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24ème Episode : La Cité hors du temps
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Les 5 Rônins : 24ème Episode

Lièvre 403




La cité hors du temps



Samurai


Le camp de la délégation des Lions, établi au pied des montagnes du toit du monde, semblait s'enfoncer lentement, depuis trois jours, dans la boue. La pluie incessante accablait tout, hommes, bêtes, matériel. Des torrents débordaient, des ponts étaient emportés.
Le général Kokatsu sortait à peine de sa tente, au milieu du camp fortifié que ses hommes montaient et renforçaient chaque jour. Il restait assis sur son siège, au coin du feu, enveloppé dans ses fourrures. Quand il ne s'entretenait pas de longues heures avec un des moines de Shingon, il faisait venir les jongleurs et les poètes. Il bâillait, regardait le paysage morne, ses hommes las, les chevaux résignés. La terre meuble provoquait chaque jour l'effondrement d'un pan de palissade ou d'une tente. Il fallait renvoyer un groupe de soldats abattre de nouveaux arbres.

Matsu Mitsurugi entrait pour faire son rapport :
- J'ai envoyé des éclaireurs, général, vers le col de Benten. Ils seront de retour dans trois jours.
- Trois jours ? Nous avons le temps de finir noyés dans cette boue...
Mitsurugi salua et partit dans sa tente, où le feu ne faiblissait jamais, grâce à Sasuke.
- Si nous restons trop longtemps, les esprits vont finir par se fâcher, dit le shugenja. Je ne peux pas abuser d'eux sans en subir ensuite les conséquences.
- Le général ne tient plus en place, dit Mitsurugi. Il est déjà parti trois fois à la chasse, mais en cette saison, on n'attrape rien.
- J'espère que le col de Benten sera praticable...
- Les Scorpions nous ont dit que non.
- Mais le général ne voudra jamais prendre en compte l'avis des Scorpions, dit Sasuke.
- Bien sûr que non.

Des Bayushi étaient venus en effet, trois jours plus tôt, avec les meilleures intentions du monde, prévenir que la traversée du toit du monde serait impossible avant un bon mois. Les chemins étaient encore trop étroits ; et les neiges trop épaisses, dissimulant des crevasses meurtrières.
Mitsurugi avait envoyé Yasashiro, Yatsume et Yojiro à Benten pour s'assurer de l'état du col.
- Eux au moins font de l'exercice, soupira Sasuke.
Il ne croyait pas si bien dire, car au même moment, les trois "Y" affrontaient une violente bourrasque de neige, qui les obligeait à se précipiter à l'abri d'un promontoire rocheux.
- Nous n'avons rien pour faire du feu, dit Yatsume.
- Pour une fois, il aurait peut-être fallu écouter les Scorpions, dit Yasashiro.
- Plutôt mourir, dit Yojiro. Le général a bien raison.
- Vous croyez franchement que le col sera praticable ? dit Yatsume. Nous sommes encore à une journée de marche, et à trois, nous n'avançons pas ! Aucun cavalier ne peut passer, aucun chariot ! Personne !...
- Il faut quand même bien aller voir, dit Yasashiro.
- C'est tout vu !

Ils attendirent une heure, à grelotter dans leurs fourrures. Le vent finit par retomber, et un beau ciel bleu apparut. Le soleil déchirait les nuages. Les trois éclaireurs montèrent vers un hameau abandonné. Il devait servir l'été pour les bergers qui menaient les troupeaux aux pâturages.
- Nous serons bien ici, dit Yojiro. Il y a du bois bien au sec, de la paille, des pierres pour le feu.
Yasashiro monta sur une grosse pierre et observa l'immense paysage de montagnes brumeuses et d'épaisses forêts. Un choucas hurlait depuis des hauteurs inaccessibles. Quelques fleurs timides perçaient entre les rochers. Yatsume mettait du riz sur le feu, Yojiro partait prendre du petit gibier.
- On n'est pas bien ici, dit le rônin en revenant avec un lapin. Les rois du monde ! Quand je pense que dans la vallée, ils ont de la boue jusqu'aux genoux !... Il faut bien que, de temps en temps, on ne soit pas les plus malheureux !
Quand le feu eut bien pris, ils s'assirent autour, préparèrent le lapin, puis s'endormirent lourdement, pris d'une délicieuse torpeur.


Samurai


Une bourrasque plus puissante encore que les autres venait de renverser le portail est du camp. Les soldats s'affairaient pour le remonter.
Le général fit venir dans sa tente ses capitaines, ainsi que Mitsurugi, Sasuke et Ikoma Noyuki.
- Nous n'allons pas rester tout le printemps ici, et je dirais même que dans quelques jours, nous serons partis, dit Kokatsu. En attendant, nous devons faire le point. Car notre clan est en deuil...
Tout le monde approuva.
Le daimyo de la famille Akodo, et par conséquent chef du clan entier, avait été tué lors d'une escarmouche contre les troupes de zombies d'Akuma. Les Lions avaient choisi, dans l'urgence, le chef de la famille Kitsu, l'aîné des daimyo, en attendant le choix du prochain vrai chef. Tout le monde savait bien que Kitsu Itsoji n'avait pas la carrure d'un maître de clan, mais il ne causerait pas de remous en attendant.
- Les Akodo ont été pris de court par la mort du seigneur Kojeki, expliqua le général. En effet, il y a maintenant trois prétendants à la succession : le fils aîné de Kojeki, Gencho. Son neveu, plus âgé, Koji. Et un jeune cousin, Hatori. Il est peu probable qu'ils arrivent rapidement à se départager. Or, je ne veux pas être entraîné dans leur guerre de succession. En tant que général, gouverneur de la Cité des Apparences, je dois rester en dehors de ces disputes. Nous partirons donc rapidement. Rien de bon ne peut sortir d'une dispute entre Akodo.
Tous les officiers présents approuvèrent ces justes et fermes paroles.
- Je n'ai qu'une hâte, retrouver ma famille, mes terres et cette Cité conquise de haute lutte. A peine en suis-je le maître que je dois redescendre vers les terres ingrates de nos amis du Crabe. Or, les Grues ne vont pas attendre à l'été avant d'attaquer. Et je veux être là pour leur offrir la défaite qu'ils méritent !
Tout le monde rit de bon coeur.
- Plusieurs d'entre vous se sont distingués durant cette cour d'hiver. Aussi, toi, Ikoma Noyuki, je désire qu'à présent, tu sois mon biographe. Tu écriras mon histoire avec le même talent que pour ta pièce de théâtre.
"Toi, Mitsurugi, tu as suffisamment prouvé tes talents d'ambassadeur. Tu seras mon porte-parole. Je t'envie, car c'est toi qui annonceras aux Kakita que nous les attendons pour les chasser de nos terres !
- C'est trop d'honneur, dirent Ikoma Noyuki et Matsu Mitsurugi.
- Ceux du Gozoku ont suffisamment prouvé leur arrogance et leur vulgarité pour, au contraire, récompenser la vraie bravoure, la vraie grandeur. Si nous écoutions ces courtisans veules et bavards, nous devrions récompenser les plus menteurs et les plus rusés de nos samuraï. Mais ce n'est pas ce sang-là qui coule dans nos veines !
- Non, Matsu Kokatsu ! dirent en choeur tous les officiers.
- Pour commencer, toi Mitsurugi, tu iras annoncer aux Akodo mon intention de partir bientôt. Tu insisteras bien sûr sur l'importance stratégique de la Cité des Apparences. C'est un langage que les Akodo comprennent. Ils ne nous en voudront pas de repartir sans eux.
- Bien, général, dit Mitsurugi, moins confiant dans la réponse des Akodo.


