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12-09-2008, 05:17 PM
(This post was last modified: 12-09-2008, 05:44 PM by Darth Nico.)
Exil #7
- Le cours des choses commence à s'accélérer pour nos deux policiers...
- Comment ça ? C'est un peu vague.
- Des criminels dangereux qui sont en haut se mettent à descendre ; ceux du bas s'apprêtent à remonter...
- Je ne comprends plus rien. Le haut et le bas de quoi ?
- Et les indices grimpent doucement sur la montre de Maréchal.
- SHC et les autres là ? Mais ça veut dire quoi, au fait tout ça ?
- Ce qui est sûr, c'est que l'adrénaline de Portzamparc n'a jamais autant grimpé !...
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
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12-09-2008, 05:18 PM
(This post was last modified: 12-09-2008, 05:41 PM by Darth Nico.)
EXIL
Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.
Créatures, anges, gouffres, orages :
L’insondable noirceur de l’océan
Noie les explorateurs du large.
Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant.
L'acier chauffe, la vapeur brûle et fuit.
Dans les profondeurs gisent des tombeaux anciens.
Chaque jour on bâtit des édifices cyclopéens
L'avenir est au Progrès, et la machine est dans l'esprit.
Rêves d'androïdes, humanoïdes des nébuleuses...
Trams, Cité des métamorphoses industrielles
Lune branchée à l’électricité universelle !
L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec--><!--/sizec-->
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12-09-2008, 05:19 PM
(This post was last modified: 01-10-2008, 12:10 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--/sizec-->
LE CHASSEUR POLAIRE<!--/sizec-->
SHC 4 - RUS 4 - IEI 5
- Un meurtre va être bientôt commis...
C'est la seule phrase qu'entendit Portzamparc avant que la communication ne soit coupée. Ou que son interlocuteur raccroche.
Il était tard. Trop tard, ou trop tôt pour se demander quelle heure il pouvait être exactement. Le policier, seul d'astreinte cette nuit, enleva les pieds de son bureau et se rassit normalement dans son siège. Il bailla et décrocha le parlophone. Il demanda le central de CONTRÔLE. Il entendit la voix robotisée d'un robot-répondeur :
- Oui, bonjour. Commissariat de Mägott-Platz. Je viens de recevoir un appel dont je voudrais identifier l'origine...
Portzamparc récita ses nom, prénom, matricule, remercia et raccrocha.
En l'état actuel, c'est tout ce qu'il pouvait bien faire pour traiter cet appel. C'est ce qui était d'usage, quand SÛRETÉ recevait une information dont l'auteur était aussi anonyme qu'imprécis. Et cela arrivait au moins deux ou trois fois par semaine.
Les services de CONTRÔLE étaient habitués à recevoir les demandes de localisation de la part de la police, mais ils n'en devenaient pas plus efficaces pour autant. On ignorait les raisons de ces défaillances. On disait que c'était soit des fautes d'origine humaines, car comme chacun le sait, les hommes ne sont pas aussi infaillibles que leurs machines. Ou bien que c'était la faute des machines, dont la capacité d'adaptation et d'inventivité n'est pas aussi élevée que celle de leurs créateurs.
Récemment, une commissions déléguée à l'amélioration des performances des intelligences-machiniques (IM) avait mise en place. Tous les services d'ADMINISTRATION avaient reçu la nouvelle sur leurs chromatographes. Puis une deuxième commission avait été chargée, en parallèle, d'améliorer la formation des fonctionnaires dans la manipulation des IM.
Aux dernières nouvelles, une troisième commission allait se charger de coordonner l'action des deux précédentes.
Portzamparc avait la tête pleine de ces histoires, alors qu'il remettait en marche la machine à café de la petite cuisine grise du commissariat. Il essayait de se souvenir de son dernier rêve, qui avait été très fort, très prenant et qu'il aurait bien continué, n'eût-été l'appel anonyme.
Alors que les gouttes noires tombaient lentement dans la cafetière, le détective se passait de l'eau sur le visage. Il entendit la porte s'ouvrir et un journal tomber sur la table.
- Salut, Jean-François...
C'était Novembre, son chapeau encore sur la tête et son imper à la main.
- La nuit s'est bien passée ?
- Rien de particulier à signaler, inspecteur. Juste un appel non-identifié.
- Bon...
Novembre fuma une cigarette en attendant que le café soit fini. Rampoix fut le suivant, puis Priscilla, la secrétaire, et Sampieri. Puis le commissaire Horson et l'inspecteur Maréchal.
L'équipe était au complet. La cuisine s'emplit des conversations du matin, décousues. Le commissaire fut le premier à se lever et à rejoindre son bureau. Il donnait l'exemple. Chacun alla à son poste.
Maréchal retrouvait son hamac, qu'il avait quitté quelques heures plus tôt. En entrant dans son bureau, Novembre lui retrouva le fouillis laissé la veille. Il arracha en maugréant la feuille de son calendrier et fit un nettoyage par le vide de ses affaires.
Sampieri tapait un rapport, Rampoix ouvrait son courrier. Maréchal attendait la fin de la journée.
Une heure plus tard, chacun ayant évacué ses petites affaires du matin, Novembre réunit tout le monde dans son bureau. Seul le commissaire restait à part, occupé à discuter avec un représentant de la mairie
- Les enfants, figurez-vous que c'est déjà le début du mois... Alors il va être temps de faire notre tour du quartier.
Novembre consulta le papier qu'il venait de griffonner :
- Rampoix, tu vas aller voir du côté du Charivari...
Ce qui signifiait : "aller relever les compteurs là-bas". Autrement dit encore : rappeler aux maquereaux opérant dans les hôtels miteux le prix de l'indulgence policière.
- Portzamparc, chez Gino...
Les noms s'égrenaient, et Maréchal n'entendait toujours pas le sien.
- Bon, ce sera tout. Les sommes collectées sont à remettre dans la boîte prévue à cet effet, comme d'habitude.
C'était un coffret blindé. Chaque mois, l'argent extorqué aux différents hors-la-loi du quartier partait à la caisse des orphelins de SÛRETÉ. C'est Boncousin, en son temps, qui avait institué cette règle.
*
Maréchal, qui n'avait reçu aucun ordre, décida d'aller s'assoupir dans son bureau. Il regrettait de ne pas être envoyé chez Gino : il serait bien allé se désaltérer. Bientôt, il n'y pensa plus et s'assoupit tranquillement.
Il fut tiré de ses rêves une heure plus tard par la sonnerie du parlophone. Il ouvrit un œil et prit le combiné.
- Allô Antonin ?...
Une voix de femme âgée !
Catastrophe !
L'inspecteur ouvrit l'autre oeil et s'assit correctement sur sa chaise, comme si son interlocutrice pouvait le voir !
Celle-ci parlait trop fort dans le combiné.
- Tu m'entends ?
- Oui, oui... je t'entends... Tante Myrtille !
- Oui, je t'entends. C'est moi, ta tante ! Tu m'as reconnue ?
- Mais oui, mais oui...
Il n'y avait bien qu'une personne pour appeler Maréchal à son bureau, c'était sa tante.
- Écoute, je voulais prendre de tes nouvelles !
- Parle moins fort, parle moins fort, je t'entends...
Maréchal avait l'impression que tout le commissariat l'entendait.
- Je voulais te dire que j'ai enfin décidé ton cousin Gérald à prendre des vacances...
- Ah bon ?
Cousin Gérald... Le fils de Myrtille, le cousin d'Antonin. Gros négociant en bière. Il avait repris une affaire, six ans plus tôt. Depuis, il travaillait comme un forcené mais son commerce, tout comme lui, prenait de la taille chaque année.
Mariée, quatre enfants (ou bien cinq ?), Gérald était l'incarnation du jeune patron prospère, à fumer le cigare dans son bureau en tirant sur ses bretelles.
- Oui, il se surmène tellement. Mais il a fini par entendre la voix de la raison... Il voulait partir dans une de ces stations balnéaires pour nouveaux riches, avec des casinos, de la musique, des filles... Mais là j'ai dit non. D'abord, ce n'est pas un endroit pour une famille, ensuite il aurait été fichu de passer ses loisirs à placer sa bière aux patrons de bistrots.
- Ah ça, connaissant Gérald...
- Donc nous avons choisi une autre destination...
Maréchal fit la grimace. Il sentait de lourds nuages planer au-dessus de lui.
- Nous allons venir chez toi !
- Chez moi !... Mais il n'y aura jamais la place !
- Tu m'as comprise, Antonin. Nous venons dans ton quartier. J'ai lu que Mägott Platz était très calme.
- Oh oui, c'est calme...
- Il y a un hôtel assez bien fréquenté, j'ai lu. Le Novö-Art...
- Oui, c'est vrai...
- Donc nous arrivons dans trois jours.
- Ah, trois jours...
- Et je me suis dit que ce serait bien que tu prennes des congés... si jamais il t'en restait à prendre.
- Oui, il m'en reste.
- C'est parfait. Je compte sur toi pour nous faire visiter, hein !
- Oh tu sais...
- Allons, je te laisse. Au revoir, Antonin !
Maréchal raccrocha, épuisé.
Le bien fou que pouvait procurer le silence !...
Il se frotta les yeux et soupira.
Tante Myrtille. Une femme à poigne, une veuve endurcie, une mère de famille inépuisable, et avec ça, un cœur en or.
C'est elle qui avait élevé son neveu Antonin. A l'époque, SÛRETÉ traquait le père Maréchal, qui s'était fait entraîner dans de drôles d'histoires. Il s'était démené comme un forcené quand les Pandores étaient venus l'emmener. Madame Maréchal, ivre dès le matin, riait bêtement, une cigarette à la bouche, dans son vieux peignoir cramoisi. Antonin était dans sa chambre : il avait regardé par la porte entrebâillée. Peut-être bien qu'un Pandore avait envoyé une claque à sa mère...
Celle-ci était morte peu après. Le foie, évidemment.
C'est tante Myrtille qui avait alors repris Maréchal en main. Puis celui-ci avait fugué. Plusieurs années. Il avait voyagé. Elle l'avait ensuite repris sous sa férule et avait décidé d'en faire un fonctionnaire. A cette époque, Gérald finissait ses études de commerce. Sa carrière était toute tracée, alors qu'Antonin ne savait pas où il allait. Comme il était débrouillard, et doué avec les armes à feu, il avait intégré SÛRETÉ.
Tante Myrtille n'avait jamais été aussi fière de sa vie, que quand elle avait vu son neveu ressortir de la cour du quai des Oiseleurs, en grande tenue, sa médaille de détective à la poitrine.
Ils étaient allés dans un grand restaurant.
- C'est le commissaire Ménard en personne qui vous a reçus ? avait demandé Gérald.
- Mais oui !
- Oh dis...
Depuis, Gérald s'était marié et avait fait quatre enfants à sa femme ; il employait déjà deux cents personnes. Ils siégeait au conseil municipal. Les bières Maréchal.
Le parlophone sonna. Myrtille de nouveau !
- Antonin, j'oubliais de te dire... J'ai lu qu'il y aurait le cirque bientôt, dans ton quartier... Alors évidemment, Gérald voudra y aller avec les enfants... Si tu pouvais réserver des places... Donc nous deux, Gérald, les cinq enfants, sa femme... Nous serons neuf !
- Neuf places, alors...
- Voilà, merci.
Maréchal avait "évidemment" horreur du cirque. Il eut un sourire de soupir et décida de se rendormir. A ce moment, comme pour réaliser les vœux de l'oracle tante Myrtille, on entendit retentir la fanfare des cuivres d'un cirque.
*
Portzamparc descendit le petit escalier en pierre qui descendait chez Gino. A l'intérieur, c'était calme. Quelques joueurs de cartes. Trois filles assise au fond de la salle, qui riait comme des gamines.
- Tiens, détective de Portzamparc...
Gino essuyait consciencieusement ses verres.
- Déjà le début du mois, Gino...
- Comme le temps passe...
Portzamparc empocha l'enveloppe que lui glissait le patron.
- Ça marche les affaires ?
- Doucement mais ça va...
- Rien de particulier à me signaler ?
Portzamparc était tracassé par cet appel anonyme. Celui-ci l'avait marqué, peut-être parce qu'il l'avait tiré du sommeil brusquement. A ce moment, Portzamparc rêvait ; il n'avait pas retrouvé son rêve et depuis, il se sentait mal réveillé.
- Non, rien, détective...
