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Dossier #3 : Hôtel Manigance - Dépôt Labyrinthe
#1
Exil #3



- Le dossier #3 fait directement suite au précédent.
- On parle du tournoi de Manigance ?
- Oui, et du tueur, qui sévit encore pas loin de Magött Platz.
- Il est si dangereux, ce Horo, qui fait même peur aux truands du quartier ?
- Disons qu'il a un petit truc que d'autres n'ont pas. Nos policiers vont l'apprendre, au risque de leur santé mentale...



DOSSIER #3<!--sizec--><!--/sizec-->

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#2
EXIL

Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.

Créatures, anges, gouffres, orages :
L’insondable noirceur de l’océan
Noie les explorateurs du large.
Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant.

Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses
Trams, Cité des métamorphoses industrielles.
Lune branchée à l’électricité universelle !

L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec-->
<!--/sizec-->
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#3
DOSSIER #3<!--/sizec-->


HÔTEL MANIGANCE - DÉPÔT LABYRINTHE<!--/sizec-->

SHC 3 - RUS 1 - IEI 1


Madame de Portzamparc laissa son parapluie trempé au groom et serra un peu plus fort le bras de son mari, en entrant dans le hall du Novö-Art.
Le couple retrouva Maréchal, assis sur un des tabourets du bar. Pour lui, la journée commençait.
- Alors, le champion est en forme ?
- On fait aller.
- Qu’est-ce que vous buvez ?
- Une bière pour moi, dit Portzamparc.
- Une eau gazeuse, dit sa femme.
- Pour moi aussi, une eau gazeuse, soupira Maréchal.

- Les enfants, avait dit Novembre en début de journée, nous avons du travail. D’abord l’enquête sur le meurtre de cette femme, près des galeries commerciales. Vraisemblablement, c’est Horo qui l’a égorgée. Reste à comprendre qui a pu embaucher un tueur comme lui. Rampoix et Boncousin, vous continuez sur cette affaire.
« Deuxième point à l’ordre du jour, le tournoi de Manigance. Nous avons un champion dans la place.
Les policiers avaient souri en regardant Portzamparc.
- Tu feras de ton mieux pour garder un œil sur l’hôtel, entre deux parties. Maréchal va t’accompagner, avec Sampieri. Normalement, il devrait y avoir un inspecteur de la brigade des jeux, mais il n’arrivera peut-être que demain. D’ici là, vous serez les maîtres dans la place. Pas de scandale, il y aura des personnalités importantes.

Maréchal avait connu pire comme journée. Il était bon pour faire du gras au bar, pendant que Portzamparc allait bouger les pions et que Sampieri tournerait dans les salles de jeux. Le patron de l’hôtel, Félicien Renard, avait accueilli les deux policiers avec une politesse de majordome, les assurant qu’il avait à sa disposition un service de sécurité efficace, « qui secondera comme vous le désirerez l’action de SÛRETÉ. » Le service en question était dirigé par un ancien sergent de PANDORE.
Maréchal s’était contenté d’un rapide tour du Novö-Art, de la cave aux combles sous les toits. A le suivre, on aurait cru qu’il inspectait les lieux négligemment. En réalité, rien ne lui avait échappé, des sorties de secours, de la disposition des cuisines, de cette salle au fond des caves, où le chef du personnel devait loger des clandestins employés à la semaine, jusqu’aux étages des suites, auxquels on n’accédait qu’avec une clef pour l’ascenseur ou la porte de l’escalier.
Maintenant, l’inspecteur était chez lui, et il pouvait se la couler douce au bar. Il connaissait un peu le serveur, interrogé sur sa passion hippique lors de l’affaire Tourville.

Portzamparc alla faire la queue au bureau d’inscription numéro deux. A côté de lui, il vit Janas Prso, son adversaire au dernier tournoi de Manigance. Il l’avait battu en final. Le vieil homme, aristocrate approchant les quatre-vingt ans, avait perdu avec dignité, après une partie qui avait tenu les participants et les spectateurs en haleine près de quatre heures. Prso sourit à son adversaire, qui aurait pu être son petit-fils. Il avait un visage en longueur ; très grand, mince, dans son costume sobre et d’une élégance indicible, avec une belle chevalière au doigt, et une canne de famille en main. Il avait une voix grave et charmante, qui séduisait facilement l’auditoire :
- A l’aise dans votre nouveau métier ? glissa Prso.
- Très bien, je vous remercie.
Ce petit échange n’avait pas échappé à plusieurs observateurs, qui attendaient de voir les deux hommes s’affronter à nouveau. Ils signèrent en même temps et se serrèrent la main.
Deux flashes crépitèrent. C’était le photographe de la Passerelle, la feuille d’information du quartier. Le journaliste, Jérôme Ficelin, notait sur un carnet, en tirant la langue comme un écolier appliqué. Il était encore jeune, et des plus débrouillards. Il n’avait pas son pareil pour obtenir des interviews importantes, même de personnalités réticentes.

Content de lui, Portzamparc revint au bar et se commanda une autre bière.
- Il est peut-être temps d’arrêter, dit sa femme en lui tirant la manche.
Dans son dos, Maréchal et Sampieri grimaçaient en agitant la main.
- Il faut que tu aies les idées claires. Je te signale que ta première rencontre est en fin d’après-midi. Et tu n’es pas tombé sur un groupe facile.
- Bah, il faut se mettre dans l’ambiance.
- J’ai pris une chambre dans le petit hôtel à côté, expliqua madame de Portzamparc. Ainsi, Jean-François n’aura pas à faire le trajet tous les jours.
Maréchal approuva cette sagesse, de même que le serveur. Portzamparc finit son verre et dit qu’il allait trouver un adversaire pour passer le temps.
- Je me suis occupé de retirer tes jetons, dit sa femme.
- Très bien.
- Je vais les garder, c’est plus prudent. Toi, tu te concentres juste sur ta stratégie.
- Comme tu voudras...
Maréchal haussa les épaules, sans être vue de la femme de son collègue, en faisant signe que c’était ça d’être marié.
Sampieri finit son verre et repartit faire un tour de surveillance. Le couple de Portzamparc repartit, Maréchal se recommanda à boire.

Les poules commencèrent deux heures après. Portzamparc était arrivé à sa table en avance, et répétait quelques coups sur un plateau imaginaire, les mains sur les tempes. Il se plongeait dans l’univers de la Manigance, il ne voyait plus du monde que le plateau, les jetons et les mouvements. Au milieu de ce qui était une salle de tripot élégant, mais tripot quand même, madame de Portzamparc ne se laissait pas impressionner. Elle gardait un port de tête altier et défiait du regard les roublards et les narquois qui la fixaient. Outre la Manigance, on jouait aux jeux de hasard, entre gens du monde : les sommes en jeux étaient appelés à augmenter rapidement dans les jours, dans les heures à venir.
Quand l’adversaire de Portzamparc s’assit en face lui, le policier y prêta à peine attention. Il entendit la voix lointaine de l’arbitre, debout à côté de lui, qui rappelait les règles particulières du jeu appliquées pendant le tournoi. Puis il lança une pièce, la rattrapa et la plaqua sur sa paume :
- Face. Monsieur Adhezy, à vous de choisir.
- Je prends les noirs.
- C’est monsieur de Portzamparc qui a les blancs. A vous donc de commencer.
Jean-François entendit ce signal et joua son premier coup. Il avait déjà sa partie en tête. Il cligna des yeux quand son adversaire, qu’il avait à peine vu au moment de lui serrer la main, fit un coup surprenant. Désarçonné, Portzamparc dut cacher sa nervosité ; il eut une dizaine de coups difficiles, où il recula franchement. Sa femme, assise à côté de lui, devenait nerveuse. Son mari lui fit un petit sourire : tout allait bien.
En retrait, le journaliste Ficelin gribouillait sur son carnet : « P. fait une ouverture autrellienne classique. Mais un doublé-traversé de A. le met en difficulté… »
- Quinzième coup terminé, annonça l’arbitre. Nous marquons une pause.