Samurai
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#2
Tsss, le clan ne saura jamais ce qu'il a perdu, Mitsurugi Daimyo des Matsu ça aurait été grandiose redaface2
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#3
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Résumé : Les Lions sont embourbés au pied des montagnes du toit du monde. Mitsurugi est chargé d'annoncer aux Akodo que le général Kokatsu va quand même passer.
Samurai

- Nous comprenons cette décision, dirent les Akodo.
Mitsurugi sentait bien qu'ils en voudraient au général, pour son arrogance, son indépendance. L'ambassadeur revint dans sa tente :
- Ils vont nous envier et nous jalouser, dit-il à Sasuke. Ils voient bien que Kokatsu ne veut pas mettre le pied dans leur panier de crabes.
- Pendant qu'ils se disputeront entre cousins, nous, nous irons défendre les terres des Lions contre les Grues. A eux de voir ce qui est le plus utile au clan.
- Reste une question, dit Mitsurugi. Par où allons-nous passer ?
- S'il le faut, je fendrai ces montagnes en deux !
- Je suggérerai en dernier recours cette solution fine et mesurée au général.

Mitsurugi partit donner la réponse au général.
- Ils ne s'y opposent pas...
- "Ils ne s'y opposent", ha, très bien, ricana Kokatsu. Heureusement que je t'ai choisi comme ambassadeur !...
- Ils ont senti que vous ne leur laissiez pas le choix.
- Un Matsu n'a pas voix au chapitre dans les délibérations des Akodo.
- C'est ce que j'ai fait valoir...
- ... et cela les a encore plus énervés, hein !... Ce sont bien des stratèges. Si on les attaque, on perd, si on recule, ils gagnent... Tiens, toi Noyuki, note cette phrase historique !
- Bien général...
- Reste à savoir par où passer, dit prudemment Mitsurugi.
- Où en sont tes éclaireurs ?
- Ils seront de retour demain ou après-demain. Impossible de savoir, avec le temps qu'il fait là-haut.

Après la sieste, les trois "Y" avaient été dérangés par quelques bandits qui avaient pris leurs quartiers d'hiver dans la montagne. Les trois samuraï avaient promptement envoyé leurs têtes rouler au bas du torrent.
Yojiro gratta un fond de riz de la casserole et suça un os de lapin. Il s'étira. Yatsume revenait d'un village, le dernier avant le col :
- Les gens sont formels, impossible de passer, surtout avec une armée. Nous finirions au fond d'une crevasse.
- Alors nous n'avons plus qu'à redescendre, soupira Yojiro.

Ils se mirent en marche et retrouvèrent au coucher du soleil un hameau abandonné où ils avaient dormi deux jours plus tôt. La montagne glacée brûlait tout entière dans le couchant. Des nuages s'étiraient sans fin, déchirés, dilacérés jusque par delà l'horizon. Quelques ruisseaux dégelaient et l'eau qui dévalait la pente en chantait était aussi glacée que la pierre.

L'armée de Kokatsu se préparait paresseusement au départ. Le général faisait le tour de son camp, voyait tout le monde las.
- L'oisiveté est la mère de tous les vices, maugréait le général. Il ordonnait aux sous-officiers d'occuper les hommes comme ils voulaient.
- Si seulement quelques Scorpions pouvaient nous attaquer, bâilla le général. Nous pourrions entretenir le moral des troupes.
Le général retourna dans sa tente.
- Le Bouffon impérial, voilà qui nous aurions dû emmener ! s'exclama Kokatsu, qui commençait à s'ennuyer de ses entretiens avec Shingon et ses moines.
C'était venu comme ça, pendant la cour d'hiver. Il avait été pris d'une passion pour la religion. Il avait eu quelques nuits d'angoisses, il avait pensé à son salut, sa prochaine vie. Il avait pensé à ce qu'il ferait au printemps, qu'il pourrait mourir de la première flèche venue. L'inanité du monde lui était apparue. Il avait eu besoin de parler à quelqu'un. Et qui pouvait parler à un général d'Empire du salut de son âme sinon le chef de l'église de Shinseï en personne !
Aujourd'hui, Shingon avait dû comprendre que Kokatsu était bien loin de l'Illumination. Il était patient avec lui, ne s'offusquait pas de ses remarques grossières, de sa balourdise dès qu'on parlait de spiritualité. Cela, le général le sentait bien. Il avait invité Shingon et ses moines comme ça, sur un coup de tête, comme on part d'un coup à la guerre régler une vieille querelle !
- Les Dieux n'auraient pas permis que nous te suivions sans raison, disait Shingon.
Est-ce qu'il le croyait vraiment, ou bien disait-il cela pour être poli ? Comme Kokatsu ruminait, qu'on entendait que le grattement de la plume de Noyuki sur le papier, le faible crépitement du feu, un sous-officier vint annoncer qu'une délégation de Scorpions approchait du clan :
- Ah ? Que veulent-ils donc ?
Kokatsu était prêt à manoeuvrer les troupes pour une bataille rangée. Si seulement...
- Ils veulent rencontrer notre daimyo ainsi que les Akodo...
Kokatsu se renfrogna :
- Entendu.
Il ne voulait pas en entendre parler dans ce cas ! Qu'ils règlent leurs histoires !
Mitsurugi entra :
- Les Scorpions ont à leur tête le conseiller Bayushi Tangen.
- Lui, ici ? Il n'a pas perdu de temps...
- Il ne peut nous apporter que des ennuis.
- Nous sommes sur les terres de son clan, dit le général. Je suis cependant d'accord avec toi. Sa venue est une raison de plus de partir très vite. Toi, Mitsurugi, tu iras chez les Akodo, tu me rapporteras ce que le conseiller vient nous dire.
Mitsurugi obéit. Il alla chercher Sasuke :
- Après ce qu'on lui a fait à la cour d'hiver, il va nous en vouloir mortellement, dit l'ambassadeur.
- Qu'il vienne nous le dire en face, dit Sasuke, qui claqua des doigts et fit apparaître des flammes.
- Le feu ne vient pas à bout des Scorpions... Ce serait trop facile.
- Tangen aurait la carrure pour faire partie de la même conspiration que Nuage, dit Sasuke.
Mitsurugi ne dit rien. Il ne voulait pas y penser. Il savait que Sasuke attendait l'heure de sa vengeance contre Nuage, son ancien maître. C'est pourquoi Mitsurugi ne voulait pas évoquer ce sujet. Le temps n'était pas venu et Sasuke était trop impatient.

Quand les trois "Y" revinrent au camp, la délégation des Scorpions en repartait.
- Nous avons bien fait de ne pas revenir plus tôt, dit Yojiro.
- Oui, dit Yatsume, renfrognée.
Les samuraï montrèrent leurs laisser-passer :
- Nous sommes les éclaireurs envoyés par le général Kokatsu.
On les laissa rejoindre la tente de Mitsurugi. Ce dernier les vit :
- Vous tombez bien vous trois. Venez... Vous allez me raconter ce que vous avez vu dans les montagnes.
Il les écouta, puis les fit attendre devant la tente de Kokatsu.
- Alors quelles nouvelles ?
- J'ai deux nouvelles, dit Mitsurugi. Deux mauvaises.
- Commence par la moins pire.
- Le col de Benten est bloqué.
- Ensuite ?
- Le conseiller Tangen venait nous offrir l'hospitalité dans sa Cité.
- A la Cité des Mensonges ? s'écria Kokatsu. Jamais de la vie !
- Le vénérable Kitsu Itsoji vient d'accepter au nom du clan.
Le général étouffa un juron contre le vieil homme.
- Impossible de refuser dans ce cas...
Faire affront aux Scorpions était un acte dangereux mais amusant. Faire affront à son daimyo était une atteinte mortelle.
- Alors à la Cité des Mensonges nous dormirons ! dit Kokatsu, fataliste. Du moins, attend... Qu'a dit exactement le conseiller Tangen ?
- Il nous a invités à séjourner sur ses terres.
- Bon, alors nous monterons un camp à l'extérieur de la Cité, dit Kokatsu, malicieux. Un général doit rester avec ses troupes !
- Il insistera pour vous recevoir dans son palais.
- J'irai, dit le général. Je respecterai le protocole, mais je dormirai dans le camp, voilà tout.
"Génial, pensa Sasuke. Ce camp pourra se transformer en poste de siège en un rien de temps !"
Mitsurugi devina sa pensée et hocha la tête, consterné.
- Va porter ma réponse au conseiller, dit Kokatsu.
"Il sera ravi de me revoir, soupira intérieurement l'ambassadeur."



