Les premiers pas de Tsuruchi Sarutobi
Episode I - Le retour de la Guêpe
L’heure du Serpent était déjà bien avancée. Tsuruchi Sarutobi, les bras ankylosés et les cervicales raidies par une soirée dont il ne gardait – encore une fois – que peu de souvenirs, s’extirpa avec difficulté de son futon sous le feulement de la matrone des lieux. Elle entretenait avec poigne une mauvaise bicoque du Quartier de la Halte qui hébergeait le plus souvent des samouraïs de passage, issus de petites familles vassales des maîtres de la Mante.
- Levez-vous Tsuruchi-san, je dois préparer la chambre, la maison est complète ce soir…
- Konichi-wa, Achiraku répondit Saru dans un entrebâillement à peine masqué. Avons-nous entamé l’heure du Dragon ?
- D’ici quelques minutes l’heure du Serpent sera écoulée, et vous allez être en retard à votre entrevue si importante que vous avez pris la peine de m’en parler 10 bonnes minutes avant même d’aller vous coucher tôt ce matin…
- Par tous les dards de Rokugan, vous auriez pu me lever plus tôt ! Saru se leva d’un bon et enfila à la hâte les seules pièces d’armure sur lesquelles il fixait son Daisho, son arc long ainsi que l’arbalète de poing dont le mécanisme s’activait via sa main gauche.
- Je n’ai pas le temps de mettre le reste, s’il vous plait laissez mes affaires dans un coin, je passerai les récupérer après mon rendez-vous et je vous paierai la chambre, avec un petit supplément !
La vieille Achiraku opina du chef non sans montrer moult signes d’agacement. Saru acquiesça, fit un arrêt rapide au point d’eau pour rafraichir son visage marqué par une courte nuit et une grande quantité de saké, puis se rua à dos de cheval jusqu’au Quartier du Croc Tonnerre.
Kyuden Gotei est sans aucun doute la cité la plus cosmopolite de tout l’empire Rokugani. Bien que Bakufu soit désormais une digne concurrente, la dimension politique l’empêche de rivaliser avec l’authentique mélange des origines qui rythme la vie de la capitale des Mantes. Chaque coin de rue pouvait amener un changement de décor complet, allant du temple traditionnaliste vénérant les 7 fortunes de l’Empire jusqu’au comptoir moderne occidental dont les poutres en métal reflétaient et accentuaient les rayons puissants de Dame Soleil. Sarutobi s’était habitué à ce décor hétéroclite et n’y faisait, pour ainsi dire, même plus attention. Depuis l’intégration de son clan au sein des Mantes, il n’était pas rare de croiser quelques samouraïs de la Guêpe ici à Kyuden Gotei. Ils entretenaient quelques bicoques dans le Quartier de la Halte dont les matrones réservaient, en contrepartie, bon accueil aux samouraïs de passage. Malgré leur faible nombre, la Guêpe était respectée dans ce quartier, et les membres du clan ne manquaient aucune occasion de le rappeler aux sots qui tentaient quelques approches dans les environs. Mais, aujourd’hui, Sarutobi-san n’avait aucune intention de ce type. Il devait enfin rencontrer l’entremetteur qui allait lui offrir une position à Bakufu. Cela faisait plus de 2 ans qu’il n’était plus retourné au nid et qu’il n’avait plus revu Aiko. Aiko… Il y a 7 ans, lors de son premier séjour à Bakufu, elle avait pris soin de lui alors qu’il souffrait de multiples blessures qui auraient dû lui être fatales. Elle n’était alors âgée que de 7 ans mais elle savait déjà prodiguer des premiers soins. La constitution de Sarutobi san fit le reste. Depuis il s’était juré d’aider cette gentille orpheline à améliorer son sort. Il l’a donc officiellement adopté et elle portait désormais le nom de Tsuruchi Aiko.
