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Dossier #10 : Penthésilée 64-300 Exécution
#1
Exil #10



- C'est le dernier dossier dont nous disposons sur Portzamparc et Maréchal. C'est la circulaire rouge qui nous a coincés.
- Comment Weid a-t-il pu se procurer cette circulaire ?
- Pour le moment, je ne sais pas, mais je t'assure que l'enquête continue et qu'on fera la lumière sur les agissements de ce "commissaire" et de ses complices.
- Ce dossier 10 raconte en détail comment on a coincé Portzamparc...
- Oui, et comment il nous a glissé entre les doigts.
- Et jusqu'où le zèle des deux policiers les a menés. A une vraie descente en enfer...
- Seulement, on n'en saura pas beaucoup plus. Mais ils referont une erreur, et cette fois là, on ne les lâchera plus. Personne n'échappe indéfiniment à OBSIDIENNE...



DOSSIER #10<!--sizec--><!--/sizec-->

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#2
EXIL

Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.

L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec-->
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#3
DOSSIER #10<!--/sizec-->


PENTHESILEE 64-300 EXECUTION<!--/sizec-->

SHC 9 - RUS 8 - IEI 4

Dans ses rêves, Maréchal entendait les passerelles aux abords du Halo gémir dans la pluie du matin. Il entendait aussi des montres tinter doucement, mille montres d'or, et la pluie tinter sur les passerelles.

A ses côtés, tante Myrtille s'était endormie.
Assise sur la maigre chaise d'hôpital, elle était penchée sur son sac, dans la petite chambre. Elle était dans ses propres rêves et respirer doucement. Parfois, elle avait un petit sursaut, se redressait sur la chaise et se rendormait.
Une infirmière la trouva là, la réveilla et lui proposa d'aller s'allonger sur un lit à côté.

Maréchal était branché à diverses mécaniques. Un masque sur le visage, des aiguilles dans les bras, avec des poches de substances diverses. Il était relié à un chromatographe qui enregistrait son rythme cardiaque et d'autres fluctuations de son corps. Il était connecté avec tout le réseau de l'hôpital et, par delà, avec le réseau complet de la Cité d'Acier.
Il respirait profondément ; des colonnes lumineuses montaient et descendaient sur l'écran du terminal. C'était ce qui lui restait de vie retranscrit dans le codage des intelligences-mécaniques.

Myrtille avait consenti à aller s'étendre. Elle avait dit, dans un hoquet de sanglots :
- Vous savez, à mon âge, c'est plutôt moi qu'on verrait allongée sur ce lit, et mon neveu à me veiller...
- Reposez-vous, madame...
Il n'était ni tôt ni tard. Le matin n'était pas encore là, la journée d'avant était déjà loin. On pouvait avoir le sentiment d'une nuit sans fin à venir, d'un temps interminable pour dormir, sans aucun souci à venir.

Myrtille s'endormit profondément, pendant que son neveu, dans la pièce d'à côté, rêvait de montres et de savants fous. Maréchal revivait son départ du foyer de sa troupe. Les Rats Magiques. C'était Nelly qui avait trouvé le nom. Antonin avait mis ce soir là sa casquette, avait pris son baluchon, serré ses godillots et il avait murmuré pardon à Nelly pour ce qu'il allait faire.
Quelques heures après, il entrait dans un grand halo lumineux. Il savait que plus personne ne pourrait se moquer de lui. Seulement, il ne savait pas s'il reverrait jamais quelqu'un ! Il se retrouvait devant un grand Scientiste inquiétant, qui l'attirait dans son repaire. Il lui donnait à manger, un gros bol de soupe, sur lequel Antonin s'était jeté. Puis il avait dormi dans une petite chambre. Et à son réveil, il était prisonnier. Il y avait des barreaux, c'était une cellule, dans une allée froide, comme une cave. Il y avait d'autres gamins en cellules.
Il y avait un gamin de la bande rivale, les Rats Noirs. Un gros dur en fait, de ceux qui se moquaient d'Antonin.
- Toi aussi, tu t'es fait prendre dans la rue...
- Non, moi je suis venu tout seul !
Antonin avait peur, et pourtant, il avait son orgueil !
- Alors, tu es encore plus stupide ! Pauvre idiot !... Tu as vraiment décidé de finir en chair à saucisses !
C'est à ce moment qu'on entendait un hurlement déchirant, d'un pièce éclairée, au fond du couloir. Quelques minutes plus tard, deux serviteurs bossus passaient, qui portaient un gros sac qu'ils allaient jeter dans un soupirail.
Et on entendait le bruit strident d'une scie mécanique, comme celles des ouvriers de la métallurgie. Terré dans le fond de sa cellule, Antonin n'osait plus bouger.
De la chair à saucisses !...
L'autre en face devenait fou !
- De la chair à saucisses !

*

Gérald passa en début de mâtinée. Il embrassa Myrtille, qui était repassée à son hôtel.
- Bonjour maman. Il va mieux ?...
Gérald avait enlevé son chapeau en rentrant dans la chambre.
Il le remit, gêné par le regard noir que lui lançait sa mère. Il ne rentrait quand même pas dans une chapelle funéraire ! Le solide et massif Gérald, qui à la force du poignet, pour ainsi dire, avait monté une des plus grosses affaires de bière de la Lune, qui avait cinq enfants, qui avait ses entrées dans plusieurs clubs de barons de l'industrie, hé bien, Gérald Maréchal se sentait ridiculement impuissant face à son maigre cousin, allongé dans son lit, branché et piqué au point de ressembler à une pieuvre mécanique.
- Qui lui a fait ça, maman ?
- On ne sait pas, mon fils, on ne sait pas...
Gérald aurait bien démoli une table pour se passer les nerfs. Ou bien engagé, sur ses fonds personnels, un tueur pour aller faire la peau au salopard qui... !
Il l'aurait fait noyer dans un tonneau de bière et l'aurait envoyé en l'état à SÛRETE !
Gérald alluma une cigarette et dit à sa mère d'aller se reposer un peu. Il était sûr qu'elle n'écouterait pas. On était comme ça dans la famille Maréchal : têtu !

Tante Myrtille alla faire la conversation aux infirmières et à de vieilles dames qui s'ennuyaient. Elle était comme la bonne âme des lieux, d'un coup. Très sérieuse, sous son chapeau sombre, elle discutait des malheurs de la vie avec les uns et les autres.
En fin de mâtinée, des fonctionnaires de police arrivèrent. Ils saluèrent Myrtille, puis restèrent un moment à discuter dans la chambre de Maréchal. Myrtille, intriguée, aurait voulu entendre. Elle était un peu vexée d'être laissée à la porte. Elle retourna discuter couture avec une petite dame qui avait le bras dans le plâtre et salua bien poliment les importants messieurs, chapeaux melons et gabardines épaisses, qui ressortaient de la chambre.
L'autre petite dame continuait à parler, mais Myrtille n'écoutait plus que d'une oreille. Au fond, il y avait un crime !
Elle n'avait envisagé la situation que sous l'angle personnel, familial : son neveu en danger de mort. Mais c'était vrai que la machine judiciaire allait se mettre en branle pour retrouver le coupable, qui finirait la tête décrochée du corps !
Oui, on travaillait dans le crime, là !
- Et moi, mes points de croix, je les fait toujours...
- Excusez-moi, dit Myrtille en se levant, voulez-vous que j'aille vous chercher une petite tisane ?
- Mais bien volontiers, dit son amie, un peu surprise, qui avait tout de la grand-maman gâteau.

En fin de mâtinée, alors que Myrtille avait repris sa position sur la chaise à côté de son neveu et s'occupait à son tricot, c'est le détective de Portzamparc qui arriva.
- Bonjour, madame...
- Comment allez-vous ?
- Pas trop mal. Et lui, comment va-t-il ?
Il était visible que Portzamparc avait mal dormi. La nuit avait été courte. Dans sa chambre d'hôtel, le détective avait soigné la grosse éraflure infligée par le tueur. Il avait ensuite mal dormi, et s'était réveillé dans le vilain quartier de Galippe, plein de colère et de dégoût. Encore une fois, il avait demandé à Corben de venir le chercher. Le pilote, qui voyait son meilleur client maussade, n'avait rien dit. Il sentait que ce n'était pas le jour.
- Avez-vous une idée, vous, de qui a fait ça ? On n'a rien voulu me dire...
- Non, je ne sais pas, fit Portzamparc, las et haineux à la fois. Seulement, je vais le trouver, ajouta-t-il à voix basse.
- Comment donc ?
- Non, rien... A propos, il y a du monde qui est passé ce matin ?
- Ma foi, Gérald, puis des collègues à vous.
- Qui ça ?
- Voyons, je ne me souviens plus... Ils se sont présentés rapidement...

