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Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir
#1
Exil #4



- L’affaire Horo a été la première vraie rencontre des deux policiers avec les anomalies d’Exil. Ce n’est pas pour autant que cela les a « vaccinés » contre ce qu’ils ont rencontré ensuite…
- C’est encore pire dans le dossier #4 ?
- Chacun à leur manière, ils vont encore en prendre un coup.
- Mais Horo est bien mort ?
- Ah oui, sans doute. La police judiciaire ne l’a pas raté.
- Ils affrontent encore un passe muraille ?
- Non, pas de victimes de machines diaboliques cette fois. Il n’y a même pas un seul coup de feu de tiré. (Enfin si, un seul).
- Alors quoi ?
- Entre un manoir « hanté » et une impasse qui a l’air sans fin, Maréchal et Portzamparc vont découvrir des lieux encore inconnus de Mägott Platz. Ce n’est qu’une première étape.
- On en découvre plus dans le dossier #5 ?
- Le dossier #5, ce n’est pas pour tout de suite…




DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->

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#2
EXIL

Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.

Créatures, anges, gouffres, orages :
L’insondable noirceur de l’océan
Noie les explorateurs du large.
Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant.

Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses
Trams, Cité des métamorphoses industrielles.
Lune branchée à l’électricité universelle !

L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec-->
<!--/sizec-->
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#3
DOSSIER #4<!--/sizec-->


L'INCONNU DANS LE MANOIR<!--/sizec-->

SHC 5 - RUS 3 - IEI 3

Le détective heurta la poubelle, qui se renversa et fit un beau vacarme.
Maréchal le regarda et lui cria silencieusement de faire attention. Portzamparc fit signe que cette fichue poubelle était en plein milieu du chemin !
L’inspecteur ordonna d’un geste aux Pandores de se répartir dans les rues alentours. On entendit le bruit de leurs lourdes bottes battre le pavé. Au bout de la rue, de la lumière s’alluma au sixième étage, et une porte claqua.
- Trop tard, fit Maréchal.

Portzamparc courut ventre à terre jusqu’au petit immeuble, et fit enfoncer la porte par le Pandore qui le suivait. Maréchal fit le tour du bâtiment. Le détective et le prétorien se ruèrent dans l’escalier. Ils avaient à peine le temps de respirer, à chaque étroit palier, tandis qu’ils réveillaient l’immeuble en faisant grincer affreusement le parquet. La petite cage d’escalier tournait follement. Quand ils arrivèrent au sixième, c’était trop tard : l’échelle d’accès au toit était descendue et la trappe ouverte. La porte de l’appartement était béante.

Portzamparc se hissa à l’échelle. Le vent soufflait, agressif, dans la nuit. Le Pandore approcha sa lanterne tempête. On voyait une petite silhouette détaler sur un autre toit et se laisser glisser le long d’une gouttière. Les deux policiers étaient distancés.
En bas, Maréchal et les autres brigadiers finissaient de contourner l’immeuble, mais ils avaient pris du retard.
- Il va vers le quartier des canaux, dit Portzamparc à son Pandore, avant de se laisser descendre à son tour par la gouttière.

Il se reçut sur le pavé mouillé, et reprit sa course. Il entendait distinctement son prédécesseur cavaler dans les petites rues. Les canaux.
Portzamparc eut juste le temps de le voir sauter sur une péniche bâchée, et bondir sur l’autre rive. Du coup, l’embarcation tanguait et le policier dut courir sur sa rive, pour atteindre le pont, un peu plus loin.
L’autre avait pris de l’avance, mais les Pandore arrivaient par une rue perpendiculaire. Le détective tourna à angle droit, et vit son homme, un gros sac sur l’épaule. Ce dernier trébucha sur un mauvais pavé, se releva, se retourna. Portzamparc était presque sur lui. Mais l’homme jeta son sac dans l’eau noire.
- Ne bouge plus !
Portzamparc le braquait maintenant.
- Mains au mur !
Des lumières s’allumaient dans le voisinage. Les Pandore arrivaient, et Maréchal, bon dernier.
- Arrêter un honnête citoyen comme moi !
- Tais-toi, Gibal ! Tu as fini de courir. Tu vas pouvoir te reposer chez nous.
Portzamparc s’approcha et lui passa les menottes.
- Je n’ai rien à me reprocher !
- Et le sac que tu as jeté ?
- Quel sac ?
- Tu ne savais pas, dit Maréchal, qu’il y a une amende pour ceux qui jettent leurs détritus dans les canaux ?
- Va nous repêcher ça, dit Portzamparc à un des Pandores.
Le malheureux prétorien descendit les marches et tendit le bras. Non, il n’y arrivait pas. Il dut se jeter à l’eau.
Gibal éclata de rire, mais un autre brigadier lui mit une claque.
- C’est lui qui aurait dû aller le chercher !
- Il aurait été fichu de s’enfuir à la nage !
Maréchal reprenait son souffle. « Arrêter la cigarette, arrêter la cigarette… »
- Détective, vous le ramenez à la maison. Je vais aller fouiller chez lui.
- C’est de la violation de domicile !
C’est vrai que Gibal était un de ces truands qui, surtout dans les pires situations, ne manquent pas d’humour !

*

- Je peux avoir une cigarette, au moins ?
Portzamparc s’était assis, face à lui, à califourchon sur une chaise. Derrière, un Pandore se tenait immobile.
- Tu peux. Si ça te rend bavard…
Un Pandore lui tendit du tabac et du papier.
- Pas facile de rouler, avec ces menottes…
Le détective craqua une allumette et lui approcha.
- Alors, ce sac, Gibal ? C’était ton argent, peut-être ?
- Ce n’est pas un crime de garder son argent chez soi ! Vous savez, les banques ne sont pas sûres de nos jours !
Il se cachait à peine de rire en disant cela. Perdu pour perdu…
- Sacré Gibal, tiens ! tu penses que la SÛRETÉ ne fait pas bien son travail ?
- J’aime pas la Pham’Velker, c’est tout…
- Et tu peux nous dire pourquoi tu t’es enfui ?
- J’ai peur des cambrioleurs !
- Tiens, tiens, tu as peur… Pourtant, il faut du cran pour monter un casse, et braquer la Pham’Velker, non ?
- Ce n’est pas un boulot pour moi…
- Non, bien sûr… Tu sais, ce n’est pas compliqué. On va analyser les billets trouvés dans le sac. On appelle la banque. Ils vont nous dire les numéros de ceux qu’on leur a volés. Ce sera vite vu. Et je ne parle pas des empreintes. La Scientifique aura vite fait de les trouver.
- Mais comment vous pouvez croire à ces trucs-là ! Ils ne sont pas devins, vos gars de laboratoire, non ?
Portzamparc sortit et alla dans le bureau de Novembre. L’inspecteur chef avait deux combinés à la main, un pour Rampoix et Sampieri, qui étaient sur les traces d’un autre braqueur, et un avec le commissariat de la Jointure, le quartier voisin.
- Mes hommes sont sur leur trace, oui… Non, Rampoix, tu continues… C’est ça, on vous prévient… Oui, vous me les amenez en bon état… On en tient un. Oui, à très bientôt…
Novembre raccrocha et s’alluma une cigarette.
- Ils sont au moins six ou sept, d’après la banque. Tu en es où avec ta prise ?
- Il s’agit bien de Félix Gibal.
- C’n’est pas un dur, va. Pas le mauvais gars, mais influençable. Il compense en jouant les rigolos.
- J’ai vu.
- Il faut qu’il nous donne le nom de ses amis.
- Entendu.
Portzamparc retourna dans la salle d’interrogatoire. Gibal avait fini sa cigarette.
- Bon, alors, tu n’as rien de plus à dire ? L’inspecteur Maréchal sera bientôt là.
Il entrait justement.
- Bonsoir, tout le monde. Alors, où on en est ?
- Monsieur Gibal n’est pas très bavard.
- Il va falloir que ça change. Parce que je reviens de chez lui. Et j’ai trouvé quelques billets. C’est normal, dans la précipitation, tu n’as pas eu le temps de tout mettre dans le sac.
- J’étais pressé…
- Tu avoues donc que le sac était à toi. Très bien, c’est un début.
- Vous me forcez la main.
Gaston Rainier, l’homme de la Scientifique, entra.
- Excusez-moi de vous déranger. Je viens d’avoir la Pham’Velker. Ils m’ont donné les numéros des billets. En se tenant aux trois derniers chiffres, la série va de 402 à 967. Et les billets dans le sac sont autour de 500, 700.
- 700, c’est entre 400 et 900, non ? demanda Maréchal.
- Maintenant, ajouta Rainier, si monsieur Gibal n’est pas convaincu, nous pouvons aller chez lui, faire des analyses. Et relever les empreintes sur les billets. Mais cela demande du temps, et coûte cher. Je vais encore avoir le service comptable sur le dos…
- Donc, ajouta Maréchal, on gagnerait du temps si tu parlais tout de suite. Sinon, tu risques d’aggraver ton cas, en faisant déplacer la Scientifique.
- Bon, ça va… fit Gibal, rageur.
- Alors, quoi ?
- Alors il faut savoir quand on n’est pas le plus fort.
- A la bonne heure ! On va enregistrer ta déposition.
Maréchal s’alluma une cigarette et fit servir du café à tout le monde.