Le vrombissement d’un vieux moteur encrassé, ainsi que la nauséabonde odeur de charbon qui s’en dégageait, le fit sortir promptement de ses douces pensées. Il embarqua sur une immense pagode qui opérait régulièrement une navette vers le quartier du Croc du Tonnerre puis galopa plusieurs minutes en direction de la résidence de la magistrature d’émeraude. Il vérifia une dernière fois l’adresse exacte sur le papier envoyé par l’intendant de la Mante puis attacha son cheval à l’angle de la Pagode du courroux céleste. En quelques enjambées, il franchit la rue le séparant de l’intendance du clan de la Mante puis il signala sa présence au yoriki de garde devant la porte :
- Konichi-wa, je suis Tsuruchi Sarutobi et je suis venu à la demande de Yoritomo Rendan sama.
Le garde lui fit signe d’attendre quelques instants, le temps de consulter un registre qui devait certainement lister le nom de chaque personne attendue aujourd’hui par l’intendance.
- C’est bon vous êtes sur la liste, vous pouvez entrer. Vous laisserez vos armes aux gardes à l’entrée du bâtiment.
Le garde poussa la grande porte en bois avec difficulté puis invita Sarutobi à rentrer.
L’intendance de la Mante jouissait d’un des plus beaux palais de l’île, mélangeant savamment un style rokugani traditionnel, dans la forme carrée du bâtiment, avec un ensemble de décorations hétéroclites via lesquelles chaque visiteur pouvait aisément trouver référence à sa propre culture. Sarutobi traversa cahin caha le jardin en prenant soin de ne pas abîmer la flore des lieux parfaitement entretenue. Il arriva devant l’entrée où le garde pris soin de le débarrasser de toutes ses armes.
- Pas de bêtise à l’intérieur, tous les gardes sont équipés de kakiyari.
- Je suis ici sur la demande expresse de Rendan sama, je n’ai aucune intention de déclencher une quelconque rixe en ces lieux, lui répondit Sarutobi sur le ton de la réprimande…
Le garde ouvrit la porte d’entrée et invita Sarutobi à y pénétrer. Il fut rapidement conduit par un serviteur dans une des nombreuses salles d’attente que devaient compter l’intendance.
- Rendan sama va vous recevoir, vous pouvez patienter ici.
Sarutobi prit place sur un des futons pendant que le serviteur lui amena une tasse de thé pour patienter. Ce n’était pas le genre des samouraïs de la Mante de faire attendre les gens pour respecter un quelconque protocole, ils prônaient plutôt l’efficacité dans le traitement des affaires ce qui était le plus souvent apprécié par les Gaijins qui venaient ici traiter avec Rokugan. Sarutobi eut à peine le temps de terminer son thé qu’il fût déjà appelé par un serviteur pour rejoindre Yoritomo Rendan. Les 2 samouraïs s’étaient croisés une fois par le passé, et il était difficile d’oublier Rendan sama tant sa carrure imposante n’avait rien à envier aux plus robustes combattants du Crabe ! Bien sur les Mantes était à l’origine des membres du clan du Crabe, mais Rendan restait quand même hors des proportions standard pour une Mante. La Mante attendait Sarutobi depuis un confortable fauteuil attenant à un bureau en bois sur lequel on trouvait toutes sortes d’objet apportés par les Gaijins des 4 coins du monde.
- Konichi-wa, Tsuruchi Sarutobi, je te souhaite la bienvenue dans le Palais de l’Intendance, rugit la Mante
- Konichi-wa, puissant Rendan sama, je te suis reconnaissant de me recevoir dans ta très belle demeure
- Bien, je me suis laissé dire que tu recherchais un moyen pour pouvoir retourner à Bakufu. Si tu es toujours intéressé, j’ai quelque chose à te proposer
- Vos informations sont correctes Rendan sama
- Parfait, alors tu ne pourras pas refuser ce que j’ai à t’offrir ! Rendan n’avait pas dit cela sur le ton de la menace, même si son expression corporelle pouvait laisser présager le contraire, il ne s’embarrassait en réalité pas de la politesse Rokugani traditionnelle.
- Alors je t’explique ; l’intendant des affaires courantes de l’ambassade de la Mante à Bakufu cherche à rapprocher autour de lui quelques personnes pour mener à bien des opérations de pacification. Des tensions sont apparues récemment et il s’agit de s’assurer de la sécurité de nos alliés, et surtout de la mauvaise santé de nos ennemis hahaha !