Maréchal, lui s'en souvenait !
Il pouvait entendre ce qui se passait à côté de lui. Il avait entendu les policiers discuter à son chevet. Il avait reconnu la voix de Crimont et de Lanvin, et de deux détectives dont il ne connaissait pas les noms.
- La Scientifique a pu localiser le poste de tir, et l'arme. Un fusil de chasse. Un cas vraiment semblable à l'assassinat de l'Amiral... Vraisemblablement le même homme...
- Que faisait Maréchal chez lui ? Il n'était pas censé être en stage ? demandait Lanvin.
- Oui, c'était le cas, mais ADMINISTRATION n'a pas donné de précision, dit Crimont. "Détachement à durée indéterminée", c'est tout ce que je sais.
- Oui, la même chose que pour Portzamparc...
S'il avait pu, Maréchal aurait souri. Le commissaire Weid avait bien fait les choses !
- Portzamparc qui rendait hier visite à Maréchal, ajouta Lanvin.
- Ils étaient ensemble en formation ?
- On ne peut pas savoir. Il faudrait le trouver.
- Bizarre... Ce qui est sûr, c'est que cette histoire peut remonter très haut...
- Sûr qu'on va avoir l'inspection des services qui va s'en mêler !
Les policiers n'avaient pas noté, à ce moment, les colonnes lumineuses du chromatographe qui montaient plus haut que d'habitude !
L'inspection des services... autrement dit OBSIDIENNE !
Le sinistre service de surveillance de l'activité de SÛRETE !
Maréchal ignorait de quel poids étaient Weid et sa Brigade Spéciale face à ces gens-là.

Portzamparc regarda par la fenêtre, et regarda encore son collègue.
- Le docteur a dit que c'est un miracle s'il en a réchappé, renifla Myrtille.
- On n'abat pas si facilement l'un de nous, dit Portzamparc.
En disant cela, il repensait à l'explosion de la tête de l'amiral de Villers-Leclos, qui n'avait pas été aussi résistante que la gorge de Maréchal ! Il lui en revenait un sentiment mêlé de jubilation et de haine.
Parce que c'était la haine maintenant. La guerre à mort face au Somnambule, qui avait éventé le plan des policiers. D'ailleurs, à ce sujet, où avait pu passer le Perce-Pierres ? Est-ce qu'il avait déjà été retrouvé par la bande des Insomniaques ?
C'était la chasse à l'homme, à la mode de Forge. La traque, l'embuscade, la patience, et la curée...

Portzamparc entendit plusieurs hommes qui discutaient haut et fort. Lanvin et Crimont !
Il ne voulait pas être vu ici...
- Ha, détective, je crois entendre ces messieurs revenir...
- Oui, tout à fait, madame, fit Portzamparc, gêné.
Pas être vu ici !
Nerveux, le détective reprit son manteau et son chapeau. Il fallait se risquer. Jouer un coup.
- Ecoutez, madame...
- Quoi donc ?
- Je voulais vous demander... C'est un peu compliqué, mais j'aimerais autant ne pas être vu ici. Est-ce que vous pourriez aller voir ces hommes, et les retenir un instant ? Sous un prétexte quelconque...
Le sang de Myrtille ne fit qu'un tour. Elle était prise dans l'enquête ! Dans le mystère !
Elle fit un petit sourire complice à Portzamparc et sortit à la rencontre de Lanvin et Crimont.
- Messieurs, c'est affreux !... affreux !...
Les deux inspecteurs craignirent le pire. Et pendant que Myrtille jouait la veuve éplorée, cognait contre la poitrine des deux arrivants, Portzamparc s'éclipsait doucement.
- C'est affreux, je ne sais pas quand il se réveillera ! Venez voir ! Mais venez donc voir !
Et elle les empêchait d'avancer !

Portzamparc sortit de l'hôpital et rejoignit le premier bistrot venu, où il trouva Corben. Ils repartaient, et ce ne serait pas le dernier trajet de la journée.
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#4
DOSSIER #10<!--sizec--><!--/sizec-->


Portzamparc se fit déposer à Névise. Il voulait en savoir plus sur l'incendie de la Brigade Spéciale.
Le quartier était calme. Des milliers de lentilles fluorescentes flottaient dans le grand canal, de telle sorte qu'on pouvait apercevoir distinctement les palais sous-marins recouverts de coquillages.
Le détective interrogea deux petites vieilles femmes, qui habitaient un logis en face des bureaux qui avaient brûlé. Il ressortait qu'une bande de gaillards cagoulés étaient arrivés brusquement des petites rues sombres. Des jerrycans à la main, ils étaient entrés dans l'immeuble et y avaient mis le feu. Ils étaient ressortis avant que les flammes ne prennent tout le bâtiment, avec un sac qui contenait visiblement un corps, et ils l'avaient jeté dans le canal.
Les Pandores avaient retrouvé le sac mais n'avaient pu identifier le corps. La seconde dame connaissait juste la victime, un homme d'une trentaine d'années, qui venait manifestement travailler dans le bâtiment.
Portzamparc posa quelques questions sur le commissaire Weid, en donnant simplement sa description physique : "un homme entre deux âges, cheveux poivre et sel, un manteau et un chapeau gris, l'air sévère."
- Oh oui, il devait travailler là lui aussi. On le voyait arriver tôt le matin. Un petit signe de tête, parfois, quand on le croisait mais c'était un monsieur très réservé.
- Vous ne savez pas où il habitait ?
- Sans doute pas dans le quartier. Il partait tard le soir, par les ruelles Oscuros. Il ne traînait jamais dans le quartier. Vous croyez qu'il est mort dans l'incendie ?
- Je ne sais pas. Je ne pense pas, dit Portzamparc.
La première voisine avait décrit le visage d'un des membres de la bande, et Portzamparc avait reconnu sans hésitations Milovic, le goguenard, l'un des plus zélés de la bande du Somnambule.
C'était bien la guerre à outrance qui était déclarée. Du côté ennemi, on était décidé à ne pas prendre d'otages !
Le jeune homme précipité dans le canal devait être le secrétaire de Weid. Portzamparc l'avait aperçu la dernière fois qu'ils étaient venus dans les bureaux de Weid. Le détective visita le bâtiment calciné. Weid avait-il pu s'échapper ? Outre la porte d'entrée, il n'y avait dans les bureaux minuscules qu'un vasistas dans la cuisine, et une fenêtre dans le bureau du commissaire, qui donnait sur une fenêtre, à cinq mètres de là. Pour sauter sur le rebord d'en face, il aurait fallu à Weid une sacrée détente, sans parler de l'élan à prendre. Un vrai exploit sportif. Portzamparc aurait à la limite pu y arriver, mais il voyait mal le frêle commissaire bondir comme un fureuil et s'accrocher en face, tout ça poursuivi par les hommes du Somnambule dans un bâtiment en flammes !
D'autant qu'une fois accroché de l'autre côté, il faisait une cible idéale. Physiquement, il était presque impossible que Weid ait réchappé à l'incendie. Mais le fait est qu'on n'avait pas retrouvé son corps.

Le détective fouilla les décombres noirs. Il ne savait pas ce qu'il cherchait. En tâtant le plancher, il craqua une latte déjà calcinée et découvrit en dessous une cache. A l'intérieur, une grosse boîte métallique qui avait résisté aux flammes. Elle était très lourde. Portzamparc la tira et la posa sur une pierre. Il ouvrit et trouva à l'intérieur un chromatographe. Un modèle robuste, presque sans aucune décoration. Ce n'était pas vraiment la mode, qui était plutôt aux appareils délicatement ouvragés. Portzamparc détacha l'écran et l'entonnoir, trop encombrants, pour n'emporter que la console avec le clavier et la carte-mémoire.

Il rentra à son hôtel discret du quartier Galippe où il étudia le chromatographe. Il emprunta l'écran de celui du gérant : il trouva dans l'appareil plusieurs fichiers protégés par un code. Le détective appela alors son réseau :
- Ici Hadaly 20-52...
Une voix lui répondit en Autrellien et dans la même langue, Portzamparc demanda à rencontrer un contact. On lui dit qu'il aurait un rendez-vous le lendemain.
Il appela ensuite Penthésilée qui, la dernière fois, lui avait laissé un numéro où la joindre. Elle ne répondait pas mais la ligne passa sur un enregistreur automatisé sur lequel Portzamparc laissa un message.
- J'imagine que vous avez appris ce qui est arrivé à mon collègue. J'ai l'intention de faire payer cela aux responsables. Puisque vous m'avez proposé votre aide, j'accepte. Je vous contacterai très bientôt, dès que mes recherches auront avancé.
Il parlait de façon volontairement vague, car on ne savait pas qui pouvait écouter cet océan sonore qu'étaient les communications de CONTRÔLE.
Le détective se coucha tôt, ce soir-là, dans sa petite chambre perdue dans ce quartier isolé.