Portzamparc souffla. Il revenait dans le monde réel. A ce moment, Sampieri faisait lever un homme qui avait des manches dans les cartes. Le service d’ordre l’emmenait brutalement, vers la cave. Au parlophone, Novembre avait dit que le commissariat était plein. Le tricheur allait avoir droit au traitement spécial de la brigade de l’hôtel…
Maréchal, assis près de l’entrée, leva les yeux au ciel, désolé pour lui. L’inspecteur vit Ficelin arriver à lui, suivi de son photographe.
- Un petit mot pour la Passerelle, inspecteur ?
- SÛRETÉ est ici pour veiller à la sécurité du public, pendant ce tournoi. Le détective Sampieri surveille les salles de jeux et moi le hall et la salle de réception.
- Vous savez que le détective de Portzamparc, candidat au tournoi, est en difficulté, au début de sa première rencontre ?
- J’ai confiance en lui. Vous allez voir, il va renverser la situation.
- Il est en service ou pas ?
- Non, il est en congé.
- Vous pensez qu’il peut aller loin ?
- Au moins en finale.
Le photographe s’approcha :
- Allons, une petite photo…
Maréchal cacha sa cigarette et son verre, fit son plus beau sourire et remercia les deux journalistes.
La deuxième manche commença pour Portzamparc. Pendant la pause, il avait eu l’air distrait mais dès le signal de l’arbitre, il était rentré dans le jeu le temps d’un claquement de doigts. Et il avait compris la mentalité de son adversaire. Il renversa la situation et accula bientôt son adversaire à la défaite.
- M. Adhézy, vous avez perdu votre dernier pion. M. de Portzamparc remporte la partie.
Petits applaudissements dans le public. Chaque poule se composait de cinq candidats. Portzamparc en rencontra un deuxième, en début de soirée, au moment où Maréchal finissait son service. Cette fois, le policier eut facilement raison de lui. Il récupéra deux belles colonnes de jetons, de quoi continuer avec une avance confortable.
- Tu m’as fait une frayeur, à la première partie, lui dit sa femme, qui n’avait osé rien dire avant.
- Ne t’inquiète pas, tout est prévu.
- Quelle idée de commencer par perdre ! Ce serait trop simple de gagner dès le début !
- C’est pour tromper l’ennemi…
Fanfaron, Portzamparc alla au bar :
- Allons, un petit whisky pour fêter ça !
Maréchal but aussi, maintenant que son service était fini.
- Monsieur de Portzamparc, une petite photo ?
C’était Ficelin, qui terminait aussi sa journée.
- Avec Madame…
- Ah non !
- Mais si, voyons, ne sois pas timide.
A contrecœur, mais quand même flattée, madame se serra près de son mari. Flash.
- Merci, c’est parfait. Vous serez dans l’édition de demain matin.

Maréchal rentra chez lui à pied, pendant que les Portzamparc allaient à leur hôtel.
Le lendemain, de bonne heure, les deux policiers étaient avec leurs collègues dans le bureau de Novembre.
- Bon, les enfants, nous allons faire le point. Rampoix, à toi, sur la bonne femme.
- Elle s’appelle Marthe Lisander, soixante-deux ans. Elle habitait 24, impasse des Sommes, dans un deux-pièces cuisine. Retraitée, elle a travaillé trente ans dans une mercerie. Casier vierge. Une femme sans histoire. Elle a été retrouvée égorgée dans son salon. Pas de piste pour le moment.
- Il faut découvrir qui a pu embaucher Horo pour l’assassiner, dit Novembre. Et ça presse : des rumeurs disent que ce monstre n’est pas loin. Il aurait été aperçu dans le quartier voisin. Les rumeurs vont bon train. Les gens voient de l’égorgeur de vieille dame partout. Donc j’ai besoin de plus de monde sur cette affaire. Maréchal, comment ça se passe au Novö-Art ?
L’inspecteur se mit à craindre pour son poste privilégié.
- Il y a pas mal de choses à surveiller, à vrai dire. Les salles, les couloirs, les chambres…
- Mouais, fit Novembre, sceptique, je me demande si toi, plus Sampieri, plus Portzamparc, ce n’est pas trop.
- Je ne sais pas, patron. Je dis juste ça pour que SÛRETÉ puisse assurer sa mission.
Il y eut un moment de silence. Novembre réfléchissait. Les collègues firent signe à Maréchal que la situation était tendue pour lui.
- Bon écoute, inspecteur. Sampieri va rester avec nous pour enquêter sur la femme Lisander. Toi, tu retournes à l’hôtel, mais tu feras le boulot tout seul. Tant pis pour toi.
- Tant pis, fit Maréchal, qui fit semblant d’être triste.
- Allez file ! Et ouvre les deux yeux ! Portzamparc, bon courage pour la suite.
- Merci, patron.
- De rien. Plus tu restes dans le tournoi, plus tu peux bosser pour nous, même pendant ton congé de maladie !

Les deux policiers passèrent la porte à tambour de l’hôtel et toisèrent les lieux, comme on arrive en terrain conquis. Maréchal avisait déjà le bar, Portzamparc les tables de jeux. Ils burent un verre pour bien démarrer.
Madame de Portzamparc arriva alors et se fit servir un thé.
- Allons, il va être l’heure. Tu as encore deux matchs aujourd’hui. Il s’agit de ne pas perdre sa concentration.
- Penses-tu !
- Bonne journée, inspecteur.
- Bonne journée, madame.
Maréchal regarda le couple s’éloigner.
- Si tu crois que je ne te vois, à siroter un verre dans mon dos… Et tu entraînes l’inspecteur à boire, alors qu’il est en service…
- C’est pour se mettre en condition, voyons…