Samurai

Mitsurugi et Sasuke avaient découvert la capitale des Scorpions lors de l'affaire du pot de mille kokus. Ils en avaient suffisamment vu pour comprendre que c'était le repaire du vice et des corruptions en tous genres.
- Il faut tenir le général éloigné de l'Île de la Larme, dit Mitsurugi.
- C'est là que Tangen va emmener ses invités, dit Sasuke.
Nos héros ne pouvaient qu'admirer l'estocade que Tangen venait de leur porter. Il avait redoutablement bien joué. Il venait par surprise et attrapait entre ses pinces le daimyo et les trois prétendants. C'était une catastrophe. Les Dieux seuls savaient à quel point il allait s'immiscer dans le règlement de la succession !
- Il est très fort, il est très fort, répétait Mitsurugi.
- Il faut mettre le général au courant, dit Sasuke.
- Au courant de quoi ? De la fourberie des Scorpions ?...

Les Lions abandonnèrent leur campement. Ils mirent une demi-journée pour arriver au pied des murs trempés de pluie de la Cité.
- C'est dans ces champs, autour de la ville, murmura Noyuki, qu'ils cultivent le pavot qui sert à fabriquer l'opium...
- Beau commerce, dit Mitsurugi.
- Ces plantes servent de médication pour soulager la douleur. Les Crabes en sont de gros consommateurs. Mais préparées différemment, elles produisent une drogue terrifiante. Ceux qui en inhalent y deviennent vite dépendants. Au bout de quelques semaines, ils se mettent à ressembler à des revenants. Ils deviennent incapables de se lever, ne vivent qu'en attendant leur prochaine ingestion... Les Scorpions se sont assurés ainsi un grand nombre d'alliés, en leur fournissant leur plaisir maléfique.
- C'es monstrueux, dit Mitsurugi. Un jour, il faudra brûler ces plantes démoniaques ! Je ne pourrai pas tolérer que quelqu'un de mon entourage, ou de ma famille, consomme ces saloperies !
Noyuki ne dit rien. Il était évident qu'il y avait déjà goûté.
Les Lions entreprirent de monter un nouveau camp. Le général dut entrer en ville avec la délégation des Akodo et des Kitsu.


A suivre... Samurai
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#4
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE


Matsu Kokatsu avait juré de repartir le lendemain de son arrivée à la Cité des Mensonges. Cinq jours plus tard, il y était toujours. Il n'avait pu échapper aux cérémonies protocolaires avec les Bayushi, aux longues réunions avec les Kitsu et les Akodo, durant lesquelles les discussions sur la succession piétinaient. Il avait fait renvoyer des éclaireurs, qui allèrent encore moins loin que les trois "Y". Les tempêtes de neige rendaient impraticables l'accès au chemin du col.
Ce qui devait arriver arriva : Bayushi Tangen se mêla des affaires de succession. Il proposa bien humblement ses conseils, en toute indépendance d'esprit, et sans aucun esprit partisan. Comme il était l'hôte, il n'était pas possible de le tenir à l'écart.
- Il les tient par les deux pinces, et il va porter le coup fatidique sous peu, disait Kokatsu, qui assistait, impuissant, à ce spectacle désolant : le vieillard dirigeant le clan qui était tout sucre et tout miel avec les Scorpions qui le dorlotaient. Et les Akodo, incapables de s'entendre, qui se disputaient comme des gamins capricieux.

Bayushi Tangen avait bien monté son coup. Dès le premier soir, l'île de la Larme. De l'alcool, des filles, des plaisirs à volonté, tellement plaisants après cette affreuse cour d'hiver. Yasashiro s'était laissé entraîner dans un concours de boisson. Avec des paroles diplomatiques mais fermes, Mitsurugi avait mis fin aux libations. Tout le monde était rentré au campement en pleine nuit.
Shingon et ses moines étaient logés dans le quartier religieux, dans un sanctuaire débordant de richesses, avec ses temples surchargés de décorations, d'idoles et d'une magnificence tape-à-l'oeil. On était bien loin de l'austérité prêchée par l'église de Shinsei. Les Scorpions avaient dû dépenser des milliers de kokus pour tout cet apparat !
Le quatrième jour, une dispute avait éclaté entre les trois prétendants, le lendemain de la première réunion au sommet avec Bayushi Tangen comme par hasard ! Les Akodo avaient failli en venir au duel. Matsu Kokatsu devait prendre sur lui pour supporter ces chamailleries. Si on lui avait demandé conseil, il aurait crié qu'il fallait faire se battre les trois Akodo en duel, et le survivant prendrait la tête du clan !
Bayushi Tangen était aux petits soins avec le vieux Kitsu Itsoji.
- Vieillard sénile, disait Kokatsu entre ses dents.
Ikoma Noyuki notait ce qu'il voyait avec circonspection. Il se doutait que les dessous de cette piteuse dispute ne passeraient pas à la postérité !
Déjà la mort de l'ancien daimyo était à elle seule signe de malheur. Mort dans une escarmouche contre des morts-vivants, d'une flèche perdue !

Un qui ne perdait pas de temps, c'était Sasuke !
Dès son arrivée, il avait cherché le moyen d'accéder à la prestigieuse bibliothèque du palais du gouverneur, la plus réputée de tout l'Empire, d'immenses rayonnages composant un véritable enfer de la littérature de Rokugan ! Il avait cherché un cadeau original pour se payer le droit d'entrée. Il avait trouvé en ville une petite boutique proposant des articles venus des Sables Brûlants. C'était original et audacieux. Mitsurugi le voyait s'agiter mais n'avait pas le temps de s'occuper de lui. Il était sollicité en permanence par Kokatsu et par ses homologues Scorpions.
- J'ai appris une chose, dit le général à un dîner, morose. Savais-tu que la mère scorpion porte ses petits sur son dos et que si elle ne leur trouve pas rapidement à manger, ceux-ci finissent par la dévorer ?...
Le général regardait sa soupe, sans appétit.
- J'ai demandé à Shingon, il m'a dit que c'était vrai...
- J'ignorais qu'il connaissait si bien la vie des bêtes, dit Mitsurugi, qui voulait être poli.
Cette réponse fit réagit Kokatsu. Voilà où il en était rendu ! Il fut effrayé de sa situation misérable ! Il s'était laissé endormir par les Scorpions !
- Ils nous ont inoculé un poison qui paralyse !
- Que voulez-vous dire ?
- Que nous partons demain, Mitsurugi !
- Par où ?
- Pas par Benten !... Je me suis renseigné, mon cher porte-parole. Il existe un autre passage, bien plus à l'ouest, en passant par les terres des Soshi.
- On dit cette famille versée dans l'art des illusions, si je ne me trompe...
Mitsurugi se souvenait que, jadis, Yojiro, Mamoru et Maya s'étaient perdus dans ces terres trompeuses.
- Ils ne refuseront pas le passage à mon armée.
Mitsurugi irait déposer une offrande au temple de la Fortune du voyage !
- Ce matin, j'ai rendu mon avis, dit Kokatsu.
C'était lors d'un repas à huis-clos, avec uniquement les plus hauts seigneurs du clan :
- Je leur ai dit que la seule façon de trancher le différend était par l'épreuve d'honneur ! Tant pis s'ils veulent déroger aux traditions ! Ils finiront par fâcher les Ancêtres et alors, gare ! Shingon lui-même est de cet avis.
- Il vaut mieux vous tenir éloigné de ces négociations, dit Mitsurugi, circonspect.
- Et comment ! C'est pourquoi nous montons en selle au lever du soleil ! Qui m'aime me suive ! Si Benten est impraticable, nous passerons ailleurs...
Mitsurugi se demanda si Sasuke pourrait vraiment ouvrir un passage dans les montagnes éternelles...