Le lendemain matin, il appela l'hôpital, où on lui dit que l'état de Maréchal était stationnaire.
- Il sera emmené dans deux jours dans une autre clinique, détective.
- Vous savez laquelle ?
- C'est sur la demande de sa tante. Elle le fait emmener... Attendez... Oui, à la Vague Noire. A la clinique de la plage.
- Je vous remercie, mademoiselle.
Ce n'était pas une mauvaise chose que Maréchal aille prendre le grand air. Il était bon de l'éloigner des miasmes de la Cité, où il y avait vraiment trop de gens infréquentables, dont Portzamparc -officiellement, il était encore en stage pour quelques jours- allait personnellement s'occuper !

*

Le détective retrouva un de ses contacts dans un café discret du quartier des Passantes. Ce contact n'était pas le petit gros mais le grand maigre âgé avec son air ricaneur, le spécialiste du fusil. Il arrivait le chapeau en arrière, les mains dans les poches.
- Salut, fiston... Tu offres quoi ?
- Ce que vous voudrez. Et moi, j'ai besoin de renseignements rapidement.
C'était le lendemain de la fouille à Névise. Portzamparc avait essayé sans résultat d'accéder aux fichiers du chromato depuis sa chambre.
- Tu sais que nous, on fait bien les choses, fiston... Mais il faut que ce soit important. On sait que tu t'es embringué dans cette affaire du Somnambule. Tu crois qu'il peut être dangereux pour nous ?
- Pas pour le moment. Mais ça pourrait venir.
L'autre ricana d'un air et prit le verre que lui apportait le garçon. Il prit la cigarette qu'il avait coincée derrière son oreille et l'alluma négligemment.
- Dis-moi de quoi tu as besoin.
- J'ai des fichiers à lire, des informations à chercher.
- On connait un petit génie du bidouillage des réseaux de CONTRÔLE...
- C'est juste ce qu'il me faut.
- Je vais te laisser son adresse. Il a déjà travaillé pour nous, sans savoir qui on était.
- Je m'en doute bien.
- Tiens-nous au courant. On ne voudrait pas qu'il t'arrive malheur.
Portzamparc paya les boissons et partit. Il retrouva Corben qui racontait sa vie au bistrot d'en face à une assemblée d'habitués qui l'écoutaient d'une oreille.
- Et alors, le gars, j'y dis... Oh, je vais y aller ! Voilà le client ! Et il ne plaisante pas sur la ponctualité, hein !
Il finit son verre et partit en s'essuyant ses grosses moustaches maculées de vin.
Portzamparc lui tendit le carton avec l'adresse.
- On pourra dire qu'on a fait un bout de chemin ensemble, hein patron !
- Comme tu dis, Corben, comme tu dis...
Le ballon alla des Passantes à Torvald, bloc industriel où s'étaient installés plusieurs déchetteries et des services de SANITATION consacrés au recyclage.
Des tapis roulants convoyaient des tonnes de déchets qui tombaient dans de grosses cuves où ils étaient fondus, brassés, avant de ressortir en cubes compacts, au milieu d'énormes roues dentelées qui activaient des presses. C'était des gueules d'acier et d'ombres qui dévoraient les rejets du reste d'Exil, les digéraient et les recrachaient ailleurs.
- Si c'est pas impressionnant, ces trucs-là... J'ai un cousin qui travaille dedans. On vous recyle une tonne de matériau à l'heure !
Corben avait un cousin dans presque chaque corps de métier de la Cité !
Le détective trouva son chemin entre les différents plateaux de recyclage. De gros chariots arrivaient pour déverser leurs ordures, au milieu du tintamarre extraordinaire des cuves et du fracas métallique. Portzamparc se présenta à l'entrée de la déchetterie 42C, montra sa plaque et entra. Il fallait vraiment connaître l'endroit pour se repérer. Il passa entre des piles de gravats, de parpaings et de ferrailles et vit un escalier qui descendait sous un tumulus soutenu par un échafaudage de bois.
Il prit les marches et arriva dans une antre pleine de matériel chromatographique. Le sol était recouvert de morceaux de plaques gravées et il y avait jusqu'au plafond des instruments de connexions. Un jeune homme rouquin, les joues piquetées de tâches rousses, s'acharnait avec un tournevis sur un clavier de machine à écrire.
- Satané bazar de foutu machin...
Il se retourna quand il entendit taper derrière lui.
- Je ne vous dérange pas...
- Qui êtes-vous ? Vous n'êtes pas un ouvrier de...
- Bien observé, monsieur... Linus, c'est ça ?
- Oui, on m'appelle comme ça, mais ce n'est qu'un surnom !
Il en était visiblement très fier.
- Je m'appelle Portzamparc, je viens engager vos services.
- Qui vous a donné mon adresse ?
- Un de vos bons clients. J'ai besoin de lire un vieux chromatographe.
- Montrez voir...
Le policier prit dans son sac l'appareil et lui donnait. L'autre l'ausculta aussitôt et dit, d'un air expert :
- Chromatographe de l'année 200... Je me demande bien où vous l'avez eu.
Portzamparc sourit : cela ne le regardait bien sûr pas.
- Non, parce que la plupart des chrom' de cette année ont été rappelés par le constructeur. Ils étaient défectueux. Je ne pensais pas qu'il en restait sur le marché.
- J'ai besoin de lire les documents contenus sur celui-ci. Mais ils sont cryptés.
- Cryptés ?... Aucun cryptage ne me résiste, mais je ne suis pas donné.
Portzamparc souriait toujours : l'argent n'était pas un problème.
- Combien ?
- Pour ce boulot-là, 400 velles. Rapidité et discrétion garantie.
400 velles : un mois de salaire d'un fonctionnaire de SÛRETÉ. Portzamparc ne sourcilla pas. C'est ce qu'il gagnait, en plus, chaque semaine. Depuis son arrivée à Exil, son réseau lui versait en effet cette somme hebdomadaire sur un autre compte. Personne n'était au courant, pas même sa femme.
- D'accord, 400 velles mais je veux les fichiers ce soir.
- Mettons demain matin, et j'y passerai la nuit. J'ai d'autres commandes, vous savez...
Il jouait les importants -et peut-être l'était-il vraiment, s'il était si génial dans son domaine - mais il en fallait plus pour impressionner le policier.
Portzamparc entendit alors un objet dégringoler l'escalier. Une grenade !
Elle fumait déjà ! Ni une ni deux, le détective ramassa la grenade et la rejeta dehors. Elle explosa en touchant le sol, dans un bruit assourdissant. La niche de Linus fut secouée, le toit craqua, plusieurs objets tombèrent, juste après que Portzamparc s'était jeté sur le pirate pour le plaquer à terre. Une épaisse fumée envahissait la pièce quand Portzamparc se releva. Les deux hommes, asphyxiés et les yeux en pleurs, pouvaient à peiner respirer. Portzamparc, un mouchoir sur le nez, fit signe à Linus de rester allongé par terre, et tira son révolver. Il s'accroupit au pied de l'escalier et monta prudemment les marches.
Il aperçut un tireur allongé sur le tumulus d'en face, derrière de vieilles baignoires. Un tir de fusil claqua mais le policier s'était rejeté en arrière. La fumée commençait à se dissiper. En bas, Linus osait se relever. Portzamparc lui fit signe de ne pas approcher de l'escalier. Notre héros n'était adossé à une marche et regardait au-dehors. Le tueur rechargeait son arme. Le policier jaillit comme un diable et tira.
Le tireur roula sur le côté et disparut derrière une baignoire. Portzamparc tira plusieurs balles et vit l'autre se redresser et dévaler son tas de déchets.
Dans les rues retentissaient des sifflets de Pandore. Portzamparc courut en haut du tumulus, d'où il vit le tueur s'enfuir et se dissimuler derrière une vieille armoire en fer. Impossible de l'atteindre. Rageur, le policier mit un genou à terre et visa. L'autre devrait bien s'enfuir.
C'est alors que deux Pandores arrivèrent en courant, la matraque levée. Le tueur se releva. Il allait tirer quand Portzamparc fit feu. Il le rata mais l'obligea à se jeter sur le côté. Le moment d'après, le Pandore assénait un solide coup à la mâchoire de l'homme. Il s'effondra à terre et l'autre prétorien lui passa les menottes, son genou sur son dos.
Portzamparc descendit de son abri et montra sa plaque.
- Repos, les gars...
Les deux hommes considérèrent d'un œil mauvais cette intrusion dans leur travail.
- Je suis sur une enquête, messieurs...
L'éternel conflit de services. Une fois de plus, SÛRETÉ reprenait à son compte une brillante affaire de PANDORE !
Portzamparc regarda l'homme à terre. Il était habillé comme un Exiléen anonyme ; on l'aurait pris pour un petit clerc de notaire.
- Mais je serais heureux d'avoir votre collaboration pour faire parler cet individu, avant de vous le confier...
Les deux Pandores se consultèrent et acceptèrent.
Quelle ne fut pas la surprise du brave Linus quand il vit revenir ce monde-là dans son repaire !
- C'est quoi cet endroit ? grogna un des Pandores. Et ce matériel, il vient d'où ?
- Concentrons-nous sur l'essentiel, messieurs, proposa le détective. Cet endroit, je m'en occupe.
L'autre Pandore asséna un crochet du gauche au tueur et le plaqua au mur.
- Tu vas parler, dis ?
Linus était effrayé. Portzamparc sourit :
- Notez qu'on ne lui a encore rien demandé...
- Je sais les travailler au corps moi, les tueurs comme lui... On va ramollir la viande !
Le détective le pria d'arrêter et posa doucement quelques questions. On se trouvait dans la situation du bon flic, deux mauvais flics !
L'autre n'était plus en état de résister.
Quelques minutes plus tard, il était emmené par les deux prétoriens et Portzamparc emmenait Linus avec lui.
- Tu n'es plus en sécurité ici. Tu as été découvert...
Le pirate regrettait déjà ce contrat à 400 velles !
- Qui a fait ça ?...
- J'ai peur de le savoir, Linus, mais je ne pense pas que tu voudrais le savoir. Alors, prends le minimum de matériel et suis-moi.
Linus jeta tout ce qu'il put dans un gros sac et suivit Portzamparc. Corben faisait chauffer le moteur quand ils arrivèrent. Ils décollèrent dans la minute.
- Dites, chef, c'est pas pour dire, mais le sac du gamin là, nous alourdit drôlement ! Alros, si ça se trouve, on va devoir lâcher du lest !
- Personne ne touche à mon matériel, s'écria Linus en prenant son sac dans ses bras.