La mâtinée coula paresseusement. Maréchal fit quelques tours en sifflotant dans l’hôtel. Il évoluait entre les vieux messieurs propres sur eux, les belles femmes avides de jeux, les passionnés fauchés et les jeunes loups du tapis vert. Il saluait quelques personnes qu’il connaissait de vue.
- Messieurs…
Puis il retournait s’accouder au bar, échangeait quelques banalités avec le serveur, qui nettoyait ses verres avec le dernier sérieux.
- Tiens, c’est l’heure des maquereaux, nota soudain le barman.
Maréchal ne comprit pas. Il se tourna vers l’entrée, et vit arriver quatre clients réguliers du cabaret chez Gino : habillés de leurs chemises à couleurs voyantes, leurs bijoux vulgaires et leurs chaussures trop propres, entraient Riri la Balafre, Jojo les Ratiches, Gros Louis Barre de Fer et Fufu la Carambouille.
- Tiens, mais qui voilà, fit Maréchal, amusé. Alors, on vient s’encanailler, messieurs ?
- Tiens, l’inspecteur Maréchal, quelle surprise ?
Le policier leur rendit un sourire magnifique :
- Vous espérez entrer dans cette salle de jeux, peut-être ?
- Qu’est-ce qui nous en empêcherait ?
- Ecoutez, les enfants, vous n’êtes pas les bienvenus ici. J’ai même l’impression que vous êtes de potentiels gênes pour l’ordre public.
- Quoi, mais on n’a encore rien fait !
Maréchal trouvait ce « encore » délicieux. Il savait qu’il n’y a personne comme un truand pour être à cheval sur ses droits.
- Bon, insolence, bientôt insulte à agent de SÛRETÉ. On va arrêter dès maintenant, les enfants, et vous allez suivre ces messieurs à la « maison ».
Approchaient trois Pandores, qui ricanaient de s’occuper de ces troisièmes couteaux.
- Ca va, on s’en va !
- Messieurs, vous me les emmenez au frais !
- C’est révoltant !
Maréchal fit signe aux Pandores de relâcher les quatre hommes dans la nature. Qu’ils n’y reviennent plus, c’était tout.
Les Pandores jetèrent la bande dehors :
- Allez, les virtuoses, vous dégagez !
Ils rentrèrent, contents d’eux.
- Ah, inspecteur, fit le barman, vous n’avez pas froid aux yeux !
- Allons donc ! Tentative d’invasion ! J’ai repoussé les malandrins !

Maréchal n’était pas mécontent que ces quatre rigolos soient venus égayer sa journée. Il mangea un sandwich distraitement, en refaisant un tour près des tables de jeux. L’ambiance montait doucement, mais ce n’était encore rien en comparaison de ce qui se passerait ce soir.
Dans la salle du tournoi, le silence régnait, comme dans une bibliothèque. On n’entendait que les bruits des pions, et les arbitres qui parlaient à voix basse. A la table 4, Portzamparc gagnait son troisième match. Maréchal lui fit un petit signe d’encouragement. Le détective avait déjà marqué trois points. Il était à égalité dans son groupe.
- Donc rien n’est gagné, disait sa femme, si tu veux sortir premier, et avoir un quart de finale plus tranquille.
- Pas d’inquiétude, j’ai la situation bien en main.
Madame recomptait les jetons : oui, il y avait une petite cagnotte.

De retour au bar, Maréchal bâilla, prêt à attaquer l’après-midi. Il était deux heures et il s’étirait, quand il entendit un grand ramdam du côté des cuisines. Inquiet, il descendit de son tabouret et passa la grande porte, bousculant un maître d’hôtel. Le bruit venait en fait de l’arrière, de la cour aux poubelles.
- Police, place !
Maréchal avait déjà la main sur son arme. Dans les cuisines, la tension montait, car il fallait déjà s’atteler aux plats pour la soirée. L’inspecteur passa en courant et sortit dans la cour.
Il braqua son arme, sur la tempe d’un des habitués de chez Gino. Les quatre truands avaient coincé un pauvre type dans le coin, et Fufu venait de lui asséner un solide coup de couteau.
Maréchal leur ordonna de se mettre face au mur, mains sur la tête. La victime avait pris la lame dans le flanc. Il se tordait de douleur.
Deux Pandores arrivaient.
- Appelez le docteur Jouvet !
Les Pandores aidèrent l’homme à se relever. Il marchait avec difficulté. Le chef-cuisinier arriva et aida à porter l’homme.
- On va le mettre à côté de la chambre froide. On a une pièce là-bas, en attendant que le médecin arrive.
C’est ainsi que la victime se retrouva allongée sur une table d’équarrissage !
- Il va être pas trop mal ici.
- Je souffre, gémit l’homme.
Un des Pandores avait pris ses papiers :
- Auguste Loiseau, trente-sept ans, représentant de commerce…
Dans l’impasse, Maréchal passait les menottes à Fufu, pendant que le Pandore attachait les trois autres avec une corde.
- Les enfants, vous êtes bons pour le château. Je vous avais bien dit de dégager d’ici ! Il vous a fait quoi ce type ?
- C’est Horo ! Le salopard ! Horo le tueur !
- Allons, allons…
Les truands qui veulent jouer les auxiliaires de police, et avec du zèle, ce n’était pas bon du tout.
- Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
- On l’a vû rôder, du côté de chez Gino. Et dans les galeries, près d’où la bonne femme s’est fait suriner ! Et il tourne du côté de la Platz… Et des gens ont dit qu’ils ont vu Horo là-bas…
- Oh, c’est bien confus, votre histoire. Si vous commencez à poignarder les gens sur des soupçons de ce genre, il vaut mieux que vous alliez au frais quelques années. Allez, emmenez-les.
Maréchal rentra voir la victime. Allongé sur sa table de boucher, il recevait les soins du médecin de quartier, Edmond Jouvet.
- Inspecteur, comment allez-vous ?
- Docteur…
Jouvet finissait une injection de morphine. Il avait fait un bandage provisoire.
- Il faut l’emmener à l’hôpital.
- Je peux lui parler une minute ?
- Bien sûr.
- Vous vous appelez Loiseau, représentant de commerce, donc…
Maréchal vérifiait ses papiers. Les Pandores avaient ouvert sa valise : à l’intérieur, des produits de nettoyage ménager.
- C’est ce que je vends.
- Oui. Vous savez que vos agresseurs portent contre vous les accusations les plus graves, monsieur Loiseau !
Le représentant de commerce jura ne pas les connaître. Maréchal l’inspectait : il n’avait pas une carrure de tueur impitoyable. Il le laissa partir à l’hôpital.
- Vous viendrez déposer votre plainte dès que vous pourrez.
- J’y compte bien !

Maréchal refit un tour dans l’impasse, que gardait un Pandore. Il repassa par les cuisines et ne put résister : il chipa une part de gâteau, comme un sale gosse, et la mit entière dans sa bouche. Il passa en vitesse les cuisines.
Le chef, un sanguin, s’aperçut du vol, et enguirlanda comme du poisson pourri un marmiton, rouquin avec des chicots, qui ne sut que dire pour sa défense. L’inspecteur ricana, content de lui.
De retour dans la salle, il vit que son collègue de la brigade des jeux était arrivé. Il lui serra la main.
- Non, rien de grave. Un tricheur arrêté hier.
- Et dans l’impasse ?
- Une bagarre. Les coupables sont connus. Ils sont déjà au commissariat.
Les deux policiers burent un verre, pendant que de Portzamparc finissait difficilement son quatrième match. Il avait perdu beaucoup d’argent. Mais avec quatre points, il terminait premier de sa poule.
- En quart de finale, ton adversaire n’est pas une grosse pointure, mais nous n’avons plus trop de jetons. Il va falloir gagner, mais surtout gagner largement.
- Pas de souci. Je sens que la chance va remonter demain.