Portzamparc laissa Gino à sa vaisselle et partit faire un tour dans les galeries Dédale. Il y avait un bistrot qui venait d'ouvrir, tenu par un ancien Autrellien. C'était tout-petit, au fond d'une des rues protégées par une verrière. Une rue qu'on ne voyait pas forcément, qui vous surprenait, comme s'il y avait un passage dans les passages.
- Bonjour, détective.
Le patron savait qu'il avait affaire à un compatriote. Il lui servit un petit verre de la boisson du pays, une liqueur opaque que Portzamparc n'avait pas bu depuis qu'il était arrivé en Exil.
La neige d'Autrelles, c'était à cela qu'il rêvait quand il avait été réveillé par l'appel anonyme. Il revoyait ses années de caserne.
- Alors du nouveau ici ? demanda-t-il au patron.
- C'est plutôt calme à cette heure-ci, mais c'est le coup de feu dans une heure environ. La pause de dix heures. On fait aller, quoi, mais c'est pas facile de fidéliser la clientèle... Disons qu'ils savent d'où je viens et ils ont du mal à m'accepter comme un citoyen d'ici... Pourtant, ça fait dix ans que je trime sur cette lune... J'ai fait mon service, j'ai obtenu ma carte d'identité administrative. J'ai pas de nostalgie de la planète. Si je suis parti, c'est pas pour y retourner, ça non... Je sais pas vous mais je ne me vois pas revenir là-bas. Non merci... Pas que je renie le passé, ça non. Mais voilà, j'ai fait ma vie ici...
Pour une fois qu'il avait quelqu'un à qui parler... D'habitude, son travail consistait, comme pour tout limonadier, à écouter les histoires des clients.
Portzamparc ne parla pas. Il encouragea son compatriote à continuer.
- A force de travail, les choses vont s'arranger...
Il paya et repartit au commissariat. Il avait encore le goût de la liqueur dans la bouche et il sentait l'odeur d'Autrelles.
La frontière septentrionale du royaume, avec Autrelles de l'autre côté de la forêt. Poste avancé de Sibirsk-Cromlöh. 16e régiment des chasseurs polaires.
Sous un beau ciel bleu dans un froid glacial, le colonel avait réuni toute la troupe dans la grande cour. Entouré de son état-major, il avait harangué ses hommes. Il demandait deux volontaires, pour chasser un prédateur qui faisait des ravages dans la région. On soupçonnait les Kargarliens d'avoir lâché le Saigneur dans la nature.
Trois villages avaient été attaqués par l'animal affamé. Plusieurs hommes étaient morts en partant le chasser. La garnison n'avait été prévenue que quatre jours après ces attaques, la région étant presque impraticable sous la neige. Seuls les chasseurs polaires disposaient d'équipements suffisants pour affronter la grande forêt du nord.
- Le capitaine Vaneighem s'est porté volontaire pour s'attaquer à la bête. Il a besoin d'un sabreur pour le seconder. Nous attendons un volontaire.
Portzamparc avait fait un pas en avant le premier.
- Vous sergent ?
Le capitaine avait dit quelques mots à l'oreille du colonel. Le "vieux", comme on l'appelait, avait alors félicité le sergent d'une rude tape sur l'épaule.
- Réussissez et vous serez décorés de l'ordre de Saint-Valstav !
Portzamparc avait encore la médaille dans un tiroir de sa commode !
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22-09-2008, 01:53 PM
(This post was last modified: 25-09-2008, 02:55 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal avait presque oublié tante Myrtille, après une bonne sieste, quand le parlophone se mit de nouveau à sonner.
- SÛRETÉ, inspecteur Maréchal...
C'était dit avec l'entrain d'un réceptionniste des bureaux de AXE en fin de journée. (AXE étant, comme chacun sait la branche de l'expertise interne d'ADMINISTRATION, connue pour être une royale voie de garage.)
- Maréchal ??... C'est vous ?
Une voix haletante, inquiète. Une voix pitoyable mais qui en même temps prête à rire. L'inspecteur ne pouvait s'y tromper... C'est réjoui qu'il dit :
- Monsieur Herbert, comment allez-vous ?...
L'autre hésitait, toussotait.Il avait raté sa carrière, comme acteur de boulevard, en petit employé, de AXE par exemple, qui doit expliquer à sa mégère de femme pourquoi il rentrera tard.
- Je voulais, je voulais vous parler...
- Je vous écoute...
- Écoutez, je voulais vous appeler tout à l'heure... Tôt ce matin. Je n'avais pas trop de temps... Je suis tombé sur un de vos collègues. J'ai juste eu le temps de-
- Vous êtes allé à l'essentiel.
- Voilà... un meurtre...
- Vous pourriez m'en dire plus, maintenant ?
Maréchal était content de prendre cette affaire en main. Il savait que Portzamparc n'aurait pas eu le tact et le doigté nécessaire pour traiter avec l'honorable M. Herbert.
- Écoutez, ce n'est pas si simple...
- Vous êtes assez versatile, monsieur Herbert...
Maréchal aimait bien employer ces mots que les gens n'utilisent guère plus de dix fois dans leur vie : "vous êtes versatile..."
- D'abord je vous trouve en train d'accuser la moitié du quartier de vouloir vous tuer. Vous disparaissez ensuite, à peine ai-je le dos tourné pour aller m'occuper d'un de vos "patients"... Je vous retrouve traînant avec des gens peu recommandables, et-
- Ah oui, à ce sujet... Je devais vous dire...
- Où êtes-vous en ce moment ?
- Mais toujours à Rainure évidemment ! D'ailleurs,
- Très bien. Ne bougez pas. Je descends vous voir. Où êtes-vous exactement ?
- Quoi, descendre ?
- Parfaitement...
Il fallut insister un peu, mais Herbert n'était pas non plus l'être le plus inflexible de la lune. Maréchal obtint l'adresse de sa planque, prit son manteau et son chapeau et déclara qu'il avait une affaire le requérant d'urgence à l'extérieur.
Rainure - Saint-Polska était situé en-dessous des égoûts de Mägott Platz. C'était tout dire : personne ne s'aventurait là-bas. Pour la plupart des Exiléens, Mägott Platz était déjà le bout du monde. Mais alors, sous les égoûts de Mägott Platz, c'était aussi bien nulle part !
Les expéditions nocturnes de Maréchal, et sa dernière descente en compagnie de Portzamparc pour aller dénicher Gueule-de-Rat, lui avaient appris à se repérer dans ce dédale. Il s'y sentait comme chez lui.
Il avait trouvé un conduit de mitiers qui le conduisait en moins d'une heure dans ce quartier qui avait la particularité d'être inhabité, officiellement et de n'avoir pas de commissariat.
Personne ne s'occupait de Rainure - Saint-Polska. Personne n'avait envie de savoir ce qui s'y passait.
Maréchal trouva la "planque" de Herbert. Un cabanon isolé, à l'entrée du quartier, bien avant les constructions aux formes torturées et les grandes parois gravées qui entouraient un bassin où fonctionnaient des machines-absurdes.
L'inspecteur frappa à la porte. C'était vrai que ce quartier était désert.
Plus désert que la dernière fois, où Maréchal avait vu Herbert en compagnie des "gens peu recommandables".
La porte s'ouvrit ; Herbert fit entrer son "invité" avec des airs de conspirateur.
- C'est gentil, chez vous...
Les mains dans les poches, le chapeau en arrière, Maréchal contemplait les lieux : une bicoque humide, avec une cabine de douche, des toilettes dans la lignée de celles du bar Le crachoir et une plaque de gaz. Un lit de camp, et quelques livres empilées dans un coin.
- Vous êtes venus vite.
- C'est une des vertus de SÛRETÉ, oui...
- Asseyons-nous.
Herbert se faisait réchauffer du café. Maréchal avait déjà l'estomac noyé dans celui du commissariat, donc il refusa poliment.
- Venons-en aux faits, Herbert... La dernière fois, je vous ai laissé menotté sur le balcon, et quand je suis revenu, vous n'étiez plus là.
- Écoutez, "ils" sont venus me chercher !...
Il parlait à voix basse, affolé par ces questions.
- Qui ça, "ils" ? Des Scientistes ?!
- Chut ! Vous êtes fous ! Ne pro-non-cez pas ce nom-là !... Rien à voir d'ailleurs. Ce nom est très péjoratif. Ce sont des savants en réalité que ces gens-là, et ilsse sont intéressés à mes travaux.
- Vos travaux sur Horo, oui, fit Maréchal avec une moue de dégoût.
- Bon, je sais bien que tout ne s'est pas passé comme prévu mais...
- Vous avez parlé d'un meurtre. Quand et où aura-t-il lieu ?
- Je ne sais pas encore.
- Comment pouvez-vous le savoir ?
- Je ne peux pas vous dire encore !
- Où sont les habitants du quartier ?
- Si vous changez de sujet sans cesse... Ils sont partis à un congrès, voilà.
- Un congrès de Scientistes ?...
Maréchal aimait bien embêter "son" Herbert.
- Chut ! pas ce mot-là ! Si on vous entendait...
- Qui peut nous entendre ?
- Personne en réalité, mais quand même !
- Qui va être la cible de ce meurtre ?
- Un haut dignitaire, quelqu'un d'important, une personnalité. Quelqu'un comme ça ! Je n'en sais pas plus. Je vous conjure seulement de partir. C'était de la folie de descendre... La personne qui m'a renseigné sur ce meurtre va me rappeler. Je vous jure que je vous tiendrai au courant.
Maréchal se leva. A moitié convaincu.
Ce Herbert était sacrément retors, derrière ses airs d'ahuri.
- Entendu, je remonte chez moi. Mais vous avez intérêt à me tenir au courant rapidement. Sans quoi je redescendrai vous chercher, je vous le jure !
- Je vous appelle dès ce soir ! Chez vous !
- C'est ça.
Maréchal reprit le chemin des égoûts. Même lui qui avait l'expérience des recoins sales d'Exil, il ne se faisait pas à ce quartier. Les architectures étaient en ligne brisées, obliques, avec des rues tortueuses et des maisons entassées. Il y avait quoi devenir fou.
L'inspecteur fut content de retrouver l'acier et la graisse de Mägott-Platz. Ici, la saleté avait un air familier.
*
Maréchal quand même revint guilleret de sa promenade de santé. Si ses collègues savaient où il était parti...
Portzamparc avait fini sa tournée, Rampoix aussi et la caisse pour les orphelins de la police était pleine.
Maréchal réfléchit à un notable de la ville susceptible d'être la cible d'un tueur. Ils étaient en fait tous, à divers degrés, capables d'avoir suscité assez de haine et de jalousie pour qu'on veuille les tuer. Il suffisait de voir parfois à quoi tenait un meurtre conjugal, pour se dire qu'un patron ou un conseiller municipal en avaient bien assez fait pour avoir quelques ennemis mortels.
Maréchal alla voir Novembre pour lui demander des congés.
- J'ai ma famille qui arrive... Ce n'était pas prévu...
- Prends quelques jours, va !
- Cinq jours ?
- Entendu. Je note.
Il faisait calme dans le quartier.
Après le service, Maréchal rentra chez lui, en faisant un détour par la Platz : il fallait acheter les billets pour le spectacle.
On entendait des annonces au mégaphone tomber de la plate-forme de loisirs : "Le cirque Fantazia, le cirque Fantazia !..."
Des ballons-taxi aux couleurs éclatantes passaient dans le ciel et lançaient des tracts, pendant qu'une fanfare de clowns jouait au pied du Mägott. C'était l'heure de la sortie de l'école : les enfants traînaient leurs parents pour aller voir le cirque !
Des ribambelles de garnements affluaient pour voir les slourts maquillés faire du monocycle et jouer de l'orgue de barbarie.
- Approchez, approchez ! Allez les petits enfants !
Maréchal trouvait, comme beaucoup de mondes, petits et grands, que les clowns avaient une tête à faire peur, avec leurs grimaces figées et leur maquillage criard. Tante Myrtille racontait souvent comment Antonin avait pleuré la première fois qu'il avait vu des clowns.
- Dix places.
Maréchal posait ses billets sur le comptoir.
- Dix places pour monsieur !
La foule se pressait pour acheter des barbe-à-papa. Le clown prenait la monnaie dans sa caisse. Maréchal était pressé de partir. Trop de familles, d'enfants, d'amusement.
Il remercia, enfonça la liasse de tickets dans sa poche et partit.