Le ballon-taxi se posa dans Rotor 24, pas loin de la planque où Portzamparc avait fait son entrée chez le Somnambule.
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#5
Jolie justification de l'argent de poche de notre bon De Portzamparc au fait:P
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#6
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Résumé : Maréchal est à la clinique de la Vague Noire, en convalescence après avoir reçu une balle d'un tireur inconnu. Portzamparc vient de contacter le pirate de chromatographe Linus pour décoder les fichiers du commissaire Weid. Ensemble, ils échappent à l'attaque d'un tueur...


* * *

Maréchal se réveilla dans une douce lumière, qui, d’un coup, devint éblouissante, puis s’éteignit.
Il entendait le froissement des vagues sur le rivage. Il entendait des drapeaux claquer. Il entendait aussi des oiseaux marins et des enfants qui criaient sur le rivage. Le petite enfant qui sommeillait profondément en Maréchal aima ces bruits d’enfance lointaine et éternelle, mais l’adolescent et l’adulte Maréchal décidèrent d'en râler.

L’inspecteur s’assit ; il vit la porte de sa chambre s’ouvrir lentement, sans bruit. Par la fenêtre entrait une lumière dorée du soir, le vieux soleil sur l’ocèan noir. Une infirmière entra, jeune, charmante, avec un petit plateau. Elle lui sourit : « Vous êtes réveillé… Je venais pour vous faire une piqûre de vitamines. Il faut bien vous tenir en forme alors que vous ne mangez pas… »
Le ventre de Maréchal gargouilla, mais il y avait plus urgent :
- Vous n’auriez pas une cigarette ?
L’infirmière eut un petit rire. La naïve enfant, elle croyait à une plaisanterie !
- Je vais vous faire votre piqûre quand même, puisqu’elle est prête…
- Attention, poupée, je suis un policier. Si vous me faites mal, je vous fais coffrer !
- Je vous anesthésierai avant…
Du charme, du répondant, du caractère ! Et elle était belle comme une nuit d'ivresse ! Maréchal sut qu’il était au paradis !

*

Elle revint le lendemain, et le surlendemain. Bientôt, elle acceptait de lui allumer ses cigarettes. L’inspecteur avait demandé à retrouver son chapeau-feutre. Question de statut social ! Qui était-il sans son chapeau ? Un quidam, un anonyme... Le pékin moyen !...
A d’autres heures, Maréchal n’avait droit à aucune cigarette et devait retirer son chapeau. C’était le service de l’infirmière en chef. Une vieille à poigne, qui ne laissait rien passer. Elle auscultait, elle mesurait et elle caftait toute indiscipline au médecin-chef.
Tante Myrtille vint aussi, très souvent. Elle s’était refait un visage digne, après avoir passé des jours à pleurer, à parlophoner à Gérald tous les jours. Elle ne voulait pas se montrer ainsi, elle voulait être forte, être un bloc de granit, mais c’était trop pour elle… Elle voulait être tout pour Gérald et Antonin (qu’elle considérait un peu comme son second fils), mais elle savait que c’est eux qui étaient tout pour elle…

Elle venait faire son tricot. Elle disait qu’il fallait fermer ou ouvrir la fenêtre, faire attention aux courants d'air. Elle surveillait si la nourriture n'était pas trop chaude.... Elle sonnait l’infirmière. Si Maréchal dormait, elle restait quand même. S’il ne disait rien, elle faisait la conversation seule. S’il voulait des nouvelles de la Cité, elle courait acheter le journal. Elle lui faisait arriver aussi la revue interne de SÛRETÉ.
Maréchal suivait comme cela les méfaits successifs de la bande du Somnambule. Un petit braquage ici, une grosse attaque par-là... Une poursuite dans les hauteurs de la Cité, une interpellation de complices supposés, qui se terminait par une relâche. L’opinion publique effrayée et fascinée, les journalistes en ébullition, les juges de plus en plus crispés et les policiers à bout de nerfs. La brigade des rues n’avait jamais si bien mérité son nom, à cavaler entre ruelles, passerelles et avenues, à la recherche du moindre témoin. Mais il ressortait que le Somnambule n’était pas un criminel issu d’Exil. Il n’était pas lié aux différents groupes de malfaiteurs de la Cité. Maréchal le comparait à Gueule de Rat sur un point : un individu sauvage, indomptable, capable d’effrayer les bandits « ordinaires ». Un homme qui pousserait un voleur ou un escroc à faire appel à SÛRETÉ ! Un homme qui ne craint ni la justice ni la mort…


*

Portzamparc emmena Linus dans le quartier Galippe, une petite cité dortoir. Il prit un hôtel discret : une chambre pour lui et une pour Linus à côté de la sienne. Il lui ordonna de se barricader, de se débrouiller pour extraire les fichiers du chromatographe. Et il ajouta qu’il dormirait dans la chambre à côté et qu’il ne voulait pas être dérangé.

Linus sentait les 400 velles lui rester en travers de la gorge ! Portzamparc alla à la réception et en fit sortir le gérant gras et mal rasé. Il appela le numéro de Penthésilée. Elle ne répondit pas. Portzamparc attrapa son manteau, répéta à Linus de ne pas sortir et courut à la station de taxi la plus proche. Il fit appeler Corben, qui arriva dans l’heure. Portzamparc regardait sa montre nerveusement. Il s’installa à l’arrière et regarda le ciel, inquiet.
Le tueur arrêté à la déchetterie de Torvald avait parlé aux Pandores, qui avaient employé la manière forte pour ne pas faire attendre Portzamparc. Le passage à tabac avait été aussi rapide que brutal. Les prétoriens n’avaient pas eu de pitié avec le tueur. Ils lui avaient cassé une jambe, peut-être plus. Quand Portzamparc partait, il entendait les policiers appeler une ambulance.

Le ballon se posa dans un quartier automatisé et amovible, Rotor 7. Des entrepôts alignés entre des voies pavées. Corben avait déposé son passager sur un toit. Portzamparc lui avait emprunté une corde. Il passa quatre toits ondulés et s’allongea sur le suivant, avec une vue sur une bicoque en tôle en contrebas, entre deux dépôts d’engins de chantier. Il avait encore donné un pourboire à Corben pour que ce dernier passe un coup de fil.
Le pilote arrivait en sifflotant dans un bistrot, pendant que le policier grelottait sur son toit. Corben prit une pièce pour la cabine de parlophone et dut crier plusieurs dans le combiné pour se faire entendre.
- Allô ! oui… je vous appelle comme qui dirait de la part d’un ami… Il m’a dit de l’appeler « Jeff », que vous comprendriez…
A l’autre bout du fil, une voix mécanique au timbre féminin.
- Je – vous – re-mercie…
On raccrocha. Corben haussa les épaules et alla prendre un petit blanc. Portzamparc était blotti dans son manteau ; il reniflait, et fixait son regard sur la petite vitre fumée, derrière laquelle dansait une flamme qu’il voyait floue. C’était entre ces murs que devait se cachait une partie de la bande du Somnambule. Si Corben avait bien fait son travail, notre policier devait recevoir du renfort d’ici peu.
Il était en train de vérifier son arme quand il vit, sur le toit d’un entrepôt d’en face, l’androïde arriver. Le gynoïde plutôt… La voleuse la plus célèbre d’Exil, échappée d’on ne sait quelle usine de pointe. Portzamparc voulut faire signe à Penthésilée.

