité.
- Je comprends que la santé de votre maître doit vous occuper en permanence. Je prierai pour ce noble Hanteï Norio, témoin d'une époque belle et bien révolue, dit l'Inquisiteur.
Comme le capitaine Jukeï arrivait, les deux hommes décidèrent que l'ambiance devenait beaucoup trop malsaine et regagnèrent leurs appartements. On reconstruisait déjà la tour abattue par le boulet des barbares.

Ce même jour, l'ambassadeur Akodo avait invité son collègue Mitsurugi à prendre le thé.
- Je reviens de chez les Bayushi, dit-il à notre héros. Autant vous dire que l'accueil a été glacial.
L'ambassadeur faisait référence à un incident survenu à la fin de la dernière bataille. Au moment où le daimyo Akodo avait été frappé d'une flèche, il se trouvait tout près du général Matsu Kokatsu qui, de rage, avait accusé les Scorpions d'avoir gêné l'avancée des Lions par leurs manoeuvres, et les avait dans la foulée accusé, plus qu'à demi mot, d'être responsable de cette mort. Comme il était hors de question que le bouillant gouverneur de la Cité des Apparences aille demander pardon devant les Scorpions, c'est l'ambassadeur Lion qui avait préféré prendre les devants pour arrondir les angles.
- J'y suis donc allé de toutes les politesses devant le seigneur Bayushi Tangen.
- Vous avez dû passer un moment délicieux, dit Mitsurugi en soufflant sur son thé.
- Je ne vous le fais pas dire. J'aimerais mieux mettre le pied dans un niveau de vipères. Je saurais au moins à quoi m'attendre. Alors que là !...
- Ils vont faire les menaçants, dit Mitsurugi, mais s'ils étaient si forts, ils n'auraient pas besoin d'être si rusés ! Voilà la vérité, dit fermement notre héros. Quand on a les moyens de ses paroles, on n'a pas besoin d'insinuations. Les Scorpions doivent toujours s'y prendre de biais car l'attaque frontale leur serait mortelle.
- Je comprends ce que vous voulez dire, mais je crois que le seigneur Tangen reste quelqu'un de très dangereux. Peut-être plus que son maître, car lui tire les ficelles. Je crois que c'est lui, le vrai maître des secrets dans cet Empire et qu'il trie les informations qui parviennent à Bayushi Atsuki. Alors que lui sait tout. Il jouit d'un prestige inimaginable chez les Bayushi, et même dans les autres familles Scorpions. Même les Doji l'admirent, sans le dire. Mais ils l'admirent.
"Cela va bien au-delà du respect pour l'adversaire. C'est une fascination, une, comment vous dire ?...
- Ces gens se laissent facilement berner par de belles paroles et des costumes inquiétants. J'ai appris à voir au-delà de ça, dit Mitsurugi, toujours confiant.
- Vous êtes d'ailleurs, dit l'ambassadeur un ton plus bas, l'un des seuls à inquiéter la clique de Tangen.
- Sûrement, sûrement, fit Mitsurugi, qui y voyait là son principal titre de gloire : ennemi en chef du Gozoku ! Comment s'est terminée l'entrevue ?
- Par respect pour notre deuil, je pense que les Scorpions passeront l'éponge pour cette fois. S'ils devaient s'en prendre à tous ceux qui les injurient à tort et à travers...
- On ne calomnie jamais assez les Scorpions !

Mitsurugi dit qu'il irait annoncer la bonne nouvelle au général. Comme celui-ci était occupé, il retourna dans son cabinet de travail, où Sasuke l'attendait. Il avait encore son air de conspirateur.
- Quelle idée as-tu encore ourdi ? demanda notre héros à son ami.
Sasuke prit son visage le plus sérieux et dit :
- J'ai la conviction qu'Akuma est venu pour moi.
- Tu n'as pas l'impression de tirer un peu la couverture à toi ?
- C'est à moi qu'il en veut. Il cherchait l'Oeil de l'Oni...
- Et ensuite ?
Mitsurugi ne voyait que trop où son ami voulait en venir.
- Je dois sortir l'affronter.
- Et braver la trêve des Akodo ? T-t-t, pas question.
- C'est la trêve des Akodo, comme tu l'as dit.
Mitsurugi leva les yeux au ciel. On aurait dit un adolescent qui réclame la permission de sortir avec ses copains.
- Nous n'allons pas fâcher les Akodo. Je te signale que leur ambassadeur vient d'arranger les choses pour le général Kokatsu.
Mitsurugi sut que Sasuke n'écouterait même pas cet argument. Il se demandait surtout si le shugenja avait bien compris qu'il faisait partie du clan du Lion ! S'il ne se croyait pas encore chez les Phénix ! Ou pire : s'il ne pensait pas qu'à lui-même !
- Akuma va profiter de cette journée pour refaire ses troupes !
- Et alors, dit Mitsurugi, la bataille n'en sera que plus belle.
L'argument, là encore, n'atteindrait pas le shugenja.
- Je ne veux pas que tu y ailles, dit l'ambassadeur, car nous sommes déjà suffisamment divisés ! Nos ennemis n'attendent qu'une chose, c'est que nous nous entre-déchirions. Et je veux que tu gardes tes forces contre Nuage et ses complices !
Mitsurugi sentit qu'il était déjà plus persuasif.
- Akuma est un démon, il y a des Inquisiteurs pour le détruire. Ils se feront un plaisir...
- Je peux y aller seul, s'empressa d'ajouter Sasuke.
- Pas avant demain !
- Demain alors.
Mitsurugi soupira : un vrai gamin ! Il ne fallait pas lui en promettre !
- Tu n'iras pas seul. Je viendrai, et nos meilleures troupes avec nous. Si vraiment c'est à toi qu'Akuma en a... nous éviterons une bataille sanglante.
Sasuke n'écoutait déjà plus. Il dit qu'il devait aller se préparer !
Mitsurugi se frotta les yeux, lassé et ordonna qu'on lui apporte des danseuses, des musiciennes et du saké.
- C'est la cour d'hiver après tout ! Amusons-nous !
Il sentait qu'il serait bien le seul ce soir, à rire dans son coin. Il n'avait pas envie de se mêler à la plupart des trouillards qui ne fermaient plus l'oeil depuis qu'Akuma menaçait la ville. La fête ne dura pas longtemps pour lui. Fatigué, il congédia au bout d'une heure toutes ces belles artistes et rejoignit seul son lit.
Reply
#3
Toujours aussi plaisant, merci pour cette lecture Applause

Et c'est vrai...



On ne calomnie jamais assez les scorpion redaface2
Reply
#4
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Dès son réveil, Mitsurugi sentit l'air glacial de l'aube, le brouillard persistant qui pesait sur la Cité, l'humidité mordante qui imprégnait les murs.
Sasuke était debout avant lui, pour une fois ! Il avait déjà revêtu une armure légère et préparé son sac de parchemins. L'Inquisiteur Tadao entrait dans la cour du palais, où des serviteurs préparaient le bûcher pour le daimyo Akodo. Dans le jardin intérieur des quartiers Lions, Mitsurugi retrouva Yasashiro qui faisait ses exercices matinaux. Il se fit servir une soupe et du riz. Il fit venir Yatsume et Yojiro, qui s'étaient levés bien avant le soleil. Ils mangèrent en silence, le nez rougi par le froid. On n'entendait que quelques timides oiseaux, des branches qui pliaient sous le poids de la neige. Les samuraï soufflaient sur leur soupe brûlante.
- Sasuke est persuadé qu'Akuma n'est revenu que pour lui, expliqua Mitsurugi. Il va lui offrir un duel en règle. Seulement, nous n'avons pas en face de nous un adversaire honorable. Nous n'allons pas dans un dojo... Aussi, je vous demande de venir en aide au shugenja s'il est en difficulté.
Yasashiro, Yatsume et Yojiro approuvèrent du chef.
- De plus, je vous rappelle que nous sommes censés prier et purifier le champ de bataille -c'est ce que Sasuke racontera à la famille Akodo. N'ayons pas l'air de partir à la guerre en sortant.
- De toute façon, dit Yojiro, nous allons bien purifier le champ de bataille de ce démon. Et qui peut nous le reprocher ?
- Tu ne connais pas l'esprit retors de bien des courtisans, qui pourraient dénigrer notre victoire et nous accuser de les dieux savent quoi... N'oubliez pas que nous allons briser la trêve demandée par les Akodo.
- Laisse-nous y aller avec l'Inquisiteur Tadao, dit Yojiro. Ne risque pas ton honneur. Nous ne sommes pas concernés par le deuil qui frappe les Akodo...
- Pas si simple. Si Sasuke y va, je dois y aller. J'aime mieux être là pour le surveiller. C'est la condition qu'a mise le général Kokatsu pour m'autoriser à sortir ce matin.
"Comme toujours, nous prenons tous les risques, et nous ne devrons pas nécessairement attendre beaucoup de gloire de cette action d'éclat. Mais si ces courtisans fielleux ne le voient pas, les Ancêtres, eux, ne sont pas aveugles. Ils savent pour quoi nous nous battons.
Mitsurugi alla se préparer.
Il retrouva Sasuke, Tadao, quelques soldats Matsu volontaires et les hommes de l'Inquisiteur dans la petite cour ouest du palais. Alors que Mitsurugi passait en revue les troupes, le soleil perçait timidement à travers la brume. Kyuden Hida était encore parfaitement silencieux. Comme la troupe allait se mettre en marche, on vit arriver la silhouette courbée du vieil Hanteï Norio. Mitsurugi s'agenouilla devant lui dans la neige :
- Senseï, c'est un honneur de vous voir ce matin.
- Je ne pouvais garder la chambre ce matin. J'ai besoin d'air frais, le médecin me l'a prescrit.
Hanteï Tokan observait son maître inquiet. Norio fit signe à Mitsurugi qu'il allait lui donner l'accolade fraternelle des bushis.
- L'Empereur sait ce que vous faites pour lui, murmura le vieil homme. S'il y avait des difficultés avec les Akodo, j'interviendrai en votre faveur.
- Senseï, intervint Tokan, nous devrions rentrer. Cela fraîchit.
Le vent qui tournait dans la cour allait glacer la neige, givrer les pierres dont les fissures retenaient de l'eau.
Mitsurugi se releva, enleva la neige de ses jambières. Des choucas perchés dans les tours lançaient leurs cris stridents. Sasuke, l'air martial, donna l'ordre aux soldats de se mettre en marche.

Comme le vieux Norio, épaulé par Tokan, rentrait dans les quartiers impériaux, il croisa le conseiller Tangen.
- Mes respects, seigneur, dit ce dernier au parent de l'Empereur. Où va donc Mitsurugi par un si mauvais temps ?
- Je n'ai pas à parler pour lui, dit avec hauteur le vieil homme.
- Tout le palais vous a vu lui donner l'accolade fraternelle. Faut-il conclure qu'il part à la bataille ? Malgré le deuil d'un jour exigé par les Akodo ?...
- Matsu Mitsurugi accomplit son devoir, rien de plus. Lui et ses hommes vont prier leurs frères tombés hier...
- En armures ?
- Si un démon passait par là pendant qu'ils prient, il y a toutes les chances qu'il ne respecte pas leur dévotion.
- Je ne comprends pas que vous souteniez ce jeune arriviste, qui agit selon son bon vouloir et ne respecte aucune coutume.
- Il en respecte au moins une : celle qui dit que les samuraï doivent combattre les ennemis de l'Empereur. Y a-t-il beaucoup de gens qui peuvent en dire autant ?
- Ce jeune ambassadeur est monté très haut très vite. Vous savez ce que l'on dit dans ce cas : plus dure sera la chute.
- Doit-on comprendre, seigneur Tangen, que c'est vous qui orchestrerez cette chute ?
- Il n'y aura nul besoin de le pousser. Mitsurugi finira par commettre une erreur, l'erreur que les samuraï fous d'orgueil comme lui finissent toujours par commettre. Nous verrons, ce jour-là, qui voudra encore le soutenir.
- Je n'ai pas l'habitude de renier ceux que je soutiens, seigneur Tangen. Mes convictions n'ont jamais varié.
Le vieil passa, refusant de parler davantage à ce Scorpion fielleux, qui n'existait que par ses discours et ses manigances.

Mitsurugi prit la tête du petit groupe. Les haleines blanches des samuraï se perdaient dans le gris humide des brumes. Le soleil avait disparu à nouveau. Des oiseaux s'envolaient dans les bois. Des loups hurlaient. On entendait le glouglou rassurant d'une rivière ; comme la brume troublait la perception des distances, on ignorait si ces bruits étaient proches. Le monde se réduisait à des gouttes en suspension, des cris lointains, de la neige tantôt gelée, tantôt fondante, le bruit du vent.
Ils avançaient lentement, vite harassés par cette neige énorme, compacte. Ils retrouvèrent l'endroit où des corps avaient été abandonnés la veille. Prisonniers de leurs armures, figés dans la neige, tenant encore leurs armes, ces morts avaient souvent la bouche et les yeux ouverts. Nos héros passèrent à côté d'eux sans oser les regarder, car la vue des morts qui n'ont pas les paupières fermées porte malheur.
Ils avancèrent jusqu'au pont qu'ils n'avaient pu tenir la veille. Des corps gisaient dans le lit du torrent, des crânes fendus sur les roches, des jambes qui dépassaient de l'eau. Plus haut dans les bois, un groupe de Scorpions surpris dans leur tentative d'encerclement faisait le festin des corbeaux. On devinait que les oiseaux venaient de loin, des forêts profondes, des montagnes glacées, par l'odeur attirés, pour profiter de cette bonne nourriture.
- Akuma ! hurla Sasuke, qui n'y tenait plus et qui voulait donner à tous du courage.
Son cri résonna longtemps dans les épaisses couches de brumes, comme des dizaines d'épaisseurs de rideaux qui vibrèrent un moment puis retombèrent inertes.
- Nous allons faire du feu, dit Mitsurugi, qui voulait occuper les hommes. Cela nous fera du bien et nous ferons des torches pour nous repérer.