Maréchal reprit son poste d’observation, accoudé au comptoir luisant. Il se sentait comme à bord d’un paquebot de luxe, cet hôtel qui semblait à part, si clinquant, si brillant, dans le quartier terne de Magött Platz. Les gens qui venaient jouer payaient pour un peu de rêve et d’illusions, comme pour une croisière de luxe.
Ficelin et son photographe allaient d’une salle à l’autre, s’arrêtaient à une table pour boire un verre, et repartaient pour ne pas perdre une miette des matchs. Ils s’arrêtaient pour parlophoner à la rédaction, en gardant un œil sur la salle :
- … Adhézy éliminé, avec aucun point. Portzamparc termine premier, avec quatre points. Dans le groupe numéro cinq…

L’après-midi était bien avancée quand Maréchal vit entrer, par le grand tambour, le petit chauve amnésique, Kaupang Vilnius ! Les yeux hagards, perdu comme un papillon dans un magasin de luminaires, il marcha, buta contre un groom, et se dirigea vers les tapis verts. Maréchal le suivit : Vilnius se contenta de déambuler entre les tables, de jeter un œil à l’une ou l’autre partie, sans prendre part à aucune.
Puis il revint dans le hall et appela l’ascenseur. Maréchal était presque sûr qu’il ne se sentait pas suivi, pourtant à sa place, n’importe qui aurait repéré le policier !
Maréchal laissa Vilnius partir et regarda à quel étage le voyant s’arrêtait. Au quatrième.
En vitesse, l’inspecteur entra dans l’autre cabine et monta. Quand la porte s’ouvrit, il entendit des pas de course sur l’épaisse moquette, dans le couloir silencieux. Il courut, tourna, et vit le chauve, tombé à terre, qui n’arrivait pas à crier, en désignant le bout du couloir.
- Il est parti par là ?
L’inspecteur courut et tourna encore : plus personne.
Vilnius s’était relevé.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai entendu du bruit, derrière moi. Un grand type m’a sauté dessus. Il a failli me poignarder ! On a alors entendu l’ascenseur s’ouvrir. Il s’est enfui, juste avant votre arrivée.
Maréchal essaya de se faire décrire l’agresseur. Le chauve ne l’avait presque pas vu. Grand, chauve, carrure imposante.
- Vous êtes sûr de vous ? Je n’ai vu personne.
- Si, si, je vous dis…
- Ce n’est pas la première fois que vous croyez qu’on en veut à votre vie…
- Je vous assure, inspecteur !
Ce Vilnius ne paraissait pas entièrement intégré à la réalité. Son regard, son attitude, le ton de sa voix. Il semblait avoir un pied dans un autre monde, plus fantasmatique, où vos rêves se réalisent.
- A propos, vous avez vos papiers ?
- Oui, tenez.
Maréchal les feuilleta : il faillit rire. Ils étaient faux, grossièrement faux !
- C’est votre petit neveu qui les a fabriqués à l’école ?
- Quoi ?
- Vilnius, Kaupang, artisan. C’est vous ?
- Hé bien, oui, je suppose, si c’est marqué.
- Vous ne vous en souvenez pas ?
- Non !
- Ces papiers sont faux, monsieur « Vilnius ». Qui les a faits ?
- Je n’en sais rien.
Il se sentait agressé. Ce retour à la réalité lui était pénible.
- Ecoutez, votre histoire devient étrange. Vous allez retourner au commissariat, et nous raconter plus en détail votre vie, d’accord ? Vous allez partir avec un homme de Pandore, hein, bien gentiment…
La description de son agresseur pouvait correspondre à Horo, mais elle était suffisamment vague pour qu’on ait des doutes.
Vilnius, docile, se laissa conduire dans les locaux de SÛRETÉ.
Maréchal ne pensait pas qu’il arrêterait autant de monde ! Cet hôtel était mal fréquenté !
Il reçut un appel agacé de Novembre :
- Tu arrêtes de m’envoyer du monde ! J’avais dit qu’on affiche déjà complet !
- Désolé, patron, mais là, il fallait… Ca doit être la pleine Forge ce soir, les truands sont excités comme tout !
- C’est ça. Bon, il est arrivé, le type des jeux ?
- Oui.
- Alors fini de tirer au flanc sur les tapis brodés, tu rentres au commissariat. Avec le monde qu’il y a, on va avoir besoin de toi. Ce sont tes « clients », après tout !
- Entendu…

Maréchal passa voir les Portzamparc, pour leur souhaiter une bonne fin de soirée.
- Moi je rentre.
- Ah, pas de chance. L’inspecteur Novembre a fini par sévir.
- Les cellules sont pleines.
- Alors bon courage. J’ai terminé mes deux parties, donc maintenant je vais pouvoir jeter un œil sur l’hôtel.
- Ca nous aidera bien, dit Maréchal.
- Tu devrais quand même te reposer. Je te rappelle que tu es convalescent, normalement.
- Rien de tel que le boulot pour oublier ses malheurs !

Portzamparc mangea un morceau avec sa femme.
- Attends-moi au salon de thé, par exemple. Je vais aller faire un tour.
- Si tu veux. J’ai un pull à finir pour ma nièce.
- Très bien.

A suivre…


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#4
J'étais si bien pourtant dans cet hotel douillet à surveiller le barWhistle
Reply
#5
' Wrote:J'étais si bien pourtant dans cet hotel douillet à surveiller le barWhistle

Planqué...redaface2
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#6
DOSSIER #3<!--sizec--><!--/sizec-->