Celle-ci tourna un bref moment la tête vers lui et continua sur le toit. Il y eut du mouvement dans la planque des bandits, et soudain, le robot propulsa de son bras un grappin qui s’accrocha à un lampadaire au-dessus de la fenêtre et elle se jeta dans le vide, puis, son filin se balançant, elle passa à travers la fenêtre qui vola en éclats. Le policier n’en croyait pas ses yeux ! Il courut sur le toit et s’accrocha à la gouttière pour descendre. Il avait heureusement ses gants, qui chauffèrent contre le métal. Il se reçut et courut sur le pavé, l’arme à la main. A l’intérieur, on entendait les bruits d’une castagne d’enfer ! Les grincements métalliques de Penthésilée et les heurts des bandits. Portzamparc craignit le pire pour son alliée mécanique. Quand il rentra, il vit les hommes du Somanmabule prendre la dégelée de leur vie ! Les meubles cassés, une armoire enfoncée, les hommes se tordant à terre, on se serait cru en fin de soirée dans une taverne sur Autrelles !

Penthésilée finissait d’assommer un des rustauds. Elle se redressa, salua Portzamparc de la main et enjamba la fenêtre. Elle envoya son grappin et remonta sur le toit.
Portzamparc n’avait plus qu’à se servir ! Cinq braqueurs sur un plateau d’argent ! Il ficela cette brochette de perceurs de coffres. Le vigile de l'entrepôt d’à côté arrivait. Le policier lui ordonna d’appeler le quai des Oiseleurs. Les hommes de la brigade des rues arrivèrent une heure après. L’inspecteur Lanvin était à la tête d’une dizaine d’hommes, et mit du temps à comprendre ce qui s’était passé ici. Portzamparc n’avait pas laissé son nom au vigile. A la description que celui-ci fit, Lanvin crut quand même reconnaître son ancien stagiaire. Et quand un des bandits cracha qu’ils avaient été attaqués par un androïde féminin, Lanvin éclata de colère et emmena aussi le vigile pour obtenir des explications en règle !


*

Portzamparc était de retour à son hôtel. Linus dormait devant son chromatographe. Le policier ne le réveilla pas. En revanche, il tira le gardien de nuit de son sommeil et lui dit d’aller s’assoupir ailleurs. Portzamparc prit ensuite le parlophone et demanda Hadaly 20-52.
Ce fut le petit gros qui répondit cette fois.
- Nous avons commencé à nous renseigner… Mais il faudra bien qu’un jour vous justifiiez que le Somanmabule soit une menace pour nous…
- J’y viendrai.
- En attendant, sachez que nous avons fait jouer des contacts à nous. Celui qui a tiré sur votre collègue pourrait être un tueur à gages du nom de l’Aiguille. Il y a deux semaines, le Somnambule a dîné avec lui…L'Aiguille coûte cher mais -habituellement- il ne rate pas sa cible.
- L’Aiguille, vous dites ?
Une idée commençait à germer dans la tête du policier quant à ce tueur. Il allait lui réserver ce qu’on appelle chez les chasseurs polaires « une ruse à froid », celle qui vous surprend totalement, sans que vous soyez « chaud » pour l’affronter !


*

Le lendemain matin, Linus était au travail, une tasse de café à la main. Portzamparc prenait une douche froide. Il pensait à sa femme, qu’il ne pouvait appeler, étant encore officiellement en stage. Il s’habilla et alla voir le pirate rouquin.
- J’ai découvert un dossier bien crypté. Il va vous intéresser je pense…
- Tu as lu ce fichier ? fit Portzamparc d'un air détaché.
- Non, je l’ai seulement fait décrypter par mon séquenceur… Pendant des heures, j’ai…
- Bien, interrompit le policier, tu iras loin.
Portzamparc prit le chromato, alla dans sa chambre et ouvrit le fichier. Lentement, les aiguilles de l’écran affichèrent le texte, avec un bruit de petite machine à coudre.
Il y avait d’abord des papiers officiels pour « couvrir » Maréchal et Portzamparc pendant leur stage. Et dans une seconde section, le dossier de l’enquête du commissaire Weid sur le professeur Heindrich. Entre autres informations, Portzamparc lut les noms des victimes des expérimentations de ce professeur. Une partie du document restait cryptée ; Linus n’avait pas pu encore la décoder.
- Tu te remets au travail, gamin, et moi je vais passer un coup de fil.

Portzamparc alla au bistrot du coin et se fit servir un œuf, des saucisses et du café. Il glissa la pièce au serveur pour qu’il monte la même chose à Linus. Le policier profita d’une cigarette pendant que CONTRÔLE demandait une communication avec la clinique de la Vague Noire. Le parlophone sonna enfin dans le bistrot ; Portzamparc écrasa sa cigarette et se leva. L’infimière arrivait dans la chambre de Maréchal avec le combiné sur un plateau. La vieille infirmière finissait pendant ce temps une piqure à la fesse de l’inspecteur. Ce dernier décrocha pendant qu’on lui mettait un pansement au postérieur. On lui avait tiré à la tête, pourquoi on lui faisait une piqûre ailleurs !
- Ici Maréchal, j’écoute…

Portzamparc prit de ses nouvelles. Maréchal expliqua qu’on lui avait recousu la gorge et qu’il avait encore du mal à parler. Il ne devait pas garder de séquelles graves, hormis une cicatrice du plus bel effet comme même les militaires n’en ont pas !
Le détective raconta en deux mots l’arrestation des cinq complices du Somnambule puis il donna à Maréchal les noms trouvés dans le dossier de Weid. Maréchal fronça les sourcils et dit qu’il allait y réfléchir.
- Je vais appeler Herbert à tout hasard, s’il peut nous dire des choses sur ce Heindrich et ses victimes.
- D’accord, bon courage Jean-François.

Maréchal raccrocha, troublé. Il avait d’un coup sommeil. Il demanda à rester seul. Le nom de Heindrich lui trottait dans la tête, obstinément.

*

De l’hôtel, Portzamparc appela Herbert et lui donna les noms. Herbert grommela vaguement que ces noms ne lui rappelaient pas grand’chose. Portzamparc insista, menaçant de venir voir le petit chauve directement s’il n’était pas plus loquace !
De guerre lasse, Herbert admit que l’un des noms lui disait quelque chose : Josef Kassan.
- Et il vous dit quoi ce nom ?
- Il me dit qu’il était chez le professeur Heindrich ce type-là !
- Avec vous et Maréchal ?... Ne me mentez pas, je le sais… Maréchal m’a dit…
- Oui, oui, il y était…

Maréchal, lui, était parti dans ses souvenirs. Il revoyait les souterrains et les conduits près de la Cité Machine, ce soir où pour impressionner Nelly il était parti seul. L’entrée du Halo, la lumière blanche, aveuglante, et la silhouette sinistre de cet homme en habits de cuir moir serré, une longue robe et des yeux de glace. Heindrich ! Oui, c’était lui ! Heindrich !... Le tortionnaire qui dirigeait ce complexe secret où Maréchal s’était fait emprisonner !

Ensuite, des images de sa détention. Des gamins qui crient. Des poulis, chaînes, crochets, leviers, manipulés dans des grincements sinistres. La cellule en face de celle de Maréchal, avec un gamin qui hurle au moment ou on l’emmène. Dans ce repaire, il devait y avoir Herbert, l’assistant de Heindrich. Maréchal ne le revoit pas directement. Les silhouettes s’entremêlent, les visages, corps et textures des murs. Des traces de sang, une herse qui se ferme.
Maréchal pleure dans sa cellule, obnubilé par les barreaux de sa cellule. Il veut revoir Nelly. Il veut serrer sa main à nouveau. Mais il ne veut pas revenir comme un gamin qu’elle va gronder. Il va être un homme, et il va revenir pour lui demander sa main !... Oui, il va l’épouser !

En face, le gamin pleure. Plusieurs fois il a été emmené voir le professeur. Maréchal ignore quel sévice il a subi. Lui-même a été oublié depuis longtemps. Il n’a presque pas rencontré Heindrich. Un être vil et décérébré vient lui porter à manger.

Maréchal étouffe. Il serre les barreaux de sa cellule. Il est dans une colère noire. Un jour, les barreaux s’écartent ! Et tout bascule comme s’il était à l’intérieur d’une boite. Le sol passe au plafond, les murs se renversent. Maréchal est seul dans le couloir en pente qui tangue. Il court, un mur s’souvre comme si c’était un passage secret. Il traverse un tunnel et arrive dans le labyrinthe des conduits métalliques géants. Le vacarme de la Cité-Machine. Il est libre ! Libre !...