- Si tu nous parlais de ta bande ? Vous aviez l’air drôlement bien organisés, non ? D’après ce qu’on nous raconte à la Jointure, vous ne veniez pas en amateurs…
- Je ne connais pas tous les noms. On était déjà cagoulés quand on s’est retrouvés. C’est notre chef qui nous a réunis.
- Tu n’as aucune idée de son nom, à ce chef ?
- Non.
- Et les autres ?

La machine à écrire crépita pendant une bonne heure. Gibal avait donné le nom d’un ancien mitier, radié de la fonction publique. Et un bagnard, qui avait déjà un copieux dossier chez SÛRETÉ.
- Intéressant, fit Maréchal. Le détective va en terminer tranquillement avec toi.

De Portzamparc était bon pour le rapport !
Pendant ce temps, l’inspecteur rejoignait son hamac. Rampoix et Sampieri étaient de retour avec un autre des braqueurs. Novembre rappelait le commissariat de la Jointure.

Satisfait, Portzamparc sortait le beau papier tapé.
- Si on allait dormir ? proposa Gibal, qui en avait eu assez pour aujourd’hui.
- Prends des forces avant d’aller casser des cailloux !

Le détective ressortit. La secrétaire lui cria :
- Parlophone pour vous !
- J’arrive.
Il prit le combiné.
- Ah, c’est toi…
Il baissa d’un ton.
- Non, j’ai fini mon rapport. Oui, je rentre. Non, j’ai mangé. Promis, je me couvre, oui…
La secrétaire trouvait madame de Portzamparc tellement généreuse, et son mari si attendrissant quand il devait écouter ses conseils !

- Bonne nuit, petit, fit Novembre, qui n’en avait pas encore terminé.
Portzamparc salua l’inspecteur, ainsi que Maréchal. Ce dernier grogna bonne nuit, et se retourna dans son filet suspendu.

*

Quand Portzamparc revint le lendemain midi, on sablait le champagne. Tout le commissariat était réuni dans le bureau de Novembre. Les policiers avaient déjà pris des couleurs. Les bulles leur pétillaient dans les yeux.
- Ma foi, disait Novembre, la Pham’Velker fait bien les choses. Une cuvée 195, cela s’apprécie !... Tiens, Jeff, on attendait plus que toi !
« Jeff » ! Ce n’était pas le genre de Novembre de faire des familiarités avec ses hommes !
Celui qui avait apporté le champagne avec un seau plein de glaçons était un homme en costume trois-pièces, avec un petit médaillon de la banque Pham’Velker à la poitrine.
- Détective de Portzamparc, voici monsieur Loki Radik, qui vient nous rafraîchir ce matin !
- Enchanté, dit le détective.
Radik lui serra la main et lui présenta ses remerciements de la part de sa corpole.
- Nous apprécions à sa juste valeur le dévouement des hommes de SÛRETÉ. Nous savons qu’appréhender ces malfaiteurs n’a pas été chose facile.
- Ma foi, dit le détective à qui Sampieri servait une coupe, je n’étais pas seul sur cette affaire, et l’inspecteur Maréchal…
- Regardez-le à jouer les modestes, rigola Novembre. Allons, à la santé de la Pham’Velker !
On porta un toast et Radik lui-même resservait l’assemblée.
Il avait un regard fuyant, un peu fou, une petite bouche qui semblait vivre sa vie propre de grimaces et de rictus, et des manières obséquieuses.

- Vous savez, disait-il, presque contrit, je ne suis qu’un modeste représentant, un petit clerc en quelque sorte.
- Quel est votre poste là-bas ?
- En particulier, je suis chargé du service contentieux, mais dans les faits, mes attributions vont au-delà.
- Livreur de champagne, dit Boncousin qui s’était encore resservi, me paraît un boulot agréable !
Et tous de rire.
C’était la fin de semaine, et seul Sampieri était d’astreinte pour le lendemain. La journée allait se terminer après le déjeuner. La demi-nuit d’Exil semblait aujourd’hui légère. Les policiers, en bras de chemises, n’avaient pas le cœur à traiter leurs dossiers administratifs qui, pourtant, s’accumulaient sur les bureaux.

On termina la bouteille et le serviable monsieur Radik partit en les remerciant encore.
- Allons, dit Novembre en consultant sa montre, le contribuable ne nous paie pas –que – pour siffler des flûtes… alors au travail !
Les policiers firent semblant de râler, encore bien joyeux, en attendant l’heure de partir.
C’était le moment le plus inquiétant, puisque la célèbre LEM (Loi d’Emmerdement Maximum) était censée régir le fonctionnement de la lune, qui mettait souvent des criminels dans les jambes des policiers, juste avant leur départ pour deux jours. Mais la chance leur sourit réellement, ce jour-là, et il n’y eut aucun incident.

- Bonne journée, détective, dit Maréchal à Portzamparc, mes hommages à Madame…

L’inspecteur rentra, presque guilleret. Mais à mesure qu’il s’éloignait du commissariat pour retrouver son domicile, s’il cessait d’être un policier de SÛRETÉ, il retrouvait son statut de simple citoyen et ses soucis habituels.
Plusieurs personnes le saluèrent, ses commerçants habituels, et quelques voisins soucieux d’être, à l’occasion, de précieux auxiliaires de police.

Arrivé chez lui, Maréchal rouvrit le tiroir où il avait mis la montre. Il eut une seconde d’inquiétude.
Non, elle y était bien.
Ronde, plaquée or, avec sa chaîne, et ses trois petits cadrans disposés en triangle. Avec un groupe de trois lettres gravé au-dessus de chacun : SHC, RUS et IEI.
Maréchal avait beau se creuser la tête, il ne voyait pas la signification de ces mots. Et parmi eux, il n’y avait pas LEM !
Il avait essayé de mettre les aiguilles sur la même position que celles des écrans de chez Vilnius / Herbert, lorsque le passage s’était ouvert : ce qui n’avait rien provoqué.
Il préféra s’allonger et s’endormit bien vite. Sa sieste dura une bonne partie de la journée. Ensuite, il fit du rangement chez lui et s’endormit pour la nuit.