Les soldats commencèrent à ramasser du bois mort. Le sol trembla alors, comme frappé d'une masse énorme. Ce n'était pas une secousse sismique mais comme des pas de géants qui approchaient. Les hommes lâchèrent les fagots et tirèrent leurs armes.
- En formation, dit Mitsurugi.
- Nous avons réveillé ces démons tôt, dit Tadao, et ils ne sont pas de bonne humeur.
Ses shugenja finirent leurs prières et se préparèrent au combat. Sasuke se mit en tête, face à la forêt sombre d'où le martèlement sourd arrivait. Le cliquetis des armures barbares devenait de plus en plus nette ; des arbres se renversaient, de petits animaux fuyaient ; les yeux rouges des réprouvés des Limbes, comme des lucioles de sang, avançaient, avec à leur tête Akuma, qui n'était que flammes et colères. La cité semblait bien loin, derrière les nappes de brouillard.
Akuma fit trois pas de plus, pour se retrouver presque nez à nez avec Sasuke :
- Je suis venu t'expédier chez moi, en enfer, petit homme...
Le démon dépassait le shugenja de plus d'une tête. Son haleine méphitique aurait suffi à faire dépérir toute vie, si l'hiver ne l'avait déjà fait.
- Tu n'es plus que l'ombre de toi-même, cria l'Inquisiteur Tadao. Il y eut naguère un capitaine vaillant, adoré de ses hommes, Yasuki Kuma. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'une brute sans âme !
- C'est vous, vous tous qui m'avez envoyé en enfer !
- Pas nous, non, dit Sasuke plus bas, pour n'être entendu que du démon. Toi et moi savons que c'est Nuage.
- Tais-toi, misérable larve !
Akuma lança son poing enflammé, Sasuke se jeta sur le côté et le coup fracassa un tronc d'arbre.
- Si Nuage est ton ennemi, dit Akuma, viens le combattre à mes côtés ! Je te donnerai tous les pouvoirs que tu voudras pour le détruire !
- J'ai déjà tout ceux qu'il me faut, dit Sasuke.
Il projeta sur Akuma une boule de feu ; frappé à la poitrine, Akuma fut jeté à terre par la déflagration. Les barbares attaquèrent à ce moment, encerclant rapidement les Lions et les Crabes. Au centre du groupe, Mitsurugi et Tadao organisèrent la défense face à des ennemis trois fois plus nombreux.
Akuma s'était relevé, en brandissant un tetsubo imbibé d'énergie maudite, ruisselant de sang noir :
- Regarde, Sasuke, regarde avec quoi nous nous battons chez moi, dans le Toshigoku [Royaume des Massacres].
- Si tu t'y plais tant, je vais t'y renvoyer immédiatement !
Sasuke invoqua un katana de feu. Le choc des deux armes secoua la forêt. Yojiro et Yasashiro repoussèrent un assaut des barbares, permettant à Yatsume de se jeter en contre-attaque sur eux, son yari décrivant des cercles meurtriers. Mitsurugi lança une charge avec les samuraï, soutenus par les tirs de jade des Inquisiteurs. Les barbares reculèrent. Mitsurugi ordonna à ses trois fidèles amis d'aller aider Sasuke :
- Je veux la tête de ce démon en décoration murale ce soir !
- Et moi la peau de ses fesses en descente de lit, rajouta Tadao.
Les trois "Y" coururent à l'aide de Sasuke, qui était engagé dans un duel brutal contre le démon, sa lame enflammée contre la massue ensanglantée, vibrante d'énergie démoniaque. Les samuraï ne voyaient que des corps flous, aux lents mouvements dans l'air froid, aux coups étouffés. Mitsurugi criait des ordres mais ne savait plus si on l'entendait. Les Inquisiteurs s'attaquaient aux barbares, se perdaient dans les brumes. Un arbre tombait, de la glace craquait. Les combattants suaient et tremblaient, frigorifiés. Mitsurugi vit Sasuke en mauvaise posture face au démon et ordonna aux trois "Y" de lui porter secours. Il vit alors venir sur lui quatre barbares réclamant son sang pour leurs dieux barbares. Il se mit en posture de défense et les affronta ensemble. Tout paraissait si lent qu'il avait une éternité pour préparer ses esquives et ses répliques. Au bout d'un temps indéfini, comme au sortir d'un rêve, il vit les cadavres de ses ennemis devant lui. Yasashiro, Yatsume et Yojiro s'étaient portés au secours de Sasuke et ils transpercèrent de la pointe de leur sabre le grand guerrier écarlate. Sasuke laissa son sabre de feu se volatiliser. Yasashiro criait à l'Inquisiteur Tadao d'accourir. Le sol tremblait encore de la chute d'Akuma.
L'Inquisiteur couvrit le démon d'une pluie de feu et l'enferma dans un cercueil de roche translucide verdâtre, un sarcophage de jade. Ses assistants accoururent, alors que les barbares refluaient en désordre. Des serviteurs de la tour Kuni arrivaient en poussant une lourde charrette. Pendant que les samuraï surveillaient les bois, ils hissèrent la lourde pierre. On dut faire venir deux lourds percherons pour tirer l'attelage.
C'est avec frayeur que nombre d'habitants de la Cité assistèrent au retour de ce convoi étrange. Les guerriers épuisés marchaient à côté des chevaux, leurs haleines mêlées à celles des animaux. Akuma, grièvement brûlé, était figé dans sa prison de jade, comme un animal emprisonné dans la glace. Il fut amené au dernier sous-sol de la tour, où se passaient les interrogatoires les plus durs. On descendit le bloc dans une fosse, où elle fut attachée à de lourdes chaînes et peintes de signes protecteurs contre les démons.
Puis, des ouvriers arrivèrent avec des masses et brisèrent le haut du bloc, pour dégager la tête du démon. Celui-ci, défiguré, hurla sa rage.
- L'heure est venu d'expier ton hérésie, Akuma, dit l'Inquisiteur.
Mitsurugi, Sasuke et les autres étaient là-aussi, à regarder le monstre dans son trou.
- Il est encore temps pour toi d'implorer notre clémence, et celle des Dieux, pour que ta mise à mort soit brève, et ta souffrance dans l'autre monde plus brève de quelques siècles.
- Je n'ai rien à vous dire ! C'est vous qui avez fait de moi ce que je suis !
- Tu t'es voué au mal, Akuma. Tu es devenu l'allié de ceux que tu devais combattre. Toi qui était l'incarnation vivante de la muraille, tu as tout trahi et tu nous a attaqué par le nord-est, la direction maudite.
- Et tu t'es voué au mal, ajouta Mitsurugi, pour masquer que, déjà, tu conspirais contre notre clan.
- J'aurais pu vous sauver ! Sauver l'Empire ! L'Empereur n'est qu'un fantoche ! Il tombera bientôt, abattu comme un chien malade !
- Tu en rajoutes dans le blasphème, maugréa Tadao. Tu ne mérites décidément aucune compassion. Comme nous ne voulons pas te voir plus longtemps, nous allons te chasser à jamais. Tu iras propager la souffrance et la mort dans un autre monde.
- Rien ne m'empêchera de revenir ! Vous ne dormirez plus ! Vous ne passerez plus une journée sans penser à moi !
- Ton nom sera oublié, effacé de toutes les archives. Nul n'aura droit d'évoquer ton souvenir sans être durement puni à son tour...
- Akuma, dit Mitsurugi, tu faisais partie de la conspiration du Lotus. Mais ce n'était pas toi le chef. Dis-nous qui est à la tête de cette faction.
- Je ne sais rien qui t'intéresse ! Si vous m'aviez laissé faire, ces conspirateurs seraient déjà morts et à l'heure qu'il est, nous marcherions sur l'Outremonde pour le détruire !
- Tu as échoué, dit Sasuke. C'est nous qui allons démasquer et détruire ces traîtres. Dis-nous qui ils sont...
- Vous ne pourrez pas, vous ne pourrez pas... Ils ne sont pas qu'à Rokugan. Ils ont étendu leur pouvoir au-delà de l'Empire, dans les Sables Brûlants. C'est Sable qui les dirige dans la capitale du désert...
- Parle-nous de ceux qui sont dans l'Empire ! ordonna Tadao.
Les serviteurs annoncèrent qu'un important personnage était arrivé.
- C'est moi qui lui ai demandé de venir, dit l'Inquisiteur.
Le puissant tensai du Vide, Isawa Masaakira, fit son entrée. Les salutations furent brèves, gênés par les hurlements de haine et de douleur d'Akuma. De plus, cette pièce n'était pas précisément une salle de réception mondaine.
- Je vous reconnaissant d'être venu, dit Tadao.
- Ce n'est que mon devoir de vous aider dans le combat contre ce démon, dit le tensaï.
Sasuke restait légèrement en retrait. Il constata que son ancien maître était venu seul.
- Le rituel que je dois accomplir, expliqua le Phénix, exige en revanche que je sois seul. Il ne sera pas long mais il demande une concentration parfaite.
- Très bien, dit Tadao, un peu à contrecoeur, nous vous laissons.
Quand Masaakira fut seul dans la pièce, il s'approcha de la fosse, et c'est seulement là qu'Akuma l'aperçut. Il se mit à hurler de plus belle.
- Tu n'es déjà plus qu'un souvenir, dit le Phénix.
- Tu ne t'en sortiras pas ainsi, je reviendrai et je te tuerai toi le premier...
- Tes cris et tes menaces ne peuvent plus troubler quiconque...
- Ne fais pas semblant avec tes belles paroles !
Masaakira leva deux doigts au-dessus du démon et entonna à mi-voix un rituel secret. Le bloc de jade se mit à luire. Des flammes jaillirent du fond de la fosse et une âcre fumée sulfureuse. Les flammes montèrent encore, noircirent le jade. Masaakira joignit ses mains et tendit les bras devant lui. Les flammes devinrent blanches et disparurent en une lumière éblouissante tandis que le bloc chutait dans un trou sans fond, les hurlements d'Akuma résonnant depuis cette abysse puis disparaissant. Le tensaï écarta brusquement les bras, comme pour chasser de la fumée devant lui et le sortilège cessa. La fosse reprit sa forme ordinaire : un puits de pierre ayant accueilli un nombre incalculable d'hérétiques ayant souffert mille morts avant d'être achevés.

Tadao et ses invités revinrent dans la pièce, respectueux.
- C'en est fini, annonça Masaakira. Vous n'entendrez plus jamais parler de ce démon. Je l'ai envoyé dans un autre monde sans aucune frontière avec le nôtre.
- Je ne sais comment vous remercier, dit Tadao, qui n'était pas habile en compliments. Si vous avez quoi que ce soit...
- Vous n'avez rien à me demander, dit posément le tensaï. Je ne vous rappellerai jamais ce service et je vous serais seulement reconnaissant d'oublier que je suis venu ici. Akuma n'était pas seulement un démon mais un traître, et les traîtres méritent non seulement la mort mais l'oubli complet. Il n'y aura que le capitaine Yasuki Kuma, qui a sacrifié sa vie dans le combat contre l'Outremonde.
- Je comprends, dit Tadao, obéissant mais curieux devant le ton sans appel du Phénix.
- L'essentiel est maintenant que les festivités reprennent, dit Masaakira.
- Je suis certain que tout ira bien, dit l'Inquisiteur.
Sasuke et Mitsurugi se regardèrent du coin de l'oeil, sûrs que ces voeux optimistes ne seraient pas exaucés.

Reply
#5
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Mitsurugi rendit visite le lendemain à Doji Onegano. Ils ne parlèrent pas d'Ikue, alors que l'envie leur en brûlait les lèvres à eux deux. Suzume était sorti du temple de Shingon et passait ses journées en prières. Mitsurugi lui rendit visite dans le petit temple où il s'était isolé.
Ils n'échangèrent que quelques mots. Le jeune homme se sentait apaisé. Il disait ne plus craindre les hommes et avoir réussi à se mettre en accord avec lui-même. Il était dans l'état de ceux qui vont prendre une décision grave. Mitsurugi ignorait de quoi était capable Suzume mais il le sentait plus que jamais prêt à faire quelque chose d'extrême, d'irréfléchi. Il ignorait en fait s'il avait en face de lui quelqu'un qui a trouvé la sagesse ou bien un fanatique.