Il se réveille en sursaut.
L’infirmière est là avec le parlophone. Portzamparc est au bout du fil.
- J’ai un nom pour vous.
- Josef Kassan, s’exclame Maréchal.
- Euh oui, comment vous le savez ? Herbert vous a appelé ?
- C’est le nom d’un gamin qui était « là-bas » !
- C’est le nom qu’Herbert m’a donné…
- Les grands esprits se rencontrent, conclut Maréchal.
- Au moins, ce faux-jeton de Herbert ne m’a pas menti…

Maréchal a soudain un coup au cœur. Il fait signe à l’infirmière de sortir. Portzamparc lui demande ce qui se passe.
- Ecoute, Jeff… Tu es bien assis ?
- Ma foi, oui !
- Allume-toi une cigarette et écoute !
- C’est fait…
- Je me suis souvenu de la tête de Josef Kassan… Un grand gamin maigre… Ce Kassan, Portzamparc, je mets ma main à couper que c’est le Somnambule en personne !
- Vous rigolez !
- Ma main à couper, Jeff ! Un grand maigre, victime des expérimentations sadiques du professeur Heindrich ! Le Somnambule en personne !...
Maréchal est tout excité et effrayé en même temps. Il a vécu avec Josef Kassan pendant plusieurs semaines. Il devait y avoir aussi Herbert, et Horo, le Passe-Muraille. Et lui Maréchal est resté du bon côté de la loi, alors qu’eux sont devenus des criminels… Sauf Herbert à cause de son amnésie. Mais Herbert avait continué, sur ordre de Horo, à utiliser des machines sûrement construites par Heindrich !...
Et ensuite, Herbert qui s’acoquine avec le Somnanbule ! Le Somnambule qui parvient à son tour à se soumettre Herbert ! Et Maréchal qui délivre ce tueur aux dons de prescience !

Fatigué, Maréchal souhaite bien du courage à Portzamparc.
- Reposez-vous bien.

Portzamparc remonte dans sa chambre. Il jette un œil par la porte de communication chez Linus : ce dernier s’est endormi sur son travail. Par la fenÊtre, le policier voit alors deux hommes en imperméables qui montrent leur plaque au gérant de l’hôtel et qui montent les escaliers.
Portzamparc prend son arme et la glisse à l’arrière de son pantalon. On frappe à sa porte. Il ouvre. Les deux hommes montrent leur plaque :
- Je suis l’inspecteur Jonson, et voici mon collègue le détective Jonson. Détective de Portzamparc, nous avons plusieurs questions à vous poser concernant votre stage à la police judiciaire.
Portzamparc ne dit rien et met son manteau. Il a reconnu les plaques : c’est l’inspection des services de police, autrement dit OBSIDIENNE... La police d’Etat qui fait presque autant trembler les honnêtes gens que les criminels.

Le policier ne réveille pas Linus, ne montre pas qu’il le connaît et il suit les deux Jonson dans leur voiture à cheval.
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#7
Un texte from Costa Rica, respectpasmal
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#8
Pour la suite, je ne me souviens plus bien comment Portzamparc s'est sorti de son procès. Il y a eu un manque de preuves ou je ne sais plus quoi...Gne
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#9
DOSSIER #10


Le procès Portzamparc !
Maréchal se frotta les yeux en lisant ce titre. La revue interne de SÛRETÉ n’était portée sur l’humour, surtout vis-à-vis des collègues. C’était un bi-mensuel sérieux, qui ne s’autorisait guère de plaisanterie qu’une fois par an, sur le commissaire Ménard (et encore disait-on que c’était le commissaire lui-même qui écrivait les billets gentiment satiriques concernant sa moustache et son tour de ventre).
Le procès de Portzamparc… Maréchal avait appris que son collègue avait été interrogé voilà bientôt deux semaines. Mais Maréchal avait eu une rechute ces derniers temps. Affaibli, il avait perdu conscience de ce qui se passait hors de la clinique. A vrai dire, on faisait tout pour le couper du monde extérieur. Il devait rester assis dans la chaise longue de la plage de sable gris.
(Deux choses d’ailleurs le gênaient dans le paysage : les vagues et la frégate de patrouille de la marine lunaire !
En effet, Maréchal ne supportait pas la mer et ne pouvait pas voir les militaires. Architecte, il aurait aussi fait couler une plaque de béton sur cette plage, pour rendre les lieux plus civilisés...)

Donc, le procès Portzamparc… Son collègue devait répondre de l’accusation d’association de malfaiteurs !
C’est deux jours avant le procès que Maréchal put parler au détective. Il se doutait que les agents d’OBSIDIENNE étaient à l’écoute.
- Comment peuvent-ils croire que vous vous soyez fait le complice du Somnambule !
- Le commissaire Weid a disparu, n’oubliez pas… Ils disaient qu'il n'y a pas de preuve que j'y étais envoyé comme infiltré. Et des gens d'OBSI surveillent la bande du Somnambule...
- Ils feraient mieux de l'arrêter ! Quant à Weid, sa mort n’a pas été reconnue...
- Non, mais ce n’est pas si simple…
- Je ne comprends pas.
Maréchal enrageait d’être comme cloîtré sur cette plage. Il aurait voulu se lever, aller faire un scandale au quai des Oiseleurs !
- J’avais en ma possession le document certifiant que nous étions en stage à la brigade spéciale, dit Portzamparc. Il était dans l’ordinateur du commissaire. J’ai pu le récupérer après l’incendie à Névise.
- Et ensuite ?
- Ensuite, disait Portzamparc, las, j’ai été interrogé par ces messieurs, longuement…
- Ouais, pas facile de se retrouver du mauvais côté de la table, n’est-ce pas ?
- Comme vous dites. Je leur ai brandi ce papier bien sûr. Pour prouver que j’étais infiltré dans la bande du Somnambule…
- Oui, oui…
- Mais, comment dire ?...
Maréchal n’avait jamais entendu son collègue si désemparé. Lui d’habitude si solide, si sûr de lui, il en avait pris un sacré coup !
- Le commissaire est mort, inspecteur.
- Il est mort finalement ? Je croyais que non !
- Il n’a pas pu mourir dans l’incendie de Névise… Il n’a pas pu nous recruter dans sa brigade…
- Explique-toi, Jeff !
Maréchal était à bout !
- Inspecteur, le commiassaire Weid est mort il y a quarante ans…
- Quoi ?
Maréchal s'était presque levé de sa chaise, mais ses jambes affaiblies le firent se rasseoir aussitôt.
- Il est mort il y a quarante ans ! Le commissaire Weid a été incinéré il y a quarante ans, en bonne et due forme. Mort en service, alors qu’il enquêtait sur les agissements d’un certain docteur Heindrich !

Portzamparc avait vidé son rouleau. Maréchal ne sut pas quoi répondre.
- … j’ai vu son dossier, inspecteur. Vous pensez bien que ces messieurs se sont empressés de me le montrer. Il est mort en 167. C’est certifié, rien de trafiqué.
- Mais enfin quel escroc arriverait à se faire passer pour un commissaire de police ! Je sais bien que la brigade spéciale est aussi la brigade fantôme mais enfin !...
L’inspecteur ne savait plus quoi dire. Il bafouillait, excédé. L’infirmière, qui lui avait apporté le parlophone sur la plage, s’approcha de lui pour lui dire de se calmer. Elle le pria de raccrocher. Portzamparc avait entendu :
- Je vous laisse vous reposer... Mon procès est dans deux jours. J’ai fait appel à un bon avocat. Un cousin de Lucie de Whispermoor. Nous avons mis au point une ligne de défense.
- Si je pouvais, je viendrai tenir en joue les jurés pour les aider à rendre le bon verdict, détective !
- Je le sais bien, fit Portzamparc, souriant d’un air las.

Maréchal raccrocha.
"Engagés par un commissaire fantôme..."
L’infirmière rembobinait le fil du combiné et l’aida à se lever. La frégate de la marine passait, avec le pavillon de deuil hissé, qui resterait là tant qu’on n’aurait pas retrouvé l’assassin de l’amiral de Villers-Leclos.

*

Maréchal resta confiné dans sa chambre deux jours de suite. C’est lui qui ne voulait plus sortir. Il ne voulait plus que ses quatre murs, ses draps, ses cigarettes ! Il ne comprenait rien à ce Léopold Weid, cette légende, ce fantôme ! Il en avait pris un coup sur le système, comme le détective.

Il repartit dans ses souvenirs, lors de longs moments de sommeil qui l’empêchèrent de distinguer le jour de la nuit. Ses raisonnements de flic se mélangeaient à ses souvenirs d’enfance.
Il s’était échappé du Halo. A ce moment, Heindrich était en vie. On était vers 195. Et Heindrich avait vraisemblablement tué Weid vers 167. Admettons qu’il jouissait d’une longévité exceptionnelle. Un Scientiste comme lui… Il avait peut-être trouvé l’élixir de jouvence !
Bref, Maréchal s’était échappé de son repaire il y a 12 ans de cela. Comment ? En ouvrant les murs ! Rien de plus simple !
La clef des champs ! Le rêve des écoliers ! La grande évasion !