Il passa au pied du grand ascenseur urbain, dans sa cage en fer forgé, qui menait vers la plateforme de loisirs, cent cinquante mètres au-dessus. On pouvait apercevoir les gens du cirque en train de monter le grand chapiteau, et les forains installer leurs stands autour.
La journée se termina par l'appel d'Herbert le soir. C'est la concierge qui vint prévenir Maréchal, et qui, comme les autres fois, fit des difficultés pour laisser le policier tranquille. Elle avait un besoin maladif d'écouter les conversations. Elle considérait insultant de l'en empêcher.
- Maréchal, j'écoute.
- C'est pour dans trois jours. Sûr et certain. Mais je ne sais pas encore qui.
- Il va falloir chercher.
- Je vous promets de faire de mon mieux.
- Bonne nuit.
Maréchal resta songeur une partie de la soirée, à enchaîner les cigarettes. Il s'endormit, tout habillé, alors que son dernier mégot finissait de fumer dans le cendrier.
*
Portzamparc retrouvait son appartement avec plaisir. Sa femme avait mis le dîner en route. Il n'avait qu'à s'asseoir et mettre sa serviette.
- J'ai vu qu'il y avait le cirque en ville.
- Oui, j'ai vu ça. Il faudra qu'on aille faire un tour chez eux, d'ailleurs, selon Novembre.
Il y avait en entrée une salade composé. Portzamparc mordait dedans avec appétit.
- Parce que, ces gens-là, c'est faux papiers, arnaques et compagnie. Sûr qu'en fouillant un peu, on va trouver de drôles de choses. Le pire, c'est qu'ils le savent... Mais ils continuent pourtant à défier la loi.
Madame de Portzamparc écoutait avec attention, toujours curieuse d'en apprendre plus sur le monde dans lequel vivait son mari la journée.
- On sera là pour rassurer les gens.
- A ce propos, on pourrait y aller ensemble, qu'en penses-tu ?
- Tu voudrais aller voir le spectacle ?
- Pourquoi pas, tiens ! J'ai bien le droit de m'amuser un peu, non ?
Elle disait cela sans méchanceté, avec un rien d'espièglerie et un air tendre.
- Pourquoi pas, oui... Du reste, j'imagine que Novembre va y aller. Il est grand-père. Ses petits enfants vont vouloir...
- Hé bien, nous n'allons pas attendre que tu aies des petits-enfants pour nous distraire.
- Non, non...
Portzamparc toussota et ouvrit une bouteille. Il aurait bien bu un autre verre de liqueur autrellienne.
Le soir, au lit, pendant que sa femme lisait, il repensait à sa chasse avec le capitaine Vaneighem. Son esprit s'en allait loin de l'acier et de la noirceur, pour retrouver la nature blanche et immense.
Il avait fallu une petite journée à cheval pour arriver dans les villages.
La grande forêt, aux confins d'Autrelles et de Kargarl, puis la taïga. Une neige épaisse, éternelle dans ses régions, qui rendait tout compact et silencieux.
Le capitaine et son sergent avaient constaté les dégâts dans les villages. Deux, trois morts. Des hommes mutilés, certains amputés. La bête continuait de rôder.
- Une femelle adulte, avait craché un bûcheron. Elle a été dressée pour tuer. Je ne sais pas comment ils l'ont dressée, mais ils l'ont dressée. A tuer des Autrelliens !
C'est après le troisième village que les deux soldats l'avaient aperçue. Un primate haut de deux mètres ; le poil argenté. Elle finissait de dévorer une biche. Elle avait attrapé la carcasse, dressée sur ses pattes arrières. Elle y allait de tous ses crocs. Elle avait une blessure au flanc. On l'entendait grogner.
Vaneighem s'était mis à plat ventre, Portzamparc aussi et commençait à s'écarter. Les deux soldats étaient contre le vent, le nez dans la neige.
Le capitaine sortait en vitesse le fusil de son étui. Ce devait être le seul fusil de tout le nord d'Autrelles. Les Kargarliens n'en avaient pas dix dans leur armée.
Portzamparc connaissait son rôle : en rampant vers la bête, il avait pris son sabre en main. Vaneighem dépliait le trépied sous le canon du fusil et regardait dans la lunette. Des feuilles et des branchages le gênait. Il jetait un œil et voyait son sergent se caler derrière un tronc d'arbre.
A ce moment, le vent tournait : la bête sentait, et voyait les deux hommes. Elle poussait un hurlement, jetait sa carcasse. Une détonation partait.
Touchée au ventre ! Elle mettait un genou à terre. Vaneighem rechargeait déjà.
Portzamparc se jetait sur elle, sabre au clair et taillait dans la bête ! Il tranchait la nuque puis se jetait de côté et roulait dans la neige. Vaneighem avait rechargé : second tir, dans la nuque. La bête poussait un cri d'agonie. Le sergent lui portait le coup de grâce : il tranchait la la gorge.
Le capitaine laissait là son fusil et accourait, sabre en main.
Le félynx ne remuait plus.
Vaneighem embrassa fraternellement Portzamparc et alla prendre dans sa besace une liqueur du pays. Les deux hommes en burent la moitié chacun, d'une traite et rirent de bon cœur. On n'entendait qu'eux dans ces étendues sauvages, à festoyer autour d'un bon feu !
En fin de journée, la tête du prédateur roulait sur la place du village. Terrifiés, les gens s'écartaient, puis osaient s'approcher.
Le soir, les hommes ramenaient le corps de la bête, qu'on fit flamber durant toute la nuit. Les villages voisins apercevaient la lueur du feu et regardaient, fascinés. Tous communiaient autour du bûcher du prédateur.
Deux jours plus tard, les deux soldats étaient de retour au camp. On mena la joyeuse vie dans le corps des officiers ce soir-là, avec des danses autour du feu et des beuveries d'anthologie.
Le lendemain après-midi, le colonel passait la croix de Saint-Valstav autour du cou des deux héros.
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26-09-2008, 07:31 PM
(This post was last modified: 01-10-2008, 12:05 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--/sizec-->
Le lendemain, pour son premier jour de congé, Maréchal était debout aux aurores. Il prenait le tram en même temps que la foule des travailleurs. Le Zentral de Mägott-Platz bruissait d'agitation, à l'heure où les gens se trouvaient entassés aux comptoirs des cafés, aux guichets, dans les quais puis dans les wagons.
C'était la ligne de tramway E, qui avait pour terminus le quai des Oiseleurs. Il fallut quelques stations pour que l'inspecteur puisse enfin s'asseoir. Il descendit en chemin, après une longue côte et une grande avenue aux pavés blancs. Une voix enregistrée annonça l'université Granar Leonski.
Maréchal entra dans le grand bâtiment de briques rouges, en même que des étudiants en redingotes qui discutaient savamment d'économie, d'hydro-électrique et de leurs dernières conquêtes.
Les grands couloirs solennels brillaient, et résonnaient d'un murmure indistinct, des cours magistraux et des discussions de couloirs.
La faculté de médecine était "attenante" (comme disait le concierge) à l'université. Il fallut retraverser un parc, et il y eut encore des étudiants qui fumaient, en refaisant le monde et en parlant de leurs carrières.
Enfin, après s'être fait indiquer son chemin par un autre concierge, Maréchal trouva le département de psychologie générale et appliquée.
Dans une grande salle, presque vide, le docteur Julius Heims parlait devant d'éminents confrères, qui l'écoutaient avec sévérité.
Maréchal s'assit sur un banc, dans le couloir, et l'entendit par la porte entrouverte.
- J'affirme, messieurs, que le SHC est une maladie amenée à se développer sur notre lune dans les années à venir...
- Quelles études le prouvent ? répliquait un confrère âgé. Quels sont les chiffres ? Les études de terrain ?
- Les patients que j'ai interrogés m'en apprennent chaque jour plus sur leur cas. L'influence climatique, ainsi que l'acier de notre lune...
- Allons donc ! Pourquoi pas l'influence des Lektres, pendant que vous y êtes !...
Plus la conférence avançait, plus Heims avait de mal à parler sans être interrompu. On parlait de complexion sanguine et de nerf sympathique.
- Les chiffres concordent, chers collègues... Le SHC sera reconnu comme une maladie à parti entière... Une épidémie pourrait éclater...
Le brouhaha montait dans la salle. Certains s'en allaient en lançant une dernière phrase injurieuse.
Heims termina son exposé dans une ambiance confuse. Maréchal se leva. Le docteur discutait avec quelques confrères plus convaincus que les autres.
- Je sais que ce que j'avance ne convaincra pas nos collègues les plus âgés, mais ce syndrome est tellement négligé qu'il est urgent d'attirer l'attention sur lui...
Il vit alors le policier qui l'attendait. Il salua ses collègues et sortit, affairé :
- Bonjour, inspecteur. Merci d'être venu. Venez, mon cabinet est à deux pas.
Heims recevait ses patients dans un grand immeuble bourgeois, haut de sept étages, des fenêtres qui semblaient ondulées comme des danseuses, avec de grands balcons dont les garde-fou avaient des formes courbes.
- Oui, l'ensemble est assez baroque, dit le docteur.
Était-ce de la fierté ou pour s'excuser ? Maréchal ne sut le dire.
L'inspecteur fut invité à s'asseoir, pendant que Heims revoyait son courrier avec sa secrétaire, donnait des consignes et signait des lettres.
Il y avait dans la pièce, derrière Maréchal, outre la planche pour s'allonger, deux grosses machines d'observation, avec des paraboles, des verres grossissants et autres appendices, qui rappelait au policier le sinistre arsenal trouvé dans la réserve de Herbert...
- Alors, à nous...
Le docteur referma la porte du cabinet et alla s'asseoir dans son grand fauteuil en cuir pivotant.
Heims alla se laver les mains puis baissa les stores derrière lui. Le soleil pâle d'Exil n'entrait plus que par lames.
- Je vous ai donc proposé de venir du problème qui vous occupe... Ce syndrome qui est communément appelé SHC, syndrome d'hypersensibilité chronique. Et quand je dis communément, c'est façon de parler. Vous avez entendu combien il en laisse beaucoup sceptiques, même parmi mes confrères les plus estimés. Mais parlons de vous : quels troubles ressentez-vous ?
Le docteur avait allumé un chromatographe et prit en notes ce que dit Maréchal.
- Ma foi, docteur... Des insomnies... Le besoin d'aller marcher, pour me calmer. Des cauchemars aussi. De la fatigue... Et puis, il y a le café chez Emma, aussi, où je vous ai rencontré...
- Oui, tout à fait.
Scrupuleusement, le docteur notait.
Il ne l'avait pas dit, ça, à ses "estimés confrères" qu'avec le SHC, on découvrait de nouvelles rues dans la Cité d'Acier !... Pour ne pas parler de certains phénomènes de téléportation spontanée entre son domicile et le bistrot !
Cela, Maréchal n'en fit pas mention. Il y avait de quoi se retrouver enfermé dans le QHS de l'asile de Ry'leh !
- Mais savez-vous, demanda le policier, ce qui provoque ce SHC ?
- Mes recherches n'en sont qu'à leurs débuts. Je ne suis pas le seul à m'intéresser à ces troubles, mais nous sommes peu nombreux. Cependant, les observations concordent pour dire que l'atmosphère de notre lune y est pour beaucoup. Il serait improbable de trouver des gens touchés par ce syndrome sur Forge.
La plupart des exiléens auraient de toute façon accordé que les Forgiens étaient trop barbares pour développer la moindre maladie mentale, ce privilège de gens civilisés !
- Non seulement le jour très faible de notre lune, par rapport à Forge, où il y a au contraire peu d'obscurité et des jours gris, la plupart du temps. Mais, à mon avis aussi, la structure métallique de la Cité. J'ai tenté de me renseigner, auprès de spécialistes, sur l'acier d'Exil. J'ai demandé à des départements d'ingénieurs, à des chimistes. Je suis même allé poser la question à des ouvriers métallurgistes. Je n'ai pas de certitude quant à cet acier, mais je suis persuadé qu'il émet des vibrations, des ondes, qui peuvent influer sur le système nerveux.
Maréchal comprenait bien que la vie sur Exil tapait sur les nerfs de quelques-uns, dont il faisait manifestement partie !
- Ceci dit pour les causes du mal. Quant à ses effets, ils ne sont pas tous connus...
On sentait le docteur hésitant.
- Quels sont les pires effets que vous connaissez ? demanda Maréchal.