Le soir, l'ambassadeur dîna avec Matsu Kokatsu, qui recevait le moine Shingon. Le général s'était apparemment entiché du maître de la confrérie de Shinsei, dont l'enseignement le passionnait. Shingon prêchait que l'illumination pouvait être atteinte en cette vie, qu'il ne fallait pas nécessairement en passer par d'innombrables et douloureux cycles de réincarnations.
- Les Dieux, dans leur bonté et leur compassion, n'ont pu vouloir un destin aussi cruel pour les hommes. Nous pouvons bientôt être auprès de nos ancêtres bienheureux.
Ce qui étonnait le plus Mitsurugi, ce n'était pas l'apparition d'une nouvelle religion (c'était bien de cela dont il s'agissait non ?), mais que le général Kokatsu -lui si traditionaliste - y adhère. Les idées de Shingon étaient bien de leur temps, de cette époque de relâchement du poids des Ancêtres, de recherche du plaisir et du bonheur. Elles ne faisaient pourtant pas l'unanimité, surtout chez les plus âgés des Phénix et des Grues. Les Crabes y trouvaient en revanche de l'espoir. Quant aux Dragons, ils répondaient à toute question sur Shingon par un sourire et une autre question. Le shingonisme était la religion d'un temps qui se veut moderne, vivant, ouvert à la jeunesse et aux artistes.
Mitsurugi, lui aussi, malgré son opposition au Gozoku, appartenait à ce temps : en une autre époque, il n'aurait jamais pu se relever de sa dégradation au rang de rônin. Shingon, quant à lui, se défendait d'encourager la licence, la décadence : il restait un ascète sévère, exigeant la même discipline de ses coreligionnaires.
- Je désire vous inviter à séjourner dans la Cité des Apparences au printemps, déclara le général au milieu du repas.
Shingon fut surpris de cette invitation, et assez gêné. Kokatsu parlait en homme d'action, discours qui ne convenait pas à un moine à l'idéal de vie contemplatif. Le général avait décidé d'inviter la confrérie de Shinsei chez lui, comme on décide de déplacer des troupes ou de partir en campagne !
- Nous sommes flattés de cette invitation, bien sûr, dit Shingon.
- Qu'en penses-tu, Mitsurugi ? demanda le général.
Notre héros prit son air le plus bravache pour déclarer :
- C'est une excellente idée, seigneur !
Rien que pour voir l'air contrit du pauvre Shingon !
- La Cité des Apparences est prospère, pleine d'érudits et de sages, dit Kokatsu.
Mitsurugi approuva du chef. En son for intérieur, il savait bien à quoi ressembler cette Cité : à un gigantesque camp militaire, perpétuellement en état d'alerte, assiégée tous les printemps !
- Quand j'apprendrai cette nouvelle à Matsu Sasuke, je suis certain qu'il sera ravi ! dit Mitsurugi. Lui qui est si passionné par l'étude du Tao, il sera impatient d'en discuter avec les élèves de Shingon !
- Merveilleux, dit Kokatsu, qui se serait réjoui de n'importe quel argument allant dans son sens.
Il fallut boire à cette invitation, et le pauvre Shingon consentit à tremper les lèvres dans le saké. Quand il alla se coucher, Mitsurugi n'avait toujours pas compris pourquoi le général s'était toqué de cette religion réformée ! Était-il donc soudain si inquiet de son salut ?... Voulait-il faire moderne, ne pas passer pour une vieille baderne ? Ou bien était-ce une histoire de femme ? Voulait-il séduire une adepte du shingonisme ? Mitsurugi le souhaitait, car il se serait inquiété de voir le général se préocupper de sujets trop religieux. Il s'endormit avec le vin et le saké sur l'estomac.

A son réveil, l'ambassadeur apprit que Doji Suzume requérait l'honneur de déjeuner avec lui.
- Il entre dans ce palais comme dans un moulin, s'exclama Mitsurugi. Faites-le attendre pendant que je vais prendre mon bain !
Et il allait prendre son temps !
Quand il ressortit de la salle d'eau, bien habillé et parfumé, il trouva Suzume dans une antichambre, en train de lire le Tao.
- Vous lisez les écrits de Shingon ?
- Euh oui, bien sûr, dit Suzume en refermant le rouleau, comme si Mitsurugi l'avait surpris en train de regarder des estampes érotiques.
- Je dirai à mon conseiller Sasuke de venir vous écouter parler du shingonisme, je suis certain qu'il sera très intéressé !
- Mais très volontiers, Mitsurugi-sama.
On apportait un petit chaudron, les bols, le riz et des légumes.
- Alors, dit l'ambassadeur, êtes-vous venus me prêcher cette nouvelle religion, comme ça, au saut du lit ?
- En réalité, je suis envoyé par l'honorable Hanteï Norio.
Surpris, Mitsurugi oublia de se servir dans le chaudron de soupe, et garda le couvercle en main :
- C'est vous qu'il charge de ses messages à présent ?
- J'ai eu l'honneur de pouvoir m'entretenir avec lui plusieurs fois.
Mitsurugi touilla et se servit de plusieurs gros légumes.
- Comment va-t-il au fait ?
- Mieux, je pense. Hanteï Tokan-sama est rassuré sur son état de santé. Les médecins lui ont prescrit du repos.
- Et vous, vous allez quand même le déranger ? Tss...
- A vrai dire, j'ignorais au début que...
- Voilà ce que c'est que de rester enfermé dans un temple, pendant que cet honorable vieillard monte au créneau pour unir l'Empire face aux démons, bravant le froid et les boulets de catapulte !
Mitsurugi ne résistait pas au plaisir d'embêter le jeune homme.
- En réalité, Hanteï Norio m'a chargé de vous inviter.
- M'inviter ?
Un navet retomba dans la soupe.

Là, c'était plus sérieux. Une invitation d'un si haut personnage vaut convocation sur l'heure. Le cousin de l'ancien Empereur !
- Il vous a dit à quel sujet ?
Mitsurugi priait que ce en soit pas pour parler du shingonisme !
- Je ne sais pas mais cela paraissait important.
Ce ne devait donc pas être ça !
- Vous auriez dû le dire dès votre arrivée, je ne vous aurais pas fait attendre !
Mitsurugi s'était prélassé une heure dans son bain chaud en se faisant frotter le dos par les plus jolies servantes du palais !
Il ne finit pas son bol et alla s'habiller en vitesse. Il retrouva Suzume dans la cour et se dirigea avec lui vers l'aile impériale, empressé. (L'aile où -peut-être- Ikue était retenue prisonnière. Il n'en souffla mot à Suzume, et ne sut si le jeune homme y pensait. Avait-il entendu des rumeurs à ce sujet ? Onegano était-il au courant ?
Mitsurugi soupçonnait une manoeuvre du capitaine Jukeï pour le faire enrager. C'était peut-être faux mais Mitsurugi était néanmoins sur des charbons. S'il ne s'était pas retenu, il aurait donné l'assaut sur la chambre où, selon Geki, on retenait sa fiancée !)

Hanteï Norio n'était plus alité. Il jouait au go avec Tokan dans une antichambre bien chauffée. Mitsurugi se mit à genoux devant lui et attendit d'avoir l'autorisation de relever la tête. Ce ne fut pas long.
- Nous sommes contents que vous ayez répondu promptement à notre invitation, dit le conseiller Tokan. Je vous remercie également, Doji Suzume, d'avoir bien voulu transmettre le message. En récompense, nous avons pensé vous montrer certains parchemins anciens relatifs à l'enseignement de Shinsei, qui vous passionneront, j'en suis certain.
- Mais bien sûr, dit Suzume, surpris.
Les deux hommes sortirent. Mitsurugi se retrouva seul face au vieux Norio, impressionné par la majesté austère qui émanait du personnage.
- Jouez-vous ? dit le vieil homme en désignant le plateau.
- Si peu, dit Mitsurugi.
- Vous ne jouez pas au go sur un plateau mais dans la vie, déclara sentencieusement le vieil homme.
L'ambassadeur ne put s'empêcher de sourire, tout à fait flatté de cette remarque très juste !
- Je joue contre plusieurs adversaires à la fois. Ils peuvent m'attaquer de tout côté. Je peux vite me retrouver cerné.
Ils jouèrent trois coups, concentrés.
- Vous avez heureusement quelques alliés.
- Je ne l'oublie pas, Norio-sama.
- Savez-vous contre qui vous jouez ?
- J'en apprends un peu plus chaque jour.
Ils jouèrent plusieurs coups. Mitsurugi ne connaissait que quelques rudiments du jeu. Il sentait bien que le vieux Norio jouait avec plusieurs coups d'adversaires.
- Vous n'avez pas démasqué votre adversaire. Vos adversaires, devrais-je dire.
- J'ignore combien ils sont en tout, dit Mitsurugi, qui découvrait soudain que le vieil homme avait bien caché son jeu -et que son combat remontait d'un coup dans les hautes sphères du pouvoir.
Ils jouèrent encore quelques coups. Norio fit la moue et dit :
- Vous êtes indéniablement meilleur dans la vie que sur le plateau.
- L'un me permettra d'apprendre l'autre plus tard.
- Sauf que dans la vie, nous sommes tous des pions. Le tout est de savoir qui vous entoure.
A ce moment, le vieux Norio emprisonnait un des pions stratégiques de Mitsurugi.
- Mon conseiller Tokan n'est pas non plus féru de ce jeu. Quel dommage... De mon temps, on ne méprisait ni la guerre ni le go... Aujourd'hui...
Mitsurugi finit de perdre en quelques coups.

- Nous savons, dit Norio, que bien des gens peuvent abuser des prérogatives que s'est octroyées le Gozoku.
- Le Gozoku est en soi une usurpation.
- Vous en avez après des gens qui veulent aller plus loin que le Gozoku...
- J'ignorais que vous saviez, murmura Mitsurugi.
- Je ne peux pas être seulement un vieux nostalgique, monsieur l'ambassadeur. Ma position m'oblige à regarder courageusement la réalité en face. A admettre donc qu'une cabale d'individus sans scrupule s'est formée pour s'attaquer à l'Empereur. Les Ancêtres ont voulu que vous deveniez l'adversaire direct de ces gens-là. J'aurais préféré ne pas vous en parler, mais plusieurs raisons m'y poussent. D'abord, la cour d'hiver se termine bientôt et l'occasion est trop belle pour eux de tenter une attaque directe. Et ensuite, moi, je ne suis qu'un vieil homme. Je peux mourir demain, n'importe quelle maladie bénigne m'emporterait. Il est de mon devoir de vous aider.

Depuis combien de temps le vieux Norio savait-il pour la conspiration ? Mitsurugi était presque sûr qu'il n'avait rien dit à son conseiller Tokan. C'était donc à un passage de flambeau qu'il l'avait invité. .
- A quoi êtes-vous prêt pour combattre ces conspirateurs, Mitsurugi ?
Sans même cligner des yeux, notre héros répondit :
- Je donnerais ma vie.
- Ce qui est difficile, ce n'est pas de donner sa vie. C'est de ne pas la donner en vain. De ne pas la sacrifier bêtement.
- Je ne mourrai pas sans emporter ces conspirateurs avec moi.
- Savez-vous qui ils sont ?
Mitsurugi ne répondit pas tout de suite. Devant n'importe qui d'autre, il aurait menti. Pas devant le vieux Norio, qui était comme une statue de la vertu, froide et hiératique.
- J'en... j'en connais quelques-uns, avoua Mitsurugi.
Le vieil homme ramassait les pions et les redisposait pour une nouvelle partie. Il attendait que notre héros parle.
- L'un d'eux vient d'être tué. Ce démon, Akuma... Quand il s'appelait encore Yasuki Kuma...
Il raconta en quelques mots l'histoire lamentable du prestigieux capitaine.
- Ses comparses lui ont sûrement déjà trouvé un remplaçant. Pour avoir fréquenté la famille Yasuki, je suis assez au courant du degré de corruption de cette famille...
- Racontez-moi.
Mitsurugi soupira :
- Ils sont comme une gangrène qui s'est logée dans le clan du Crabe, là où personne n'aurait idée d'aller chercher un vaste réseau de financement d'un coup d'Etat contre le trône d’Émeraude.
- Que pouvons-nous faire contre cela ?
- J'ai déjà pensé au moyen de s'attaquer à eux.
"Mais ce n'est pas comme s'attaquer à une forteresse, même bien gardée. L'ennemi n'est pas retranchée derrière des remparts. L'ennemi, ce sont quelques milliers de marchands présents dans toutes les villes, tous les quartiers, toutes les rues des terres du Crabe. Des gens du peuple, des anonymes, présents jusque dans les plus basses castes de la société. Un monde que nous les samurai ne connaissons pas. Un monde de manigances, de corruption lente et insidieuse. Ces gens sont comme des araignées tissant patiemment leur toile. Je l'ai bien vu quand j'étais à l'ambassade de la Cité de la Pieuvre.
"Ils s'appuient sur un pouvoir que nous ne connaissons pas : celui de l'argent. Un pouvoir qui achète des hommes armés, des familles, des témoins, qui corrode l'honneur comme la rouille sur le métal. Un pouvoir contre lequel, termina Mitsurugi, accablé par son propre récit, nos katanas ne peuvent rien.

Il était sincèrement désolé de l'avoir dit, mais c'était la vérité. Il leva les yeux vers Norio, qui avait une moue de dégoût mais n'avait pas tressailli. Lui qui ne fréquentait que les beaux jardins et les réceptions impériales, avait-il la moindre idée de la vie du peuple, des marchands, des mendiants, des rônins, des joueurs, que lui Mitsurugi avait connue ?

- Vous me peignez un tableau bien sombre, dit seulement le vieil homme. Mais continuez.
- Je vous ai dit ce que je savais.
- Vous m'avez parlé de la base de cette conspiration, de ses moyens d'approvisionnement et de financement. Mais pour tuer une hydre, il faut s'attaquer à la tête. A qui va cet argent ?
- Je l'ignore.
Le regard de Norio se fit plus dur :
- Vous savez des choses, Mitsurugi, j'en suis certain. Vous m'avez dit connaître plusieurs de ces conspirateurs. Est-ce que je me trompe ?
Notre héros se retrouvait comme le mauvais élève devant le maître.