A suivre...
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#4
On n'est pas assez roleplay, je suis certain que j'aurais donné le meilleur de moi même avec du vrai champagne, merci d'y pouvoir la prochaine fois monsieur Gronicoredaface2


bravo
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#5
C'est vrai qu'on doit encore fêter (dans l'ordre)
- mon Capes
- mon appart à Rouen
- ma titularisation
- ton appart à Clamart
- la fin du boulot de Fredo
...

boire2
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#6
J'avoues qu'il y a pas mal de chose à feter. Le problème c'est qu'en ce moment, tant que la France reste qualifier pour la coupe du monde, ca complexifie un peu les samedi soirs!!!

en plus le 27&amp;28 je suis au gros truc SWbiggrin

Disons que si la France perd en demi on pourra aller chez le GN à Rouen sinon il faudra aller là où il y aura une télé pour mater le matchbiggrin

Pour la demi je vais à l'hotel de ville donc je serais pas dispo mais le WE prochain pour la finale on pourra le mater ensemble si zetes chaud et si la France passe le steack bien surbiggrin
Reply
#7
DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->


Deux jours plus tard, de bon matin, le travail reprenait. On discutait autour d’un café, dans le bureau des détectives, ou devant les casiers postaux.
- Alors ces deux jours d’astreintes ?
- Sans histoire, dit Sampieri. J’ai fait descendre la pile de dossiers, c’est à n’y pas croire ! Le boulot que j’ai abattu !
Dans son dos, Priscilla, la secrétaire, en ramenait une pile aussi haute, et Sampieri était le seul à ne pas le voir.
- Peut-être, dit Rampoix en riant, qu’ADMINISTRATION a décidé de t’oublier un peu.
- J’espère bien !
Et on entendit sa longue plainte quand il découvrit ce qui l’attendait. Ses collègues éclatèrent de rire.

Portzamparc arriva, salua, et retira le courrier de son casier.
- Alors, cette fin de semaine ?
- Très bien. Ma femme était heureuse de m’avoir à la maison pour faire des courses et du déménagement.
Dans son casier, quelques habituels prospectus pour des marchands d’armes à feu et des syndicats de SÛRETÉ. Et une enveloppe en papier cartonné, avec son seul nom marqué dessus.
Intrigué, le détective se mit à son bureau et l’ouvrit. A l’intérieur, un lettre de papier fin, avec un liseré violet et un linéaire presque invisible. Et un message composé de lettres découpées dans le journal.

« DETECTIVE,
L’INCONNU MENACE LE MANOIR W.
LE COMTE EST EN DANGER.
VENEZ, C’EST UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT.
BIEN A VOUS. »

Portzamparc se gratta la tête.
Manoir W ?... Dans le quartier, il ne connaissait que la maison Whispermoor. Le grand manoir dans les hauteurs de Mägott Platz. On s’adressait à lui, entre tous les policiers, parce qu’il avait certaines relations dans la « haute », héritées de son extraction de noblesse Autrellienne. Et fréquenter le monde de la Manigance l’aidait à entretenir ces bons contacts.

Il remit la lettre dans l’enveloppe.
Il se sentait inquiet. C’est à lui et lui seul qu’on adressait cet appel à l’aide. Les lettres anonymes étaient monnaie courante au commissariat. Peut-être un domestique du manoir…
- Alors, tu en fais une tête, dit Sampieri, qui, à son bureau, disparaissait derrière les chemises pleines de papiers. C’est moi qui pourrais tirer la tronche !
- Oui bien sûr, dit Portzamparc, songeur.
- Un souci ?
- Pas grand’chose… Tu sais, je repensais à Horo, ces choses-là…
- Ne te bile pas ! Horo ne t’embêtera plus…
- Non, bien sûr… Ce type qui passait à travers les murs…
Sampieri se remit au travail, sans écouter.
Sur Horo, Portzamparc était resté un incompris. Seul Maréchal pouvait confirmer que le tueur avait un pouvoir « surnaturel ». Mais c’était stupide de repenser à Horo maintenant ! Ce n’était plus la question !
Tout de même, il y avait cette mention de « l’inconnu »…

Le détective alla frapper au bureau de Novembre.
- …’trez !
Il poussa la porte grinçante (Novembre refusait qu’on la huile ou qu’on la change : c’était clair, net et sans appel. C’était une des histoires du commissariat : la fameuse porte de l’inspecteur-chef...).
Portzamparc s’assit sur le deuxième siège. A côté de lui, Maréchal finissait de recevoir ses instructions.
- Donc, avant tout, concluait Novembre, les rassurer et leur dire que la situation est sûre. Ceux qui se sont attaqués à la Pham’Velker ne nuiront plus.
- Entendu.
Maréchal mit son chapeau et partit. Il en avait pour l’après-midi à battre le pavé.

- Alors, qu’est-ce qui t’amène ?
- Bah, je ne sais pas bien, inspecteur, un souci…
Il montra la lettre anonyme à son supérieur, qui la lut d’un coup d’œil, hésita et dit :
- Le manoir Whispermoor, hein…
Il s’alluma la cigarette de la réflexion.
- Ecoute, tu peux aller y faire un tour. Cela ne coûte rien. Tu leur diras que tu viens pour les rassurer, après la banque. Comme Maréchal avec les commerçants. Juste une visite de routine.
- Entendu.
- Sois prudent. Tu vas dans le beau monde. Je sais que tu connais, donc tu es tout désigné pour ça. Mais fais attention où tu marches.
- Je serai prudent.
- Ne leur cause aucune inquiétude. Dis seulement que tu viens confirmer que le quartier n’a jamais été aussi sûr, que les malfaiteurs ont tous été appréhendés …
- D’accord.
- Bon, file, j’ai encore de la paperasse à finir.
Priscilla entrait à ce moment, les bras chargés. Novembre alluma la cigarette du boulot pénible.

Portzamparc mit son manteau et partit au relais de ballons-taxis.

*

- Bonjour, messieurs-dames.
Maréchal poussait la porte d’un premier troquet.
Il avait sa tête des bons jours. Le patron, connaisseur, sentit d’entrée de jeu que l’inspecteur ne venait pas vérifier sa licence de débit de boissons.
- Qu’est-ce qu’on peut vous servir ?
- Un demi.
Maréchal s’assit au tabouret du comptoir. Il n’était pas de ces gens qui respirent la joie de vivre. Mais si quelqu’un va bien, il a autour de lui une sorte de vibration bénéfique, qui se communique à l’assistance, surtout dans un bistrot.
- Tout va bien, ici ?
- Ma foi…
Quatre ou cinq clients aux tables, qui jouaient au carte ou regardaient, les yeux pleins d’alcool, le vaste monde devant eux, fixement.
- Nous à SÛRETÉ, les choses vont bien. On a eu la bande qui a fait le casse, il y a quatre jours.
Maréchal avait élevé la voix. Le message était passé.
- Bon, je ne vais pas m’attarder. J’ai encore du travail. Je vous dois combien ?
- Laissez…
L’inspecteur ressortit, rue des Monômes, au cœur des galeries Dédale.
La prochaine boutique était une mercerie. Puis un modiste. Et un nouveau bistrot.
« Etre payé pour ça… »