Samurai


Ils ne furent pas nombreux, ceux qui suivirent Kokatsu, au risque de fâcher le futur daimyo des Lions.
- Ceux qui me suivent aujourd'hui, déclara le général, savent qu'il est plus important d'aller se battre contre les Grues que d'abuser de l'hospitalité des Scorpions.
- C'est bien parlé, murmurèrent les quelques seigneurs qui se joignaient à la troupe.
La forte armée longea les montagnes vers l'ouest pendant quatre jours.
Mitsurugi avait laissé Sasuke à la Cité. Il n'aimait guère le savoir là-bas. Seulement, comme il devait être en permanence aux côtés du général, il n'avait pas le temps de convaincre son conseiller têtu comme une mule -ce qui était de toute façon peine perdue.
Mitsurugi avait quand même demandé à Yojiro de rester avec le shugenja :
- Si jamais sa magie ne peut rien contre la fourberie des Scorpions, j'espère que ton sabre sera quand même utile.
- J'y veillerai, avait dit Yojiro.

Chaque jour, Kokatsu rageait, comme si les montagnes étaient une forteresse imprenables, qu'elles le défiaient de partir à leur assaut.
- Nous ne sommes plus loin de chez les Soshi, dit Yatsume.
- Je l'espère bien, dit Mitsurugi. Le général ne tient plus. Toi, Yasashiro, tu nous avertiras si tu reconnais la région et si tu te souviens de ses dangers...
- J'aime mieux ne pas y penser pour le moment.
Mitsurugi s'attendait à un pays démoniaque, en proie à toutes sortes de fantasmagories et de recoins périlleux. Les Lions découvrirent une région paisible, où le printemps frémissait déjà. Des fleurs tapissaient les champs, la neige avait presque disparu. De jeunes bonzes jouaient au cerf-volant sur les pentes.
Kokatsu avait pu convaincre Shingon et ses moines de le suivre. Ceux-ci étaient bien contents de quitter les religieux bien peu dévots de la Cité des Mensonges. Leur présence facilita grandement l'arrivée chez les Soshi. Mitsurugi s'attendait à une famille de félons, de traîtres : ils furent parfaitement hospitaliers, sans cet excès de politesse qui révèle l'hypocrite. Ils étaient sincèrement inquiets des périls de la montagne pour une si grosse armée. Ils étaient désolés de ne pouvoir retenir plus longtemps chez eux le noble Shingon, ils enviaient Kokatsu de s'être attaché la plus haute autorité religieuse du pays.
La chaleur était tendre, l'air pur, les chemins bien entretenus. Comme le glauque pays des Crabes paraissait loin ! C'était une renaissance, de plus en plus magnifique chaque jour, à chaque lever de soleil sur les sommets. Dame Amaterasu apparaissait toujours plus flamboyante, toujours plus généreuse de lumière.
Ikoma Noyuki : "Et le général était comme l'astre ardent impatient d'atteindre son zénith."
Le général grognait d'aise.

Mitsurugi se retournait de temps en temps, comme pour apercevoir la Cité des Bayushi, Sasuke perdu dans ce dédale de félons. Des jeunes bonzes accueillaient les visiteurs avec de grands cris de joie. Shingon descendait pour les bénir.
Il fallut observer une journée de prière complète. Le vieil homme usa de son autorité morale pour convaincre Matsu Kokatsu.
Les Lions passèrent la journée dans les temples parfumés d'encens, au sens des lourds gongs et des trompes monumentales. Mitsurugi surveillait du coin de l'oeil les Soshi. Ils dormirent dans un grand temple en bois, qui grinçait dans le vent, avec un grand pendule qui répandait de l'encens.
Le lendemain, ils atteignirent le point culminant de leur voyage : soudain, les terres des Lions apparaissaient. Elles s'étalaient là, comme agenouillées devant Kokatsu, dans la brume ensoleillée du matin.

Sasuke n'arrivait toujours pas. Avec Yojiro pour le guider, il aurait déjà pu les rattraper. Yasashiro reconnut le pont que Maya avait rompu la dernière fois. Il avait été réparé et même agrandi. L'armée dut le contourner. Aucune malédiction ne s'abattit sur eux.
Mitsurugi se demandait parfois ce qu'était devenue Maya. Où était-elle aujourd'hui ? Logeait-elle toujours dans les bas-fonds de la Cité de la Pieuvre ? Avait-elle obtenu le pardon de son ordre ?... Tout cela était maintenant trop loin.
L'armée prit le chemin de la descente. Shingon remercia mille fois les Soshi pour leur accueil. Le lendemain, deux cavaliers arrivèrent des sommets : Sasuke et Yojiro. Ils avaient plus de trois jours de retard.
- Où étiez-vous passés ? dit Mitsurugi. Il va me falloir quelques explications !
- Pas tout de suite, dit Sasuke. Surtout que nos chemins vont se séparer de nouveau... Nous partons avec Yojiro dans les terres des Dragons.
- Quoi ? Tu plaisantes ?
- Pas du tout. Je t'expliquerai.

Les terres des Dragons, c'était la meilleure !
- Tenez-vous à carreau d'ici-là ! Le général est fou de joie de retrouver sa Cité, ce n'est pas le moment de tout gâcher.
- Sa Cité ? C'est un peu la nôtre, rétorqua Sasuke. Au fond, qui l'a conquise ?
- Nous avons déclenché l'attaque prématurément, c'est tout...
- Sans nous, le général camperait encore devant.
- Ta modestie te perdra, Sasuke.
- Je sais, c'est pour ça que je m'en méfie comme de la peste.
Pauvre Yojiro, se dit Mitsurugi (un très court instant), il avait eu à supporter le shugenja depuis une semaine. Il devait être à bout de nerfs. Il fut tenté de passer par le rônin pour en apprendre plus. Réflexion faite, il ne voulait pas trop savoir.
Le général l'appelait encore, pour qu'il donne son avis sur un petit poème lyrique que Noyuki avait rédigé.
- Dis-moi ce que tu en penses...
C'était outré, orgueilleux, parfait pour Kokatsu.

La Cité du Cri Perdu était en vue.
Kokatsu daigna y séjourner une nuit. Il rendait visite à l'un de ses bons vassaux. Nos héros ne manquèrent pas d'aller dîner au restaurant de Rintaro, alias Patron-san, leur premier employeur tout de même !
C'était comme au bon vieux temps, sauf que cette vieille fripouille avait encore agrandi ses établissements. Le gros Fujio, qui avant ne s'habillaient que d'un pantalon court, avait un beau costume, très soigné. La nourriture était raffinée, on n'acceptait plus les mauvais garçons, la clientèle était triée sur le volet.
C'est à peine si le vieux commerçant reconnut nos héros, trop occupé qu'il était à bichonner tous ses bons clients, obséquieux au possible, prêt à couper sa chemise pour faire plaisir, et empocher quelques belles pièces en plus. Il allait, venait, il était l'ami de tous, il était toujours d'accord, il renchérissait...
- Tu es bien toujours le même, Rintaro, dit Sasuke.
Le commerçant remercia, ne reconnut pas le shugenja. Il servit Mitsurugi sans oser lever les yeux sur lui, rien qu'à voir son costume avec le blason d'ambassadeur cousu dessus. Peut-être à un moment osa t-il le dévisager, mais alors il fit comme s'il n'avait rien vu, incapable de croire que ce superbe dignitaire Matsu était l'ancien rônin Manji.