- Mais je comprends votre réticence, Mitsurugi. Pour vous, je ne suis qu'un vieil homme. Comment pourrais-je bien vous aider dans votre combat ?
- Il ne s'agit absolument pas de cela, seigneur, je...
- Je crois savoir ce que vous pensez, monsieur l'ambassadeur. Depuis plusieurs mois, vous avez appris à vous méfier de tout le monde. Et plus la cour d'hiver avance, et plus vous comprenez que le cercle des gens honnêtes et loyaux est minuscule. Vous avez appris à vivre dans un monde de secrets et de trahisons. Vous n'avez jamais eu froid aux yeux -vous l'avez prouvé à de nombreuses reprises - mais vous comprenez de mieux en mieux que vous êtes seul face à des forces anonymes, des gens tapis dans des alcôves. Des gens contre qui le sabre, la plume ou la forfanterie ne peuvent rien.
"En somme, vous qui n'avez jamais fait un pas en arrière face à un monstre sorti de l'Outremonde, vous avez -à force de fréquenter la cour d'hiver- commencé à vous méfier de tout le monde. En un mot, vous avez appris à avoir peur.

Que répondre à cela ? Ce n'était de toute façon pas une question mais une affirmation. Mitsurugi ne dit rien. Il préféra encaisser le coup. Il avait déjà subi bien des choses mais jamais un coup comme celui-ci, dans le défaut de la cuirasse. Ce vieillard à la peau mince, aux mains fragiles, révélait l'équivalent chez les courtisans d'un vétéran de la Muraille.
- En ce moment-même, vous n'avez pu vous empêcher de concevoir ce soupçon, Mitsurugi : et si, moi aussi, je faisais partie de cette conspiration ?...

Mitsurugi déglutit :
- Voyons, c'est ridicule, seigneur jamais je n'aurais...
- Je n'ai pas de moyen de dissiper vos soupçons, je le sais bien. L'honnêteté n'est écrite sur le visage de personne. Et bien des crapules se composent des visages de vertueux dévôts.
"Du reste, je n'ai pas d'autorité en la matière pour vous contraindre à parler, et je ne veux pas user de contrainte sur vous. Cependant, je dois vous demander de me suivre, car cette conversation doit se poursuivre ailleurs.
De plus en plus interdit, Mitsurugi dit seulement :
- Où cela ?
- Au jardin d'hiver, monsieur l'ambassadeur. C'est l'Empereur en personne qui désire vous parler.
Reply
#6
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Le couloir qui menait aux quartiers impériaux était en proie aux courants. Il était mal éclairé, étroit. Au bout, deux gardes de la famille Seppun étaient assis, les yeux fermés. Ils saluèrent les deux visiteurs, prièrent Mitsurugi de leur laisser son sabre puis ouvrirent la porte en bois. Hanteï Norio précéda Mitsurugi dans une petite antichambre où les attendait Sasuke.
- J'ai pris soin de faire venir votre conseiller, dit le vieil homme.
Mitsurugi et Sasuke se regardèrent sans savoir quoi se dire. L'heure était grave et chacun ignorait ce qu'on avait dit à l'autre.

Ils burent un thé servi par le vieux Norio, dans cette pièce grande de quatre tatamis. La seconde porte s'ouvrit près d'une heure plus tard : Hanteï Tokan les salua et leur dit qu'ils pouvaient venir. Ils entrèrent dans un jardinet au pied d'une terrasse où la famille impériale, l'Impératrice et ses deux jeunes enfants, jouaient aux osselets près du feu. Quatre gardes, discrètement postés à côté de piliers de bois, attendaient, assis en tailleurs, attentifs à tout ce qui se passait. Intimidés, nos deux héros ne disaient rien, n'osaient pas trop regarder autour d'eux.
Norio leur fit signe de s'asseoir, à l'autre bout de la terrasse. L'Impératrice les salua avec ses enfants, et ils baissèrent longuement la tête. Norio avait descendu les trois marches et s'approcha de l'homme qui se tenait au milieu du jardin et qui regardait le chemin de pierre plate qui passait sur un ruisseau où nageaient quelques truites. L'Empereur.

Le vieil homme attendit, et s'inclina quand le fils du Ciel voulut bien se retourner. Il lui dit quelques mots à voix basse. L'Empereur écouta attentivement, puis répondit en quelques mots. Hanteï Norio fit un signe à Tokan, qui était resté près de nos héros. Le conseiller dit à Mitsurugi de descendre au jardin. Les gardes Seppun ne le quittaient pas des yeux. Norio dit à Mitsurugi de s'approcher, sans cacher une certaine impatience, comme le maître qui attend que l'élève vienne au tableau.
Notre héros s'inclina bien bas.
L'Empereur continuait de regarder le cours d'eau. Presque dos à Mitsurugi, il lui dit :
- Mon cousin me dit que vous avez des choses à m'apprendre.
Hanteï Norio regardait Mitsurugi sévèrement : il ne pouvait plus être question de rester muet.
- On me dit que vous avez eu vent d'une conspiration contre moi et que vous connaissez le nom de certain de ses membres.
Le regard de Norio se fit encore plus dur : l'Empereur avait déjà daigné parlé à Mitsurugi, deux fois de suite, et c'était déjà trop.
- Ce conspirateur, dit Mitsurugi, qui n'osait tousser pour s'éclaircir la voix, de peur de commettre une impolitesse, est connu dans cette conspiration sous le nom de Cristal. J'ai cependant pris connaissance de sa véritable identité. Il s'agirait de l'acteur Shosuro Jotaro.
Mitsurugi venait de s'enlever un gros poids de la poitrine. Le regard de Norio était déjà moins dur.
Le Fils du Ciel resta sans rien dire, regardant le vol d'un petit oiseau noir parmi les nuages gris.
- Qui vous a donné ce nom ?
Hanteï Norio releva légèrement le menton.
- Je l'ai entendu de la bouche de Yoriku, dit Mitsurugi, le Bouffon...
Notre héros déglutit. Il craignit le ridicule, la colère de l'Empereur, la dégradation !...
Hanteï VI se contenta de croiser les mains dans le dos et de se tourner franchement vers Mitsurugi. Il n'était qu'à trois pas de lui. Les gardes Seppun s'étaient approchés au bord de la terrasse qui cernait le jardinet. L'Impératrice laissait ses enfants jouer en observant à la dérobée la conversation. Sasuke n'entendait pas et cachait qu'il en rageait intérieurement.
- Le Bouffon, dit l'Empereur, est souvent bien informé. Je m'étonne qu'il n'ait pas voulu m'en avertir lui-même.
Mitsurugi brûlait d'envie de demander à Norio comment lui-même avait été mis au courant, mais il ne pouvait pas.
Un poisson fit un clapotis à la surface de l'eau. Quelques timides bourgeons pointaient sur les branches.
- Bien, dit l'Empereur, nous vous remercions de votre dévouement au trône d’Émeraude. Nous tiendrons compte de cet avertissement.
Mitsurugi allait dire que Jotaro jouerait le premier rôle dans la pièce de théâtre, qu'il se retrouverait à une longueur de bras de l'Empereur, qu'il pourrait frapper, mais Norio, qui avait deviné, intima discrètement mais fermement l'ordre à Mitsurugi de ne rien ajouter.
- Etant donné le danger représenté par cette conspiration, dit l'Empereur, dans la voix duquel perçait la mélancolie, je me dois de renforcer ma garde d'ici à la fin de cette cour d'hiver. C'est pourquoi je souhaite m'adjoindre la protection de deux shugenjas parmi les meilleurs.
Mitsurugi écarquilla les yeux.
- Aussi, je vous demande l'autorisation de prendre votre conseiller Matsu Sasuke comme l'un de mes gardes du corps.
Mitsurugi resta bouche bée, comme une carpe.
- Le second sera Isawa Nobuyoshi, dont on m'a également vanté -à plusieurs reprises- les grands mérites.
L'Empereur fit un petit geste de la tête à Norio, qui fit signe à Mitsurugi de remonter sur la terrasse. Notre héros s'inclina bien bas et se retira. Hanteï Tokan dit alors à Sasuke de descendre.
Mitsurugi s'assit, en regardant devant dans le vide. Son conseiller n'échangea que quelques mots avec le Fils du Ciel. Avant qu'ils aient réalisé, ils étaient reconduits hors des quartiers impériaux, dans la cour est du palais, où Hanteï Tokan les remercia d'être venu et leur souhaita une bonne fin de journée.

Le vent soufflait, des domestiques ramenaient des fagots de bois de la réserve et un garde prenait la relève de son camarade.
- Bien, dit Sasuke, je vais aller faire préparer mes affaires.
Il était de retour en début de soirée dans l'antichambre, où il retrouva Isawa Nobuyoshi devant une tasse de thé. Les deux amis se regardèrent, sans cacher leur inquiétude, mais comme pour mieux masquer leur effroi. Sasuke dut cacher le tremblement de ses mains. Il ne savait pas s'il était en possession de lui-même ou s'il n'était pas, plus que jamais, la créature de l'ignoble vieux Rêve.
On les fit entrer dans le jardin, où ils ne firent que passer, pour rejoindre leur chambre commune. Le garde Seppun leur dit qu'ils dormiraient ici, à deux portes de la chambre de l'Empereur. La pièce de théâtre était le lendemain soir.

Mitsurugi dîna chez Doji Onegano. Suzume passait la soirée en compagnie de Hanteï Norio et Tokan. Il y serait encore le lendemain soir.
- Si j'avais su, dit le vieil Onegano, ce que mes enfants deviendraient quand j'ai décidé de les emmener à la cour d'hiver...
Savait-il où était Ikue ? Comment pouvait-il accepter que le shinsen-gumi lui prenne sa fille ? Qu'il ait menacé son fils ?...

La journée du lendemain, grise, lourde, ne fut consacrée qu'aux préparatifs. L'ambiance était fébrile d'un bout à l'autre du palais. Les courtisans allaient, venaient, ne savaient pas quoi faire pour s'occuper. Ils parlaient, s'agitaient, allaient chez les uns et les autres. Les couloirs bruissaient de murmures, de rumeurs. Les samuraï de plus basse condition étaient les plus visibles, agités comme des abeilles dans la rûche, tandis que ceux des plus hautes castes restaient invisibles. Mitsurugi dut terminer du courrier protocolaire, pour remercier ses hôtes pour leur accueil, pour renégocier des traités commerciaux avec les Yasuki, pour parler d'invitations pour les uns et les autres à la Cité des Apparences. Le ciel restait toujours aussi bas. Il ne neigeait plus. Parfois, une bruine légère, vite chassée par le vent. Il ne gelait plus, il faisait frisquet, on ne savait plus comment s'habiller. Les feux avaient l'air de brûler plus fort, les paroles semblaient plus lourdes, les courtisans plus pesamment présents, les papiers encombrants, les serviteurs toujours dans vos jambes.
Mitsurugi, qui n'y tenait plus, alla en fin d'après-midi se promener sur les remparts, où des soldats montaient la garde, las à mourir d'observer la campagne morne. On devait observer Mitsurugi depuis les chemins de ronde plus hauts, de derrière des meurtrières, du haut des tours ou depuis les cours. Il ne voulait plus y faire attention. Enfin, dérangeant le protocole qui voulait qu'en sa qualité d'ambassadeur, il arrive plus tard, Mitsurugi partit au théâtre et s'installa dans la salle encore presque vide. Yasashiro était installé au dernier rang. Yojiro devait guetter depuis la cour adjacente. Yatsume se trouverait un poste d'observation discret. Pendant deux heures, Mitsurugi regarda la salle se remplir. Il mémorisa la place de chacun des invités, salua ceux qu'il fallait, bavarda avec les uns et les autres, sans jamais cesser de surveiller la salle. Il devait avoir l'air absent et dédaigneux, et voulait juste paraître affairé comme tout le monde. Il reconnut le capitaine Kaiu Koga, sous les ordres de qui il avait servi sur la Muraille. Cette présence le rassura. Il vit arriver les ambassadeurs des différents clans. Les Dragons arrivaient sans paraître respecter un quelconque ordre procolaire (en avait-on seulement prévu un pour eux ?). Les Grues arrivaient en discutant de belles choses, les Scorpions veillèrent à jeter un froid dans la salle. Dans la pénombre, tous les uniformes prenaient la même teinte gris foncé. Les Crabes s'installaient et, bien qu'ils essayassent de murmurer, faisaient autant de bruit que s'ils avaient parlé normalement. Kuni Tadao était là parmi les autres Inquisiteurs. Les Phénix, dont Isawa Masaakira et ses deux élèves, Ichibei et Mizu, avaient une place privilégiée au quatrième rang. Alors que la salle était presque pleine, les hommes du shinsen-gumi arrivèrent, se disposèrent sur les bords de la salle, obligeant tout le monde à se serrer. Il commençait à faire chaud. Les serviteurs changeaient régulièrement les bougies dans la salle et sur la scène. Plusieurs gardes du corps arrivèrent, précédant le triumvirat du Gozoku, qui s'installèrent sur les côtés du premier rang. Enfin, les gardes Seppun firent leur entrée, s'assirent dos au mur tout autour de la salle et la famille impériale fit son entrée, prenant les dernières places, juste devant le milieu de la scène.