- Heureusement que vous veillez si bien sur nous, lui dit la mercière.
- J’espère, fit la modiste, qu’ils vont en prendre jusqu’à la fin de leurs jours.
- Qu’ils aillent finir pendus au Château, ajouta une cliente.
Ah, les braves gens…
Maréchal ressortit, alla boire un verre, encore sur le compte de la maison. Après quelques heures de ce travail harassant, il fit un crochet par la rue du canal bleu, et entra dans une boutique d’horlogerie.
Le patron, derrière son comptoir, dans sa petite boutique encombrée de pendules qui tiquaient en cadence, l’accueillit, raide et disponible.
- Monsieur…
- Bonjour, je viens pour ma montre.
Maréchal sortit le précieux objet. L’horloger hocha la tête, pour signifier que c’était un beau modèle.
L’inspecteur lui tendit doucement. Il lui en coûtait de la confier à d’autres mains.
- Voyons…
L’horloger mit son œil grossissant et l’examina.
- Elle marche parfaitement, fit Maréchal, avec bien moins d’assurance que s’il parlait en tant que policier. Seulement… Je suis un peu intrigué par ses particularités.
- Oui, de toute évidence, c’est un modèle qui a été modifié. Voyez, dit-il, normalement ce premier cadran indique bien l’heure, mais celui-ci est généralement un altimètre et celui-ci un hygromètre. Or, là, nous avons trois cadrans pour l’heure. Attendez, je vais vous montrer le modèle original, je vois très bien duquel il s’agit…
Il alla dans sa réserve.
Il faisait si calme ici. La vie devait être réglée, sans imprévu. Juste ces beaux tic-tac, réglés comme du papier à musique.
Le patron revint avec une montre d’apparence identique. Sur celle-ci, les cadrans étaient d’origine :
- Voyez, je vous disais l’altitude et l’humidité. C’est bien cela.
Maréchal l’examina. Les trois groupes de lettres ne se trouvaient pas sur l’original.
- Si vous le voulez, je peux l’examiner de plus près. Je peux étudier son mécanisme. Il me faudra un peu de temps pour la démonter et la remettre…
C’est comme s’il avait dit : « pour l’autopsier et la recoudre » !
- Je ne sais pas trop…
- Si vous voulez vous plaindre au vendeur…
- Non, pas vraiment, dit Maréchal. C’est un cadeau. Mais je suis intrigué.
- Voulez-vous me la laisser jusqu’à demain ?
Nerveux, l’inspecteur accepta. Comme s’il confiait pour un soir son gosse à un inconnu !
- Je vous la ferai livrer à votre bureau, demain.
- Entendu.
- Si jamais il y avait le moindre problème après mon intervention, les réparations seraient bien sûr –
- Ecoutez, je vous fais confiance.
Maréchal remercia et partit, avant de changer d’avis !

*

Le pilote renifla très fort, au point que sa grosse et large moustache faillit lui rentrer dans le nez. Il mit ses lunettes d’aviateur et alluma la flamme sous la toile.
- Alors, chef, où qu’on va ?
Portzamparc s’était assis à l’arrière et rabattait sur lui la grosse couverture rapiécée qui sentait la bête. Le slourt domestique du pilote, avec sa grosse dent qui dépassait de sa petite bouche, était pendu par les bras à une des ficelles.
- Manoir Whispermoor, s’il vous plaît.
- C’est parti !
Les grosses hélices se mirent à tourner, pendant que le ballon-taxi s’élevait en tremblant, comme s’il allait se disloquer.
- Avec Théodule Corben, chef, on arrive partout sans peine !
L’engin prit de l’altitude et passa au-dessus des bâtiments de Mägott Platz.

Le ciel était un endroit plus encombré que ne l’imaginaient la plupart des piétons d’Exil.
- Tiens ta droite, imbécile !... Va donc, hé papa ! Tu l’as eu où ton permis de pilotage ?... Et le code de la navigation, c’est pour les Kargarliens !
Au couloir aérien d’au-dessus, à moitié pris dans un nuage, Portzamparc aperçut un lourd zeppelin, aux couleurs de la banque Pham’Velker.
- ‘Doivent encore bien s’amuser là-haut ! grogna Corben. Des richards avec des vedettes de théâtre et le gratin et tout, qui s’amusent à bâfrer pendant que les gens bossent !
La conduite de Corben ne manquait pas d’audace, mais Portzamparc fut vite rendu.
- Comme je dis toujours, le compteur a moins le temps de tourner !

Le ballon-taxi allait atterrir.
Le décor avait complètement changé. On aurait pu se croire dans le quartier de la rue Verte. Presque pas un bruit. L’air dégagé. Pas d’acier apparent. Que de la vieille pierre et des beaux pavés aux formes régulières, dans des grandes rues. Quelques voitures à cheval. Des demeures grillagées frappées de blasons familiaux, des arbres centenaires sur des chemins de gravier.
Le boulevard du Clocher, qui descendait d’ici à l’hôtel Novö-Art, et l’avenue Grand-Sire vers la Platz.
Le ballon-taxi plana au-dessus du quartier, passa la grille du domaine Whispermoor. Etonné, Portzamparc se leva.
- Pas d’inquiétude, chef !
Le policier vit alors que le vaste manoir disposait d’une plateforme spécialement prévue pour les atterrissages !
Corben se posa en douceur.
- Je vous attends ici ?
- Oui, si vous pouvez…
- Aucun problème. Je vais aller boire un coup à la cuisine.

Comme il faisait calme ici ! Portzamparc ne pensait déjà plus à Corben. L’endroit respirait la quiétude. Mais pas la quiétude bourgeoise, de ces demeures de gros négociants qui ont réussi.
Non. Une quiétude immémoriale, indiscutable. Evidente…

Le détective sonna à la grille. Le clairon retentit dans l’air serein.
On ouvrit : un domestique amidonné, gonflant sa poitrine protégée par un plastron, avec son grand nez pointant presque vers le plafond.
- Bonjour. SÛRETÉ. J’aurais souhaité m’entretenir avec monsieur le comte.
- Puis-je voir votre plaque ? répondit le domestique sans sourciller.
Il n’y avait bien qu’ici qu’on pouvait poser cette question, et avec un tel aplomb ! Dans un hôtel meublé comme le Négresco ou le Charivari, Portzamparc aurait été en droit de défoncer la porte, pour engager la discussion !
Mais, en ces lieux, il montra son insigne, qui semblait briller plus fort.
- Bien. Si vous voulez me suivre.
Un parquet ciré. Un grand escalier marmoréen. Le regard sévère des tableaux de famille. Le pas feutré de domestiques, dans les couloirs.
Le majordome amena Portzamparc dans un petit salon.
- Monsieur veut-il un rafraîchissement ?
- Volontiers.
Le domestique amena une bouteille d’eau minérale et ressortit. De l’eau de source… Elle était hors de prix sur Exil.
De Portzamparc la dégusta comme un alcool de luxe.
On entendit alors, venant du vestibule, des bruits de talons. On reconnaissait aussitôt le pas d’une femme en colère.
- Oui, Norbert ! Je sors ! C’est ainsi ! Je vais voir mes amis !
- Mademoiselle !...
- Vous direz à mon père que… Vous direz ce que vous voulez !
Norbert revint, déjà moins raide, plus échauffé. Portzamparc ne put s’empêcher de dire :
- Ah, la jeunesse !...
Déjà, le majordome se reprenait. Il n’était pas convenant d’avoir ainsi cédé à ses émotions. Mais avec Mademoiselle…
- Si vous voulez me suivre, monsieur le comte va vous recevoir…


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#8
viens là comte... on va voir ce que t'as ds le ventrebiggrinDuel

et celle des mercenaires!!!Ray
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#9

DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Venceslas de Whispermoor régnait sur son domaine depuis bientôt quarante ans. Il était jeune lorsque son père était mort d’une chute de cheval. Avant même l’âge de sa majorité, il avait vu lui tomber sur les épaules de lourdes responsabilités. Il n’avait pu profiter de sa jeunesse. Il avait été obligé de devenir un homme. Quand son père, lors de leurs randonnées, lui disait « un jour mon fils, tout ceci sera à toi », Venceslas n’imaginait pas à quel point ce jour arriverait vite.