Alors que l'armée des Lions repartait vers le nord-est, Sasuke et Yojiro prirent plein nord, vers les montagnes des Dragons.
- J'espère que vous savez ce que vous faites, dit Mitsurugi.
- J'espère aussi, dit Sasuke. Non, en fait, j'en suis sûr.
- Tu ne m'as même pas dit où en est le conflit de succession.
- Toujours pareil.
Mitsurugi soupira. Il se garda bien de transmettre l'information à Kokatsu.
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#5
Strop bon Applause

Nous approchons du faîte de la gloire du grand Matsu Mitsurugi Samurai
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#6
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

L'armée de Kokatsu prit le chemin de l'ouest, en direction de la Cité des Apparences ; Sasuke et Yojiro prirent le chemin du nord, vers les hauts plateaux des Dragons. Le shugenja et le rônin avaient accompli en peu de jours un très long trajet. Sasuke ne s'arrêterait pas avant d'être arrivé à son but. Depuis qu'il avait quitté la Cité des Mensonges, le feu de la curiosité le dévorait. Yojiro suivait, résigné, inquiet des conséquences de cette quête sinistre...

Sasuke n'avait pas voulu quitter la Cité des Mensonges en même temps que le général.
- Trop de choses me retiennent ici, avait-il dit à Mitsurugi.
- Trop de choses ? J'en vois surtout une, que tu ne cesses d'observer jour et nuit... La bibliothèque de la famille Bayushi !
- Je compte bien rentrer dedans.
- Ne me demande pas d'écrire une demande pour toi. Ne pense même pas à en demande une au général.
- Non, je vais m'y prendre seul, sois sans crainte.
Le lendemain du départ de Kokatsu, Sasuke assistait à une réunion des trois prétendants au siège de daimyo. Il dut rester enfermé des heures, à les écouter parler pour ne rien dire. C'était interminable, Sasuke avait des fourmis dans les jambes. Il s'était mis dans un coin et remuait dans sa tête mille idées pour rentrer dans la bibliothèque. Il s'éclipsa dès qu'il put de la pièce surchauffée. L'air frais lui apporta une idée qui pourrait certainement marcher. Il retrouva Yojiro à l'ambassade. Le rônin polissait sa lame sur une meule.
- Comment c'était ?
- Minable, dit le shugenja. Les trois prétendants sont incapables de s'entendre. Leur orgueil les aveugle. J'ai peur que cela tourne mal entre eux...
- Qu'ils règlent cela sur le champ d'honneur, ce sera incontestable.
- C'est bien ce que je voudrais leur dire mais dans cette affaire, je n'ai pas voix au chapitre.
- Ils pourraient au moins en discuter ailleurs que chez les Scorpions...
Le rônin nettoya la lame et la rangea.
- Tiens, tu vas me rendre un service, lui dit Sasuke. Te renseigner sur un cadeau original à faire à un dignitaire de cette Cité.
- Je ne suis pas sûr de savoir ce qui plairait à un seigneur Bayushi...
- Quelque chose d'inattendu, d'audacieux...
- Cela risque de coûter cher.
- Si tu savais combien notre clan dépense par jour pour séjourner dans cette Cité... Les Kitsu donnent sans compter à qui le veut bien. Tu passeras les voir de ma part... Ils ne te refuseront rien. Ils te signeront une belle lettre de change, puisque c'est comme ça que ça se passe dans cette Cité.
De la monnaie en papier ! C'était bien encore une fourberie Scorpion, pour éviter de manipuler de beaux kokus, et rendre plus indolores les dépenses ! Yojiro passa voir le trésorier, qui lui apposa un beau cachet de cire sur un parchemin.
- Le commerçant Scorpion chez qui je ferai un achat apposera lui-même la somme ?
- Tu as compris, rônin.
Yojiro partit en se grattant la tête. Pour peu qu'il tombe sur une fripouille -et ce serait sûrement le cas, le commerçant n'aurait qu'à double ou décupler la somme : les Lions n'auraient rien à y redire. Notre rônin se promena en ville, passa par les habituelles maisons de thé et tavernes. Il évita les plus mal fréquentées cette fois. Un cadeau, un cadeau original... Un éventail serti d'émeraudes ? Un bokken en bois peint ?

Yojiro rentra tard le soir. Il alla se faire servir à manger à la cuisine.
- J'en ai plein les godasses !
Les cuisinières, compatissantes, lui servirent un beau morceau de poisson qui restait du dîner des prétendants.
- Allez, reprends du riz... Des légumes... Nous allions les jeter !
Elles étaient au petit soin pour lui. Au milieu de son repas, on vint lui dire que Sasuke l'attendait.
- Je termine au moins ma bouchée !
Yojiro s'essuya le menton, soupira et monta aux appartements du shugenja. Celui-ci était assis devant le feu, au milieu d'un cercle de craie, exécutant un de ses rituels mystiques.
- Je ne vous dérange pas ?
Le rônin avait encore l'estomac qui gargouillait.
- Entre donc... Dis moi ce que tu as trouvé.
Yojiro sortit un coffré en bois laqué de son sac.
- Vous avez voulu de l'originalité, j'ai fait original.
Intrigué, Sasuke demanda à voir. Yojiro lui présenta le coffret. Le shugenja l'ouvrit : à l'intérieur, une drôle de rose. Sasuke la prit délicatement et l'approcha du feu. Il constata aussitôt que c'était une papier, mais taillée comme si elle avait des pétales.
- Intriguant, dit-il en l'observant à la lumière de la flamme.
- C'est une rose des sables. Elle vient des pays barbares du nord-ouest, du grand désert...
- Où as-tu déniché cela ?
- Il y a un quartier de cette ville, au milieu des rues des etas les plus crasseux, où logent une famille de gaijins. Ils ont la peau très sombre. Ils viennent des Sables Brûlants. Ils ont consenti à me vendre cette rose. Quand ils ont vu la somme que je leur offrais, ils ont eu peur... Peur qu'on vienne la leur reprendre. Ils ne m'ont demandé que quelques pièces en échange, de quoi vivre quelques jours...
- Bien, bien, dit Sasuke, qui ne s'intéressait pas trop à cette histoire larmoyante. C'est très original.
Le shugenja détaillait la taille parfaite de la pierre, le trait élégant et fin.
- Je me demande quel artiste a réalisé ce chef d'oeuvre.
- Les gaijins prétendent qu'on les trouve comme ça chez eux. Que ce sont les démons qui les fabriquent dans des forges souterraines qu'ils ont sous le désert. Celle-ci est grosse comme le poing mais il paraît qu'on en trouve certaines de la taille d'un cheval !
Sasuke fit quelques gestes devant la pierre :
- Elle ne semble contenir aucun esprit malfaisant, aucun sort...
Il la remit dans le coffre, soudain indifférent à elle.
- Tu as bien travaillé. Cette rose va m'ouvrir des portes qui s'ouvrent pour peu de gens !
- Je n'aime mieux pas savoir où...
- Demain, tu m'accompagneras au quartier des temples. Je vais rencontrer plusieurs dignitaires.
- Je n'aime mieux pas savoir quels Ancêtres prient les Scorpions...
- Il n'était pas question que tu rentres dans les temples, évidemment.
- J'aime autant comme ça.
Yojiro salua et redescendit terminer son repas. Profiter de cette excellente nourriture avant qu'elles ne lui passent sous le nez ! Il finit plusieurs cruchons de vins et rentra se coucher. Il dormit comme une souche. Il s'étira, se gratta les cheveux et alla faire ses exercices matinaux. On devait être en train de poudrer et parfumer monsieur Sasuke pendant ce temps. Le shugenja sortit en milieu de mâtinée. Un palanquin l'attendait, porté par quatre serviteurs. Yojiro fit le trajet à côté, au travers des rues tortueuses et populeuses. Il faisait dégager les trop curieux, repoussait les marchands ambulants, surveillait les toits ensoleillés, les ruelles trop sombres. Il y avait mille couleurs qui éclataient dans la Cité, des échoppes de tous les tons, des spectacles de rue, des ponts engorgés. Yojiro dut attraper par le col un gamin qui venait gratter la feuille d'or à l'arrière du palanquin. D'autres s'y mettaient à l'avant pendant ce temps.
- Ah, la populace maudite ! Dégagez !
On riait du rônin, seul face aux filous qui grouillaient, sortaient par portes et fenêtres admirer le beau palanquin des Lions.
- Ce tumulte va t-il bientôt cesser ? dit Sasuke. Je suis secoué.
Il était évidemment hors de question que le si délicat shugenja se tanne le derrière. Yojiro prit un bâton en bois et avec des moulinets, chassa plusieurs impudents.
- Nous aurions dû prendre une escorte, grogna t-il.
- Hors de question, nous venons incognito.
Il y avait une trentaine de gamins qui suivaient, les gens à la fenêtre hilares, les soldats Bayushi qui laissaient faire, des marchands qui se bousculaient pour approcher. Yojiro s'épongeait le front :
- Saleté de marmaille ! Allez-vous en !
Les enfants reculaient, puis revenaient en riant.
- Ah les petits démons !...
- Fais leur tâter du bâton, Yojiro...
- Je vais les faucher comme les blés...
Le rônin n'avait en fait pas trop le coeur à cogner sur des enfants, même si l'envie ne lui en manquait pas.
- La prochaine fois, dit-il, on ouvrira la route en rasant tous les bâtiments la veille ! On avancera plus facilement ! Ces grandes villes, franchement, c'est insupportable... Et tous ces problèmes de circulation !
En fin de matinée, le palanquin franchit la porte monumentale du mur d'enceinte du quartier religieux. Une fois la lourde porte en bois rouge refermée, ce fut soudain le silence. La clameur vulgaire n'était déjà plus qu'une rumeur, un souvenir. Il faisait bien plus frais. Les allées de gravier étaient soigneusement ratissées. Des bosquets coupés au cordeau. Des fontaines en pierre. Il n'y avait pas dix personnes dehors.
- Nom d'un chien !
Yojiro prit une grosse gorgée à sa gourde. Les porteurs se reposaient un peu, massant leurs épaules endolories.
- Pas trop dur les gars ?
- On a déjà porté plus gros.
Sasuke sortit du palanquin :
- Nous allons finir à pied. Dans le quartier religieux, il sera mieux vu de faire preuve de modestie.
Le shugenja n'imaginait pas le plaisir qu'il faisait aux porteurs ! Ceux-ci allaient attendre, bien tranquillement sur un banc. Yojiro leur fit un clin d'oeil et suivit Sasuke.
- Tu n'as pas oublié la boîte au moins, Yojiro ?
- Oh non ! Je n'allais pas prendre le risque de refaire le trajet une deuxième fois !