Mitsurugi ne voyait ni Sasuke ni Nobuyoshi. Les serviteurs vinrent souffler les bougies de la salle et en allumèrent de nouvelles sur scène. Le rideau se leva lentement. Il y eut quelques chut, des raclements de gorge.
Des soldats en fond de scène frappèrent le sol de leurs lances et une troupe de guerriers entra en une danse très lente. Il faisaient cercle autour d'un personnage caché, "s'ouvrirent" en deux, et Shosuro Jotaro, un masque grimaçant de général d'armée, s'avança. Il entama un chant rauque et très lent, où il racontait les circonstances de la pièce, une bataille menée par feu l'Empereur Hanteï V contre l'Outremonde. Les démons arrivaient, grimaçants, avec des contorsions et des cris grotesques, repoussaient les samuraï qui refluaient vers les coulisses, puis dansaient, entamant une gigue effrayante. Shosuro Jotaro revenait, menant un assaut sur les créatures démoniaques. Puis vint un long tableau qui exaltait les héros qui allaient sacrifier leur vie, qui racontait leur ascendance, les exploits de leurs ancêtres. Pendant ce temps, les démons complotaient mille morts et trahisons contre l'Empire.
Mitsurugi sentit sa respiration s'accélérer quand peu à peu, démons et samuraï quittèrent la scène et que Jotaro resta seul, dansant longuement pour invoquer la protection des dieux, des Ancêtres, exorciser les maléfices des démons et glorifier l'Empereur pour qu'il mène ses troupes à la victoire. Mitsurugi ne tenait plus : l'acteur était à deux pas du bord de la scène, à quatre pas de l'Empereur. Et son sang ne fit qu'un tour quand, prêtant soudain attention au récital de l'acteur -lui que ce genre de théâtre d'habitude ennuyait-, il entendit nettement Jotaro parler d'une novice qui viendrait plus tard, pour régénérer la foi et révéler à nouveau le Tao aux hommes, et leur leur montrer la voie vers une nouvelle sagesse qui aurait quelque chose de divin. Le public suivait, attentif ou ennuyé, mais personne ne frémit ni n'eut d'indignation. Mitsurugi vit Shingon et quelques-uns de ses moines, au deuxième rang. Il ne pouvait les voir, ils étaient trop dans l'obscurité. Et quand notre héros se retourna, Jotaro était au bord de la scène. Mitsurugi tremblait, il n'aurait rien fallu pour qu'il appelle à l'aide tous les gardes, pour que lui-même saute sur l'acteur et le plaque à terre. Il eut même l'impression que c'est bien lui que Jotaro regardait directement, alors qu'il dansait, presque immobile, un bras et une jambe levés, alors qu'il entamait un long "ôm" très grave, presque imperceptible, qu'il fixait ensuite l'Empereur, seul silhouette dans un halo lunaire blafard, les bougies presque toutes éteintes.
Mitsurugi retint un cri quand l'acteur fit un geste brusque, puis tourna sur lui-même et en quelques pas rapides, s'éloigna vers le fond de la salle.
Mitsurugi respira, comme pour la première fois depuis le début de la pièce. Le rideau descendait . L'entracte.

Le public s'agitait, murmurait, ceux des côtés se levaient, l'Empereur et le triumvirat du Gozoku partaient les premiers, escortés de leurs gardes du corps. Le shinsen-gumi s'éclipsait aussi vite, et les autres spectateurs étaient autorisés à quitter la salle surchauffée. Mitsurugi se leva, le coeur battant. En sortant, il faillit se cogner contre quelqu'un qui était dos à lui, :qu'il l'évita au dernier moment sans se faire remarquer. C'était le conseiller Bayushi Tangen, qui discutait avec le maître de cérémonie Seppun Tokugawa et le juge Otomo Kempô.
Les invités s'étaient précipités dans les salles de réception et le jardin, où les serviteurs s'affairaient pour leur apporter à boire. On discutait, on plaisantait, on se saluait, on mangeait. Après cette fin d'entracte, c'était comme un retour du pays des morts. Les êtres reprenaient chair, ils n'étaient plus comme les fantômes de la salle et de la scène. Ils étaient bavards, hypocrites, vaniteux, gourmands, tout ce qu'on voudra, mais ils étaient bien vivants !

Où était donc Sasuke ?
Reply
#7
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Mitsurugi allait et venait entre les différentes pièces où les invités profitaient de l'entracte. Il devait s'éponger le front. Il ne trouvait pas Sasuke et Nobuyoshi. Il les imaginait en train de siffler tranquillement un petit cru impérial !
Non, ils étaient là, près de l'entrée du couloir menant aux quartiers impériaux ! Mitsurugi dit à Sasuke de venir. Nobuyoshi dit à son ami qu'il pouvait y aller, il garderait la porte un moment.

- Où vous étiez ? dit l'ambassadeur, énervé.
- En coulisses, dit Sasuke. On observait tout du fond de scène.
- Avec les petites costumières, hein ?
- On ne perdait rien de la pièce, ni de ce qui se passe dans la salle.
- Vous auriez dû me dire où vous étiez, je ne vous trouvais pas !
- Aucun danger, nous surveillons tout; dit Sasuke. Tiens, viens voir par là...
Ils se mirent à l'écart dans une pièce. Sasuke ouvrit la paume de la main : il tenait un pendentif en diamant :
- Qu'est-ce que c'est, dit Mitsurugi, un cadeau de bienvenue comme garde du corps ?
- Non, souviens-toi.C'est une "larme" d'un de ces conspirateurs. Ils s'en servent pour se parler à distance. Avec cela, je peux observer ce que je veux.
- On n'arrête pas le progrès, dit Mitsurugi, qui voyait que le général Kokatsu voulait lui parler. Donc, selon toi, tout va bien ?
- Je surveille Jotaro de près, sois sans crainte.
- Je te laisse. Ouvre l'oeil...
Mitsurugi dut aller faire la conversation avec différents ambassadeurs. Ikoma Noyuki était là, tout le monde le félicitait pour ce premier acte.

Sasuke retourna derrière les coulisses au retour de Nobuyoshi. Le public revenait dans la salle petit à petit. Sasuke monta sur scène, et jeta un oeil à travers le rideau. Togashi Ojoshi le vit depuis les coulisses :
- Psstt... Tout va bien ?
- Oui, aucun problème...
L'Ize-Zumi sonna la cloche.
- Comment va l'artiste ? demanda Sasuke.
- Jotaro-san ? Oh, il est dans sa loge. Il lui arrive de faire une petite sieste dans ces cas-là.
Sasuke retourna en coulisse, fit le tour des couloirs. Il se cacha parmi des vieux décors et prit son pendentif en diamant. Il le serra dans sa main et se concentra. Il sentait la magie de l'Oeil de l'Oni affluer et former des visions. Il se concentra et put se déplacer en rêve dans le théâtre, comme s'il était un insecte. Il vit Jotaro dans sa loge, qui se remaquillait. Les figurants remontaient en fond de scène.
- Oh, Sasuke...
C'était Nobuyoshi. Le tensaï vint reprendre sa place derrière la scène avec son ami :
- Tout va bien ?
Ojoshi, de la coulisse côté jardin, sonnait pour la seconde fois la cloche. La salle était de nouveau remplie. L'Empereur revenait le dernier. Noyuki, de la coulisse côté cour, prit le bâton et frappa trois fois. Les serviteurs rouvrirent le rideau. Les généraux des clans entraient, pour une longue discussion sur l'honneur et les ancêtres. Puis ils quittaient la scène pour laisser la place à des moines, qui partaient dans une longue quête mystique, à la recherche de parchemins de sagesse. Pendant leur voyage, des intrigues de palais se nouaient à la cour impériale et le seigneur des démons entamait des rituels effrayants pour lever une armée de morts-vivants. Les acteurs allaient et venaient entre la scène et leurs loges.
Enfin, les moines revenaient avec les parchemins sacrés et les présentait à l'Empereur. Ce dernier convoquait alors le général de son armée. Retour de Shosuro Jotaro sur scène. Sasuke et Mitsurugi ne le quittaient pas des yeux. Jotaro dansait longuement pour s'attirer la faveur des dieux puis pour galvaniser ses troupes, qui se réunissaient en fond de scène.

Mitsurugi se rongeait les ongles. Jotaro allait et venait sur scène, souvent près du bord, s'adressant directement à l'Empereur. Les démons faisaient leur entrée et c'était la scène finale, la bataille épique, pleine de cris et de fureurs, avec des dizaines de katanas fendant l'air. Jotaro ne se laissait pas emporter dans une danse démoniaque par le général de l'Outremonde, et parvenait à le tuer.
Le tableau final était une longue méditation après la bataille : un décor rouge, de crépuscule et de sang, et les silhouettes noires de tous ceux qui étaient tombés. Au milieu des corps, Jotaro pleurait les morts, suppliait les Ancêtres de les prendre auprès d'eux et méditait sur les ravages du temps. Puis le général brandissait les parchemins de sagesse au-dessus des bougies, annonçait un âge d'or à venir pour l'Empire grâce à cette novice qui serait comme une nouvelle Shinsei.

Puis le décor rouge disparaissait, Jotaro soufflait les dernières bougies, la scène était complètement noire. On entendait juste l'acteur danser sur scène, ombre à peine perceptible, grognant comme une bête farouche. Il réapparaissait brusquement, tenant une bougie allumée sous son masque, effrayant visage -puis il restait immobile pendant que le rideau descendait lentement. Le coeur battant, Mitsurugi regarda l'Empereur, qui se levait, visiblement content. On entendit quelques Crabes soupirer de soulagement, se lever courbaturés. L'Empereur disparut vers ses quartiers, où il serait rejoint par quelques privilégiés.

On vit alors arriver dans la salle le Bouffon, qui se plaignait tout haut que personne ne l'avait prévenu que la pièce était ce soir.
- C'est intolérable ! C'est moi qui devait jouer le premier rôle ! La pièce devait s'intituler : "Les mésaventures amoureuses d'une femme acariâtre et obèse" et je devais jouer le mari ! Comment a-t-on osé tout changer dans mon dos ?
Puis il faisait des plaisanteries, imitait les Crabes en train de s'ennuyer, les Scorpions complimentant à outrance Jotaro, les avis incompréhensibles des Dragons. Il entamait ensuite avec sa troupe une petite pièce comique et disparut vers les quartiers impériaux :
- L'Empereur m'attend pour s'excuser de cette méprise !
Il s'en allait avec ses acrobates et jongleurs.

Le maître de cérémonie Seppun Tokugawa annonça que la soirée pourrait se prolonger jusqu'à l'aube. C'est le lendemain que plusieurs invités prestigieux s'en iraient après un petit discours de l'Empereur en milieu de journée.
- Buvez et mangez tant que vous voulez...
Mitsurugi avait bien l'intention de rester jusqu'au bout. Il était impensable que les conspirateurs ne tentent pas quelque chose. Il vit Suzume et son père :
- Avez-vous aimé la pièce ?
- Ma foi, assez audacieuse dans son propos, dit Doji Onegano mais je suppose que c'est la nouvelle mode. De mon temps, on aurait préféré quelque chose de plus dépouillé. Je suppose que c'est un bel hommage au vieil Empereur.
- Je dois vous laisser, dit Suzume. L'honorable Hanteï Norio a promis de me parler de parchemins très intéressants.
- Va, va, dit Onegano.

Suzume fut introduit dans les quartiers impériaux. Tokan l'attendait dans une antichambre :
- Il vous fait l'honneur de vous recevoir, mais il est entendu que cela ne durera pas plus d'une heure, d'accord ? Il doit se reposer.
- Bien entendu, seigneur.
- Bien, allez-y.
Tokan ouvrit le panneau et Suzume put entrer dans une petite chambre où Norio, assis sur un tatami, l'attendait en triant des papiers.

Sasuke gardait une autre antichambre, avant un salon où l'Empereur et quelques membres de la famille impériale avaient fait venir le Bouffon et des geishas. Nobuyoshi était lui directement dans la pièce, derrière les artistes. Quand il fut seul, Sasuke sortit le pendentif en diamant : il se concentra sur la loge de Jotaro. L'acteur avait fini de se démaquiller. Il recevait les rôles secondaires de la pièce autour d'un bon saké. Mitsurugi discutait avec Kaiu Koga, tout en surveillant le triumvirat du Gozoku et les membres du shinsen-gumi.

Hanteï Norio roulait des parchemins et les attachait avec un fil de soie :
- Ces écrits de maître Gendô vous seront d'une grande aide sur la voie de la sagesse, dit-il à Suzume.
Le jeune homme refusa ce cadeau comme le voulait la politesse puis, devant l'insistance de son hôte, les accepta bien humblement.
- Je ne pourrai hélas m'entretenir plus longtemps avec vous ce soir, dit le vieil homme. Je suis certain que vous êtes un jeune homme éclairé. La voie que vous suivez est escarpée mais elle vous mènera haut.
- Je ne sais comment vous remercier, seigneur.
- En les étudiant attentivement, patiemment et en écrivant ce que vous inspire ces paroles d'un des plus grands disciples de Shinsei.
- Pensez-vous que je puisse m'entretenir un jour avec maître Shingon ?
Hanteï Norio fronça les sourcils :
- Ne soyez pas impatients et suivez d'abord votre voie.
On sentait qu'il n'aimait guère cette religion nouvelle.
Suzume s'en alla, des étoiles dans les yeux, serrant contre lui les précieux écrits. Le vieux Norio fit venir Tokan :
- Je n'ai pu garder le jeune Suzume très longtemps. Je crois que mes douleurs me reprennent.
- Senseï, c'est tout naturel, il ne faut pas vous fatiguer.
- Néanmoins, je souhaiterais que vous invitiez Shosuro Jotaro. J'aimerais m'excuser de n'avoir pu assister à sa pièce.
- Pourquoi ne pas le voir demain, senseï ?
- Non, non...
Norio toussa et fit un effort pour s'arrêter.
- Je veux le voir maintenant.
Inquiet, Tokan s'inclina et dit qu'il allait le faire appeler. Quand il fut sorti, Norio se remit à tousser. Il avait de la fièvre. Il avala un bouillon amère qui devait calmer ces quintes. Sa vue se troublait, il suait abondamment. Deux serviteurs arrivèrent et le prièrent instamment de se mettre au lit.
- D'accord, d'accord, dit-il, un ton trop haut, mais qu'on fasse venir Shosuro Jotaro.
- Le seigneur Tokan s'en occupe, senseï.
On lui apporta des serviettes humides et plusieurs couvertures.
- La fièvre va tomber mais vous devez vous reposer.