D’abord aidé par les conseillers de feu son père, il avait rapidement pris en main la plupart des affaires de son domaine, et il s’était bâti une réputation de dureté qui forçait le respect et la crainte. Il s’était marié, mais sa femme était morte jeune, après lui avoir donné deux enfants. Depuis, il avait eu quelques aventures passagères, mais il passait pour très misogyne, estimant que les femmes étaient surtout une occasion d’attachement et d’embarras continuels.
Au sein de la grande famille de Whispermoor, il occupait une position difficile : il était le citoyen le plus important de Mägott Platz, mais précisément ce quartier était le plus pauvre et le plus petit de ceux où vécût jamais un Whispermoor. Il était le dernier dans sa famille, et il devait sans cesse se surpasser pour se montrer digne de son rang. Ses cousins habitant la rue Verte vivaient dans l’abondance et la frivolité. Venceslas était certes riche, mais il ne roulait pas sur l’or. Il vivait d’ailleurs dans l’austérité, n’ayant jamais vraiment quitté ses habits de deuil.
Au point que certains expliquaient son rejet des femmes par une fidélité à sa femme, même au-delà de sa mort, ses sarcasmes contre le sexe faible lui servant en réalité à dissimuler que rien ne pourrait le consoler de la perte de son épouse bien-aimée.
Dans son clan, on lui reprochait de vivre chichement. Il n’étalait pas ses richesses, n’offrait pas de somptueuses fêtes, ne dépensait pas des fortunes pour des projets insensés. On lui trouvait une mentalité de grand bourgeois austère. A demi-mot, il accusait l’aristocratie d’être décadente, enivré de plaisirs, ayant oublié son devoir de servir la cité.
- Les querelles amoureuses et les intrigues ont remplacé la stratégie et l’entraînement martial, disait souvent Venceslas. La cité lunaire a-t-elle besoin de gras courtisans pour se défendre contre ces barbares de Forge ?...
Financièrement, et même s’il lui aurait été impossible de l’admettre, la famille Whispermoor était liée à la corpole de la famille Pham’Velker. Et ce lien, pour ne pas dire cette dépendance, s’était accru ces dernières décennies.
- Nous festoyons, alors que nous courons à la ruine, disait Venceslas.
- Vous raisonnez comme ces banquiers, mon cousin !
- Le jour où ils viendront emporter nos meubles pour se rembourser !...
- … nous les recevrons à coups de fusils et de rapières !
- La belle guerre, que de se battre contre des clercs de banque et des huissiers !

De plus en plus isolé ces dix dernières années, Venceslas avait subi de plein fouet une crise financière ayant frappé sa famille. Il sentait peu à peu l’étau de la Pham’Velker se resserrer autour de lui. Ce n’était pas des appuis politiques à Mägott Platz qui auraient pu l’aider à grand’chose. La Banque avait atteint une telle puissance dans ce quartier que la plupart des industries, des manufactures aux commerçants en passant par certains syndicats, étaient devenus soit ses créanciers, soit ses partenaires d’affaire.
Depuis son balcon, le comte Venceslas avait une vue plongeante sur le gros cube d’acier de la Banque du quartier, forteresse de l’Argent et de l’Epargne.
- Un jour, Norbert, ils placeront ce quartier en liquidation, et revendront l’acier de nos passerelles au prix de gros !
- Monsieur le comte est bien pessimiste…

Grâce à leurs bonnes relations, les plus riches seigneurs de Whispermoor obtenaient des délais, des arrangements avec la Pham’Velker, mais Venceslas n’eut droit à aucun traitement de faveur. Les nobles dédaignant de se salir les mains à gérer de l’argent, ils s’étaient peu à peu dépossédés de la maîtrise de leur fortune. Venceslas l’avait admis très tard, mais encore était-il le premier parmi sa famille !
- Demain, ces bourgeois avides rachéteront nos murs à un vil prix, et nous laisserons une petite dépendance pour festoyer avec de la soupe de poussière, et nous ressouvenir de notre passé glorieux. Pendant qu’ils spéculeront sur nos terrains !
- Monsieur le comte voit trop les choses en noir…
- Toi, Norbert, ils te remplaceront par des androïdes, qu’ils graisseront et remonteront, comme des pendules, une fois l’an…
- Oh, monsieur !

Deux maintenant deux ans, la Banque était devenue de plus en plus pressante. Elle prenait de moins en moins de gants pour rappeler le comte a ses dettes.
- Messieurs, vous êtes des rustres…
- Monsieur le comte, nous sommes juste vos créanciers.
- Financez donc l’effort de guerre contre Forge, au lieu de ruiner vos compatriotes au sang bleu !
- Si nous oubliions ceux qui ont des dettes, monsieur le comte, nous pourrions aussi bien mettre la clef sous la porte dès demain…
Mais Venceslas de Whispermoor, qui atteignait les soixante ans, ne l’entendait pas de cette oreille. Puisque la Pham’Velker voulait la guerre, elle l’aurait !
Semaine après semaine, le comte recevait les émissaires de la corpole. On lui avait bien proposé les services d’un conseiller financier, pour trouver une solution à l’amiable. Ses cousins s’étaient adjoints les services, coûteux, de ces spécialistes. Venceslas avait refusé tout net.
- Depuis quand aurais-je besoin d’un laquais pour me dicter ma conduite ? Mon cher cousin, comment pouvez-vous prêter l’oreille à une telle personne ?
- Mon cher cousin, comment pouvez-vous prétendre administrer seul vos biens ? Qu’en penserait monsieur votre père ?
- Monsieur mon père, c'est-à-dire votre oncle, dirait, et vous le savez pertinemment, qu’un Whispermoor se défend bec et ongles jusqu’à ses dernières forces !

*

Ceci, Jean-François de Portzamparc le savait dans les grandes lignes, en entrant dans le bureau du comte. Le vieux Venceslas était dans son siège. Il jeta un coup d’œil au détective, et cela lui suffisait pour se faire un avis sur lui.
- Asseyez-vous, monsieur le policier. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
La conversation qui suivrait serait de pure forme, car le comte avait déjà presque tout deviné. Le détective alla à l’essentiel : il venait prévenir le comte que la situation s’était calmée dans le quartier. Les braqueurs de banque s’étaient fait attraper.
Qu’on vienne trouer le coffre de la grosse corpole, ce n’était à la limite pas pour déplaire au comte. Tant pis si ce braquage mettrait la Banque encore plus à cran !
- Vous me voyez ravi d’apprendre que SÛRETÉ assure la sécurité de ses concitoyens.
- S’il y avait le moindre problème, monsieur le comte, soyez certain que nous viendrions à votre aide.
- Je vous remercie de votre sollicitude, détective.
Difficile de savoir s’il était sincère en disant cela, ou s’il ne suggérait pas aussi : « Allons, jeune blanc-bec, si tu me disais pour quelle raison tu es venu me voir ! »
- Je ne voudrais pas retenir un fonctionnaire de police inutilement, fit Whispermoor.
De Portzamparc salua et se retira. Il redescendit. Alors que Norbert lui redonnait son manteau, la fille du comte revint comme elle était partie : en trombe.
- Ah, mademoiselle !
Par la porte ouverte sur le parc, le détective aperçut une grosse voiture automobile, garée dans la rue, qui redémarrait. C’était un véhicule encore rare sur la Lune : haut comme un homme, long de presque trois mètres, fonctionnant au charbon, c’était, disait-on, le transport de l’avenir, destiné à remplacer les voitures à cheval et le tram. Pour le moment, cela restait une lubie de jeunes gens riches.