- Alors je suis votre homme, répondit fièrement Sarutobi. Quand dois-je partir ?
- Tu es attendu au plus tôt. Dès demain matin un ballon décollera du quai d’appontage de la Flotte sur l’île de la première Tempête, j’ai signé une autorisation spéciale de transport pour toi, tu seras à Bakufu le soir même.
- Merci Rendan sama pour ton aide, je serai digne de ta confiance.
- Je n’en doute pas Sarutobi san…
Enivré par l’idée de revoir dès demain sa fille adoptive, Sarutobi repartit en direction du quartier de la Halle. Il voulait passer sa dernière nuit dans son quartier, il arriverait bien à convaincre la vieille Achiraku de lui trouver un endroit pour rester là-bas encore une nuit… En arrivant devant la bicoque de la matrone, il aperçut un attroupement de chevaux, chose étrange à ce moment de la journée. En entrant il vit 4 hommes tatoués se tenant debout devant Achirako, agenouillée et le visage tuméfié par les multiples coups des Yakuzas.
- Interromps-je quelque chose ? demanda Sarutobi
- Tu ferais mieux de déguerpir en vitesse si tu ne veux pas avoir de problème l’ami, répondit sèchement l’un des 4 hommes blafards
- Achirako san, je suis venu te payer ma dette pour ma dernière nuit ici, et je souhaitais te demander une chambre pour encore une nuit supplémentaire, mon départ ne se fera finalement que dem...
- Casse-toi abruti, le coupa un autre yakuza, sinon tu vas y laisser ta p…
L’odieux mafieux n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’une flèche se planta en plein milieu de son front. Il s’effondra raide mort. En rangeant son arc, il s’adressa aux 3 yakuzas restant :
- Sachez qu’il est très malpoli d’interrompre un samouraï lorsqu’il s’adresse à son hôte
2 yakuzas tirèrent une lame pendant que le 3ème se préparait à user de son kakiyari
- Qui es-tu demanda le plus grand des yakuzas ?
- A quoi te servirait mon nom, murmura Sarutobi, tu es déjà mort…
Les 2 yakuzas se jetèrent simultanément sur Sarutobi. D’un rapide mouvement du bras droit, il renversa une table devant lui, posa son bras gauche sur un des bords puis déclencha le tir de carreau de son arbalète qui faucha sur place le premier assaillant. Il eut à peine le temps de retire sa main avant que la lame du second Yakuza ne coupe proprement la table en 2. Sarutobi prit son katana dans sa main droite, puis après avoir feint une attaque à la nuque, rompit promptement les 2 tendons d’achille du mafieux qui s’écroula en se vidant rapidement de son sang. Le dernier Yakuka tremblait en tentant d’armer son kakiyari. Voyant Sarutobi avancer vers lui et comprenant qu’il n’aurait pas le temps de tirer avant qu’il ne soit trop tard, il lâcha son arme, se mit pressamment à terre pour réclamer son indulgence et sa pitié.
- C’est ton jour de chance, Yakuza, tu vas rester en vie pour délivrer un message à tes amis dit Sarutobi en saisissant le kakiyari sur le sol et en le rangeant à sa ceinture.
- Tout ce que vous voulez seigneur…
- Bien tu leur diras que la prochaine fois qu’ils approchent d’une bicoque sous la protection du clan de la Guêpe, il n’y aura plus besoin de messagers pour leur adresser un avertissement, c’est bien compris ?
- Oui nous ne nous approcherons plus c’est juré.
- Ta parole n’a que peu de valeur, mais les minables dans vos genres sont trop attachés à leur vie pathétique. Déguerpis d’ici maintenant.
Sur ce le Yakuza se leva, et, alors qu’il était sur le point de prendre ses jambes à son coup, Sarutobi l’interrompit :
- Attends, tu n’auras pas besoin de ceci pour délivrer ton message…
D’un geste précis de Iaijutsu, Sarutobi lui trancha la main droite, qui retomba lourdement sur le sol. Le yakuza hurla de douleur, puis s’en alla en tenant son moignon dégoulinant de sang…
A suivre