Portzamparc commença par le rez-de-chaussée. Il salua quelques joueurs, mais à présent il n’était plus un de leurs concurrents : il venait en tant que policier. Comme lui avait glissé Maréchal, moqueur : « Si tu as besoin, fais-moi signe, je convoquerai ton concurrent au commissariat ! »
L’inspecteur de la brigade des jeux continuait ses tours de surveillance, rasant certaines tables de jeux où il reconnaissait des habitués.
- Comment vont les mises ? disait-il à tel joueur invétéré.
- Bien, monsieur l’inspecteur, soupirait l’intéressé. On essaie de faire aller.
Et le joueur perdait quelques tours, le temps que l’inspecteur s’en aille. Portzamparc prit quelques nouvelles auprès de son collègue, puis quitta la pièce bruyante. Il descendit à la cave. Il entendait une femme de ménage siffloter. Dans leur salle, quelques vigiles buvaient un coup en tapant le carton. Des ouvriers réparaient des machines à sous.
C’est sous la porte du fond d’un couloir que le détective découvrit une flaque de sang. Il se plaqua contre le mur, sortit son arme et ordonna à un des vigiles d’aller chercher le Pandore en faction dans la rue.
Celui-ci arriva en courant.
- Ouvrez cette porte, dit Portzamparc.
Le Pandore obéit et le détective se jeta dans la pièce, pistolet braqué devant lui.
C’était une réserve de lingerie. Des piles de beaux draps blancs, sur des étagères. Dans un coin, mal caché sous un tas de vieilles serpillières, derrière une poubelle, le cadavre d’un chien.
Portzamparc se pencha :
- Poignardé, dans la nuque… Et c’est tout frais.
On vint alors avertir Portzamparc qu’on avait trouvé un vigile assommé, au deuxième. Le détective le retrouva au bar. Il arrivait, soutenu par deux camarades. Il avait pris un rude coup sur la tête.
- Alors, que s’est-il passé ?
Portzamparc ne put s’empêcher de prendre un air supérieur, devant la déconfiture du pauvre vigile.
- Je faisais ma ronde au second. Soudain, il me semble que mon chien s’est mis à aboyer.
- Vous n’en êtes pas sûr ?
- J’ai perdu connaissance d’un coup. J’ai reçu un coup très fort.
- Et votre chien ?
- Je ne comprends pas. On m’a dit ce qui lui était arrivé. Quel gâchis ! Je travaillais avec lui depuis cinq ans. C’est moi qui l’avais dressé.
- Vous n’avez rien eu le temps de voir ?
- Mais non…
Le docteur Jouvet avait été appelé, pour la seconde fois.
- Bon, vous me fouillez le deuxième étage, dit Portzamparc, et vous interrogez les éventuels voisins qui auraient pu entendre.
Le sergent des vigiles signala qu’à cette heure-ci, la plupart des chambres étaient vides.

Au commissariat, Novembre faisait le point. L’enquête sur la mort de Marthe Lisander n’avançait pas. Si c’était bien Horo le coupable, elle était pour ainsi dire finie, à l’exception du motif. Qui pouvait bien en vouloir à cette femme anonyme ?
Portzamparc appela à ce moment. Maréchal prit le combiné et mit le haut-parleur. Le détective raconta la découverte du chien et l’agression contre le vigile.
- Nous avons fouillé la chambre à côté de laquelle il a été retrouvé. Pas de traces de sang. Cependant, nous avons la certitude que l’agresseur était là. En effet, il y a une ouverture, dans un recoin de la salle de bains. Elle est fermée à clef par une porte, généralement. Mais nous avons trouvé cette porte entr’ouverte. La porte donne sur un conduit de chauffage. Des tuyaux d’eau chaude. Sur ces tuyaux, des traces de sang. Et ce conduit mène jusqu’à la cave, dans une petite pièce, à côté d’où j’ai découvert le chien. L’animal a bien été jeté par là.
“L’agresseur est ensuite descendu en vitesse à la cave, récupérer l’animal. Et je viens d’apprendre qu’un marmiton a été retrouvé assommé, à côté des poubelles. Nous savons par où notre homme s’est enfui.
- Un moment, j’ai cru que le chien était parti jouer à la Manigance, ricana Novembre. Bon, c’est un début, Portzamparc. Repose-toi, maintenant. Laisse un peu faire les Pandores.
- J’ignore, ajouta le détective, si c’est la même personne qui a voulu s’attaquer au petit chauve, au 4e. Si ce sont deux personnes différentes, je ne comprends pas comment la deuxième ne s’est pas enfuie après l’attaque au 4e.
- Allons, bon courage pour demain.

Novembre alluma une cigarette, ronchon. Les cellules étaient pleines avec la bande à Gino et quelques autres truands occasionnels. De même, la pièce fermé par des vitres opaques, où attendaient les témoins.
- On va manger un bout, Maréchal ?
L’inspecteur acquiesça, mais il savait ce que cette invitation signifiait : la nuit serait longue.
Novembre enfila son manteau, en regardant le représentant de commerce, le chauve et deux autres petites bonnes femmes, qui se demandaient pour combien de temps ils en avaient à mariner.
- Ouais, dit Novembre, on a une belle brochette de ploucs, dans cet aquarium !

*
Les deux policiers mangèrent du poisson frit aux pommes de serre, chacun plongé dans ses pensées.
- Je me demande bien, fit Novembre, pourquoi le petit chauve a eu l’envie de monter au 4e.
- Oui, c’est bizarre. Il déambulait au hasard. Et comme par hasard, il monte à l’étage où on peut lui sauter dessus dans le dos.
- Son agresseur devait le suivre, comme moi. Il a dû monter par l’escalier.
- Ouais… dit Novembre, pas convaincu.

Sampieri lançait une tournée de café quand les deux inspecteurs revinrent à la « maison ». Novembre mit le chauffage à fond, car une nappe de brouillard envahissait Magött Platz.
Maréchal s’installa dans son bureau, et y fit venir Kaupang Vilnius.
- Asseyez-vous.
- Dites, je suis ici comme témoin ou comme suspect ?
- Ce sont vos papiers, qui sont suspects, tiens… Dire que je n’ai pas pris le temps de les vérifier, la première fois… Mais avec ce tueur qui rôde.
- Oui, les gens sont à cran. Si ça se trouve, c’est lui qui a voulu m’agresser à l’hôtel !…
Il ouvrait grand les yeux, soudain effrayé.
- Bon, vos papiers là, dit l’inspecteur, quel service d’ADMINISTRATION vous les a fournis ?
- Je ne sais plus… Sans doute le service habilité à…
- Habilité à la copie grossière ?… Vous les avez regardés, vos papiers ? Un gamin s’y prendrait mieux.
- Je ne sais pas, alors.
- Bon, question suivante : pourquoi êtes-vous allé au quatrième étage ?
- A l’hôtel ? Je ne sais pas… Quelque chose m’y appelait…
- Vous y « appelait » ?…
- Et alors j’ai entendu des pas derrière moi. La personne courait.
- A quoi ressemblait votre agresseur ?
- Grand, chauve… Je ne l’ai pas bien vu…
Le petit et le grand chauve, songea Maréchal.
- Bon, écoutez, monsieur « Vilnius », je vais faire venir un spécialiste du portrait-robot, à qui vous allez dire ce que vous savez.
- Alors j’en ai pour un moment à rester ici.
- Vous avez un autre toit pour dormir cette nuit ?
- Non, bien sûr…
- Alors !

Maréchal laissa Vilnius dans son bureau avec « l’artiste » du commissariat. Novembre baîllait à s’en décrocher la mâchoire, en refaisant du café.
- Il faudrait peut-être appeler un médecin ? Savoir combien de temps va durer son amnésie…
- Je m’en occupe, patron. Mais Jouvet ne suffira pas.
- Vois avec l’hôpital du Gros Clepsydre, ils doivent avoir un spécialiste.