Sasuke surveillait toujours Jotaro, qui disait bonne nuit à ses invités. Un message lui arrivait. Sasuke discerna le sceau impérial.
- Très bien, répondait l'acteur, j'irai le voir.
Il passait derrière un paravent pour se changer. Il mettait un kimono plus simple et sortait de sa loge. Le couloir n'était pas éclairé. Il croisait un autre samuraï, que Sasuke ne put identifier, échangeait quelques mots avec lui et se rendait dans les quartiers des Hanteï. Sasuke frissonna : allait-il s'attaquer à l'Empereur directement ? Non, c'était absurde. Il aurait eu à affronter les Seppun, lui et Nobuyoshi...

Hanteï Norio avait ordonné qu'on le laisse enfin seul. Il mettait la main sur sa poitrine. Son coeur palpitait et la fièvre ne partait pas. On frappa à la porte. La respiration du vieil homme s'accéléra. Un auguste personnage, vêtu des couleurs bleu-nuit des Scorpions, entra, un masque de nô sur le visage. La chambre parut immense au vieux Norio, son visiteur démesurément grand, les bougies éblouissantes.
- Vous demandiez à me voir, senseï ? dit la voix caverneuse.
Norio fit un effort pénible pour se mettre sur ses coudes et s'adosser au mur. Il tremblait de la tête aux pieds, il avait peine à articuler :
- Je sais... je sais qui vous êtes...
Il tendait un doigt imprécateur vers le personnage.
- Je sais, je sais...
- Calmez-vous, senseï, voyons.
- Vous êtes démasqué, mons, monstre...
Son malaise augmentait. Sa respiration devenait courte.
- Que me reprochez-vous donc ?
- Votre conspiration... Vous avez renié... le Ciel... l'Empereur... tout honneur... Vous êtes des maudits...
- Nous travaillons à faire advenir un nouvel âge d'or, senseï.
- Monstre !... Vous, vous avouez...
- Je parle déjà à un mort, senseï...
Ses palpitations augmentaient.
- Ikoma Noyuki, et le Dragon, ils sont avec vous...
- Non, senseï. Ils ignorent la teneur exacte de cette pièce... En réalité, puisque je peux tout vous dire, il se trouve que nous avions réussi à enlever brièvement Togashi Ojoshi. Suffisamment pour lui inculquer par hypnose l'idée de cette pièce avec la Novice.
- Vous manipulez...
- Ne faites pas l'innocent, senseï. Nous connaissons vous et moi les moeurs de la cour impériale, les chantages, les règlements de compte. Nos méthodes ne sont pas différentes de celles du plus honorable des diplomates. Vous-même, vous n'avez pas toujours hésité à briser des familles pour protéger votre cher Empereur, à précipiter dans l'infamie des innocents, à fermer les yeux sur les agissements de samuraï fidèles à l'Empereur mais aux méthodes sanglantes...
- Taisez-vous... monstre... Je sers le trône d'Emeraude...
- Vous servez un avorton des Dieux, héritier de tyrans impitoyables qui nous ont asservis, qui ont fait de nous leurs esclaves. Votre honneur n'est qu'un voile trompeur, pour masquer que nous ne sommes que les etas de ces dieux, qui se rient de nous et de notre destinée.
- Vous n'êtes que... des crachats à la face du Ciel...
- Les hommes ne supporteront pas toujours une caste corrompue, organisée selon une organisation imparfaite et arbitraire. Nous sommes nombreux à vouloir précipiter la décadence de cette tyrannie immémoriale que vous appelez l'ordre céleste.
"Nous ne voulons plus servir, mais nous interroger. Et dans la langue ancienne des premiers hommes, avant la chute des dieux, interroger se dit : "kolat".

Hanteï Tokan raccompagnait Suzume à la réception :
- Ces parchemins ont l'air précieux.
- Et comment ! dit Suzume, tout excité. Je ne sais comment le remercier !
- Nous y penserons au printemps, ne vous inquiétez pas. Je suis sûr que nous vous inviterons, car je crois que Norio-sama vous apprécie.
- Je suis tellement indigne de sa considération.
- Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre un homme aussi pieux que vous, Suzume. Moi-même, je dois dire...
Tokan préféra rire, lui qui n'était pas bien assidu dans sa lecture du Tao et faisait depuis longtemps le désespoir de son maître !
- Oh malheur à moi !
Suzume venait de se frappait le front.
- Quoi donc ?
- J'ai oublié mon sac à parchemins chez Norio-sama !
- Comment cela ?
- Je le transporte toujours... Et là, voyez, je porte ces rouleaux à la main... C'est pourquoi... Enfin, dans l'excitation.
Tokan le considéra en hochant la tête :
- Voilà bien les grands esprits, incapables de penser aux choses matérielles !
- Je suis sincèrement désolé.
- Vous êtes une tête de linotte, Suzume-san. Voilà la vérité.
- Je vous supplie de me laisser retourner le chercher. Ce sac a été confectionné et brodé par ma mère, il est extrêmement précieux...
- Ça va, ça va, vous allez m'arracher des larmes ! Frapper doucement, entrer en rampant et en vous excusant platement et faites vite ! Vous saurez retrouver votre chemin ?
- Oui, oh oui...
- Bon, filez...
Tokan rejoignit la salle de réception, impatient d'aller boire un bon verre en compagnie d'un joyeux fêtard comme Mitsurugi !

Les yeux révulsés d'horreur, le vieux Norio reculait, alors que son visiteur approchait de lui. Il tirait lentement un poignard de sa manche :
- Mais dites-moi, senseï, comment avez-vous entendu parler de nous ?
- Nombreux sont ceux qui vous connaissent, dit Norio, haletant, mais presque tous se taisent... J'ai un jour reçu la confession d'un mourant... Un samuraï de la famille Seppun qui m'avait confié avoir servi toute sa vie un monstre... Un des maîtres de votre conspiration...
Le visiteur passa son doigt sur le plat de la lame :
- Vous parlez de maître Nuit. L'homme qui m'a tout appris. Il n'a donc pu empêcher un témoin de parler, ce cher vieil ami....Hé bien, je ne ferai pas cette erreur. Il faut bien que l'élève dépasse le maître.
Réunissant ses dernières forces, Norio se jeta sur son visiteur. Celui-ci le repoussa sans mal mais le vieux lui avait arraché son masque.
Le vieil homme leva les yeux, étouffa un cri :
- Vous !...
- Mes amis au sein du conseil des Dix me nomment Cristal.
Norio haletait.
- Allons senseï, qui pensiez-vous découvrir ?... C'eut été trop facile. Tous les hommes portent un masque. Pour un homme comme moi, c'est une précaution élémentaire d'en porter au moins deux.
Norio recula, terrifié. Cristal leva son bras, projetant une ombre immense et difforme à travers toute la pièce et frappa en plein coeur. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois. Le vieil ne réussit pas à crier. Son sang épais gicla sur les draps trempés, sur le mur, éclaboussa son panneau en bois laqué et les bougies qui finissaient de se consumer.
Cristal remit son masque, reprit son souffle, rangea son poignard et s'en alla rapidement.

Suzume, emporté comme par un torrent, emporté par ce qu'il ignorait être son destin, courait pour retrouver la chambre du vieux Norio. Il ne manqua pas de se perdre. Il s'affolait, tournait en rond, ne distinguait plus une porte d'une autre. Il s'arrêta, s'adjura de se calmer.
- Du calme, tu vas retrouver cette chambre... Le couloir, tu as tourné à droite... Puis à gauche... Et alors...
Il revint en arrière, marcha posément, respira.
- La porte de droite, puis ce second couloir à gauche...
Les larmes lui montaient aux yeux. En possession des parchemins d'un disciple de Shinsei, et incapable de trouver son chemin dans un palais Crabe !
- Tu n'es vraiment qu'un imbécile émotif, immature, qui fait honte à tout le monde, qui n'en fait qu'à sa tête...
Il entendit des voix de l'autre côté d'un mince porte. Il s'arrêta, hésitant à demander son chemin... Et s'il surprenait quelqu'un dans une position gênante ? On racontait tant de choses sur les vices nocturnes des courtisans...
Il prit le risque de s'approcher : il vit deux personnes au travers de l'écran de papier de riz de la porte. Ils discutaient, en tailleur l'un en face de l'autre :
- C'était bien ce que nous pensions. Il était temps d'intervenir. Il faut maintenant découvrir ce qu'il a pu dire.
- Vous êtes certain, pour le moment, que le Vieux ne nuira plus ?
- J'en suis parfaitement certain.
Suzume n'eut pas d'hallucination : il vit l'homme qui venait de parler montrer un poignard. Il recula. Sa mâchoire se mit à trembler, ses genoux allaient le lâcher. Il fit trois pas en arrière et partit en courant. Il entendit le panneau de la pièce s'ouvrir d'un coup, les deux hommes sortir, mais il était déjà loin.
Les couloirs tournaient, chaviraient, se renversaient... Il vit de la lumière sous une porte, la chambre du vieux Norio. Il tomba à genoux. Il entendait des pas dans le couloir. On approchait.
Il ne pouvait plus se relever. Il finit à genoux les quatre pas de distance, ouvrit la porte en grand, fou de terreur. Il se releva, vit le corps du vieil homme, tordu de douleur, baignant dans le sang, le sang qui avait giclé du sol au plafond. Il tomba à la renverse, prit une bougie pour en rallumer trois autres. Il s'approcha lentement, son visage trempé de sueur et de larmes :
- Senseï...
Le vieux Norio était tordu comme une racine, raide comme un arbre abattu.

Hanteï Tokan retrouva Mitsurugi autour d'un verre et trinqua de bon coeur :
- Allons, au printemps qui approche !
- Tout à fait, répondit Mitsurugi, qui essayait de faire bonne figure.
Shosuro Jotaro entrait, salué très bas par ceux de son clan :
- Une prestation magnifique !
- Vous vous êtes surpassé, maître !
Plusieurs Crabes durent y aller aussi de leur compliment d'usage.

Le Bouffon terminait son petit spectacle pour l'Empereur, saluait la compagnie. L'Impératrice fit alors signe à Nobuyoshi qu'il pouvait aller se coucher. Surpris, le garde du corps regarda l'Empereur, qui lui dit qu'il pouvait y aller. Le tensaï salua bien bas tout le monde.
Sasuke l'attendait dans la pièce d'à côté :
- Nous rejoignons nos quartiers pour la nuit, lui dit-il.
- Entendu.
Les deux amis allèrent dans leur chambre, que les servantes avaient bien chauffé.
- Vous serez très bien, seigneurs...
- Pour le chauffage, dit Nobuyoshi, mon ami peut s'en occuper...
Nobuyoshi s'allongea, fourbu :
- Dormons vite car nous nous levons demain à l'aube. Je me dis d'ailleurs que nous aurions pu rester éveillé toute la nuit... Puisque la cour se termine demain, il aurait été normal de veiller en permanence... Dis, tu m'écoutes ?
Sasuke s'était relevé et sortait :
- Je reviens, dit-il.
Nobuyoshi le suivit : le petit coin était au bout du couloir :
- Je vais y passer aussi...
Mais Sasuke partait dans l'autre sens.
- Où vas-tu ? C'est par là...
Sasuke n'écouta pas. Nobuyoshi le rattrapa :
- Dis, oh !
Il toucha le bras de son ami, qui le repoussa fermement.
- Sasuke ?
Il avançait comme un somnambule.
- Sasuke, qu'est-ce que tu vas faire ?
Il se mit devant lui. Sasuke l'écarta vigoureusement et reprit sa marche. Nobuyoshi ferma les yeux et pria les dieux de lui venir en aide.
- Sasuke, arrête-toi... Arrête-toi !
Il n'écoutait pas. Nobuyoshi appela un garde :
- Toi ! Cours me chercher Mitsurugi ! Matsu Mitsurugi !
- Bien seigneur !
Sasuke marchait, guidé par une force toute puissante, qui le déplaçait comme un pantin. Il faisait un pas après l'autre, oscillait de gauche à droite.
- Sasuke, réveille-toi ! Concentre-toi !...
- Laisse-moi, dit-il d'une voix absente.
- Sasuke, tu es sous l'emprise d'un sortilège !
Ils arrivaient en vue de la porte du jardinet réservé à l'Empereur. Les deux gardes Seppun se levèrent :
- Halte-là !
- C'est nous ! dit le tensaï de l'Air.
- L'Empereur vous a ordonné pour l'heure d'aller dormir, dit l'un des Seppun. Nous n'avons pas été prévenus de votre arrivée. Repartez d'où vous venez.
Sasuke, imperturbable, avançait.
- Je vous en supplie, n'essayez pas de l'arrêter !
Les deux Seppun mirent la main sur le sabre :
- Matsu Sasuke, arrête-toi !
Le tensaï fit apparaître des flammes dans ses mains.
- Laissez-le passer, cria Nobuyoshi.
- Encore un pas et nous attaquons !
Ils tirèrent leurs sabres et se mirent en défense. Nobuyoshi invoqua un fort courant d'air qui renversa Sasuke et les deux Seppun. Il courut mais un mur de feu s'éleva devant lui. Il cria encore à Sasuke d'arrêter : il s'était relevé le premier et passait la pore, entrait dans le jardin.
Nobuyoshi invoqua encore les esprits du vent pour disperser les flammes. Il enjamba les deux Seppun assommés et se précipita sur Sasuke.