Le docteur se laissa le temps de tapoter sur son clavier, puis dit :
- Périodes prolongées d'insomnies... Certains patients ont dû être hospitalisés, à cause de l'épuisement. Des cas de somnambulisme, aussi. D'autres ont été admis à l'asile de Ri'leh pour des soins spécialisés.
Voilà, comme ça, c'était dit !
Maréchal avait une chance non négligeable de se retrouver, un jour, emporté de force par deux gros infirmiers, vers une cellule capitonnée, habillé d'une élégante camisole de force !
Le docteur Heims remercia Maréchal d'être venu lui parler et lui confia une brochure, éditée par le département de psychologie de la faculté, qui présentait le SHC en quelques mots et fournissait quelques hypothèses sur son origine.
LE SHC, syndrome trop peu connu sur notre Lune
L'explication de l'anxiété dans notre Cité a fait depuis quelques années maintenant l'objet des recherches de la psychologie. Celle-ci la considère comme la conséquence d'une inadaptation d'une espèce à un environnement qui a évolué trop rapidement. Ainsi ce qu'on a appelé le Syndrome Général d'Adaptation (SGA) est-il maintenant communément accepté par tous les praticiens.
L'exemple qui revient fréquemment à propos du SGA est l'anxiété, la nervosité, générées par la Cité. C'est un fait sur lequel la plupart des experts s'accordent, que nos lointains ancêtres vivaient sur Forge. Nous étions adaptés à un mode de vie de chasseurs-cueilleurs et notre mode de vie a changé beaucoup trop rapidement depuis la création de l'agriculture. Notre espèce n'a pas pu s'adapter à de trop larges communautés, avec leurs conséquences : méconnaissance d'autrui, anonymat de la foule etc. Tel est pourtant le quotidien des habitants d'Exil.
A partir de là, l'explication du Syndrome d'Hypersensibilité Chronique (SHC) s'éclaircit considérablement : l'Homme a quitté Forge, voici plusieurs siècles, et n'a pas encore terminé de s'adapter à l'atmosphère de notre Lune, et à ses particularités. Aussi certains phénomènes sont-ils encore considérés comme irrationnels, et ceux qui les étudient sont accusés de prendre le paranormal au sérieux, de franchir la ligne rouge qui nous sépare des devins, théosophes et autres voyants. On a parlé de créatures étranges, de disparition, de téléportation. Nous savons que la science saura éclairer ces mystères, et nous rendre ces créatures mal connues aussi familières qu'un slourt.
La réaction souvent constatée, chez nombre de sujets, pour éviter l'anxiété a été le détachement. Ainsi, le psychisme, ne pouvant comprendre certains phénomènes, choisit simplement de les ignorer. C'est la réaction saine de la plupart des Exiléens, et cela fonde une partie de la sagesse populaire.
Certains sujets, au contraire, ne sont pas capables de ce détachement et réagissent alors par un surcroît d'anxiété, voire par des crises d'angoisse, ce qui se manifeste par des insomnies et le besoin obsédant de marcher dans la Cité. Dans les cas les plus graves, les sujets peuvent même amplifier les évènements générateurs d'angoisse et voir les choses comme plus étranges qu'elles ne sont. L'ensemble de ces symptômes produit ainsi ce qu'on a appelé le Syndrome d'Hypersensibilité Chronique.
Connaître l'origine de ces visions déformées de notre Cité permettre d'expliquer bien des hallucinations, parfois collectives, et contribuerait à rendre raison de certains comportements, considérés comme "irrationnels".
Combien d'adversaires du Progrès et de la concorde sociale affirment que la lune d'Exil est fondamentalement condamnée à la folie et aux monstres qui guetteraient dans ses profondeurs ?
L'étude scientifique du SHC doit permettre d'évacuer ces peurs sans fondement."
<!--/sizec-->
*
Au commissariat de Mägott-Platz, Horson réunissait tout le monde, après avoir reçu un important appel.
- Je viens d'être mis en contact avec la secrétaire de l'amirauté de la flotte...
Surpris, les policiers ne comprirent pas.
- On me prévient, dit le commissaire en roulant une cigarette entre ses gros doigts, qu'un officier de la marine lunaire va se déplacer prochainement dans notre quartier. Il s'agit de l'amiral de Villers-Leclos.
Tout le monde, sur la lune, avait plus ou moins entendu parler de cette gloire de la marine. La famille de Villers-Leclos était l'une des plus anciennes d'Exil. L'amiral en question avait mené des campagnes retentissantes sur Forge, avait coulé une bonne partie de la flotte autrellienne venue l'arrêter, puis avait établi des comptoirs sur la côte. Il avait passé des alliances avec les Kargarliens et fini par obtenir des concessions territoriales. Autant dire que grâce à lui, Exil venait de faire le premier pas sur Forge. Les partisans de la branche traditionalistes considéraient que dans moins de dix ans, on pouvait soumettre toute la planète, la supériorité technologique d'Exil compensant largement l'infériorité numérique.
Novembre se méfiait des militaires, depuis qu'il avait eu affaire à deux d'entre eux, quelques années auparavant. Il savait que ces histoires impliquant, même indirectement, les nations forgiennes, sentaient mauvais.
- Que vient-il faire dans le quartier ? demanda l'inspecteur-chef.
Horson toussota.
- Il vient au cirque.
- Au cirque !
- Avec ses petits-enfants, je suppose.
Comme Novembre, en fait !
- J'ai cru comprendre, dit le commissaire, qu'il voulait aller au cirque Fantazia, en profitant de la tournée de celui-ci loin des hauts quartiers.
- Il vient chez les prolos pour être tranquille, dit Rampoix en allumant une cigarette.
- Exactement, répliqua le commissaire. Et je compte bien qu'il le soit, tranquille, pendant sa visite. Donc inspecteur...
- Je me charge de tout, dit Novembre.
Il se leva le premier :
- Réunion tout de suite, les enfants !
A l'exception du commissaire, les policiers passèrent dans le bureau de Novembre.
L'inspecteur-chef soupira et alluma la cigarette des emplois du temps.
Au bout d'une heure, alors que le bureau était bleui de fumée, les policiers ressortirent. Les tours de visite à la plateforme de loisir étaient organisés pour les trois soirs à venir, c'est à dire le temps que le cirque resterait là.
"Le cirque Fantazia, le cirque Fantazia, trois soirées exceptionnelles !"
- Vous ferez en sorte qu'elles n'aient rien d'exceptionnel, ces soirées, dit Horson.
Le premier soir, le lendemain, c'est Rampoix et Sampieri qui s'y rendraient ; le troisième soir, Novembre, qui irait en famille ; et le deuxième soir, lors de la visite de l'amiral, ce serait Portzamparc.
Le détective reçut donc des consignes spéciales de Novembre :
- L'amiral viendra avec ses gardes du corps. Il y aura sûrement son épouse, et ses petits-enfants. On a dit au commissaire que l'on souhaitait une visite discrète. Donc tu te mettras poliment en contact avec l'officier en charge de la sécurité ce soir-là, et tu lui diras que tu te tiens à sa disposition. Dis-toi que, de toute façon, ces gens-là ne t'accorderont aucune considération. Cela dit, tu surveilleras l'extérieur de la plateforme. Il y aura aussi des Pandores, donc mets-toi bien avec eux.
"Mais ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer. Fais ton boulot comme n'importe quel soir."
L'après-midi, les policiers étudièrent le plan de la plateforme de loisirs :
- Vous voyez là, là et là, expliquait Novembre, trois passerelles qui mènent aux quartiers voisins. Ici, la plateforme surélevée où se posent les ballons-taxi. Et là, l'accès par l'ascenseur depuis chez nous.
Rampoix et Sampieri partirent faire un tour là-haut, et revinrent avec trois forains, qu'ils venaient d'arrêter en possession de drogues.
- Allez, ça fera toujours ceux-là de moins !
A son bureau, Portzamparc était inquiet. L'amiral de Villers-Leclos, c'était la cible rêvée, si un meurtre devait se produire. La veille, Maréchal, informé par un de ses indics qu'il sortait d'on ne sait où, avait dit qu'il faudrait surveiller les personnalités du quartier.
Or, si on voulait s'en prendre à l'amiral de Villers-Leclos, son déplacement loin du centre-ville était l'occasion rêvée. Villers-Leclos, qui n'en avait pas entendu parler, à Autrelles, quand celui-ci eut envoyé leur flotte par le fond...
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28-09-2008, 02:23 PM
(This post was last modified: 01-10-2008, 12:11 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Les négociations entre la flotte exiléenne de Villers-Leclos (qui à l'époque n'était encore que commandant) et les tribus kargarliennes avaient commencé dès l'approche des côtes continentales. Si Kargarl avait alors été choisi par les Exiléens comme interlocuteurs plutôt que les Autrelliens, plus évolués, c'est précisément parce qu'il serait plus facile de se faire une armée de barbares incultes, et ainsi d'asservir Autrelles, nation plus moderne.
Les rêves de gloire de Villers-Leclos n'étaient pas allés aussi loin qu'il l'espérait. Pour certains, il se serait bien vu nouveau roi d'Autrelles, avec une garde personnelle et des milices de Kargarliens.
Seulement, les Autrelliens ne l'entendaient pas de cette oreille-là. Des opérations de sabotage avaient été entreprises contre la flotte exiléenne, avec le soutien d'experts venus "d'ailleurs". L'Etat-Major autrellien ne s'était pas étendu sur la question ; mais on soupçonnait l'implication de Lonastriens dans des opérations de sabotage, et des raids de guérilleros.
Le capitaine Vaneighem avait participé à des opérations de choc, contre des postes avancés kargarliens soutenus par les fonds exiléens.
Un an et demi après la chasse au Félynx, lui et Portzamparc s'étaient retrouvés, lors d'un dîner de bienfaisance chez une comtesse qui s'occupait des orphelins de l'armée. Parmi les courtisans et les danseurs, Vaneighem était allé salué le lieutenant de Portzamparc :
- On prend du galon, à ce que je vois !
- A vos ordres, mon capitaine !
Les deux hommes rirent et se tapèrent dans le dos de bon cœur. Un verre à la main, ils se racontèrent leurs derniers exploits. Leurs combats sur les frontières et sur les côtes. Portzamparc était resté au nord, Vaneighem avait été envoyé de plus en plus vers le dus.
Après quelques verres, Vaneighem raconta comment il avait manqué de se faire étriper, un soir qu'il se trouvait dans le lit d'une jeune bourgeoise qui venait d'épouser un gros et vieux négociant.
- Croyez-moi, lieutenant, rien n'est aussi dangereux qu'un Félynx, sinon un cocu !
Il rit aux éclats et se resservit à boire.
Puis, un ton plus bas, alors que les deux hommes allaient profiter d'un cigare sur la terrasse qui offrait une vue imprenable sur la capitale :
- Entre nous, il se pourrait que ma carrière prenne un tour intéressant, mais un peu inattendu. Je ne peux pas en dire plus, mon ami, mais il se pourrait que nous soyons longtemps sans nous revoir. J'espère que nous nous retrouverons avant d'être devenus de vieux barbons, ou avant d'être accrochés à la même potence kargarlienne !
Il rit encore à pleins poumons, tapa dans le dos de Portzamparc et rentra discuter avec une jeune marquise qui lui faisait de l'oeil depuis le début de la soirée.
Les deux amis arrivèrent tôt le matin dans la ville que dominait le château de la comtesse ; ils avaient trop bu et trop fumé, et ils riaient dans les rues de la petite ville qui s'éveillait. L'aube blanche pointait quand les deux pochards faisaient une entrée spectaculaire dans un des établissements les plus respectables de la capitale. Ils montèrent les escaliers, accrochés fermement à la rambarde. Sur le palier, Vaneighem trouvait sa petite marquise, qui l'attendait impatiemment.
Portzamparc fit des derniers signes de connivence égrillarde au capitaine, et s'endormit comme une masse. Il ronfla toute la mâtinée, pendant que le lit de la chambre d'à côté grinçait et vibrait à en faire trembler toute l'auberge.
A son réveil, le lieutenant sentait une bûche lui peser sur le crâne. Il s'habilla comme il put et, encore mal fagoté, descendit dans la salle de restaurant de l'auberge, où il eut droit au regard noir de toute une assemblée de notables, indigné de la présence de ce soudard en permission, qui faisait honte à l'armée.
- Où est le capitaine ? articula Portzamparc, à l'adresse du patron.