Maréchal revint à son bureau. Le portrait-robot n’avançait pas trop.
- Je vous ai dit ce que je savais : grand, chauve… Je n’ai eu qu’un instant pour le voir, ensuite il a détalé.
L’inspecteur dit au dessinateur qu’il pouvait y aller. Pris d’impatience, il lança :
- Bon, vous ne vous souvenez de rien, Vilnius ? Que savez-vous faire dans la vie ? Mitier ? Vous savez manier un grapin et un harnais ?
- Non, je ne crois pas…
- Vous parlez Forgien ? Vous savez graisser un circuit ? Ramoner une cheminée ? Monter un mur ?
Vilnius hochait la tête, accablé par l’avalanche de questions.
Maréchal le ramena à la salle des témoins.
- Tiens, si vous voulez dormir, vous pouvez vous allonger là.
C’était une cellule.
- On ne fermera pas à clef.
Maréchal alla dans la pièce d’à côté, le « dortoir », et s’allongea dans un hamac. Il était bientôt deux heures matin, l’heure où le corps accuse la fatigue. L’inspecteur s’assoupit. Il se réveilla quand Sampieri entra :
- Inspecteur, j’ai trouvé quelque chose.
Maréchal, bougon, descendit de son filet et alla se passer de l’eau sur le visage.
- Dites-moi tout…
- Regardez sur cette carte. C’est le plan du Vieux Soupirail, un quartier à deux pas d’ici. Vous voyez le nom de ces deux rues perpendiculaires ?
Maréchal y jeta un œil :
- « Rue Kaupang » et « impasse Vilnius » ?
- Tout à fait.
- C’est étrange…
Maréchal jeta un coup d’œil au petit chauve, qui s’était recroquevillé sur sa couche, tant bien que mal. L’inspecteur, hésitant, but une tasse de café.
- A deux pas d’ici, hein…
- Oui.
Maréchal avala le liquide amer et trop fort.
Il alla taper aux barreaux de la cellule :
- Debout là-dedans, nous partons en promenade !
- Quoi ?…
Il était presque trois heures du matin.
- Fini d’être nourri et logé aux frais de l’ADMINISTRATION, monsieur « Vilnius ». Sampieri, prête-lui un manteau épais, car il y a encore du brouillard dehors.

- J’ai peut-être une piste, glissa Maréchal par la porte du bureau de Novembre, qui en finissait avec un braqueur.
L’inspecteur enfila une écharpe. Quand il sortit dans la rue, l’horloge frappait trois coups solennels, dans le brouillard silencieux, teinté des lueurs iodées de l’éclairage urbain.


A suivre...

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#7
Les heures sup sont détaxées à ExilClever?
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#8
DOSSIER #3<!--sizec--><!--/sizec-->


Vilnius, bonnet sur la tête, mains dans les poches, grelottait, et n’osait pas protester. Il peinait à suivre l’inspecteur, à la fois amusé et agacé par cette promenade.
- Où allons-nous ?
- Mais chez vous, voyons !
- Chez moi ?
Cette idée effrayait, elle aussi, le chauve.

L’inspecteur salua un Pandore en faction, à l’entrée des rues du Vieux Soupirail. Il fallait monter un escalier étroit, entre deux murs couverts de vieilles affiches politiques, en tournant à deux coudes droits, pour déboucher, vingt mètres plus haut, dans un entrelacs de petites rues commerçantes.
Les deux rues mentionnées par Sampieri étaient juste là.
- Alors, qu’avez-vous à me dire ?
- Ça alors, ces deux rues portent mon nom…
Maréchal commençait à se demander si l’autre ne se payait pas ouvertement sa tête !

La rue Kaupang était pleine de petites échoppes, de marchands et d’artisans. L’inspecteur, lanterne en main, s’engagea dans l’impasse Vilnius. Au bout, il découvrit une boutique d’horlogerie. Une fenêtre était brisée ; la porte, fermée à clef.
- Cet endroit vous rappelle quelque chose ?
Le chauve haussa les épaules, désolé de ne pouvoir…
Maréchal s’alluma une cigarette, fatigué. Il voulait retourner au Novö-Art, bien au chaud, au bar, à surveiller du coin de l’œil des gens riches et bien portants !
Il jeta son mégot et se hissa sur le rebord de la fenêtre, passa la main à travers la vitre et fit jouer la poignée.
- Suivez-moi…
Maréchal entra le premier.
- Silence, fit-il, à Vilnius qui avait fait tomber des éclats de verre.
On entendait un ronflement lourd, régulier. Quelqu’un était allongé, sur une couchette au fond du séjour. La pièce était encombrée de toutes sortes de réveils, horloges, cadrans, montres…
L’inspecteur alluma une lampe à pétrole et constata l’ampleur du désordre : des horloges étaient brisées, des cadres décrochés, des meubles abîmés… Le chauve avait l’air toujours aussi ahuri.
Maréchal s’approcha du dormeur, qui sentait l’ivrognerie à trois mètres.
- Debout là-dedans !
L’autre ouvrit un œil. L’inspecteur lui braqua sa lumière et sa carte de SÛRETE sous le nez. Il s’éveilla brusquement.
- Du calme, chef ! J’ai rien fait de mal !
Il parlait avec l’accent propre au langage de la rue.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je dormais juste ! Il fait trop froid dehors !
- On s’est battu, ici ! Où as-tu caché le cadavre ?
- Non je vous jure, chef ! Y a aucun cadavre ! Je faisais que dormir ici ! Oui, c’est ça… Je gardais les lieux contre des intrusions malhonnêtes !
- Ben voyons, un vrai petit saint…
L’homme s’assit et se frotta la tête. Maréchal s’éloigna, indisposé par l’odeur.
- Alors, toi, dit-il à Vilnius, ça te dit quelque chose ici ? Tic-tac ? Non ?…
Vilnius semblait aussi éberlué qu’avant.
- Bon, on rentre, j’en ai assez…
- Et moi, chef ?
- Toi ?
Maréchal s’alluma une cigarette et réfléchit.
- Laissez-moi ici. J’ai rien fait de mal. Je garde les lieux, je ne touche à rien, promis.
- Allez, va te recoucher, mais je te préviens, on sera de retour demain matin. S’il s’est passé quoi que ce soit ici…
- Comptez sur moi, chef. Je ferai même le ménage, si vous voulez.
- Non, ne touche à rien. Allez, on s’en va.

Maréchal frissonna en remettant le nez dehors. Vilnius était frigorifié. Tous les deux avaient froid de saleté et de lassitude. Ils arrivèrent transis au commissariat. Après un en-cas froid arrosé de café brûlant, ils s’endormirent d’un coup, l’un dans sa cellule, l’autre sur son hamac.