Reply
#8
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


L'Empereur prenait un verre en compagnie du Bouffon, tout en admirant les quelques étoiles que les gros nuages ne cachaient pas. La porte s'ouvrit :
- Matsu Sasuke ? dit Yoriku, très sérieux.
Surpris, l'Empereur dit aux quatre gardes Seppun de ne pas bouger. Sasuke descendit les trois marches de la terrasse. Nobuyoshi entra avec fracas. Les Seppun du jardin coururent sur lui ; il bondit dans les Airs et atterrit juste devant Sasuke. Il le repoussa d'une bourrasque. Sasuke tomba, se releva, mécontent et reprit sa marche :
- N'approchez pas, je vous en conjure !
Comme les Seppun couraient vers eux, un mur de flammes s'éleva tout autour du jardin. Sasuke écarta Nobuyoshi, invoqua son katana de feux. Le Bouffon se jeta en hurlant au travers du rideau flamboyant. Les oreilles sifflaient à Sasuke en permanence. Il entendait la voix de Nuage lui dire quoi faire à tout instant.
- Avance... N'aie crainte. Brandit ton sabre et frappe l'Empereur, n'aie crainte... Tout sera bientôt terminé.
L'Empereur ne pouvait reculer. Les flammes lui léchaient déjà le dos :
- Que faites-vous ?
Sasuke prit son sabre bien en main et frappa : il transperça de sa lame de feu le coeur de l'Empereur. Il le regarda, sans émotion, tomber à genoux devant lui.
Le mur de flammes se dissipa, le sabre de Sasuke aussi. Le tensaï avait frappé et c'était comme s'il avait pu se voir en train de le faire.
Il recula, hébété, pris de vertige. L'homme devant lui agonisait.

Mitsurugi entrait avec Yasashiro. Les deux Seppun du couloir et les quatre du jardin se précipitèrent sur Sasuke et le plaquèrent à terre. Quatre autres surgirent et s'interposèrent devant Mitsurugi et Yasashiro.
L'Empereur se relevait, indemne et Nobuyoshi agonisait en tenant son coeur brûlé.
Sasuke, maintenu à terre, se réveillait du sort tout-puissant de Rêve. Il vit Nobuyoshi devant lui, Nobuyoshi qui avait jeté un sort d'illusion sur lui pour prendre l'apparence de l'Empereur et recevoir le coup à sa place !
- Non, non !
Dans un suprême et dernier effort, le tensaï de l'Air articula, prenant son rictus le plus sinistre :
- Tu as... réussi à m'arrêter, Sasuke... Mais un jour, un autre... viendra... et lui pourra...
Il cracha du sang.
- Lui réussira à tuer l'Empereur...
Il cracha encore abondamment, s'étrangla et tomba inerte sur le sol.
Les Seppun, à ces mots, avaient pointé leurs lames sur Nobuyoshi. Ils libérèrent Sasuke, ahuri, terrifié, qui se précipita sur Nobuyoshi. Il voulut le soutenir, le relever : il était mort.
- Mon ami...
- Laisse-le ! cracha un Seppun. Ce traître !

Sasuke recula. Il vit Mitsurugi et Yasashiro qui avaient assisté, impuissants, à la tragédie qui venait de se conclure.
- C'était un assassin, un assassin... murmura l'Empereur.
- Félicitation pour votre courage ! dit un Seppun à Sasuke.
- C'était votre ami, n'est-ce-pas ? dit un autre.
- C'était un assassin, dit un troisième.
Le Bouffon revenait, secoué. Il avait perdu toute envie de grimacer :
- Oh oh oh, misère...

Muet d'horreur devant ce qui venait d'arriver, Sasuke recula.
Nobuyoshi venait de faire le sacrifice ultime, un sacrifice héroïque, presque inhumain. Il avait donné sans hésiter sa vie pour sauver l'Empereur, et son honneur pour sauver Sasuke.

Sasuke ne dit plus rien, recula, terrassé. Il dut s'appuyer contre le mur et se retint de vomir. Quand il releva la tête, une lueur infernale brillait dans ses yeux, semblable à celle d'Akuma :
- Je vais chercher Nuage.
Mitsurugi et les Seppun entendirent des cris et se précipitèrent vers une chambre éclairée : ils trouvèrent là Norio assassiné, et Suzume, recroquevillé, secoué de spasmes, tenue en respect par les lames de quatre gardes.
- Mitsurugi ! Ils l'ont tué ! Je jure que ce n'est pas moi !
Les Seppun saisirent le jeune homme et le ligotèrent.
- Ne lui faites pas de mal ! gronda Mitsurugi. Le véritable assassin n'est pas loin !
Lui, Sasuke et Yasashiro ouvrirent sans ménagement toutes les portes des chambres proches. Ils réveillèrent plusieurs seigneurs, en trouvèrent deux au lit avec des geishas, un autre en train de se faire fouetter... Ils ouvraient, entraient. Une fille vint à eux, avec une voix étouffée :
- Je sais moi...
Ils l'éclairèrent : elle était hideuse, défigurée. Ils reconnurent la fille sans visage qui avait été la compagne de Sazen.
- J'ai vu partir l'assassin... J'étais là car...
- Peu importe ! dit Sasuke. Où est-il passé !
- Par là !
Sasuke partit en courant. Mitsurugi appela des gardes Seppun, dit qu'il tenait une poste.
Sasuke traversa deux couloirs, une porte, une autre porte, puis la cour, la neige, le vent glacée. Il trébucha, fit quelques pas pour se rattraper et se retourna : il avait buté contre la jambe d'un des rônins du clan du Loup, mort, frappé d'une boule de feu dans la poitrine.
Des pas dans la neige, Sasuke les suivit, passa la porte du palais, continua dans la rue. Deux hommes surgirent devant lui, armés. Quelqu'un tomba du toit derrière eux et les empala sur son yari. C'était des tueurs du Saphir, et c'était Yatsume.
- Merci, dit Sasuke.
Il reprit sa course, suivait les pas. Les esprits du feu se réunissaient autour de lui. Les pas entraient dans une cabane du quartier des etas. Mitsurugi arrivait :
- Allons-y ensemble !
Sasuke invoqua son sabre de feu et défonça la porte. Un homme en robe intégrale se leva. Il porta un masque au motif stylisé : Nuage.
Sasuke, mû par la haine, lança un coup de sabre rageur. Nuage l'arrêta entre ses deux doigts et l'éteignit, puis il renvoya les deux samuraï dans la rue par une vague d'énergie crépitante.
Mitsurugi, suffoqué, crépitant de serpents bleutés, était paralysé. Sasuke se releva. Il titubait mais put invoquer encore son sabre :
- Je vais te détruire ! Te détruire ! Pour Nobuyoshi !
Il courut, et envoya plusieurs coups de sabre, animé d'une colère véritablement démoniaque. Nuage recula, évita plusieurs coups ; mais Sasuke le frappa à la jambe, Nuage partit en arrière et tomba dans la neige, son masque tranché en deux. Il rejeta Sasuke en arrière d'une autre vague d'énergie et le frappa deux fois de l'index dans la gorge. Sasuke fut aussitôt paralysé de tous ses muscles. Nuage l'attrapa par les cheveux et le souleva :
- Tu t'es laissé berner par un misérable sort d'illusion !
Sasuke ne pouvait plus articuler. Il était en train d'étouffer. Il eut un hoquet quand il reconnu l'homme qui venait de perdre son masque. Il voulut formuler une injure. Il ne put parler mais il réussit à lui cracher au visage. Le visage de son ancien maître, Isawa Masaakira, crispé par la colère et la haine.

- Tu te crois très malin ! Très fort, Sasuke !
Mitsurugi, qui voyait mille étoiles, se remettait sur pied. Il ramassa son sabre, le serra fort. Il chancela, pas après pas, pour venir en aide à Sasuke.
- Tu te crois invincible, Matsu Sasuke, mais tu ne peux rien contre moi ! Je suis le Vide, tu entends ! Tes flammes ne peuvent rien sur moi... Et au printemps, je serai nommé maître du Vide, maître du conseil élémentaire ! Inutile d'essayer de m'attaquer publiquement, tu n'es pas de taille ! Tu n'es rien face à moi !
Sasuke invoqua les flammes, qui jaillirent de la cabane et attaquèrent Masaakira. Il lâcha Sasuke, ramassa son masque et s'enfuit.

Arrivent alors une dizaine de gardes Seppun et autant du shinsen-gumi, menés par le capitaine Otomo Jukeï :
- Arrêtez-les !
Mitsurugi reçoit un coup de crosse, retombe dans la neige, est ligoté, tout comme Sasuke. Yasashiro a aussi été pris.
- Il va falloir vous expliquer, monsieur l'ambassadeur, dit Jukeï, qui exulte.

Hanteï Tokan était tombé à genoux devant le lit où gisait son maître. On venait de le couvrir d'un drap blanc. Il priait et pleurait en silence. On le laissa seul un long moment dans la pièce. Il releva la tête, se remit debout et dit à un serviteur :
- Où est Doji Suzume ?
- Il a été par les soldats du shinsen-gumi.
Tokan alla se passer de l'eau sur le visage et changea de vêtements. Il se regarda dans le miroir, se sentit vieillir de dix ans. Il s'aspergea encore d'eau, réprima de nouveaux sanglots.
Un soldat Seppun entra et s'agenouilla :
- Seigneur, ils vont les juger tout de suite. Ils veulent que vous veniez.
- Les juger tout de suite ? Mais pour qui se prennent-ils ?
Tokan passa ses habits de cérémonie les plus officiels et se rendit dans la grande salle de réception, d'où l'on avait fait sortir les invités, et qu'on avait transformé en salle de tribunal.
Les accusés étaient à genoux, les mains ligotées dans le dos : Doji Suzume, Matsu Mitsurugi, Matsu Sasuke, Hida Yasashiro. Autour d'eux, les féroces samuraï du shinsen-gumi et devant, le triumvirat du Gozoku avec les principaux conseillers, dont le redoutable Bayushi Tangen, qui menait l'interrogatoire :
- Que faisiez-vous dans l'aile interdite du palais ?
- J'ai fait ce que tout samuraï aurait dû faire, hurlait Mitsurugi, secourir l'Empereur !
Hanteï Tokan entra et resta dans le fond de la salle.
- Comment avez-vous pu accourir au secours de l'Empereur alors que l'assassin n'avait pas encore frappé ? Seriez-vous devin ?
- J'ai été prévenu qu'une attaque se préparait !
- C'est moi qui ai envoyé le messager ! hurlait Sasuke.
- Quand vous sortiez de la chambre du vieux Norio avec Doji Suzume ?
- Je ne l'ai pas tué ! cria le jeune homme.
- Ils n'ont pu agir seul, lança Tangen à l'assistance. J'y vois à coup sûr une cabale, très bien montée. Je suis certain qu'ils ne sont que le bras armé de conspirateurs bien plus puissants !
"Dites qui sont vos complices !
- Nous n'avons tué personne !
Mitsurugi se débattait : quelques coups de crosse le firent tenir tranquille.
- Vous avez pénétré par effraction dans le jardin de l'Empereur, expliqua Tangen, juste après avoir frappé à mort le vieux Norio. Qui de vous a frappé ?
Suzume sanglotait :
- Nous vivons une époque si corrompue que des innocents passent pour coupables !
- Alors désigne les vrais coupables, Suzume-san. Désigne ceux qui ont armé ton bras !
- Ce n'est qu'une mascarade, cria le jeune homme, c'est un piège ! Vous tous qui êtes là participez à une mascarade !
- C'est toi qui es démasqué, répliqua Tangen.