Samurai


Ils mirent presque autant de temps à traverser le quartier des temples, alors qu'il était bien plus petit. Il fallait s'arrêter prier devant toutes les statues. Sasuke connaissait les rituels. Yojiro se contentait de se baisser et de s'incliner plusieurs fois, comme on lui avait appris petit. Avec ce minimum, il ne risquait pas de fâcher une divinité, qui devait sentir qu'il n'avait pas une éducation religieuse trop poussée ! Il avait juste la foi du charbonnier !

Pour arriver au centre du quartier, il fallait suivre un chemin en spirale à angle droits, passer sous dix portes successives, en priant à chaque fois devant l'autel. Saluer les moines, échanger des politesses, répéter le but de la visite. On dit au shugenja que le rônin ne pourrait franchir la septième porte. Il était trop impur pour aller au-delà. Le rônin maugréa et s'assit sur une pierre, pendant que Sasuke passait dans la huitième section.
- Sept portes sur dix, ce n'est déjà pas mal...
Il vit alors une famille de paysans qui franchissait l'enceinte sans problème. Vexé, il se cala sur le banc, bien assis, croisa les bras et attendit. Il prit le temps d'observer autour de lui. Les statues représentaient des monstres grotesques, obèses, la plupart bicéphales. Ils étaient armés de grands sabres et de haches. Les décorations étaient surchargées, les motifs très délicats. Même le dallage au sol était finement décoré.
- On se croirait dans le quartier interdit ici, ricana Yojiro.
Deux moines-soldats s'ennuyaient. Il faisait vraiment bon ici, à l'ombre d'un beau cerisier. Yojiro sentit une délicieuse envie de dormir l'envahir. Il lutta contre la fermeture de ses paupières en plomb. Quand il crut qu'il résistait, qu'il fermait juste les yeux un moment, le sommeil le prit par surprise. Il ronfla paisiblement pendant presque une heure.

Il se réveilla en sursaut. Rien n'avait changé. Les deux soldats avaient changé. Le soleil était plus bas dans le ciel. Yojiro réalisa qu'il avait dormi comme un roc, en pleine capitale des Scorpions ! Comment était-il encore vivant !
- Dites, le seigneur Sasuke n'est pas encore ressorti.
Les deux soldats se contentèrent de hausser les épaules.
Yojiro se dit que Sasuke n'aurait pas pu le planter là !
Il alla se dégourdir les jambes, en se promenant dans la septième section. Il n'y avait pas un temple qui lui semblait accueillant pour aller prier. Pas une petite divinité de la guerre, des samuraï... Que des Ancêtres Scorpions, inquiétants ou barbares... Quels genres de faux-décors et de doubles fonds pouvaient receler ces temples ? Quels rituels compliqués pouvaient s'y dérouler.

La nuit tombait. La porte de la huitième section se rouvrit : Sasuke marchait avec un grand bonze, âgé, l'air fermé. Il s'inclinait devant lui puis ressortait, affairé. Il partit d'un pas rapide. Yojiro dut lui emboîter le pas. Lorsqu'ils furent presque sortis, il osa enfin demander :
- Alors, cette visite a été fructueuse ?
- Et comment ! J'ai mon entrée ! Je savais que mes amis des familles Soshi et Yogo seraient compréhensifs !
Les deux familles de shugenja du clan du Scorpion. Unanimement craints, ils avaient la réputation de pratiquer toutes sortes de rituels noirs dont un sorcier de l'Outremonde oserait à peine rêver.
- Des gens charmants, j'en suis sûr.
- Exquis !
Les porteurs de palanquins se massaient les bras et se disposaient au départ. Après la cohue de jour, la cohue de nuit ! Cette fois, Yojiro n'y tenait plus. Il proposa une étape dans un restaurant pour Sasuke.
- Après tout, pourquoi pas ?
Le rônin savait qu'il était de bonne humeur, c'était le moment d'en profiter. Yojiro échangea un clin d'oeil avec les porteurs, qui iraient profiter de la taverne. Sasuke mangea avec appétit, sans mentionner du tout sa visite. Au moment de repartir, une troupe du clan du Lion était arrivée : Yojiro avait envoyé un porteur pour les faire venir. De retour du restaurant, le chemin fut donc dégagé par l'escorte diplomatique. Les gardes Bayushi ne pouvaient rien y redire ! Convoi officiel d'un conseiller du général Kokatsu !