*

Portzamparc se réveilla, frais et dispo, après une bonne nuit de sommeil. Sa femme lui apportait le petit-déjeuner et le journal au lit. Le détective parcourut l’article de Ficelin sur le tournoi, puis feuilleta une revue spécialisée sur la Manigance, pour étudier le jeu de ses adversaires du jour. Il aimait y réfléchir, le matin en se rasant.
Sa femme terminait de lui repasser son costume, pendant qu’il se parfumait. Le couple entra dans le grand hôtel, après une petite marche dans le quartier, pour profiter de l’air vivifiant de ce beau matin d’hiver.
- Comment te sens-tu ?
- En veine, ma foi…

Le détective fut accueilli par un des Pandores.
- Si vous avez le temps…
- Oui, ma première partie est dans deux heures. Tu m’attends au salon de thé, comme hier ?
- Entendu.
Portzamparc suivit le policier dans le bureau du service de sécurité.
- Voilà ce que nous avons trouvé. La chambre du 2e étage, celle près de laquelle le vigile a été retrouvé, était normalement vide ces jours-ci. Elle n’était pas louée, à cause d’un problème de tuyauterie dans la salle de bains. Or, nous avons la preuve que cette chambre a bel et bien été occupée, ces deux derniers jours. La police scientifique est passée : ils ont trouvé des cheveux, des empreintes…
- Et à la réception, que disent-ils ?
- Aucune clef n’était portée manquante.
- Donc, dit Portzamparc, soit ils n’étaient au courant de rien (donc l’occupant avait un double), soit ils étaient complices. S’ils n’étaient pas complices, comment l’agresseur du vigile a-t-il pu pénétrer dans la chambre ? Comment aurait-il pu faire un double ?…
- Nous ne savons pas. Personne n’allait dans cette chambre, car avec le tournoi, le directeur n’a pas trop pris soin de la faire remettre en état.
- Allons voir.
Les policiers montèrent au deuxième.
- Vous voyez, dit le Pandore en passant sa main sur le mur, en certains endroits il y a des déformations. Comme si on avait donné des coups sur le mur. Mais avec un énorme marteau, une masse. Si c’est ça qui s’est passé, on aurait entendu des coups sourds dans tout l’hôtel. Or, personne n’a entendu quoi que ce soit de tel.
- Pas de trace de sang ?
- Non.
Portzamparc examina le mur qui séparait la chambre du couloir : c’est vrai qu’il était déformé par endroits.
- Bizarre… Il faudra demander au directeur s’il y a un vice de construction sur ce mur.
Portzamparc consulta sa montre : l’heure tournait.
- Je vous laisse, la rencontre approche.

Il y avait déjà du monde autour de sa table de jeu. Outre sa femme, Ficelin était déjà au poste, et une dizaine de passionnés. Cette fois, madame fit signe que son mari ne répondrait à aucune question. Portzamparc s’assit, se fit servir à boire et commença à se concentrer sur le plateau, en déplaçant quelques pions.
Il vit alors son contact, l’homme croisé à l’hôpital, un petit gros, avec une casquette de cheminot et un gros pull en laine. Il lui faisait signe, en code, de le retrouver aux toilettes à la pause. Portzamparc acquiesça d’un geste discret.
Déjà, son adversaire arrivait, suivi de ses propres admirateurs. Il s’agissait de Gédéon Ferenbuikk, important financier, qui avait réalisé quelques belles opérations immobilières dans le quartier. Il apparaissait régulièrement dans les journaux, car il avait des ambitions en politique. Il répétait volontiers qu’il tenait son flair de ses parties de Manigance, que les affaires étaient un jeu qui demandait autant de ruse, de flair, de patience et d’audace.
Portzamparc n’était pas du genre à se laisser impressionner par ces considérations. Généralement, ce qu’il connaissait le mieux chez son adversaire, c’était ses mains. Il devinait leur langage, à leurs gestes mal contrôlés, à leurs tremblements, à leur adresse et leurs manies, comme si, pour lui, c’était des organismes ayant une vie autonome.

L’arbitre lança la pièce en l’air et la plaqua sur la paume de sa main :
- Face. Monsieur Ferenbuikk, à vous de parler.
- Je prends les blancs.
- M. de Portzamparc, à vous les noirs. M. Ferenbuikk, vous commencez.

La partie s’engagea mal pour le policier. Sa femme se demandait si elle n’en deviendrait pas bientôt cardiaque ! Le pire étant qu’elle n’arrivait pas à savoir si son mari était vraiment distrait, ou s’il le faisait exprès de se mettre en difficulté pour retourner la situation. Ferenbuikk, l’air satisfait, replet, imposait une présence massive, d’homme d’affaires qui sait ce que parler veut dire, et qui n‘agit pas sans raison. Il perdit toutefois contenance quand Portzamparc, qui levait à peine les yeux vers lui, réussit quelques jolis coups et bientôt, revint à égalité. Des murmures parcoururent l’assemblée.
- Silence, ordonna l’arbitre.
Portzamparc eut le temps de placer encore une attaque que nul n’avait vu venir. L’arbitre consulta sa montre et annonça la pause.
Portzamparc finit son verre d’eau gazeuse, et partit aux toilettes, pendant que le gros industriel respirait, et s’allumait un cigare de bonne taille.

Le policier alla aux lavabos et se passa de l’eau sur le visage. Dans la vitre, il vit son contact sortir de la cabine de toilettes et s’approcher de lui.
- Le jeton que vous devrez récupérer sera dans la prochaine partie, en demi-finale. Donc vous ne devez pas perdre maintenant.
- Aucune inquiétude de ce côté. Le jeu de Ferenbuikk est plein de failles.
- N’empêche… Se fier tant que ça au hasard pour une opération si délicate…
- Le hasard n’y est pas pour beaucoup.
- Écoutez, je vais tâcher d’être bref. La femme qui a été assassinée, Marthe Lisander… Elle était de notre réseau. C’est elle qui aurait dû nous faire passer le jeton… Enfin, ce qu’il y a dedans…
- Et qu’y a-t-il dedans, justement ?
- Un micro-film, dit l’homme, à regret. Je n’en sais pas plus. Un micro-film avec des plans secrets, très importants.
- Si cette femme a été tuée, c’est que votre réseau a été découvert…
- Nous ignorons par qui.
- Et vous, « ils » vous connaissent ?
- Je n’en sais rien. Écoutez, c’est très grave. Quelqu’un nous connaît, et a embauché Horo pour nous éliminer !
- Qui embaucherait un tueur comme lui ?
- Je ne sais pas, mais mieux vaut en finir rapidement ici. Car si ce tueur est encore ici…
- Remonte dans ta chambre, dit Portzamparc, en se dirigeant vers la sortie. J’irai en début d’après-midi faire une ronde.
- Si Horo est pris vivant, il parlera. Il donnera des noms. Peut-être le vôtre…
Le policier fit signe qu’il avait compris. Il revint à sa place, juste au moment où l’arbitre annonçait la reprise. Portzamparc joua plus nerveusement. Ses coups se succédèrent, rapides. Il pensait et repensait à ce qu’il venait d’apprendre. Cette partie l’agaçait. Ces gens ne pouvait pas comprendre ce qui se jouait ! Cet industriel n’était au courant de rien. Il le gênait !
La tension du policier dut se sentir, car il n’y eut pas de bruit autour de la table. Tous crurent que c’était la partie qui créait cette colère muette, cette envie de vaincre. C’était le cas pour Ferenbuikk, mais pas pour son adversaire. Le policier en finit en quelques coups, plutôt humiliants pour l’homme d’affaires, qui se retira en vitesse, largement battu.
- Tu m’as fait peur ! soupira sa femme.
- Mais non, mais non…
- Tu joues vraiment n’importe comment par moment.
- Mais non, tout est prévu.
- Tu joues comme un trompe-la-mort. Au lieu de te contenter de tactiques classiques, efficaces, il faut que tu ailles chercher des attaques sorties de nulle part !
- Hé oui, on ne se refait pas, que veux-tu. C’est l’art de la guerre autrellien : surprendre et rester mobile. Sur Exil, ils apprennent à jouer frileusement, à rester statiques !