Un lourd piétinement se fit entendre. On aurait cru que le palais allait s'effondrer. Les gardes Crabes se mirent à la porte. Celle-ci s'ouvrit avec fracas et les Crabes furent repoussés par un fort contingent de Matsu, qui les écartèrent et laissèrent le passage à une seconde cohorte, bien plus nombreuse, qui fit refluer les spectateurs vers les côtés de la salle. Les soldats du shinsen-gumi se mirent face à eux :
- Que faites-vous là, samuraï ?
C'était le général en chef des troupes du Gozoku, le supérieur du capitaine Otomo Jukeï qui parlait. Les Matsu faisaient face, compacts. Ils firent un pas de côté pour laisser entrer le général Matsu Kokatsu. Il était suivi d'Ikoma Noyuki, par qui il avait été prévenu.
- Général Kokatsu, dit Bayushi Tangen, vous interrompez une séance de tribunal.
- Je ne vois aucun tribunal, aucun juge ni aucun accusé, répliqua Kokatsu, qui fulminait. Je ne vois qu'une ridicule pièce de théâtre, même pas digne du Bouffon ! Je viens chercher mes hommes. Qu'ils soient libérés sur le champ, ou vous en souffrirez les conséquences.
- Retire tes paroles, général, cracha le capitaine Jukeï. Tu insultes des membres du Gozoku.
- Un Lion n'a pas à vous craindre, toi et tes mercenaires !
Otomo Jukeï allait tirer son sabre, quand d'autres Seppun firent leur entrée par une seconde porte :
- L'Empereur !
Le Fils du Ciel entrait dans une véritable cage aux fauves.
- Que tout le monde se calme, dit-il d'un ton ferme et posé, mais sans élever la voix.
Il balaya la salle du regard, vit les accusés, les accusateurs, le shinsen-gumi face aux Matsu.
- Vous vous comportez tous comme des bêtes enragées. Dois-je vous rappeler que notre cousin est mort ? Ne pouvez-vous donc respecter cela ?
Le silence se fit complètement dans la salle. L'Empereur attendit que chacun marque son respect pour le vieux Norio.
ll n'était plus jeune mais n'était pas encore un homme accompli. Il avait face à lui les plus redoutables courtisans de l'Empire et parvint malgré tout à leur imposer le respect.
- Quand à l'attaque dont j'ai été victime, il me paraît téméraire d'en juger en mon absence. Le tribunal qui vient de se constituer a-t-il pris en compte ce fait ?
Il fixa Bayushi Tangen et les membres du Gozoku, sans animosité mais avec fermeté.
- De plus, je dois vous apprendre qu'un rideau de flammes s'est levé autour de moi et des deux gardes du corps. Nul autre que moi n'a pu voir ce qui s'est passé.
"Et ce qui s'est passé, le voici : le démon qui assiégeait la ville a tenté de s'en prendre à moi. Je l'ai appris de façon sûre de l'honorable Isawa Masaakira, dont la parole sur ce point ne peut être mise en doute.
"Mes deux gardes du corps ont tenté de me protéger. L'un d'eux a trouvé la mort.

Kuni Tadao cilla en écoutant l'Empereur. Il sut que ce ne pouvait être vrai. Ce n'était pas Akuma. Isawa Masaakira l'avait banni. Mais cela, Tadao avait juré de ne pas en témoigner. Et il pouvait encore moins contredire l'Empereur. Il pensa donc que le Fils du Ciel avait arrangé la vérité pour le plus grand bien de l'Empire. A vrai dire, il ne tarda pas à se perdre en conjectures sur ce que l'Empereur avait dit.

Matsu Sasuke frémit quand il entendit que l'Empereur avait pris son conseil de Masaakira. Il sut que son ancien maître, en accusant commodément Akuma, ne voulait pas le faire accuser. Implicitement, il attendait que Sasuke ne le dénonce pas non plus. C'était une façon de remettre à plus tard leur affrontement, de garder cela entre eux. L'Empereur lui-même avait sans doute préféré croire que c'était Akuma le responsable. Mais avait-il cru Masaakira cette fois-ci seulement, ou bien prenait-il souvent conseil auprès de lui ? Quel était le degré d'influence du terrible Nuage sur le Fils du Ciel ?

Il fallut couper les liens des prisonniers. Ils se relevèrent, fièrement.
- Il ne convient pas de juger si vite des crimes si graves, dit l'Empereur. Pour l'heure, que tout le monde aille dormir. Des patrouilles vont circuler dans tout le palais. Le démon peut encore rôder.
Suzume s'essuya les yeux. Mitsurugi lui tapa sur l'épaule et lui dit de venir. Doji Onegano, épuisé, attendait de pouvoir serrer son fils dans ses bras.
- L'Empereur est bien bon, renifla Suzume.
- Chut, viens, dit Mitsurugi calmement.
- Non, laissez-moi !
Suzume se dégagea et se mit, seul, face au Gozoku :
- L'Empereur est bien bon, oui ! Bien bon de tolérer l'hypocrisie, la méchanceté et le vice qui règne ici ! Il doit être bien affligé par la bassesse de ses courtisans qui lui font de jolis sourires et complotent sans cesse dans son dos ! Accusant les meilleurs d'entre nous, Matsu Mitsurugi et Sasuke, qui ont tant fait pour nous protéger !
- Suzume, tais-toi ! cria Onegano. Et il alla se jeta aux pieds de l'Empereur : "Pardonne à mon fils !
- Non, père, il n'y a rien à me pardonner car je ne suis pas coupable, sinon de dire tout haut ce que tout le monde sait ! On a assassiné le grand Hanteï Norio, celui qui a voulu unir l'Empire, qui a voulu combattre la décadence de...
Le pauvre garçon, à bout de nerfs, ne trouvait plus ses mots.
- Tais-toi, insolent, cria Doji Raigu, le champion d’Émeraude et maître du clan de la Grue. Plus un mot !
- Oh pardon, père, pardon...
Suzume s'effondra comme un petit enfant dans les bras d'Onegano.
- Tu as la langue trop bien pendue, s'écria le Champion d’Émeraude. Tu oses accuser les plus hauts membres de l'Ordre Céleste de corruption, de vice ! Il faut que tu sois devenu fou, et que ce soit toi qui voies d'ignominie à la place de l'honneur !
"Pour cela, il n'existe pas de châtiments ! La mort serait trop douce pour réparer les accusations folles que tu viens de proférer !
"Aussi, moi, Doji, maître du clan de la Grue, je décide que toi, mon vassal, Doji Suzume, tu seras chassé du clan de la Grue. Chassé de l'Ordre Céleste, chassé de toutes les maisons honorables, chassé de toute terre où vit quelque samuraï respectant les Ancêtres et les Dieux. Oublié, renié de tous, interdit de lever les yeux vers quiconque porte un sabre, chassé de partout, c'est le sort que je te souhaite à présent !
Le Champion d’Émeraude se fit remettre un sabre et ordonna à Suzume d'approcher. Celui-ci, pâle comme un mort, dut quitter les bras de son père, qui tomba à son tour à genoux.
- Pitié pour mon pauvre fils, seigneur, supplia Onegano.
- Tais-toi, dit froidement Doji Raigu. Cet homme n'est plus ton fils.
L'assistant, pétrifiée par la peur, ne remuait plus un cil.
Le Champion d’Émeraude tira son sabre et frappa Suzume. Plusieurs personnes poussèrent un bref cri et fermèrent les yeux.
Le maître des Grues venait de trancher les insignes de clan de Suzume, lui lacérant les bras et les épaules. Suzume tomba en gémissant. Doji Raigu rangea son arme.
- Pars à présent, dit-il doucement. Nul ne te regardera t'en aller, et dès ce soir, tu dormiras hors de la Cité.
Il fallut longtemps à Suzume pour se relever. Les Lions regardaient, impuissants, le jeune homme subir les derniers outrages. La haine brillait dans les yeux de Mitsurugi et Sasuke.
-Un instant.
C'est l'Empereur qui venait de parler. Suzume se retourna et resta plié en deux, se tenant ses épaules douloureuses.
- J'approuve la décision de mon champion. Tes paroles ont prouvé que tu ne peux plus appartenir au clan de la Grue.
"Tu as plusieurs fois été remarqué pour ton insolence. Je veux croire que tu es moins un fou qu'un idéaliste. Raison pour laquelle le vénérable Hanteï Norio devait t'apprécier, car il a vu en toi une pureté de coeur qui fait bien défaut à beaucoup de mes samuraï.
Aussi, puisque tu es si intransigeant, si détaché des biens de ce monde, que l'hypocrisie te fait horreur, moi, Hanteï sixième du nom, ordonne que désormais tu vives selon tes préceptes : dans l'honneur et la pauvreté. Puisque tous ici ou presque te méprisent, et t'ont surnommé le "moineau", pour la pauvreté de tes apparences qui vont de pair avec ton mépris pour celles-ci, tu fonderas un clan au nom de cet animal. Suzume, je te nomme daimyo du clan du Moineau.
"Tu partiras dans les terres ingrates du sud du clan de la Grue, que tu cultiveras pour vivre, avec tous ceux qui voudront te rejoindre pour partager son idéal de pauvreté. J'ai dit.
"Et maintenant, ce tribunal est clos, cette cour d'hiver est terminée, je le proclame. Nous avons été honorés d'être accueillis par le clan du Crabe, dont chacun reconnaît le dévouement héroïque et les sacrifices qu'ils accomplissent chaque jour.
A présent, que chacun ici présent renouvelle son allégeance au trône d’Émeraude.

L'Empereur fixa l'assemblée et regarda tout le monde sans exception mettre le genou à terre et baisser la tête.
- La protection des Dieux et des Ancêtres est sur nous, samuraï. Puissions-nous ne jamais l'oublier.




Samurai




Isawa Nobuyoshi fut brûlé au petit matin dans la grande cour du palais. Sasuke fut autorisé à jeter dans le bûcher ses derniers effets personnels. Il passa à côté d'Isawa Mizu et lui dit :
- Nobuyoshi-san était mon ami. Je jure de retrouver le coupable de sa mort.
Puis il passa à côté d'Isawa Masaakira, sans le saluer.

Mitsurugi fit ses adieux à Tadao :
- Ce fut un honneur de servir sous vos ordres, Inquisiteur.
- L'honneur fut encore plus grand pour moi de vous avoir connu. Votre nom restera gravé dans la mémoire du clan du Crabe. Rarement avons-nous connu un guerrier de votre trempe.
Mitsurugi et Sasuke n'avaient pas dormi de la nuit. Le shugenja avait expliqué à son ami ce qui lui était arrivé avec l'Oeil de l'Oni, Rêve, comment Nuage l'avait hypnotisé tout jeune pour faire de lui son assassin.
- Nuage est sûrement le grand maître de la conspiration. C'est lui qu'il faut abattre. Il sait que tôt ou tard, je reviendrai l'affronter.
- Nous aurons sa tête, dit Mitsurugi.

Hanteï Tokan vint saluer nos héros. Il avait changé. Il n'était plus un jeune insouciant, il arborait la mine d'un homme écrasé par le poids de ses responsabilités. Il était à présent l'un des proches conseillers de l'Empereur, seul face à d'innombrables courtisans hostiles.
- Je n'aurai qu'une chose à vous dire, lui souffla Sasuke, les vrais coupables de la mort de Norio-sama et de Nobuyoshi sont plus dangereux que des démons. Ce sont des hommes, prêts à tout. Ces gens-là, vous les aurez directement face à vous. Aussi, je dois vous le dire, Tokan-sama : méfiez-vous du prochain maître du Vide...
Le conseiller impérial hocha la tête, très grave et dit à nos héros qu'ils se reverraient sûrement très bientôt.
- Ne traînons pas, dit Mitsurugi, le général Kokatsu nous attend à la porte nord, et il est très impatient de quitter cette ville.
- Je le comprends, dit Sasuke.

Depuis un balcon, le conseiller Tangen observait nos héros. Il regardait Mitsurugi. Il tapa du poing sur la balustrade, brisant la neige qui s'était déposée dessus :
- On le tenait, ragea-t-il. On le tenait...
Comme le vent fraîchissait, il rentra dans ses appartements.

A la porte nord, les officiers du général Kokatsu manoeuvraient ses troupes.
- Allons, pressons, nous devons atteindre notre première étape à la nuit ! Pressons !
Doji Onegano était là avec son fils. Ils s'étaient tous les deux rasés la tête. Le père avait revêtu des habits de moine :
- Je ne suivrai pas mon fils, dit-il à nos héros. Il est temps pour moi de penser à ma prochaine vie. Aussi, je vous salue, car j'ai été honoré de vous avoir connu. J'ai compris plus de choses durant cette cour d'hiver que pendant le reste de ma vie.
Pendant la nuit, nos deux héros s'étaient dit que les terres du Moineau feraient sûrement, à l'occasion, une bonne base de repli !
Suzume salua Mitsurugi, en se courbant autant que ses épaules blessées le permettaient.
- Voici une nouvelle vie qui commence, lui dit l'ambassadeur. N'est-ce pas finalement celle dont tu as rêvée ?
- L'Empereur a su voir en moi mieux que moi-même. Je vous salue et espère vous voir un jour dans les misérables terres qui vont être les miennes.
- Cela se pourrait.
Suzume parlait déjà de cette voix sublime, lumineuse, qui est celle de certains saints.
- Je pars seul, espérant trouver en chemin des compagnons d'infortune, des samuraï qui préféreront l'honneur à la gloire.
- Tu en trouveras, j'en suis sûr.
Soudain, comme le jeune homme s'apprêtait à partir, il reprit sa voix de jeune Grue :
- Mitsurugi, vous irez chercher ma soeur ? Vous la sortirez des griffes du shinsen-gumi ?
- Oui, Suzume, j'irai chercher ta soeur et je couperai les griffes de tous ceux qui la retiendront.
Soulagé, Suzume ferma les yeux et fit une courte prière. Puis il se noua un bandeau de pénitent autour de la tête, ramassa son baluchon, resserra sa ceinture et prit la route de l'est. Il s'engagea dans une côte à l'heure où le soleil -le premier soleil de printemps - apparaissait, resplendissant. Suzume fit quelques pas, se retourna, les larmes aux yeux. Il regarda nos héros et dit :
- Sayonara.
Puis il reprit sa marche vers le haut d'une colline qui allait être noyée dans la lumière.













Samurai FORCE ET HONNEUR, SAMURAI !Samurai
Reply
#9
Les vacances ont du bon de nous offrir une telle orgie de récits biggrin

Bravo pour cette extraordinaire cour d'hiver Applause
Reply
#10
Héhé, profitez de la cour d'hiver, car le printemps sera terrible Ak47
Reply


Forum Jump:


Users browsing this thread: 1 Guest(s)