Et puis quoi ?... Antonin avait retrouvé Nelly. Elle l’avait serré dans ses bras. Le garçon était fou de bonheur. Le reste de la bande était jaloux… La vie avait repris son cours normal pour les gamins des rues. Antonin allait sur ses 14-15 ans.
Il n’osait toujours pas faire ses avances à Nelly. Il avait le temps… Il le dirait pour son anniversaire des 16 ans. Admettons des 18. 18, c’était bien.

Deux ans après son évasion incompréhensible, Antonin était sur un mauvais coup avec Nelly. Ils s’attaquaient au bourgeois. Un gros coup. Une villa entouré d'un grand parc, avec un arrosage automatisé, dans un quartier bien au-dessus de leur terrain de chasse habituel. Le propriétaire était en vacances, selon un informateur de la bande des Rôdeurs Invisibles. Antonin devait surveiller pendant que Nelly, la plus agile, escaladerait le mur et irait se servir dans l’argenterie et les cigares du salon.
Nelly avait souplement fait son chemin jusqu’à la moitié de la pelouse et s’était tapie dans un buisson pour observer, quand un sifflet retentit dans la rue. Pétrifié, Antonin avait failli s’enfuir, mais il ne pouvait laisser son amie !
- Casse-toi ! avait-elle lancé. Tire ton plan ! On se retrouve au refuge !
« Ils » ne savaient pas qu’elle était dans le jardin, elle pouvait disparaître… Antonin devait penser à sauver ses miches ! Mais cette fois, les Pandores avaient été les plus rapides. Ils l’avaient coincé à un coin de rue, et l’avait menotté. C’était la première fois qu’Antonin se faisait prendre… Il inventait déjà une excuse à sa présence, il se répétait que les cognes n’avaient pas de preuve… Il y avait quatre gros gaillards autour de lui, qui ricanaient d’avoir attrapé un asticot (Maréchal n’avait jamais été le costaud de la bande…).

- Ne le serrez pas trop fort, messieurs…
Lui, c’était quelqu’un qui parlait bien. Il était mieux habillé et il avait une belle plaque, l’imperméable et le chapeau feutre des policiers de la « haute ». C’est ce jour là que Maréchal était tombé amoureux de « l’uniforme » des membres de SÛRETÉ. Une classe, une distinction, qui vous met au-dessus du petit peuple vulgaire...

- On va parler toi et moi… Faites-moi un peu de place, messieurs, je vous en prie. Surveillez plutôt cette honorable demeure…
Les quatre Pandores s’étaient écartés et Maréchal avait écouté, fasciné par cet homme si élégant et si sûr de lui.
- Tiens, regarde ma plaque. Inspecteur Pierre-Marie Crimont. De la Brigade mondaine, ça te dit quelque chose ?
- Oui, c’est vous qui vous occupez des filles qui sont sur le trottoir.
- Exactement, jeune homme, exactement…
Il parlait d’un ton chaleureux, pas si paternaliste que ça.
- Écoute, je vais t’étonner, mais toi et moi, on a des intérêts communs ce soir.
Maréchal avait reniflé de mépris.
- La villa où ta copine et toi vous apprêtez à rentrer (Maréchal pouvait deviner Nelly, immobile dans un coin du jardin), est occupée habituellement par un type disons… franchement dégueulasse. Tu comprends ?
- Comment dégueulasse ? Il ne se lave pas ?...
- Pas tout à fait, rit l'inspecteur Crimont. Disons que si mes informations sont exactes, il aime bien les jeunes filles. Et même les fillettes, tu vois... Il a des tas de photos répugnantes chez lui, où on voit des gamines subir des atrocités… Je pense que je n’ai pas besoin de détailler.
- Oui, j’en ai entendu parler. Elles se font enlever et on dit qu’elles finissent chez des aristos qui les mangent…
- Dans la rue, vous êtes au courant de tout, dit l'inspecteur sans une pointe d'ironie. Mais tous les pédophiles ne sont pas cannibales...
Antonin avait peiné à comprendre ces deux derniers mots.
Ils avaient encore parlé deux minutes et fumé une cigarette ensemble. Puis Maréchal, tout seul, sous le regard de l’inspecteur Crimont, était allé au mur de la villa et avait appelé Nelly.
- Antonin, sale traître ! T’es jaune jusqu’à la moelle, fumier !
- Nelly, écoute-moi ce n’est pas ce que tu crois !
L’entêtement de Nelly… Il avait fallu parlementer. C'était ça ou la nuit au poste, le procès et le bagne !
Elle avait accepté de jouer le jeu. Elle était ressortie avec son sac plein d’argenterie, et avec une enveloppe bien épaisse.
- Ceci est à moi, avait dit Crimont gentiment. Le reste, le service à thé, c’est la dot pour votre mariage j’imagine…
Clin d'oeil. Les deux adolescents avaient rougi. Nelly allait protester mais les Pandores lui firent signe de se taire.
- J’ai quand même mon mot à dire sur ce que je vous livre, dit Nelly, effrontément. D’une, je ne savais pas que la flicaille avait les numéros des coffres des bourgeois (Crimont souriait, s’allumait une cigarette et en tendait une d’autorité à Maréchal). Deuzio, j’ai pas tout de suite dans le salon les papiers contenus dans c’t’enveloppe. J’ai juste jeté un œil dans le jardin, ben c’est drôlement à gerber ! Il vous faut ça à vous pour vous palucher ! Des gamines dans des sièges de torture ?
- Je ne t’ai pas obligée à regarder le contenu de cette enveloppe, jeune fille. Tu devais seulement me l’apporter... Maintenant, file ! Allez, ouste ! Trisse !
- Et lui, il vient avec moi !

Crimont sourit :
- Non.
Maréchal allait réagir. Trop tard, les Pandores le ceinturaient de nouveau. Antonin cria à Nelly de filer et celle-ci, blanche de rage, prit ses jambes à son cou. Antonin se débattit comme il put, mais il fut emmené dans la voiture, serré entre deux armoires à glace. Il ne trouvait plus dans son répertoire d’injures assez fortes pour Crimont, qui était parti de son côté avec une autre voiture.
Antonin passa la nuit au poste de Pandores, et fut interrogé le lendemain.
- Maréchal, Antonin, disait un petit planton terne, c’est bien toi.
Il avait une mauvaise cigarette à la bouche, les dents jaunes. Il tendit, dans la vilaine lumière du poste de police, à notre héros en culottes plus si courtes, un avis de recherche.
- Recherche dans l’intérêt des familles, bâilla le fonctionnaire. On s'inquiète de toi... Donc ta famille va venir te chercher, et si elle veut t’éviter la tôle, elle payera une amende pour sa négligence, vu que tu as été trouvé en état de vagabondage. Et comme tu es encore mineur...
- Je n’ai pas de famille ! Mon père est mort comme un saoulot qu’il était et ma mère a fini dans un institut !
Le fonctionnaire haussa les épaules et fit raccompagner Antonin à sa cellule. Il se replongeait dans son journal et ordonna deux fois au prisonnier d’arrêter de secouer les barreaux de sa cage.
- Ils ne vont pas s’ouvrir comme ça, tu sais…
Il cracha par terre et tourna sa page.

Antonin avait attendu une journée entière l’arrivée de sa famille. Qui pouvait encore se souvenir qu’il existait ?... Il était orphelin...

Tante Myrtille !... La sœur de sa mère ! C’est elle qui était venue le chercher ! Elle avait payé la caution. Et elle avait repris en main son éducation. Antonin logerait chez elle le temps de redevenir un peu civilisé d'aspect.
Première rencontre depuis presque sept ans avec son cousin Gérald. Sept ans de rue, sept ans dans un autre monde ; sept ans de rêve, de jours sans pain, de rapines, de peur et de joies ; sept ans d’un long voyage qui prit fin dans une chambre de l’internat le plus dur d’Exil, dans le quartier des Souffleterres, à 700 mètres au-dessus de la Cité-Machine.

*

Acquitté !

Madame de Portzamparc étreignait son mari, et tous les collègues du quai des Oiseleurs se levèrent en silence.
Un silence de mort et des regards assassins qui frappèrent les agents d’OBSIDIENNE, qui disparurent par une petite porte. Aussitôt ceux-ci partis, Portzamparc fut invité à offrir sa tournée au bistrot en face du palais de justice.
Les collègues venaient faire corps avec lui. Le détective paya son coup et passa un rapide coup de fil à Magott Platz pour mettre le commissaire Horson et l’inspecteur Novembre au courant. Puis il appela la clinique de la Vague Noire, où on lui apprit que l’inspecteur Maréchal était absent pour la journée. Il avait obtenu un droit de sortie mais dormirait encore une bonne semaine à la clinique.