- Il est déjà parti, dit l'aubergiste en reculant, car l'officier avait une haleine de fauve.
Portzamparc en fut dégrisé. Il était triste de ne pas avoir dit au revoir à son ami.
Après avoir pris un solide déjeuner, il sortit faire se baigner dans l'étang derrière l'auberge. Il avança dans la neige, une pioche à la main. A la fenêtre, les notables l'observaient, stupéfaits. Portzamparc cracha dans ses mains et entreprit de casser la glace, puis se plongea dans le bassin d'eau. Elle était juste à la bonne température !
Il ressortit nu comme un ver, les dames à la fenêtre détournant le regard, outragées, mais certaines, jeunes ou vieilles, regardant du coin de l'oeil derrière leurs éventails, ce beau militaire viril.
Portzamparc fit quelques exercices d'assouplissement avant de se rhabiller, et rentra à l'auberge, où il se fit faire un bain bouillant.
Le soir, en rentrant à sa caserne, le lieutenant se fit remonter les bretelles par ses supérieurs. C'était plutôt pour la forme, car les militaires aimaient bien scandaliser le bourgeois. Portzamparc savait bien que son commandant en avait fait d'autres quand il avait son âge !
Son supérieur lui pointa un cigare sous le nez :
- Quand vous aurez fini de dessaouler, lieutenant, vous irez passer une autre tenue et vous repartirez à l’auberge d’où vous venez !
Portzamparc rougit. Il s’attendait à devoir présenter publiquement des excuses aux notables.
- Là-bas, des gens veulent vous parler… Des civils…
Le commandant avait l’air gêné. Ce n’était pas habituel chez lui.
- Moi, cela ne me regarde pas, m’a-t-on fait comprendre… Bref, cela sera compté sur vos permissions, lieutenant ! Rompez !
Portzamparc salua, surpris.
Que lui voulait-on ? Ce n’était pas pour aller déclarer aux clients de l’auberge qu’il n’était qu’un affreux pochard. Le commandait était sérieux.
Rasé de frais, son costume sans un pli, sabre à la ceinture, le lieutenant repassa la porte de la caserne le soir.
On l’attendait devant la porte de l’auberge. Deux hommes vêtus de grosses gabardines, des têtes de brutes. Ils avancèrent, présentèrent brièvement des papiers et lui intimèrent l’ordre de les suivre.
Portzamparc reconnut un sceau officiel royal, mais c’était tout. Un des hommes alluma un cigare. Il faisait maintenant nuit noire. Une voiture à cheval arriva dans la grande rue.
- Montez !
Portzamparc obtempéra, s’assit dans la voiture, ses deux « gorilles » face à lui, qui ne dirent pas un mot du voyage, qui ne répondirent même pas quand le lieutenant demanda où on allait, alors que la voiture partait en pleine campagne. Le lieutenant finit par s’endormir, bercé par cette chevauchée.
Portzamparc se réveilla ce matin-là, alors que sa femme lui apportait son café au lit. Le policier s’étira et s’extirpa à regret du lit bien chaud.
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04-10-2008, 11:10 AM
(This post was last modified: 04-10-2008, 03:43 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Portzamparc arriva au bureau dans les premiers. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Maréchal, dans son bureau, qui rangeait des papiers et tapait au chromatographe.
Novembre arriva et toqua à la porte de l'inspecteur :
- Hé bien, je te croyais en congés, non ?
- Non, non mais ne faites pas attention à moi... Je ne fais que passer...
- Ah bon...
Novembre ressortit en se grattant la tête. Portzamparc faisait le café.
- Maréchal qui vient sur ses vacances maintenant... Bon, c'est pas tout ça mais pendant que d'autres font semblant de travailler, nous on a vraiment du travail.
Dans son bureau, Maréchal s'occupait comme il pouvait. Il attendait impatiemment que Herbert le rappelle. La veille au soir, il avait accueilli sa famille, arrivée en voiture à cheval. C'était au pied du grand escalier du Novö-Art. Il pleuvait des cordes et la lumière ocre du grand hall d'entrée en était d'autant plus attirante. Un "chasseur" de l'hôtel était venu avec un grand parapluie, et un deuxième s'était précipité quand on avait vu sortir de la voiture une ribambelle de marmots.
Maréchal connaissait les portiers de l'hôtel, et avait fumé une cigarette avec eux en attendant la tribu de son cousin.
Tante Myrtille, petite dame très digne, fut la première en haut et salua son neveu :
- Bonjour Antonin. Comment vas-tu ?
Elle l'embrassa et lui fit remarquer que fumer était mauvais, car cela noircissait les poumons. Gérald arrivait déjà et donna une sévère poignée de mains à son cousin, de ses grosses paluches d'entrepreneur heureux.
- Alors, mon vieux ? Comment va la vie ?... A vos ordres, inspecteur ! 2e classe Gérald au rapport !
- Salut, Gérald...
Les enfants montaient les marches en pagaille, suivis leur mère et leur gouvernante qui leur courait après avec les parapluies.
- Dis-moi, mais il n'y en avait pas autant la dernière fois, Gérald... Trois, quatre, cinq...
- Allez, les enfants, dites bonjour à tonton Antonin !
- Tonin ! s'exclama la petite dernière, du haut de ses cinq ans, qui avait déjà le profil de la garçon manqué casse-cou.
Les femmes et les enfants allèrent aux tables et s'y firent servir du lait chaud par les serveurs, empressés, pendant que Gérald et Antonin allaient voir pour la réservation de la chambre. Et si son cousin avait à se plaindre, semblait dire Maréchal, certains finiraient au gniouf avant peu ! Chez de Portzamparc !
- Voici vos clefs, monsieur. Excellent séjour.
Gérald fit signe à sa tante, et la colonie se mit en marche.
- Montez, je vous rejoins...
- Nous allons mettre les enfants au lit, dit la mère, ils sont épuisés...
La gouvernante était bien d'accord.
Les deux cousins passèrent au bar. Gérald s'épongea le front et alluma un cigare. Il en proposa un à Antonin, qui refusa poliment. Il tenait à sa marque de cigarettes.
- Quelle aventure, mon vieux ! Il pleut tout le temps ici ?
Gérald commanda deux bières.
- Pas plus qu'ailleurs dans la Cité... Comment vont les enfants ?
- Bien, tu vois... Ça pousse, ces petites choses là, tu verrais... Et toi alors ? Toujours célibataire ?
- Comme tu vois...
- Avec les affaires, je n'ai pas le temps de les voir grandir. Tu penses ! Mais que veux-tu, je voudrais leur assurer un bel avenir.
- Elle se vend bien ta bière ?
- Pas trop mal, oui.
Il finit sa bière :
- Elle n'est pas mauvaise, mais je vais leur en proposer de la meilleure.
- Ah, je te croyais en vacances !
- La bière, elle, ne prend pas de vacances et je suis à son service ! D'ailleurs, tu sais, je vais t'en faire livrer. Si si, chez toi directement. Et j'en ai pour tes collègues, va. Ça me fait plaisir...
Les enfants couchés, Gérald avait invité tante Myrtille et son cousin au restaurant. La gouvernante gardait les enfants en faisant du tricot, et Mme Maréchal était partie se coucher, épuisée par sa journée.
lls avaient évoqué des banalités. Puis tante Myrtille était remontée se coucher, tandis que Gérald allait faire un tour à la salle de jeux. Antonin se sentait de trop.
Et le chromatographe ne bippait toujours pas ! Maréchal classait et reclassait ses dossiers. Il entendait ses collègues en réunion avec Novembre, puis l'interrogatoire d'un braqueur à mains armés. La journée passait. Il se resservait un café.
Enfin, une communication !
Il se jeta sur son chromatographe. L'adresse numérique de Herbert apparut.
- Maréchal ?...
- Quelles nouvelles ?
- Mon contact m'a parlé.
- Alors ?
Il y eut une coupure de communication. Maréchal enrageait. C'était bien pratique de pouvoir se parler en tapant au chromatographe mais la qualité n'était pas celle du parlophone.
- Maréchal ?...
- Oui !
- C'est pour ce soir.
- Sûr ?
- ...
- Herbert ? ce soir-même ?
- Oui, sûr...
("Herbert" a coupé la transmission.)
Maréchal avait entendu parler de la visite de l'amiral de Villers-Leclos. C'était ce soir au cirque.
L'inspecteur sortit de son bureau. Sampieri était occupé à des papiers :
- Qui va au cirque ce soir ?
- Les Pandores, et Portzamparc.
Ce dernier arrivait justement :
- Un problème inspecteur ?
- Mon "indic" m'a rappelé. Il m'a dit que ce serait pour ce soir...
- Le type que j'avais eu au parlophone ?
- Oui, lui.
- Très bien, alors nous redoublerons de vigilance.
- Je serai là-haut avec ma famille.
- Entendu.
Portzamparc retourna s'occuper d'un rapport. Le matin, après qu'il s'était arraché à ses souvenirs de Forge et à la chaleur du lit, sa femme lui avait amené le courrier pendant qu'il prenait son petit-déjeuner. Le détective avait jeté un œil distrait sur des factures et des prospectus. Quand il avait eu le regard attiré par une phrase écrite en Autrellien, au bas d'une réclame pour un plombier.
- Je descends chez la concierge.
Il avait pris le combiné et appelé le numéro indiqué.
- Allô ?
- ah, c'est vous...
Portzamparc reconnut la voix du petit gros à casquette.
- Nous allons avoir besoin de vous. Ce soir.
- Ce soir, je vais être pris.
- Justement...
- Que voulez-vous ?
- Pour le moment, je vais vous demander un numéro où nous joindre en cas d'urgence : Hadaly 20-52.
- D'accord. Et pour ce soir ?
- On vous rappellera. Sachez que nous avons besoin de vous à 19h30 précises, au stand de tir à la carabine "Le félynx bleu".
18h30. Exil comptant vingt heures par jour. Cela signifiait sans doute juste après le spectacle.
- D'accord.
Rien à faire, Portzamparc ne pouvait pas se faire à ce petit gros.
Nerveux, il était allé au commissariat. Quand Maréchal était venu lui dire que son indic confirmait pour ce même soi, il sut qu'il n'irait vraiment pas sur la plateforme pour s'amuser !
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04-10-2008, 02:39 PM
(This post was last modified: 07-10-2008, 10:12 AM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Il était 14h passées quand Maréchal quitta le bureau, après son échange avec Herbert. Il repassa chez lui se changer et à 15h00, il était devant l'entrée du Novö-Art. Gérald et sa famille arrivèrent, propres comme des sous neufs.
Il y avait déjà foule sur la Platz, car les queues pour l'ascenseur urbain s'allongeaient considérablement. Les marchands ambulants passaient. Des ondées trempèrent régulièrement les gens. On voyait de soudaines levées de parapluies, et tous se baissaient ensuite dans un bel ensemble.
Serrés comme des sardines, les platzo-magottiens se pressaient au guichet pour prendre leur ticket. Dans la grande plateforme, pleine à craquer, la famille Maréchal se serra dans un coin ; Antonin aperçu Portzamparc qui montait de son côté, accompagné de sa femme. Il lui fit un petit signe.
La grande cabine, chargée de plus de cent personnes monta dans sa cage en fer ouvragé, dans un bruit infernal. Les enfants se collaient le nez à la vitre, malgré les interdictions du pilote de la cabine, pour apercevoir la vue qui se dégageait sur tout le quartier puis sur les autres blocs urbains environnants.
- Regarde, maman, disait un des fils de Gérald, on est plus haut que le grand château !
Il parlait du manoir Whispermoor.
La cabine se stabilisa à la hauteur de la plateforme et soudain, rvomit d'un coup son flot de passagers.
- Tiens-moi la main, sinon tu vas te perdre !
Les mères s'affolaient, les pères se bousculaient, les enfants voulaient courir vers les stands. L'air était empli d'odeurs sucrés. C'était les attractions affolantes, les kermesses de charité, les échoppes de bonbons, c'était les clowns et les animaux qui passaient en démonstration. C'était la cohue festive.
Du coup, le couple Portzamparc fut séparé de Maréchal, et ne chercha pas à le retrouver. Le détective fit un petit signe aux vigiles à l'entrée du cirque, qui lui répondirent d'un clin d'oeil : Madame aurait une bonne place. Sinon, on irait vérifier d'un peu près ce qu'ils transportaient dans leur roulotte, les forains !