Norbert fit les présentations :
- Lucie de Whispermoor, fille de monsieur le comte. Mademoiselle, monsieur de Portzamparc, de SÛRETÉ.
Avant d’aller voir le comte, le détective avait fait le tour du manoir. Il avait croisé le fils cadet du comte, Maximilien, âgé de quinze ans. C’était un adolescent visiblement sanguin, épris de poésie et de romans d’aventure. Il passait des heures, selon Norbert, à lire et écrire dans sa chambre. Il désespérait son père par son manque de sens des réalités.
- Il y a cent ans, disait le vieux comte, tu aurais pu passer ton temps à lire ces fariboles. Aujourd’hui, il est plus important de connaître le cours de la velle et le prix du charbon, mon fils ! Ta sœur, au moins…
- Mais père, comment peut-on vivre sans ce magnifique et pur esprit qu’est Castelluisand ! « Dressez-vous, tonnerres tant voulus !... »
- Tu iras scander tes vers à la Pham’Velker ! Sans doute qu’ils t’accorderont un prêt les yeux fermés !
- Oh, papa…

Sa sœur, justement, âgé de vingt ans, était plus à l’image de son père. Elle suivait des études pour devenir avocat d’affaire. Elle avait intégré l’une des plus prestigieuses écoles de droit d’Exil. Elle avait de l’autorité et de la poigne.
- Entre nous soit dit, avait soufflé Norbert, monsieur le comte en fait exprès de traiter sa fille à la dure, comme si elle était encore une gamine. Mais c’est qu’il se fait un sang d’encre. Sera-t-elle à la hauteur, lorsqu’elle héritera du domaine ?

- Enchantée, mademoiselle.
- De même, monsieur le policier… Dites-moi, Norbert, mon père est-il là ?
- Je m’entretenais justement avec lui, fit le détective.
- Quelque chose de grave ?
- Non, du tout. Au contraire, je venais l’assurer que le quartier était calme. Et ici, tout est calme aussi, me semble-t-il…
- Trop calme ! Mon père vit comme un ermite ! Il reçoit trop peu. Il ne veut pas connaître mes amis. Il trouve que je devrais passer ma journée à étudier, recluse dans mes appartements… Tant que je n’aurai pas mes diplômes, il me prendra pour une gamine. Les diplômes, les diplômes…
- Je suis sûr, dit le détective, que votre père est un homme sage, et qu’il veut le meilleur pour ses enfants. Les diplômes sont l’assurance pour lui que vous serez digne de lui…
- Il exagère, il est si vieux jeu. Comme si l’on ne pouvait être adulte sans un bout de papier décoré d’une palme !
On entendit tomber de l’étage la voix du fils :
- Lucie ! Tu es là ?...
- Oui !
- Viens, il faut que je te récite un poème absolument fabuleux !…
- J’y vais. Il a trop besoin de moi, le pauvre enfant.
De Portzamparc sourit et lui souhaita bonne journée. Il trouvait cette première prise de contact très instructive. Il se dirigea vers la plateforme du ballon-taxi. L’apercevant, Théodule Corben quitta la table des domestiques, où l’on faisait bombance depuis son arrivée.
- Ah, heureusement que le personnel sait s’amuser dans cette maison ! disait le pilote. Parce que s’il fallait compter sur ses occupants…

L’engin décolla et repartit vers le pays des merveilleux fous volants.

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#10

DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->

Portzamparc fit son rapport à Novembre en fin de journée.
- J’espère que la banque ne prépare pas une guerre financière contre les Whispermoor.
- Je crois que cette guerre est déjà engagée, dit Novembre. La Banque présentera un candidat aux prochaines élections municipales. Ils vont avoir besoin de lever des fonds pour financer leur campagne.
- Ils auront un candidat ?
- Pas officiellement. Mais cela revient au même. Et comme ils soutiennent aussi certains partis d’opposition, l’élection ne fera pas un pli…
Novembre alluma une cigarette, soucieux.

- Allons, je vais y aller. J’ai promis à ma femme de rentrer tôt ce soir.
- Je vais suivre votre exemple. Cela fera plaisir à la mienne !
Les deux policiers passèrent à la tisanerie, saluer Maréchal, qui restait encore jusqu’en milieu de soirée.
- Bonne nuit, vieux, dit Novembre.
- Messieurs…

*

Maréchal, sa tasse de café à la main, se rassit à son bureau, fit craquer ses doigts et s’attela à son chromatographe.
Deux heures d’affilée, il évacua des dossiers urgents de l’année dernière, qu’ADMINISTRATION réclamait régulièrement, car il était tout aussi urgent que ces dossiers allassent rejoindre les bureaux d’une certaine « sous-commission provisoire à la clarification des tâches déconcentrées ».
C’est donc fatigué, mais avec la conscience du devoir accompli, que l’inspecteur rentra chez lui.
Priscilla, la secrétaire, arrivait avec une nouvelle pile de dossier.
- Et les services du traitement de l’information disent que c’est « urgent urgent », inspecteur !
Maréchal considéra cette nouvelle pile de papier d’un œil expert :
- Mademoiselle, vous mettrez ces dossiers-ci sur le bureau du détective de Portzamparc !
- Ah, entendu…
- Et vous veillerez à respecter les normes de classement ! Un dossier rouge sur un jaune, et jamais un vert à la suite d’un jaune. Mais pas deux rouges sans un bleu entre les deux. Entendu ?
- Oui, oui…
L’inspecteur mit son chapeau et rentra chez lui. Priscilla en avait pour la nuit à réfléchir, et demain, ce cher « Jeff » aurait une bonne surprise pour commencer sa journée ! Rien que pour ça, Maréchal se dit qu’il n’avait pas perdu sa soirée.

Nerveux, inquiet, mais sans raison particulière, l’inspecteur eut besoin de quelques verres pour trouver l’envie de dormir.
Il partit alors dans un sommeil agité. Il avait le sentiment de ne dormir que d’un œil. Il gigotait dans son lit et s’énervait. Il s’endormit enfin à pas d’heure. Littéralement, à pas d’heure, au cœur de la nuit, quand on est au plus loin et de la veille et de la journée à venir.
Il partit dans des rêves noirs ; noirs comme un écran de chromatographe éteint.
Du fond de son rêve, il vit alors une, puis deux, puis cinq plumes bleues chuter.
Il se réveilla, avec cette vibration d’un bleu superbe sur la rétine.
Des plumes bleues… Il attrapa son réveil. Il avait passé le cœur de la nuit. Trop tard pour dormir. Trop tôt pour aller travailler. Il était perdu entre deux temps.
Il passa sous la douche et partit prendre l’air.
Un vent frisquet l’accueillit dehors. Il se mit à marcher, les mains dans les poches, engoncé dans son manteau. Une légère bruine lui piquetait le visage. Les hôtels meublés prenaient une allure fantomatique.

Des mitiers plongeaient dans la brume au bout de leurs fils. Des lampes grasses brûlaient, timides. Des passerelles rouillaient, dans l’air humide.

Maréchal avançait, agacé. Il se réchauffait en montant les escaliers qui menaient au quartier de la Jonction.
Par-dessus une cheminée, il vit alors nettement une créature bleue passer dans le ciel brumeux. Comme un éclair. Il courut en haut des marches et, dans la rue Mangevent, chercha cet être fantastique. Il était seul sur ce pavé mouillé de brume. Une passerelle grinçait, agressé par le vent. Il vit nettement une plume tomber dans la grisaille épaisse.
Ce n’était pas un oiseau qui était passé. C’était plus gros. Forme humanoïde. Il l’aurait juré ! Ce n’était pas l’alcool !
Il aperçut un mitier, accroché en rappel, qui rallumait un bec de gaz. Personne d’autre. Le monde était silencieux.
Par terre, il trouva une plume bleue. Il la toucha. Elle était bien réelle.

L’inspecteur repartit dans la rue Mangevent, jusqu’au croisement du passage Bouchecoeur. Perché en haut d’un réverbère, un gamin des rues, sa casquette vissée sur la tête, le sourire mauvais, un rat sur l’épaule, l’observait.
Que faisait-il là ?