Sasuke partit d'un trait à sa chambre, contempler au coin du feu la belle invitation, dûment signée, à se rendre à la bibliothèque des Scorpions !
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#7
C'est toujours un grand plaisir de te lire, un regal Chinese

Et Yojiro qui s'arrête à la 7ème porte Haha
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#8
Clair, certaines mauvaises langues diraient qu'on ne te lit pas assez souvent redaface2
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#9
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Depuis qu'il avait décidé de rester à la Cité des Mensonges, Sasuke avait fait l'objet d'une surveillance constante. Domestiques, cuisiniers, soldats, artisans, marchands, etas : tous avaient reçu des instructions. Il aurait en réalité bien difficile de trouver un habitant de la capitale ignorant la présence du shugenja. C'en était à tel point que sa personne occupait plus de monde que l'encadrement de la délégation du Lion.
Les conseillers du palais Bayushi passaient leur journée à venir et aller pour transmettre des instructions à leurs serviteurs immondes, puis retourner se prosterner à genoux devant le trône du gouverneur Bayushi Tangen ! Et ce dernier passait sa journée à taper du point sur les accoudoirs.
- Doublez, triplez la surveillance ! Qu'à chacun de ses pas il ait dix paires d'yeux sur lui !

On avait même payé les enfants pour suivre le palanquin lors de sa sortie au quartier des temples !
- Mettez quinze hommes en surveillance sur les toits de la plus haute pagode du quartier !
Il se trouvait que c'était la pagode de la déesse du Silence. Poster des espions dans son lieu consacré était une manière de prier pour elle !
La Cité des Mensonges était une fourmilière d'espions. Il en grouillait de partout. On avait même essayé d'aménager une cache sous les lattes du plancher de la chambre de Sasuke. Au grand dam de Tangen, on avait dû y renoncer : l'homme aurait rapidement suffoqué.
- Qu'il étouffe mais qu'il nous ramène des informations !
- Seigneur, il ne tiendra pas longtemps.
- Alors mettez-en au plafond !
- D'accord.
- Derrière un faux mur.
- Ce sera fait.
- Je veux savoir ce que Sasuke va faire avant même que lui ne le sache !
Les conseillers s'étourdissaient à se frapper le front à terre et se cassaient le dos à se plier en quatre pour exécuter les volontés de leur seigneur.
Tangen, sur son trône, rageait. Sasuke s'attaquait directement à lui ! Il venait le provoquer ! Seul !
Il se désinterressait presque des trois prétendants. Trois incapables conseillés par les pieux imbéciles de la famille Kitsu ! Il avait réussi, à force de ruse, à les enserrer... Il les tenait entre ses pinces, il n'avait qu'à serrer pour décapiter durablement le clan du Lion. On lui apportait chaque jour un compte-rendu précis de ce qui s'était dit entre les trois Akodo. Tangen prenait le rapport, le lisait, impatient, puis le jetait, agacé :
- Du bavardage inconsistant, comme hier... Et avec Sasuke, où en est-on ?
- Son rônin lui a acheté un cadeau chez un gaijin...
- Un cadeau ?
- Une pierre de roche du désert.
- Bon, il va nous offrir ce caillou exotique pour avoir son droit d'entrée dans la bibliothèque.
- C'est probable, seigneur... Acceptons-nous ?
- Oui, bien sûr.
- Si nous signons l'autorisation, il pourra y entrer dès demain soir.
- Alors je vous laisse jusqu'à demain soir pour enduire de mort noire chacune des pages de parchemins de cette bibliothèque !
- De la mort noire, seigneur ?
C'était tout simplement le pire poison connu au monde. Le suc d'une plante rare créée par bouture par les botanistes de la famille Shosuro. Le chef d'oeuvre en matière de mort douloureuse : la victime voyait apparaître partout sur son corps des pustules noirâtres, puis étouffait petit à petit. Les botanistes avaient appris à doser le temps de l'agonie.
Le clan ne devait disposer en tout et pour tout que d'une dizaine de bouteilles de ce fléau liquide. Pour enduire tous les parchemins, il en aurait fallu des tonneaux... Bien sûr, Bayushi Tangen plaisantait... Ses meilleurs conseillers reconnaissaient son goût pour l'humour cruel et outrancier. C'est aussi que Tangen avait sa revanche à prendre sur la cour d'hiver... Il y a deux mois de cela à peine... Mais il aimait aussi bien manger sa vengeance chaude !
Tangen congédia ses conseillers et s'enferma dans son cabinet pour écrire un rapport à son maître -Bayushi Atsuki, bien sûr, daimyo du clan.
"Vénéré maître, nous continuons à envenimer les discussions entre les prétendants au trône du Lion. L'impuissance de la famille Kitsu est avérée. Ils sont la dernière famille à qui confier un clan, d'autant plus en période de guerre larvée de succession. Je pense pouvoir les retenir sans difficulté pendant deux bonnes semaines, peut-être plus si les circonstances jouent pour nous."
Il cacheta le pli et le fit partir de nuit, pour que son maître le trouve à son réveil. Il alla prendre un bain aromatisé, puis sortit, seul sur sa terrasse, humer l'air du soir. Il contemplait la Cité où scintillaient des lumières qu'on n'éteignait jamais -cette Cité qu'il menait d'une main de fer comme un maquereau avec sa meilleure fille. Alors qu'il était accoudé à la balustrade, il glissa doucement sa main vers sa poche, pour y saisir un poignard. Il avait bien entendu des pas derrière lui... Un homme, prêt à le saisir. Tangen s'écarta, ce qui déséquilibra son adversaire, qui plongea en avant. Tangen pivota et lui planta son poignard dans le bras droit. L'homme recula, lâchant un cri silencieux. Il resta immobile, raide comme une statue, les bras tendus vers la nuit. Lui-même pétrifié par la surprise, Tangen recula : quel était ce prodige ? Brusquement, l'assassin voulut l'agripper mais Tangen lui tordit le bras puis le fit passer prestement par-dessus lui et le jeta sur la balustrade. Celle-ci craqua et l'homme partit dans le vide.
Tangen s'approcha du bord, l'arme à la main, pour voir l'homme disparaître sans un cri.

Il tremblait. Il remit son kimono en ordre et regarda sa lame : elle dégoulinait de sang blanchâtre, presque translucide. Il rentra dans sa chambre : trois silhouettes l'attendaient autour du feu. Il reconnut son ancien conseiller, Kokamoru... Trois fois le même visage, comme trois triplés parfaits.
- Je suis un avertissement, dit une des silhouettes.
- Je n'en prends de personne, des avertissements.
- Je suis juste là pour te donner un conseil, dit le deuxième.
- Je suis celui qui donne des conseils aux autres.
- Je suis une menace pour toi, dit le troisième.
- Je n'en crains aucune, gronda Tangen.
Tangen brandit son arme mais quand la lame allait frapper, les trois Kokamoru avaient disparu, comme soufflés par l'air de la nuit.