*

Maréchal, frêle, les traits tirés, le chapeau de travers, la cigarette paresseusement coincée dans la bouche, les chaussures encore sales, fit son entrée dans le commissariat. Il avait un air spectral. Il était tombé de son hamac, vers cinq heures du matin. Il était alors rentré chez lui, plus endormi qu’éveillé, et s’était jeté dans son lit tout habillé. Il avait rouvert les yeux, péniblement, un peu après midi et avait trouvé le courage de repartir au bureau.
Novembre, après deux interrogatoires serrés pendant la nuit, n’était guère plus frais.
Sur son bureau, Maréchal trouva le rapport du médecin, qui était passé dans la mâtinée ausculter Vilnius : lésions cérébrales… perte de mémoire… durée indéterminée… pas brusquer le sujet…
Le sujet en question se faisait servir un café par Sampieri. Ni seulement témoin, ni suspect, il avait un statut à part dans la « maison ». Encore quelques jours et il ferait partie des meubles.
- Vous avez bien dormi ? lui demanda Maréchal, pour la forme. J’espère parce qu’on « y » retourne.
- Où ça ?
- Chez vous !

Mécontent, le chauve suivit l’inspecteur. Ce dernier nota que ce drôle d’amnésique était imberbe : il n’avait pas besoin de se raser, et il n’avait plus un poil vaillant sur le crâne.
Impasse Vilnius, il y avait de la lumière, et du feu dans le poêle. Il faisait à peine moins froid que pendant la nuit.
- J’ai fait du café pour tout le monde, annonça, jovial, l’occupant des lieux, qui avait pris un bain et posé ses petites affaires sur la commode.
- Alors, on s’installe ?
- Oh, chef, vous exagérez ! Je me mets juste à l’aise…
Maréchal prit une bonne quantité de café. Il fit venir le Pandore du quartier, lui ordonna de fouiller l’atelier, avec l’aide du vagabond et du chauve.
- Pendant que je vais interroger les voisins.

Les petits commerçants n’étaient guère causants. Plusieurs demandèrent à Maréchal s’il était de l’inspection sanitaire ou du contrôle fiscal. Il fallait leur tirer les mots de la bouche, un par un.
- Donc il y avait bien un locataire au fond de cette impasse ?
- Oui, oui, disait un épicier, en détournant le regard.
- Bon, il était là depuis longtemps ?
- Oh, quelques années…
- Quelques années ? Et il a disparu il y a combien de temps ?
- Quelques jours. Une semaine peut-être…
- D’accord. Et il s’appelait comment ?
- Ma foi, je me demande si ce n’était pas Herbert.
Maréchal notait, en regardant le commerçant de travers. On lui cachait des choses. Et celui-ci n’était pas le premier. Les autres boutiquiers n’y mettaient pas plus d’entrain. Ils jouaient les honnêtes citoyens, comme les aime ADMINISTRATION : pragmatiques, âpres au gain et pas indiscrets.

- Inspecteur ?…
C’était le Pandore.
- Du nouveau ?
- Un peu, oui. Vous devriez venir voir !
Intrigué, Maréchal retourna dans l’atelier. Le clochard et le chauve avaient aidé le gendarme à déménager les meubles. Derrière une armoire, apparaissait nettement la découpe d’une porte dérobée.
- Tiens, tiens, Vilnius, tu n’as rien à nous dire à propos de ce passage ?
- Hé bien, non.
- On n’arrive pas à l’ouvrir, dit le Pandore. Pas de poignée. Et elle est bien verrouillée. Je peux faire venir des hommes, avec une masse.
- Non, on va éviter la casse inutile, dit Maréchal. Regardez plutôt ça.
Dans le mur étaient enfoncés trois cadrans de montre. Ils portaient chacun un indicatif : SHC, RUS et IEI.
- Tu as une idée de ce que cela signifie, Vilnius ?
- Non, vraiment pas.
- Regarde ces cadrans. Observe-les bien. Si tu vivais ici, comme j’ai lieu de le croire, tu devais connaître ce passage…
Le chauve s’approcha des cadrans et commença à changer l’heure.
- Il doit y avoir une combinaison qui ouvre la porte.
On regarda Vilnius changer les aiguilles.
- A propos, le nom de « Herbert » ne te dit rien ?
Le chauve s’arrêta. Il tournait le dos à l’inspecteur, qui ne put voir s’il était troublé.
- Non…
Il continua ses manipulations. Après quelques minutes, on entendit un déclic.
- On remet les pendules à l’heure, dit le Pandore.
Le panneau pivota lentement et s’ouvrit sur une petite pièce sombre. Les quatre hommes entrèrent, le clochard tenant une lampe à la main.
- Qu’est-ce qu’il y a comme poussière ici, fit-il. Il faudra nettoyer !

Le sol était recouvert de feuilles et d’enveloppes de papier épais. Un bureau, lui aussi recouvert de dossiers et documents en pagaille. Plusieurs consoles avec divers instruments de mesure : hygrométrie, pression… Et surtout, trônant au milieu de la pièce, un grand siège avec repose-pied, accoudoirs aux nombreux rangements pour de petits outils, et des lanières de cuir pour les poignets et les chevilles.
- Dis donc, on est chez un dentiste ou quoi, Vilnius ?
Le chauve n’en menait pas large. Au-dessus du siège, un casque en demi-coupole adaptable pour le « patient ». Et, pointant vers le dossier, se trouvaient au plafond divers bras mécaniques, terminés en cône cernés de cercles de cuivre. L’ensemble de cet engin était relié à une console de commande.
En soulevant les papiers, Maréchal découvrit un, puis deux, puis au total cinq chromatographes, de modèle récent !
- Regardez ça, dit-il aux autres, un vrai réseau de communication ! La pointe de la technologie, Vilnius ! Il y en a vraiment pour une fortune. Tu te payes ces petits joujoux en vendant tes montres à gousset ?
- Je ne sais pas, je ne comprends pas…
- Moi, j’ai comme l’impression que c’est pas un cabinet de dentiste ici, mais plutôt une salle de torture. Tu me diras, les deux se ressemblent…
Ahuri, Vilnius aurait bien eu envie de décamper. Mais le Pandore s’était mis dans l’embrasure du passage.
- A ton avis, à quoi peuvent servir ces crochets ? Ces pointes ? Ces aiguilles ?… A extraire de vilaines gencives ? Et le casque ? Pour sécher les cheveux ?… Tu ne dis rien. Pas clair, cette histoire, Herbert…
Maréchal revint dans le séjour, se servir un café. Des gens regardaient par la vitre poussiéreuse. L’inspecteur s’assit deux minutes, le temps de fumer une cigarette, puis se releva.
- Je retourne les interroger. Je pense qu’ils sont à point.


A suivre...
Reply
#9
Quote:On n’arrive pas à l’ouvrir, dit le Pandore. Pas de poignet.

Pas de bras pas de chocolatSpamafote



Whistle


:P
Reply
#10
ADMINISTRATION a corrigé. En remerciement, elle enverra un pin's "film noir" à Maréchal.Roxx
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