*

Spontanément, Maréchal utilisa le langage des rues pour apostropher le gamin. C’était de l’Exiléen abâtardi, simplifié, parlé par ceux qui fréquentaient couramment la rue : aussi bien les mitiers, que les prostituées ou les gamins des rues. Ceux-ci vivaient en bande, généralement autour d’un chef. Farouches, ils se mêlaient assez peu à la société ordinaire, sinon pour chaparder, plus rarement pour tuer. C’était de vrais petits sauvages. Dans son enfance, Maréchal avait appris leur langue. Sans doute cela mit-il le gamin en confiance, car il se laissa glisser souplement en bas de son réverbère, et dit :
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Ecoute, petit, je recherche quelqu’un. Tu n’as pas vu passer une créature dans le ciel ?
Le gamin le regarda, amusé. Qui était donc cet adulte perdu dans la nuit, à traquer un mirage ?
- Rien vu passer. Désolé.
- Sais-tu à quel animal appartient ceci ?
Maréchal montra sa plume bleue.
- Je suis pas sûr de connaître de quoi tu me parles…
Le gamin était près à s’enfuir. Le contact direct avec un adulte civilisé devait être perturbant pour lui.
- Ecoute, je peux te payer un bon repas si tu me réponds.
- D’acc.
Le rat couina et disparut dans la gibecière du gamin.
- Allez, viens, je connais un petit restaurant pas loin d’ici.

Marcelin Lampreux tenait une petite gargotte ouverte presque en permanence. Son restaurant avait cinq tables, serrées dans une pièce minuscule. Il faisait toujours chaud chez Marcelin.
- Quelqu’un ? demanda Maréchal, alors que les clochettes de la porte tintaient.
Le gamin alla se réchauffer devant le maigre feu de cheminée. Derrière le comptoir, une trappe s’ouvrit.
- Un instant, j’arrive.
Marcelin remontait de sa cave.
- Tiens, l’inspecteur Maréchal !... Une petite faim à cette heure-ci ?
- Juste un verre pour moi. Mais j’amène un affamé.
Le gamin était maigrichon. Il faisait peine à voir. On l’attabla.
- Chez Marcelin, on mange proprement, gronda le patron. Alors, sois tu manges avec des couverts et une serviette sur toi, ou tu iras croûter ailleurs !
Le gamin ne savait pas se tenir. C’était comme l’enfermer, de l’obliger à se tenir à table. L’autorité de Lampreux dut prendre sur lui, ainsi que l’attrait de la bonne soupe, car il se calma. Et dès qu’il eut une cuillère en main et son assiette devant lui, il se jeta sur son plat.
- Regardez-moi ce petit cochon !
- Votre soupe au poisson a du succès !
Les deux hommes regardèrent le gosse laper le fond de son assiette et dévorer les derniers morceaux de pain.
- Bon, dit Maréchal en allumant une cigarette, il faut qu’on parle toi et moi.
Le gamin sortit lui aussi du tabac à rouler et du papier. Marcelin lui tapa sur la main :
- Tu veux me ranger ça ! Tu crois qu’à ton âge !...
- Ressers lui une soupe, dit l’inspecteur. Il en a bien besoin.
Le gamin fusilla Lampreux du regard, mais se radoucit quand il reçut sa deuxième assiette. Il se jeta dessus avec autant d’avidité.
- Regardez-moi s’il reprend des couleurs ! fit Lampreux.
Maréchal régla le repas et fit signe au patron qu’il pouvait retourner s’occuper de sa cave. Il sortit alors la plume.
- Alors, dis-moi, maintenant, que sais-tu sur ceci ?
- Je n’peux pas te parler comme ça. Faut que j’en parle à mon chef. C’est lui qui décidera si on peut te faire confiance.
- Tu vas le voir bientôt ton chef ?
- Ce soir.
Maréchal finit son verre. Il était bien obligé de faire confiance au gamin.
- D’accord. Parle-lui. Quand est-ce qu’on se revoit ?
- Très bientôt. Dès que tu repasseras dans le coin.
- Je n’ai pas envie d’attendre, je te préviens.
- Aucun problème, fit le gamin, fiérement, en remettant sa casquette.
Il partit sans dire merci. En entendant la porte tinter, Lampreux remonta. Il offrit un verre à l’inspecteur.
- Bientôt le début de journée…
- Oui, elle va être longue cette journée. Quoi de neuf dans le coin ?
- On dit que beaucoup de gens veulent retirer leur argent de la banque, inspecteur. Et les syndicats prépareraient la grève. Le gamin vous a dit ce que vous vouliez ?
- A peu près. Je vais le revoir.
- Si vous le revoyez, c’est qu’il vous a adopté !
L’inspecteur remercia, remit son chapeau et partit au commissariat. Il serait juste un peu en avance. Il chercha le sommeil, les pieds sur son bureau, mais ne le trouva pas. Il somnolait quand même au moment où Priscilla entra, avec un paquet pour lui. Il grommela de faux remerciements, pensant à un énième dossier. Il vit alors l’insigne de l’horloger sur le papier. Du coup, il se rassit et ouvrit le paquet, fébrile. A l’intérieur, sa montre, emballée dans plusieurs épaisseurs, bien protégée. Maréchal la toucha, tellement rassuré, presque ému, de la retrouver. Elle était en parfait état. Les aiguilles tiquaient normalement. Les trois cadrans étaient à leur place : SHC, RUS et IEI.
L’horloger avait joint la facture, et un petit mot. Il expliquait qu’en ouvrant le mécanisme, il avait constaté qu’il manquait une aiguille à chaque cadran, une roue dentelée tournant dans le vide. Il avait donc ajouté une aiguille rouge sur les trois cadrans. Elles pointaient à la verticale.

Maréchal traînait dans le bureau des détectives, encore désert, quand de Portzamparc arriva, suivi de Boncousin.
- Alors, détectives, ces richards ?
- Ma foi, dit de Portzamparc, j’ai l’impression que le manoir Whispermoor est calme. D’ailleurs, j’y retourne aujourd’hui.
- Vous allez essayer de capter l’héritage ?
- Pas encore !
Maréchal maugréa quelques paroles sur ces fainéants d’aristos, et alla retrouver la tiédeur de son bureau.