En proie au vertige, Tangen alla se coucher. Il s'était à peine glissé dans son lit qu'on frappait à sa porte.
- Seigneur, murmura sa servante de sa voix chuintante, le shugenja désire rentrer dans la bibliothèque cette nuit...
Tangen rejeta ses couvertures :
- Fais-moi chauffer du thé, je vais en avoir pour longtemps... Qu'on réveille les scribes. ..
Le conseiller Scorpion serra sa ceinture et sortit de sa chambre, pressé, aussitôt suivi de quatre gardes du corps. Il traversa les couloirs, mains dans le dos, entra par l'entrée dérobée de la bibliothèque.
- Attendez à cette porte.
Il rentrait dans le "jigoku" [l'enfer] de la bibliothèque, c'est-à-dire la partie interdite, celle contenant toutes sortes d'hérésies, de prophéties diaboliques et d'écrits de déments ayant voyagé aux approches de l'Outremonde ou d'autres parages malsains. Cette bibliothèque étaient imbriquée à l'intérieur de l'autre, selon des plans élaborés par un prédécesseur de Tangen comme conspirateur : le terrible Maître Nuit, qui était aux yeux de tous un banal petit architecte de la Cité des Mensonges et qui, après le coucher du soleil, devenait le créateur acharné des labyrinthes les plus monstrueux, des Cités-cloaques les plus ahurissantes et dont les écrits étaient rassemblée dans un volume de mille parchemins nommé Les déambulations d'un bâtisseur de mondes. Sur ordre de Tangen, chaque page avait été enduite de mort noire.
- Mettez-en assez pour que même un lecteur portant des gants soit frappé !
Tangen avait un temps envisagé un système pratique pour lire ce livre : prendre à chaque fois un assistant pour lui tourner les pages ! Mais comme Tangen avait trop souvent envie de le lire, ses conseillers avaient prudemment suggéré qu'à ce rythme, il aurait dépeuplé la Cité avant la fin de la saison. Tangen s'était renfrogné, disant qu'on pourrait acheter des etas ailleurs... Puis il s'était fait une raison et avait trouvé un autre moyen : commencer à s'immuniser à la mort noire !
- Mais seigneur, seul Celui-Dont-Le-Nom-Doit-Être-Tu serait capable de résister à la mort noire !
Il en fallait plus pour vaincre la détermination de Tangen. Il avait commencé à avaler de petites doses du poison. Cent fois, il avait failli mourir mais au bout de trois ans d'ingestions à intervalles réguliers, les médecins du clan s'étaient rendus à l'évidence : il pouvait résister à une dose de mort noire qui aurait ravagé un village. Pour fêter cela, Tangen avait alors déclaré la guerre à ses vantards fainéants de Doji, qui traînaient leurs kimonos parfumés sans vergogne dans son palais. Il s'était servi de quelques chantages qu'il avait sur des Daidoji pour s'assurer que les solides guerriers ne viendraient pas en aide à leurs frères de clan !

Au chaud dans son enfer de livres, Tangen pouvait observer à loisir Sasuke, soit au travers de miroirs sans tain ou d'oeilletons dans les rayons de parchemins. 


Samurai


Sasuke, suivi par quatre assistants, découvrait les rayonnages bien ordonnés de la plus réputée bibliothèque de l'Empire après celle de la Cité Interdite. Le conservateur l'accueillit à cette heure tardive et lui proposa de lui faire visiter. Sasuke dut se plier au rituel. Il eut droit à une visite courtoise, de la part d'un homme âgé qu'on avait fait relever au milieu de la nuit. Le shugenja ne voulut pas le retenir. Le pauvre conservateur, qui se savait observé par Tangen, ne pouvait pas partir trop vite. Il y consentit enfin quand Sasuke ouvrit quelques parchemins consacrés aux arts de guérison de la famille Soshi. Notre impétueux shugenja commença ses recherches dès que le vieil homme importun fut retourné dans ses appartements.
Il lui fallait rapidement trouvé les informations qu'il était venu chercher : hélas, par où commencer ? Il voulait retrouver l'arbre généalogique de Bayushi Tangen, ainsi que tout ce qu'il pouvait à propos des conspirateurs. Il était persuadé que Tangen était bien le maître Cristal, complice de Nuage, donc coupable de tous les crimes commis par la conspiration, de la destruction du clan du Serpent à l'assassinat du vieux Hanteï Norio. Des informations sur ce complot, il n'en trouverait pas dans la bibliothèque d'un autre clan ! Seuls les Scorpions pouvaient savoir -en imaginant qu'ils n'étaient pas eux-mêmes à la tête de cette conspiration. Ce dont, à vrai dire, Sasuke doutait. Les Scorpions restaient des sujets de l'Empereur, accomplissant un certain sale travail nécessaire. En revanche, quelqu'un de supérieurement intelligent et manipulateur comme Bayushi Tangen avait très bien pu en vouloir davantage. Ne plus se contenter de servir dans l'ombre du divin Empereur... La revanche des éminences grises sur les beaux et lumineux seigneurs... Tangen se déplaçait dans la bibliothèque en même temps que Sasuke, à quelques pas de lui derrière une cloison ou un rayon. Il aurait pu lui tendre des parchemins !
Un des derniers indices que Sasuke avait recueillis, dans la bibliothèque des inquisiteurs Kunis, c'était l'existence d'une "hydre à dix têtes" ayant étendu son emprise sur la Cité de la Pieuvre et les instances dirigeantes de la famille Yasuki...
Tangen vit une nouvelle silhouette approcher de Sasuke... Il reprit son poignard et s'approcha d'un panneau décoré, qui pivotait facilement.

Sasuke avait rassemblé un tas d'ouvrages concernant les relations diplomatiques entre la Cité des Mensonges et la famille Yasuki. Il épluchait les diverses missives échangées par les ambassadeurs.

- Cherche toujours, mon ami...
Il se retourna :
- Kokamoru...
Tangen faisait tourner doucement le panneau bien huilé.
- Tu cherches en vain dans ce lieu de quoi étancher ta soif de connaissance...
- Je n'ai pas besoin de toi...
L'ancien conseiller Scorpion se tenait près de la flamme d'une bougie. Par moments, il passait sa main au-dessus de la flamme, qui ne le brûlait pas, et passait même les doigts au travers du papier, sans déchirer celui-ci.
- Regarde ce que tu es devenu, un spectre.
- Je suis immortel, Sasuke... J'ai vaincu la mort.
- Tu n'es plus qu'un ombre...
- Tes yeux habitués à la lumière ne savent plus voir dans le noir.
Tangen ne perdait pas un mot de cet échange.
Kokamoru souffla la flamme. Sasuke en fit surgir une dans sa main :
- Ne crois pas éteindre toute lumière tant que je suis là.
- Je serai ton guide vers la vérité, Sasuke... Pour te faire découvrir les temps à venir, immenses, te montrer la venue de l'inéluctable...
Tangen n'entendait presque plus rien : un voile de silence enveloppait Sasuke et Kokamoru. Il ne pouvait ouvrir plus le panneau sans se trahir.
- La seule chose inéluctable est la volonté de l'Empereur, Kokamoru. Le reste doit plier devant.
- Ignorant ! Ton Empereur est une marionnette qui s'agite dans un théâtre vide, comme nous tous ! Moi, j'ai vu cela : qu'il n'y a que la noirceur de la nuit derrière vos beaux décors... Cette bibliothèque elle-même n'est qu'illusion... Je connais la vraie bibliothèque, moi... Le reflet de celle-ci, donc la vraie...
- Tu cherches à m'embrouiller mais je suis quelqu'un qui a les idées claires et des convictions. Je ne fais pas confiance aux beaux parleurs trop habiles comme toi.
- Tu es aussi fanatique que moi... Aussi acharné ! Peut-être bien plus !... C'est pour cela que tu trouveras la bibliothèque immergée... Au fond de la baie, au pont du Dragon... Si tu n'as pas peur de mourir noyé, tu plongeras dans ces eaux calmes qui cachent la Cité engloutie...
- Je suis prêt à aller loin, tu as raison, mais je ne finirai pas comme toi, Kokamoru.
- Tout le monde croit être capable de s'arrêter à temps... Toi aussi tu perdras ton visage...
- Nous les Phénix régénérons de nos cendres. Toi, tu n'es plus que de la poussière... Un fantôme.
- Le monde est insondable, Sasuke. Plus tu cherches et moins tu comprendras... Toi aussi tu plongeras dans des ténèbres sans fin, qui te dévoreront.
- C'est un défi ?
- Une prédiction...
La lumière de la lampe se ranima et Kokamoru disparut.

Sasuke hésita. Il continua à chercher dans les parchemins. Il ne trouvait rien. Il demanda aux assistants de les ranger et dit qu'il était fatigué. Il allait retourner sur le champ au palais et réveiller Yojiro ! La nuit n'était pas finie !
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#10
Superbe ambiance à la bibliothèque la plus sombre de l'Empire du côté obscur Vader
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