Portzamparc embrassa sa femme, qui s'amusait beaucoup. Elle venait de retrouver une amie et s'achetait une barbe à papa. Le policier consulta sa montre : il était presque 18 heures. A l'approche du chapiteau, l'odeur des fauves se mêlait à celles des sucreries.
Il fit le tour de la plateforme et salua les Pandores qui faisaient les plantons. Il les connaissait bien et savait se faire apprécier d'eux : parce qu'il avait commencé comme eux, contrairement à Maréchal, par exemple, qui était entré directement à SÛRETÉ.
Il fit le tour du cirque et repéra le stand du Félynx bleu. Puis, par une entrée discrète, il vit une belle voiture attelée à quatre chevaux, gardée par trois militaires.
Portzamparc s'en approcha en montrant sa carte.
- Bonsoir, messieurs.
Un officier s'approcha, qui portait beau la moustache et son sabre.
- Détective de Portzamparc.
L'autre le regarda, circonspect, sans répondre. Pour ce militaire, il n'était rien !
- Lieutenant de Loclas.
- Je viens vous dire que c'est moi qui représente SÛRETÉ ce soir. Nous sommes au courant de votre visite. Si jamais vous avez besoin de mes services, ou de ceux de PANDORE.
- Nous n'aurons pas besoin vraisemblablement des services de la maréchaussée [le mépris qu'il mettait dans ce mot !], mais nous vous préviendrons en partant.
- Entendu.
Ce Loclas faisait son fier-à-bras. Quelques années en arrière, Portzamparc était bien comme lui.
Il repartit vers le centre des attractions et vit la famille Maréchal qui déambulait entre les stands. Ils n'étaient pas pressés de faire la queue, car il y avait forcément des places de réservées spécialement pour l'inspecteur et sa famille.
Portzamparc fit un petit signe à son collègue et rejoignit deux Pandores qui lui faisaient signe : une altercation un peu plus loin. Deux forains qui se traitaient de voleur. Le gniouf ne resterait pas vide ce soir.
*
Les cinq enfants Maréchal léchaient leurs gourmandises, des sucres d'orge aussi gros qu'eux. Tante Myrtille ne comprenait pas qu'on gâte ainsi les enfants. Elle n'avait pas élevé son fils comme ça !
Comme ils passaient devant un stand de tir à pipes, Gérald donna du coude à son cousin :
- Dis donc, il paraît que tu es un as du pistolet, non ?
- Oh, tu exagères !
- Qui veut voir tonton Antonin montrer comme il est fort !
Les enfants crièrent tous en chœur, sauf l'aînée, qui trouvait ça assez inconvenant.
- Bon, pas de fausse modestie, mon cousin !
- Entendu.
Madame Maréchal et la gouvernante gloussait de plaisir. Maréchal tomba la veste :
- Tiens-moi ça, Gérald.
Il fit craquer ses articulations et rabattit son chapeau en arrière.
- Dix pipes et c'est le gros lot, dit le forain. Des récompenses à partir de cinq.
Maréchal prit le pistolet à plombs, ferma un œil. Il tira six fois et abattit autant de pipes.
- Recharge.
Quelques curieux s'étaient arrêtés, certains qui l'avaient reconnu. Applaudissements.
Le forain s'approcha et murmura au policier :
- Je vous ai reconnu. Ce n'est pas juste pour moi, vous êtes un professionnel. C'est pas valide !
- Et ta licence, elle est valide ?
L'autre rougit. Maréchal rechargea et abattit les quatre dernières pipes.
Portzamparc et deux Pandores séparaient deux forains. Le détective remit sa veste droite et rendit à une famille le sac qu'on venait de leur voler.
16h30. Il refit un tour près du cirque. La famille Maréchal faisait la queue. L'inspecteur portait un énorme nounours en peluche et les gamins jouaient à tirer sur les gens. La gouvernante leur disait que c'était très vilain.
Les clowns annonçaient le début imminent du spectacle. La foule rentra d'un coup dans le chapiteau, qui allait être plein comme un œuf. Tout d'un coup, la plateforme parut presque vide. Portzamparc allait pouvoir souffler.
Il acheta des friandises et alla à l'entrée du cirque. Il montra sa carte, entra et vérifia que sa femme était bien assise. Il lui fit un petit signe au moment où on éteignait les lumières.
Le grand orchestre faisait résonner ses cuivres. Monsieur Loyal entrait en piste. Il était 17 heures.
Assis dans les gradins, Maréchal observait la salle. Un Pandore examinait les coulisses. Il y avait Portzamparc qui observait les sorties arrières. Les policiers avaient repéré, dans les hauts des gradins, les places réservées aux militaires. Il y avait des sièges vides autour d'eux. Les militaires surveillaient les allées. On distinguait le général de Villers-Leclos, entouré de ses petits-enfants, qui leur passait ses jumelles et leur montrait les animaux.
Portzamparc s'assit sur un coin d'estrade et resta attentif. Les numéros s'enchaînaient. Les félynx, les fureuils dressés. L'évasion spectaculaire. La femme coupée en deux et l'homme-canon. Les quintuplés jongleurs, la femme à barbe, le travesti glabre, les lanceurs de nain.... La compagnie Fantazia était connue pour son bestiaire inépuisable et grotesque, ce qui leur permettait de ne pas refaire toujours le même spectacle.
Les deux policiers se laissaient prendre au jeu, comme des grands enfants. Ils n'oubliaient pas non plus leur montre.
19h : le spectacle se terminait. La troupe venait saluer sous les ovations. Portzamparc s'apprêtait à sortir. Maréchal se levait et rejoignait l'allée. Les deux hommes regardèrent du côté des militaires. Les cymbales et trompettes lançaient les dernières notes de la grande fanfare. Portzamparc vit alors le lieutenant de Loclas se lever et sortir son pistolet d'ordonnance. Deux détonations partirent, inaudibles pour le public.
L'officier avait visé à l'autre bout du cirque.
Les autres soldats évacuaient en vitesse l'amiral et sa famille. Portzamparc courut vers les militaires. Il les retrouva dehors. L'amiral était en train de monter dans la voiture, cigare à la bouche dans son manteau en fourrure. Le policier ne croisa son regard qu'un instant.
- Halte ! dit de Loclas. Que voulez-vous ?
- Je vous ai vu...
- Occupez-vous plutôt du tireur ! Un clown ! Je l'ai nettement vu, perché sur une solive. Il est descendu par un trapèze ! Je l'ai blessé.
Portzamparc salua et fit le tour du chapiteau. Il avait encore dix minutes. Il croisa Maréchal et le mit au courant.
- L'amiral n'a rien, mais le tireur est blessé... Il est habillé en clown vraisemblablement.
Les Pandores couraient dans le désordre. L'un d'eux entrait dans un café et appelait des renforts. Les autres prétoriens bouclaient les sorties de la plateforme.
- Ça va être un beau foutoir, dit le chef des Pandores. Les gens s'attendaient à rentrer tranquillement chez eux, et on va devoir contrôler leurs papiers ! La cohue que ça va être !
*
Maréchal n'était pas de service mais étant donné la situation... Il s'excusa auprès de tante Myrtille et Gérald et leur dit qu'il les rejoindrait plus tard à l'hôtel.
Portzamparc approchait de la cabane du Félynx bleu. Il avait la main sur son arme. C'était un stand de lancers de cerceaux, qui ne payait pas de mine. Lumière éteinte, porte entrouverte. Le détective sortit son arme. On entendait de l'eau couler à l'intérieur. Au sol, des gouttes de sang.
- Qui est là, sortez !
Bruit de robinet qui grince. Le policier jeta un œil et vit un clown qui se démaquillait dans la petite lumière du coin d'eau. Il était blessé à l'épaule et venait de se faire un bandage.
- Alors c'est vous qu'on envoie, dit l'autre avec un fort accent autrellien, pour me sortir de la mouise ?
Portzamparc baissa son arme, étonné. Le clown finissait de se démaquiller et commençait à se changer.
- Repos, sergent ! rit-il en enfilant sa chemise, malgré son bras douloureux.
- Capitaine... capitaine ?
L'homme agrafait son bandeau comme il pouvait. C'était bien Vaneighem !
- C'était la chasse au gros, ce soir, sergent...
- Venez, vous ne pouvez pas rester là !
Portzamparc avait repéré une passerelle à l'écart. Il y avait un seul Pandore, qu'il écarta en lui disant qu'il avait aperçu le fugitif à l'autre bout de la plateforme. Bientôt, le mot d'ordre fut transmis et les Pandores se dirigèrent à l'opposé. Les militaires suivirent. C'était beau, la discipline de groupe !
Maréchal, qui n'aimait ni les Pandores et encore moins les militaires, les laissa cavaler. Il savait une chose : c'est que le contact de Herbert ne s'était pas trompé ! La vie de l'amiral, c'était secondaire !
Il quitta la plateforme par l'ascenseur, qui fermerait bientôt. Les autres n'auraient qu'à descendre à pied.
Il était 20 heures et deux hommes franchissaient la passerelle sud-ouest de la plateforme. De l'autre côté, après une courte traversée au-dessus d'un gouffre, c'était le quartier Rotor 24, situé à la verticale de la Jointure. Blessé, Vaneighem devait souffler régulièrement.
Il y avait tant de choses que Portzamparc voulait lui demander : quand était-il arrivé ? Ses contacts avec le réseau ? qu'avait-il fait ces dernières années ? Il avait maigri. On ne le sentait plus bon vivant. Il avait, même sans maquillage, le visage du clown lunaire.
Vaneighem ne dit pas un mot, gardant son souffle pour la course. Arrivé de l'autre côté, il dit qu'il continuerait seul. Il avait une planque pas loin de là.
- Rentrez chez vous, vous en avez assez fait. Je vais vous appeler très bientôt.
Les deux soldats se serrèrent la main et Portzamparc repartit dans l'autre sens. Sur la plateforme, Pandores et militaires abandonnaient les recherches.
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07-10-2008, 11:02 AM
(This post was last modified: 09-10-2008, 03:38 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal retrouva la famille au bar du Novö-Art.
- Je croyais que tu devais être en congés, remarqua sa tante.
- J'ai eu du travail aujourd'hui, toussota-t-il. Tu sais, pour un fonctionnaire, il n'y pas vraiment de vacances, surtout à SÛRETÉ.
- Et demain, peut-on espérer te voir ? Je te signale que nous repartons demain soir.
- Écoute, je te promets de faire de mon mieux mais là, nous sommes sur une affaire. Et il y a des personnes importantes impliquées. Donc...
- Donc j'espère, dit Myrtille, que tu feras un effort pour voir un peu ta vieille tante...
La corde sensible maintenant !
Gérald s'alluma un cigare :
- Allons, maman, tu vois bien que tu le gênes. Nous ne pouvons quand même pas distraire un officier de police de son devoir. Crois-tu que les gens aimeraient qu'un fonctionnaire chargé de les surveiller prenne des vacances au lieu de courir après les malfaiteurs ?
Maréchal trépignait, impatient de partir : il avait justement un "malfaiteur" à voir !
Sa tante l'embrassa et soupira, d'un air qui disait qu'il ne changerait jamais !
Portzamparc rentrait chez lui. Sa femme était déjà là ; elle était revenue avec ses amis. Elle avait beaucoup ri toute la soirée.
- Tu sais que la voisine a des enfants pas croyables ! Ils sont drôles, tu verrais ! De vrais clowns. Ils n'ont pas besoin du cirque, eux !
Son mari sourit poliment, dit qu'il était fatigué par sa journée et alla prendre une douche bien chaude. Il avait besoin d'être seul. Dans la cabine en plastique, il fit tourner le robinet qui grinçait et entendit l'eau dégringoler dans les tuyaux puis la sentit, brûlante. Il tremblait encore de froid.
Il repensait à la voiture qui l'emmenait depuis la capitale d'Autrelles, avec ces deux civils qui voulaient lui parler. Ses souvenirs à ce sujet étaient plus confus alors que longtemps, il en avait gardé des images très nettes. Il se souvenait que la pièce résonnait, qu'elle était très mal éclairée. Juste une table entre lui et un civil qui l'interrogeait. Deux personnes derrière lui. Une cave dont les couloirs lui avaient paru infinis.
Il ne se souvenait pas de paroles, mais de cris. Peu à peu, il reconstituait ce qui s'était passé.
- Vous voulez servir votre royaume, lieutenant ?
Portzamparc s'était levé d'un bond, fier, la poitrine bombée.
- Je l'ai toujours servi !