Le procès avait duré trois jours, et il y avait eu des moments houleux. Portzamparc était resté parfaitement maître de lui-même, malgré l’invraisemblance de cette histoire. Maître de Whispermoor avait su retourner l’accusation d’irrationnel contre la partie civile. Le commissaire Weid était mort dans un incendie tout récemment, pas il y a quarante ans ! L’ordre de mission de Portzamparc était signé de sa main ! Et pendant qu’on mettait en doute l’intégrité d’un policier dont le dévouement à la Cité était irréprochable, le Somnambule courait toujours !

Dans une forme éblouissante, galvanisé de plus par le fait que Portzamparc avait dans le temps soutenu sa cousine Lucie, l’avocat avait utilisé l’accusation latente de racisme (les origines autrelliennes de Portzamparc), pour déconsidérer les gens d’OBSIDIENNE.
- S’attaque-t-on à un fonctionnaire d’Exil ? Alors c’est fort imprudent et insultant pour ADMINISTRATION !... S’attaque-t-on à un soi-disant étranger ? Alors on oublie qu’il a mérité sa nationalité exiléenne ! Il ne l’a pas reçue de naissance, il l’a obtenue à la force du poignet !... Et un étranger de naissance qui défend le citoyen, sa sécurité, ses propriétes, ses enfants, cet homme n'est pas un étranger !

Le jury n’en revenait pas de pouvoir clouer le bec à la police d’Etat ; les douze hommes et femmes découvraient derrière des agents de l’ombre tout puissants de simples fonctionnaires ; ils avaient soutenu Portzamparc. L’avocat avait réussi à mettre au jour un acharnement injustifiable contre un fonctionnaire vertueux !

- Allez, on boit à ta santé, Jeff ! Ce n’est pas tous les jours qu’on a raison contre eux ! Ils n’y reviendront pas de sitôt, crois-nous…

Le lendemain, Portzamparc reprenait son service à la brigade des rues. Il fut entendu par le commissaire, qui décida d’enterrer l’affaire.
- Vous luttiez contre le Somnambule, et c’est bien l’essentiel, détective.
L’inspecteur Lanvin était là aussi.
- D’autant qu’il y a du pain sur la planche, mon vieux. Le Somnambule court encore et toujours… Trois braquages revendiqués ce mois-ci. Le juge ne dort plus, et les honnêtes gens nous appellent sans arrêt…
- Je peux retrouver le Somnambule, dit Portzamparc. Il va vouloir se venger de moi. Il me hait pour ce que je lui ai fait. Je vais le pousser à l’erreur.
- Non, trancha Lanvin. Fini de jouer solo. On bosse en équipe dans la rue, je te rappelle, ou on se fait bouffer par la rue. Et si tu as des informations à nous fournir, tu vas nous les noter noir sur blanc, qu’on reparte sur de bonnes bases.
Portzamparc fit semblant d’accepter, mais il n’en pensait pas moins. Il avait son plan de guerre sur pied. Il attendait juste Maréchal...

- Faites un peu ce que vos supérieurs vous disent, Jeff…
C’était le type goguenard de son réseau, au parlophone.
- Faites le mort pour le moment. C'est-à-dire, faites le bon flic, procédurier et incompétent comme il se doit. Vous ne l’aurez pas le Somnambule, jamais ! Vous le savez bien !...
- Il nous voit venir. Il lit l’avenir !
- Hé oui, Jeff. C’est comme à la Manigance, vous qui êtes champion de ça… Il lit dans votre jeu. Il a trois coups d’avance ! Il voit l’avenir, et vous les flics, c’est à peine si vous voyez le bout de vos chaussures !

Portzamparc fit tout pour reprendre son train-train. Il reprit ses surveillances de rue, de banques, de magasins. Sa femme le sentait tendue, mais elle pensait que c’était la traque au Somnambule, dont on parlait chaque jour à la radio, qui le tiraillait ainsi.
Ce n'était que partiellement vrai. Ce qui se passait était que Portzamparc en faisait une affaire personnelle. Lui n'était pas devin mais il savait que c'était pareil pour le Somnambule.

A la Vague Noire, Maréchal retrouvait ses jambes. Il marchait de mieux en mieux. Il avait même f-exploit inédit- fait des exercices physiques pour se remettre complètement. Il avait diminué la cigarette.
Lui et Portzamparc se parlophonaient maintenant chaque jour. Au cas où on les écouterait, ils censuraient leur conversation mais ils se comprenaient. Ils commentaient d’une phrase les dernières nouvelles de la bande des braqueurs et cela leur suffisait.
- Le Somnambule devrait écrire lui-même le journal de demain…
- Dès qu’il aura braqué une imprimerie, il pourra le faire !
- Comment se passe la surveillance des gares ?
- J’ai appelé le Somnambule tout à l’heure pour savoir quels trains seront en retard ce soir !

*

Deux semaines de plus passèrent. Maréchal put rentrer chez lui. Il retrouva son logement de fonction en face du quai. Tante Myrtille et Gérald l’invitèrent plusieurs fois à manger. L’inspecteur dut se réhabituer à vivre seul.
Il voulait retrouver Nelly. Il l’avait perdue une première fois cette nuit où il avait fait connaissance avec l’inspecteur Crimont, il l’avait une seconde fois perdue après l’avoir retrouvée au Bazar Moderne.

Maréchal resta chez lui pendant des jours, comme un petit vieux, avec sa radio et son journal. Il croisait madame de Portzamparc, qui lui fit ses courses plusieurs fois. Elle insistait et s’imposait avec assurance et douceur. Maréchal se disait que Portzamparc avait bien de la chance de l’avoir. Mais lui n’aurait pas voulu d’une femme comme elle. Elle était belle, intelligente, mais trop rangée.

Il y eut une nuit chez Emma. La première depuis des lustres. L’inspecteur n’avait eu qu’a pousser la porte de son séjour et il était assis sur un tabouret au bar. Emma saluait le retour de son meilleur client, en s’excusant qu’à cette heure, la salle soit encore froide. Le pianiste était à sa place avec sa voix grumeleuse.
- Je suis allé à l’hôpital de Saint-Jamme, voir ma chérie là-bas… si douce, si blanche, si froide, Exil ait son âme !...

Une nuit à l’ancienne…
C’était enfin le soir où Maréchal se sentit d’attaque. Il était prêt à reprendre du service. Il était encore arrêté pour un bon mois, ce qui n’allait pas l’empêcher de reprendre ses expéditions nocturnes. Il donna rendez-vous à Portzamparc le lendemain dans un petit bistrot.

- Alors, Jeff ? Le Somnambule n’est pas encore sous les verrous !
Le patron offrait le verre de retour à Maréchal. Portzamparc s’assit, fatigué après sa journée. Il avait passé ses heures réglementaires dans la foule sur les quais de la station Gerold Pankras, et il en avait plein les godasses !
Maréchal avait le journal sous les yeux : « Le Somanmbule continue d’empêcher la police de dormir !"
- Si les gratte-papiers se mettent à faire de l’esprit…
- C’est le juge qui va devenir somnambule s’il n’arrête pas bientôt de rêver qu’il coffre la bande.
- Il n’y arrivera pas, dit le détective. Même Lanvin, avec tout le respect que j’ai pour lui…
- Tiens, lis ça… Pendant que tu arrêtais les resquilleurs de la 3e classe, on apprenait qu’il y a quatre jours, la caisse des dépôts et consignations a été braquée. Le président ne s’en est pas vanté, vu qu’il piochait déjà dedans... Le Somnambule est un farceur. Il savait à qui il s’attaquait…
- Il n’arrêtera pas tant que nous n’irons pas le chercher.
- Sûr, dit Maréchal, mais à l’heure qu’il est, il sait déjà, avant nous, quel plan on va mettre au point.
- Il voit des choses, oui, mais il n’est pas omniscient…
- Reste poli !
- Il a des moments où il voit les choses avant tout le monde. Mais il ne déchiffre pas non plus dans l’avenir comme dans un livre.
- Alors on peut encore écrire le prochain chapitre ! lança Maréchal.
- Et comment !
Les deux hommes vidèrent leur verre.
- Il faut reprendre à l’ origine. Là où ça a mal commencé pour Josef Kassan. Il faut aller fouiller dans le Halo.
- Chez Heindrich, donc.
- Oui. Il est mort lui, normalement...
- Ho, ces derniers temps, dit Portzamparc, on ne sait plus bien ni qui vit ni qui meurt...
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#10
Mmmh du bon résumé de retour, ca envoyait du lourd cette campagne d'Exil!!!
Je vois bien Maréchal braquer le jury au moment où il rend son verdict

Quote:Vous être sûrs messieurs?
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