*

Théodule Corben but son premier coup de la journée, pendant que le détective s’installait à l’arrière. Le slourt frissonnait dans le vent du matin. Le pilote vérifiait ses engins de mesure :
- Pression normale, vent faible à peu agité, hygrométrie 60%... La journée va être bonne.
Le brûleur cracha sa flamme monstrueuse et les toiles se gonflèrent, puis les hélices démarrèrent et le gros insecte mécanique décolla.
- Encore personne à cette heure-ci, dit Corben, déçu de ne pas pouvoir gueuler contre les chauffards du ciel !
Dans le petit jour, le manoir Whispermoor dormait encore. Les volets étaient baissés. Le jardinier sortait de sa remise, son râteau à la main. Il y avait de la lumière à la cuisine. En allant vers l’entrée, de Portzamparc vit la porte s’ouvrir. C’était le docteur Jouvet.
- Tiens, détective, comment allez-vous ?
- Docteur… Quelqu’un est malade ici ?
- Le comte.
- C’est grave ?
- Non, il a eu du mal à dormir.
Norbert attendait sur le pas de la porte, pas réchauffé. Jouvet n’était pas disserte.
- Bonne journée, alors.
- Bonne journée.
De Portzamparc entra. Norbert l’emmena dans un petit salon et lui servit un café brûlant.
- Alors, comment se sent le comte, demanda de Portzamparc.
- Oh, monsieur, rien de grave, le docteur l’a dit !
Ils se parlaient presque comme si le policier était un habitué de la maison.
- Il a quand même fallu l’appeler, le docteur.
- Certes, certes… Monsieur a entendu, cette nuit, des bruits au grenier.
- Tiens donc…
- Oui, il s’est éveillé en sursaut, en hurlant. Je me suis précipité dans sa chambre, avec mademoiselle et monsieur Maximilien.
- Alors ?
- Alors, rien. Monsieur le comte a dû faire un mauvais rêve. Il est si préoccupé, ces derniers temps.
- Le grenier est au-dessus de sa chambre ?
- Oui, juste au-dessus.
- Vous y êtes allé voir ?
- Monsieur Bruneron y est allé. Le jardinier.
- J’ai vu qu’il était déjà debout. Vous voulez le faire venir ?
- Certainement.
De Portzamparc attendit en trempant les lèvres dans le liquide épais et brûlant. Norbert revint avec le jardinier. Ce dernier avait tout du rustre. Il était taillé pour les travaux pénibles. Il respirait fort, il avait le poil dru, la figure rougeaude. De grosses mains, une salopette tâchée, d’inusables godillots.
- Monsieur Bruneron ?
- Oui-da… Vous me heu demandions ?
Il avait un accent à tailler à la serpe !
- Vous êtes allé voir au grenier, cette nuit ?
- Oui, monsieur le comte avions entendu eun’ bruit bizarre…
- Et qu’avez-vous vu ?
- Heu rien.
Il en disait le moins possible. Il se méfiait. Il flairait en Portzamparc une menace.
- Vous m’accompagnez là-haut ? Je voudrais jeter un œil.
- Si vous heu voulions.
- Vous enlèverez vos chaussures avant de monter, demanda Norbert.
Bruneron s’exécuta. Ses grosses chaussettes, trouées, dégageaient un fumet aussi puissant qu’ancien.
Lui, Norbert et le policier montèrent les deux étages et montèrent à l’échelle.
- Monsieur le comte n’a jamais souhaité aménager ce grenier, dit le domestique. Quel dommage, il y a de la place ici. Mais il faut dire que le second est déjà bien peu occupé.
L’endroit était le repaire des araignées, de la poussière et des courants d’air. Des poutres au sol, de gros paquets de laine de verre. Des monceaux de vieux papiers, des caisses, une vague odeur de moisi. Norbert alluma une lampe.
- Vous heu l’voyons, a rin du tout ici…
Portzamparc fit signe qu’il n’en était pas si sûr. Il fureta dans les coins, et trouva de la boue, fraîche, dans un coin, derrière une poutre verticale. Il sortit de sa poche un petit sachet et l’y déposa avec un bout de papier.
- Vous heu trouvions queq’chose ?
- C’est bien possible, mon brave…
Au-dessus de cette boue, une tuile du toit était déplacée.
On entendit quelqu’un monter à l’échelle. C’était Maximilien.
- Tiens, vous tombez bien, dit de Portzamparc. Nous n’avons pas eu l’occasion de parler hier.
- Monsieur, vous n’êtes pas couvert, dit Norbert. Vous allez prendre froid !
- Je me demandais où vous étiez, c’est tout !
- Si monsieur le policier le permet, dit le domestique, nous allons descendre. Rosaline a dû préparer votre déjeuner, monsieur.
- Oui, allons-y, dit le détective.
- Je heu retournions ratisser l’jardin.
- Allez donc.
Portzamparc trouvait amusant d’assister au lever de la famille Whispermoor.

- Ma sœur n’est pas encore levée ? dit Maximilien, plein d’importance, en s’asseyant à la grande table.
Rosaline la cuisinière, apportait le lait, la confiture et le pain, pendant que Norbert nouait sa serviette au jeune comte.
- Elle se repose, dit le majordome.
- Elle a fait la bombe toute la nuit, oui !
- Monsieur !
- Allons, elle me l’a dit, hier soir, qu’elle comptait ressortir avec ses amis ! Elle rentrait juste quand papa a eu son cauchemar.
- Vous êtes allé voir votre père, à ce moment ? demanda de Portzamparc.
- Ah oui, et nous étions un peu inquiets ! Nous avons tapé à la porte, nous sommes entrés. J’avais l’impression qu’il étouffait !
- Il étouffait vraiment ?
- Il respirait très fort, dit Maximilien, du pain plein la bouche.
- Il était seul dans sa chambre ?
- Oui, bien sûr.
- Il n’y avait rien d’inhabituel dans la pièce ?
- Non, non. Papa avait ses couvertures, sa bassine au pied du lit pour ses besoins…
- Monsieur !
- Ecoutez, Norbert, je ne fais qu’être précis pour aider la police ! Tenez, détective, goûtez donc la confiture ! Faite maison, par Rosaline, la meilleur cuisinière du monde !
Portzamparc sourit et se servit dans la corbeille à pains. La cuisinière se précipita pour lui tartiner.
- Que vous a dit votre papa ?
- Mais rien de spécial. Il a dit qu’il s’était senti étouffer.
- Ce n’est pas rien.
- Il a alors dit que c’était un cauchemar. Un simple cauchemar…
- Vous avez quand même appelé le médecin ?
- Pas moi. Norbert. Moi je pensais que c’était inutile.
Ce gosse ne doutait de rien. Il prenait tout à la légère, avec ses airs de grand seigneur. Il était tantôt lucide, tantôt crédule.
- Votre père a déjà eu ce genre de « crises » ?
- Non, jamais. Mais vous savez, à son âge…
Norbert rougit. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de mettre une claque à son jeune maître !
- Papa a eu beaucoup de fatigue, affirma Maximilien. A cause de la banque.
Il but son café, le petit doigt en l’air, très digne.
- La banque lui fait des misères ?
- C’est ce monsieur Radik. Il vient réclamer des sous.
Radik. L’homme qui avait offert le champagne à SÛRETÉ.
- Il vient souvent ?
- Au moins une fois par semaine. Voire plus. Il est tenace, dit le comte, entre deux bouchées.
- Comment ça, tenace ?
- Avant Radik, la Pham’Velker envoyait un autre agent. Mais il se faisait souffler dans les bronches par papa, et il repartait, la queue entre les jambes… Depuis que c’est Radik qui vient, les négociations sont plus serrées.
- Norbert, que vous a dit le docteur Jouvet ?
- Que monsieur le comte était fatigué. Qu’il devait se reposer.
- Oui, il faudra éviter, dans les jours à venir, que ce Radik prenne rendez-vous avec le comte, décida le policier.
- Dans ce cas, dit Maximilien, c’est ma sœur qui devra le recevoir.
Portzamparc, pour lui rabattre un peu le caquet, allait lui dire : « Et pourquoi pas vous ? Si votre père est malade, c’est vous l’homme de la maison. » Mais il s’abstint.
- J’essaierai de parler à votre père.
- Si vous réussissez, détective, nous vous vouerons une reconnaissance éternelle !
Et il ajouta une sentence en vieil exiléen, que Portzamparc ne comprit pas.
- Il ne s’agit pas de reconnaissance, mais de sécurité.

Lucie entrait quand le policier s’apprêtait à partir.
- Je peux vous parler une minute, mademoiselle ?
- Oui, si vous y tenez.
Elle était bien habillée, mais elle avait les traits tirés. Malgré le parfum et la toilette, on devinait qu’elle avait la bouche pâteuse. Ils avaient dû s’amuser, la nuit passée, les étudiants en droit des affaires !
- Ecoutez, il doit y avoir une bête qui loge là-haut, dans le grenier, dit le détective. Il ne faut pas attendre l’accord de votre père pour fouiller un peu ce grenier, et mieux surveiller le manoir.
- Entendu.
- Vous risquez de recevoir la visite de ce monsieur Radik. Il serait préférable de l’écarter. A défaut, ce sera à vous de le recevoir.
- Je comprends.
- Ces rencontres seront plus pénibles à passer que vos diplômes…
- Je vois…

Portzamparc salua et partit. Dans le ballon-taxi, il ne dit pas un mot, et Corben conduisit en silence, oubliant même de vitupérer contre les chauffards qui traversaient les nuages.

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