- Mon cul, oui...
Le sang était monté aux joues de l'officier. Les deux malabars derrière n'avaient pas été assez rapides : le type avait pris le direct de Portzamparc dans le nez.
Le militaire s'était fait ceinturer et rasseoir, les pattes des deux affreux lui broyant le bras.
Son nez en sang dans un mouchoir, le type ricanait.
- Bravo, quel patriotisme, lieutenant !
- Dans ta face, le patriotisme, avait grogné l'officier.
- Donc, je reprends... Moi je vous propose de servir enfin votre Royaume, et autrement qu'en nettoyant le crottin des écuries, compris, espèce d'empaffé de bidasse de mes deux !
Cette fois, Portzamparc ne pouvait plus bouger, et l'autre prenait un malin plaisir à se pencher sur lui.
- Chasseur polaire, c'est ça ?... Vous êtes fiers de votre titre, vous autres, n'est-ce-pas ? Mais dites-moi, vous faites quoi, tout le temps dans ces régions perdues ? Ça doit être long, non ?... Pas de femme en plus. Ou alors parfois un petit raid pour piller quelques villages, hein ?... Ou bien, dans le pire des cas, vous vous envoyez en l'air avec vos chèvres, hein, bande de dégueulasses !
L'officier avait l'envie de meurtre dans le regard.
- Oh mais c'est qu'on est un gros dur, c'est ça ?... Voyons, qu'avons-nous là ?
Le type sortait du tiroir une liasse de papiers.
- Voyons, quels sont vos derniers exploits ? Surveillances de nuit, patrouilles, repérages... Impressionnant ! Mais vous ne vous battez jamais, dites-moi ? Vous croyez que notre monarque entretient des troupes juste pour remuer la neige ? Peut-être qu'il va falloir vous réveiller ! Je vous signale qu'on a des voisins, les Kargarliens, qui en ont après nous. Mais ça ne doit pas vous empêcher de dormir, vous là-haut. Après tout, on ne vous demande pas de vous battre comme des hommes, hein, juste de surveiller la frontière !... Pas besoin d'avoir des couilles au cul !
Les deux gardes riaient et serraient le lieutenant de près. L'un d'eux lui attacha les mains derrière la chaise.
- Fumier !
Portzamparc allait faire craquer ses liens. L'autre renversa sa chaise en arrière et gueula :
- Je te pisse dessus, la bidasse, compris ? Je te pisse dessus !
Et il était en position de le faire !
La nuit avait été longue. Insultes à répétitions, des seaux d'eau froide. Des coups. Des questions aussi, entre deux insultes à ce que le lieutenant avait de plus sacré : son régiment, sa virilité, son honneur. "Tapette..."
Des heures dans le noir, et de brusques retours de son interrogateur, qui reprenait la discussion comme s'il venait de partir.
Au matin, épuisé, Portzamparc avait demandé, après avoir repris un seau d'eau glacé :
- Mais que me voulez-vous, à la fin ?...
Le civil avait dit à ses deux gorilles :
- Solide, quand même, vous ne trouvez pas ? Les troufions, c'est ça : cons comme des balais, mais solides comme le roc !
Les deux autres riaient.
- C'est vrai que vous n'avez pas inventé l'eau tiède, bande d'empaffés !...
Il cracha par terre et se frotta le nez. Il avait une belle bosse dessus !
- Seulement, moi, je viens vous offrir un autre avenir, lieutenant.
Il était d'un coup plus aimable. Il s'assit d'une jambe sur le bureau, s'alluma une cigarette et en offrit une à son "invité".
- Un avenir loin d'ici, lieutenant, mais plus exaltant que la surveillance de la frontière septentrionale et la distribution de corvées d'écuries à vos subordonnés.
- Sans blague, dit Portzamparc, abruti par la fatigue, vous me proposez une nuit dans le lit de la Cousine ?
La Cousine, c'était celle du roi. Jeune et belle, c'était une débauchée notoire, dont les aventures galantes étaient une mine de ragots et de plaisanteries de corps de garde.
Le type éclata de rire.
- Bien, vous avez de l'esprit, c'est bien... C'est rare chez les gens de votre espèce.
Un des gros bras apportait du lait et du pain, bien croustillant.
- Arnolphe est une vraie mère pour vous, lieutenant. Moi qui ne lui ai rien demandé.
- Bois, mon gars, tu l'as bien mérité !
Portzamparc prit la tasse de lait brûlant.
- Merci, "papa"...
On délia les mains de Portzamparc. Puis on lui expliqua ce qu'on attendait de lui.
- Je vais expliquer lentement, parce que je conçois bien que ce soit dur à appréhender pour un crétin de bidasse de mes deux comme vous...
Portzamparc ne se vexait même plus ! C'était la routine maintenant, une petite insulte entre deux phrases ! On était en famille, dans cette charmante cave sous une bâtisse en pleine nature !
L'explication avait duré une partie de la mâtinée.
Le policier sortit de la douche et alla se mettre au lit, contre le corps bien chaud de sa femme.
- Alors, tu as aimé cette soirée ?
- Oh, tu sais, je n'ai pas eu trop le temps de m'intéresser au spectacle. On a eu du travail.
Portzamparc s'endormit peu après, malgré l'anxiété qui le tiraillait. A cette heure-ci, où était Vaneighem ?
*
Dans les ruelles tordues de Rainure - Saint-Polska, Herbert, emmitouflé, passait en grelottant. Le quartier était désespérément désert. Il arriva dans un relais de poste vide. Il ouvrit la porte avec son passe et prit le parlophone.
- Bonsoir, mademoiselle, donnez-moi s'il vous plait Kreutzer 45-67. Oui, 45-67... Merci.
Il raccrocha. D'où il était, il dominait le bassin de Pantion, et ses étranges machines célibataires, qui œuvraient sans arrêt à une tâche incompréhensible. Aucun feu dans les chaumières. Personne dans les rues. Et il était prisonnier de ce quartier fantôme.
Le parlophone sonna.
- Votre appel est prêt, monsieur.
- Merci, fit-il, pressé.
Il se mordit la lèvre. Il entendit la voix de son interlocuteur.
- Allô, c'est Herbert... Vous avez recommencé ?... Non, écoutez, c'est de la folie... Ce n'est pas raisonnable... D'abord, vous êtes censé me surveiller et pas le contraire. C'est moi qui devrait être tenté de faire des bêtises, ou de m'échapper de cet endroit. Au lieu de ça, on dirait que c'est moi qui doit vous surveiller... Vous m'entendez ?... Soyez raisonnable : que va penser le professeur quand il verra que vous avez utilisé son siège ?... Vous y êtes depuis combien de temps ?... Ohlala... Je ne l'ai jamais vu y rester plus de quelques minutes... Et vous y êtes depuis un bon quart d'heure... Moi je sais ce qui se passe quand on abuse de l'utilisation de ce genre d'engins... Non, mademoiselle, ne coupez pas !... Allô ? allô ?...
- Votre correspondant a raccroché, dit la voix de la petite dame.
- Merci, au revoir.
Herbert raccrocha et repartit vers sa bicoque. Il était pressé de boire une bonne infusion.
Il tournait la clef dans sa serrure quand il fit un bond : on venait de lui poser une main sur l'épaule.
- Inspecteur !
Maréchal allumait une cigarette.
- Alors, où étiez-vous passé ?
- ... sorti parlophoné ! grogna Herbert. J'ai encore le droit, non ?
- Allons entrons...
A contre-coeur, Herbert ouvrit.
Maréchal s'assit comme s'il était chez lui.
- Votre contact est drôlement fortiche, Herbert. Il a de sacrés bons tuyaux...
- On a tué quelqu'un ce soir ?
- Ce n'est pas passé loin. Mais le tueur a réussi à nous échapper.
Le petit chauve mit de l'eau à bouillir. Maréchal alluma une cigarette.
- Qu'est-ce que cet indic vous a dit d'autre ?
- Pour le moment, rien.
- Mais il ne va pas tarder à en dire davantage, pas vrai ?
- Écoutez, je ne sais pas.
- Inutile de mentir, Herbert. Je veux ces informations.
- Ce ne sera pas gratuit.
C'était comique de l'entendre jouer les durs.
- Qu'est-ce qu'il veut, votre ami ?
- Lui, je ne sais pas. Moi, je sais.
- Ah oui ?
- Oui. Je servirai d'intermédiaire. En échange, je veux pouvoir sortir d'ici.
Maréchal écrasa sa cigarette par terre et en alluma une autre.
- Il va falloir que vous m'expliquiez quelque chose, Herbert... Qu'est-ce qui vous empêche de partir d'ici ? Regardez, moi, je n'ai aucun problème pour aller et venir.
- Vous, ce n'est pas pareil. Si je m'en vais, j'aurai des ennuis.
- Avec vos Scientistes ?
Lassé, Herbert s'assit, sa tasse à la main.
- Si vous voulez...
- Vous me demandez de vous protéger en somme ?
- La protection de témoins, ça existe, non ?
- Encore faut-il avoir de quoi témoigner.
- "On" peut vous mettre sur la piste du tueur !
- Sans blague ? Vous savez qui c'est ?
- Non, pas encore. Mais bientôt.
Maréchal se leva :
- J'attends vos nouveaux tuyaux, Herbert. Je vous fais confiance parce que votre ami a l'air d'avoir de bonnes informations.
- Vous pourriez déjà me faire confiance depuis longtemps ! C'est quand même moi qui vous ai donné la montre ! Je me suis arrangé pour vous la faire parvenir, dans la consigne. J'espère que vous l'avez toujours.
- Mais oui...
- "Ils" ne voulaient pas vous la donner...
- Ce sont vos affaires, cela. Je m'occuperai de vous faire sortir d'ici quand on aura mis la main sur le tueur. Plus le temps passe et plus il peut être loin. Vous avez combien de temps avant le retour de vos amis ?
- Pas beaucoup.
- J'en ai encore moins.
- Je veux une protection sûre ! Et pas votre gniouf !
- On verra.
Maréchal referma la porte sans rien ajouter.
Après le départ de l'inspecteur, Herbert ressortit passer un coup de parlophone.
*
Le lendemain, la police de Mägott-Platz était sur les dents. Les militaires faisaient de leur mieux pour leur faire retomber la faute dessus. Le commissaire Horson eut droit à quelques appels bien salés de la part d'un juge, puis d'un procureur, ami de l'excellent amiral de Villers-Leclos.
- Vous comprendrez, commissaire, qu'il était inutile de vous prévenir si c'est pour qu'un assassin puisse s'introduire dans ce cirque comme dans un moulin...
Le gros policier sortit grognon de son bureau. Novembre et les autres n'étaient pas trop fiers. Portzamparc prenait le même air contrit que les autres.
- Les galonnés n'ont rien à se reprocher, soupira Horson en s'asseyant, lourd et pataud. Ils ont réussi à toucher le clown...
- On va l'avoir, commissaire, dit Novembre. Merde, s'il est blessé, il n'a pas pu aller loin ! Les voisins sont prévenus. Je viens d'avoir Velmer au bout du fil, et Tircelan.
- Alors espérons qu'ils auront le nez creux pour trouver ce tueur de croix de guerre, dit Horson en s'épongeant le front.
Dans son bureau, Maréchal, encore en congé, fumait tranquillement dans son hamac. Il ricanait bêtement en entendant ses collègues déconfits.
Il n'aimait pas les militaires ! C'était comme ça. A peine s'il en voulait au clown. Bien sûr, c'était un tueur et un clown (et Maréchal n'aimait pas les clowns ! et l'inspecteur ferait de son mieux pour l'attraper. Il n'irait malgré tout pas pousser des hauts cris parce qu'on avait attenté à la vie d'un amiral ! C'était bien leur travail, aux dernières nouvelles, à ces bidasses de se faire tirer dessus ?...
Son bureau devenait une annexe de son appartement. Ou bien c'était le contraire... Oui, ce bureau était devenu sa résidence principale !
Aujourd'hui, Myrtille, Gérald et la tribu allaient visiter les beaux quartiers et faire des achats sur la rue Verte. Maréchal ne voulait pas aller là-bas. Il n'y était pas bien vu. Trop zélé, avait dit le bourgmestre.
Il se tourna dans son hamac, bien à son aise, pendant que ses collègues se creusaient la tête pour pouvoir dire aux militaires qu'ils s'agitaient beaucoup.
Alors que lui, Maréchal, attendait un coup de fil... Un simple petit coup de fil ; une adresse, un nom...
Il entendait Novembre qui répartissait les recherches : Portzamparc et les autres allaient passer l'après-midi à crapahuter dans le quartier, certainement en pure perte. Seulement les militaires rôdaient. Le lieutenant de Loclas, le cire-pompes de l'amiral, voulait un coupable. Quitte à en inventer un pour calmer les galonnés. Il y aurait des arrestations de faites, des protestations de la part des plus honorables canailles du quartier.
Maréchal avait paresseusement demandé quelques informations sur Villers-Leclos à son chromatographe. Le réseau de CONTRÔLE envoyait de maigres réponses.
C'était un amiral quatre - étoiles. Nombreuses campagnes en Autrelles. Il avait fini par se retirer de là-bas. Les textes étaient hagiographiques, mais c'est qu'ils émanaient du haut - commandement de la Marine. Maréchal comprenait qu'après un début de campagne prometteur, marqué par plusieurs victoires, les Exiléens avaient fini par être rejetés à la mer, comme de vulgaires pirates. Villers-Leclos était néanmoins revenu en Exil pour y être auréolé de gloire. "Une avancée décisive pour la civilisation du Progrès."
L'inspecteur abandonna ses recherches et préféra se rendormir. Il entendit ses collègues sortir, après un nouvel appel du lieutenant de Loclas. Celui-ci avait sans doute une piste infaillible. Silence dans le commissariat.
Il n'y eut plus, pendant une demi-heure, que le cliquetis de la machine à écrire de Priscilla. Puis un appel de Myrtille :
- Antonin ? Oui, je t'appelle pour te dire que Gérald a trouvé un négociant, ici à la rue Verte... Enfin, c'est compliqué je t'expliquerai...
Aux clameurs derrière sa tante, Maréchal devinait qu'elle devait être à l'hippodrome.
- Bref, Gérald a décidé de prolonger notre séjour... Oui, il est incorrigible ! Il pense avoir une affaire en or !
- Faisons lui confiance pour ça, ma tante. Il a du flair.
- Allons, je te laisse, à ce soir !
Maréchal se rendormit.
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07-10-2008, 03:59 PM
(This post was last modified: 09-10-2008, 03:20 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Le parlophone sonna. Maréchal le décrocha comme si sa vie en dépendait.
- Inspecteur ?
- J'ai attendu votre appel toute la journée, vous faisiez quoi ?
- Écoutez, j'ai des renseignements importants. Mieux vaut tard que jamais, non ?
- Alors ?
- Le tueur a trouvé refuge dans le quartier de Rotor 24. Vous connaissez ?
- Évidemment. Ensuite ? Où précisément ?
- Une résidence d'ouvriers, à l'entrée du quartier. Je n'en sais pas plus.
- D'accord.
Maréchal raccrocha et prit son manteau dans le même mouvement. Il cria à Priscilla sa destination et dit qu'il avait une piste.
- Entendu, minauda la secrétaire, très concentrée sur son texte.
L'inspecteur prit son billet pour l'ascenseur et usa de sa carte de SÛRETÉ pour le faire démarrer sans attendre. Pendant que la plateforme montait, il cogitait : Rotor 24 était accessible depuis la plateforme de loisir par un seul accès : la passerelle Rouille-Brume. Mais c'était dans la direction opposée que les galonnés avaient cherché l'assassin. Maréchal se dit que c'était décidément des bons à rien !
Un Pandore faisait le pied de grue près du cirque :
- La passerelle Rouille-Brume, qui la surveillait hier soir ?
- Je ne sais pas.
L'imbécile de planton buté ! Il ne dirait rien, pour ne pas avouer qu'elle n'était pas surveillée !
Maréchal alluma une cigarette et s'engagea sur la passerelle. Il passait au-dessus de Mägott-Platz et de la Jointure. Rotor 24 n'était pas le quartier qu'il connaissait le mieux. Il savait que c'était un bloc citadin entièrement amovible. Une réalisation spectaculaire des Ingénieurs de la Cité. Le quartier avait été enclenché dans sa position actuelle dix ans, pour une durée maximale de quinze ans, après quoi il serait déplacé, en fonction des besoins des corpoles ayant construit dessus.
Le fonctionnement du quartier était financé à moitié par ces mêmes corpoles qui y possédaient à peu près tout, des habitations aux commerces. ADMINISTRATION y avait un rôle plus ténu qu'ailleurs, ce qui était pour les corpolitains une preuve qu'Exil pouvait vivre sans les lourdeurs de la bureaucratie.
Maréchal s'adressa à un Pandore pour trouver l'adresse du logement des ouvriers. Le bâtiment était un bloc de pierre de dix étages de haut, avec à chaque palier une dizaine de logements, tous semblables. L'indic de Herbert avait des informations vraiment fiables ! Comment savait-il ? Qui était-il pour en savoir plus long que la police ?
Maréchal sentait son instinct de chasseur se réveiller. Il y avait, dans ce bloc massif, un tueur en puissance, assez audacieux pour s'en prendre à une des gloires de la Marine d'Exil.
L'inspecteur ne savait pas qu'au moment où il arrivait sur le palier de l'immeuble, il était déjà observé par l'ex-capitaine Vaneighem. Celui-ci, cloîtré depuis la veille dans un vilain petit studio nu, avait fini de nettoyer sa plaie et de refaire son bandage. Il avait changé de vêtements ; il remettait des cartouches dans son révolver. Et il avait aussitôt senti que cet homme qui parlait à la concierge venait pour lui. Il puait le flic.
Vaneighem mit son chapeau melon et sa redingote de petit-bourgeois paisible, sortit dans le couloir et prit l'escalier de secours. Il arrivait dans la rue quand Maréchal arrivait sur son palier, suivi de la concierge.
- Oui, il est dans cet appartement, inspecteur. Un des moins chers. Il est loué depuis des mois mais personne ne l'occupait, sauf ce monsieur qui est arrivé la nuit dernière, très tard. Il avait les clefs.
Maréchal frappa à la porte.
- Ouvrez !
- Bien, bien...
La concierge mit la clef dans la serrure et ouvrit. Maréchal avait la main sur son arme. Il découvrit le studio vide.
- Où est-il ? Vous ne l'avez pas vu descendre ?
- Mais non !
- Il y a un autre escalier ?
- Celui de secours qui-
Maréchal bouscula la concierge et partit en courant au bout du couloir. Il descendit dans la cage étroite et humide. C'était un lieu angoissant, comme il y en avait beaucoup en Exil, à chaque recoin.
Sur le trottoir, la foule du soir, laborieuse, fatiguée, qui allait préparer à dîner.
Un Pandore qui passait. Il sifflotait et faisait tourner son bâton.
- Vous ! SÛRETÉ : vous avez vu quelqu'un sortir de cet immeuble ?
- Hein, comment ?
L'autre était un ahuri de première classe. Il lui semblait bien, à la réflexion avoir vu...
- C'est lui, là-bas, dit la concierge. Le monsieur en redingote brune.
Maréchal entra dans la foule. Cette incapable de concierge avait parlé trop fort ! Si l'autre n'avait pas entendu, c'est qu'il était sourd. Il avançait tranquillement, l'air d'un honnête citoyen rentrant chez lui. Il penchait la tête et se tenait de temps en temps le bras.
- Elles perforent bien, les balles des militaires, hein...
Ils pénétraient dans un parc, où l'allée était encombrée des familles avec leurs poussettes, des hommes qui fumaient sur les bancs après le travail. Maréchal traversait la lente vague des passants et ne perdait pas de vue son suspect, qui accélérait, à mesure qu'il approchait... de la gare. Rotor 24 Zentral.
Maréchal pouvait le faire intercepter : il y avait un Pandore, qui pouvait aller prévenir ses collègues. Seulement, la curiosité de l'inspecteur était plus forte : il voulait savoir où son homme allait.
Les quais étaient bondés, les gens pressés d'avoir leur train. Il y avait plein de fumée sous la verrière et des annonces incompréhensibles dans les hauts-parleurs. Les centaines de lettres des panneaux horaires tournoyaient, des sifflets retentissaient.
L'homme allait vers les lignes inter-urbaines. Quai n°12 : le train de nuit terminus la Vague Noire. Il avait déjà son billet.
Maréchal rageait. Il avait promis à tante Myrtille de... Et ce train qui allait partir ! Les voyageurs qui s'engouffraient dans les wagons. L'inspecteur alluma une cigarette et courut aux guichets. Il s'évita la queue en brandissant son insigne :
- Vite, une 2e classe pour la Vague Noire !
- Voilà, dit la dame derrière sa vitre. Dépêchez-vous, il part dans trois minutes.
Maréchal fut pris sur le quai dans le flux de passagers qui descendaient de leur rapide du soir. Il avait perdu son suspect. Au dernier moment, il le vit monter dans le train. Il monta à son tour, juste quand les portes se refermaient.
"...'tention à la fermeture automatique des portes. Bienvenue à bord de ce train. Je vous rappelle que nous serons sans arrêt jusqu'à notre terminus, la Vague Noire."
Maréchal n'aimait pas le bord de mer. C'était un terrien. La seule vue de l'océan houleux lui donnait mal au cœur. Sa seule chance dans cette histoire était d'être déjà allé à la Vague Noire, pour l'enquête sur Tourville.
Il trouva son wagon, déjà plein. Il lui restait une petite place, au fond. Il avait pris 2e classe, car il ne voulait pas des passagers crasseux des 3e, ni des bourgeois des premières !
Le train prenait déjà de la vitesse en s'engageant dans une forte pente au sortir de Rotor 24. Des femmes poussaient quelques petits cris, amusés et apeurés, quand le train sursautait. Maréchal jeta un œil par la fenêtre : le train roulait sur un viaduc vertigineux, au-dessus de centaines de cheminées qui crachaient des bouffées grises. Et le viaduc supportait le passage de trois voies de chemins de fer, d'un tramway et d'une voie piétonne.
Maréchal se releva, incapable de rester dans cette promiscuité étouffante. Il traversa trois wagons pour arriver au bar-restaurant.
- Le plat du jour, avec une carafe de vin.
Il avait "les crocs", comme il disait quand il était gosse. Il mit sagement sa serviette à son cou, souvenir des bonnes manières inculquées par sa tante et savoura la soupe et les pommes de terre. Il reprit un pichet de vin.
Il était bien, il commençait à avoir chaud. Les lumières du wagon brillaient plus fort. Les secousses du train participaient de son bien-être. Il montra sa plaque au garçon et lui demanda d'envoyer un télégramme. Il avait déjà les joues rouges et il avait encore soif.
Myrtille recevrait le petit bleu à l'hôtel dans l'heure qui suivrait. Elle aurait été capable de s'inquiéter en apprenant que son neveu n'était pas revenu...
Maréchal fut des derniers clients. Il fumait, il buvait. Il dut s'endormir quelques heures et se réveilla, vaseux. Les garçons le regardaient d'un drôle d'œil. Il aurait eu envie de leur dire que s'ils n'étaient pas contents, il pouvait aussi les envoyer au gniouf !
A une heure indéterminée, il vit passer deux agents de la police ferroviaire.
Il aurait pu les mettre au courant de sa filature, mais en fait, non. Il n'aimait pas la police ferroviaire. C'était comme ça ! Il avait bien le droit à ses petites détestations. Il ne voulait pas de leur coopération. C'était son enquête. A moitié assoupi, il se dit qu'un jour, il afficherait sur la porte de son bureau : "Je suis pour la guerre des services !"
Il rit à cette idée.
Il se frotta les yeux, s'étira, bâilla, commanda un petit verre pour se remettre d'aplomb. Puis il passa aux lavabos, où il se regarda le fond de l'œil en tirant la langue, puis il rejoignit sa place. Les gens ronflaient encore. Les deux hommes de la "ferroviaire" jouaient aux cartes dans le compartiment du fond. Quel professionnalisme ! L'inspecteur envisagea une dénonciation de ces pratiques...
Il parcourut consciencieusement les wagons et trouva son homme dans les "premières", endormi. L'inspecteur ne s'arrêta pas. Il aurait juré qu'il ne dormait que d'un œil et qu'il se savait suivi. Tant mieux.
Il était quatre heures du matin. L'inspecteur alla s'accorder deux heures de sommeil. Le train roulait le long de la côte de l'océan noir. Les ports défilaient et de grands oiseaux marins qui ressemblaient aux vagues hurlaient dans le petit jour.
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